Sixième Jour
C'était l'aurore. Je me tenais debout devant la fenêtre du salon. Je m'emplissais les yeux du spectacle des lumières vaporeuses de l'aube s'étendant lentement dans le parc, chassant peu à peu les ombres de la nuit. Cette nuit qui avait été si éprouvante, horrible, fantastique, une nuit dont j'avais cru ne pas me sortir vivant.
Nous étions tous réunis. Estelle venait d'apporter du thé, des gâteaux mais nous préférions nous gaver de whisky, cognac et autres remontants.
J'avais couché Juliane dans une chambre, elle était sous sédatif, une servante à son chevet. J'étais soulagé de la savoir en vie, presque indifférent à ce qui se déroulait maintenant, je ne songeais qu'à elle.
« Alors M. Holmes, pourriez-vous nous expliquer toute l'histoire ? demanda la petite voix haut perchée de Lestrade. »
Je sursautai et me retournai pour observer Sigel Holmes. Il resta silencieux quelques secondes puis entreprit de raconter les faits.
« Cela fait six mois que j'ai rencontré une jeune femme dont je suis tombé amoureux. A mon âge, cela semble exceptionnel mais c'est ainsi. Je décidai de la voir tous les jours et partai faire des promenades à cheval dans ce but. Lorsque j'avais des crises de goutte, Jimmy m'accompagnait et je ne pouvais pas aller la voir. »
Un silence retomba, Sigel Holmes cherchait ses mots.
« Il y a quatre mois, je me mis à commettre des horreurs, je suis devenu fou. J'ai eu peur qu'un jour Gina ne m'abandonne pour un autre homme, plus jeune. J'ai commencé à faire dire des messes noires avec l'aide de Ramon. C'était un prêtre défroqué italien. Je voulais conserver l'amour de Gina, j'ai donc décidé de faire appel au Diable pour me protéger de toute infidélité de sa part. Ramon me ramena très vite des adeptes. Mais nous avions besoin d'un site adéquat, alors j'ai restauré la vieille chapelle catholique cachée sous la maison. Nous avons commencé à organiser des offices les jours de sabbat suivant le cycle lunaire. Les adeptes venaient dans ma demeure à des dates bien précises, ils passaient par le souterrain. »
Sigel Holmes aspira un peu d'air avant de reprendre.
« Seulement j'avais sous-estimé l'inspecteur Mac Frey, il découvrit la vérité. Comme il était mon ami, il accepta de me protéger. Mais un jour, j'en eus assez, je voulais tout arrêter. J'ai donc décidé de me suicider en pleine forêt. Je me suis lamentablement raté. Vous m'avez retrouvé et soigné, j'aurais préféré que cela ne soit jamais arrivé.
- Et ce soir ? lança Lestrade.
- Ce soir avait lieu une importante cérémonie, il fallait fêter la Belteine. Je suis resté caché dans ma chambre pour guetter l'arrivée de quiconque et pouvoir prévenir mes amis. »
Un instant sa voix se brisa, il s'arrêta quelques secondes avant de reprendre.
« J'ai entendu l'altercation entre le docteur Watson et Mac Frey. J'allais intervenir mais lorsque les coups de feu ont retenti, j'ai compris qu'il était trop tard. J'ai laissé le docteur passer et trouver l'escalier. Je me suis précipité auprès de Mac Frey, il était mourant. J'imagine d'ailleurs que tous sont morts, Ramon, Tino, Phelipe... Gina... »
Il prononça ce prénom avec un accent qui me brisa le cœur. Il se ressaisit très vite.
« Voilà, je n'ai rien à ajouter. Vous pouvez m'arrêter et m'inculper pour meurtre avec préméditation. Ce soir aurait dû avoir lieu un sacrifice humain. »
Lestrade se leva et s'apprêta à s'emparer de Sigel Holmes quand une voix sèche l'en empêcha.
« Mensonges, hurla Sherlock Holmes. »
Il s'était assis au piano et ses doigts glissaient sur les touches sans les enfoncer, comme s'il jouait une mélodie silencieuse.
« Cela fait un an que vous êtes surveillé père. On a placé près de vous cette petite servante Nancy Whyte, une adepte du satanisme bien avant l'arrivée des Tziganes. Ensuite cette entrevue entre vous et la si douce Gina n'a été qu'un coup monté. Une belle enfant au regard charmeur qui se trouve dans la peine, elle devait vous charmer, elle a réussi. C'était un piège !
- Mais pourquoi avoir choisi notre père Sherlock ? demanda Sherringford.
- La chapelle secrète mon cher frère, si intéressante pour une secte satanique, répondit Mycroft.
- Elle m'aimait ! rétorqua sèchement Sigel Holmes. Quant à Nancy, c'était une brave fille.
- N'était-elle pas un peu curieuse, non ? A fouiner partout et à vous observer à la dérobée.
- Je n'ai rien à ajouter, rugit le père de Holmes. »
Sherlock Holmes reprit la parole, il croisa les doigts et entreprit d'expliquer cette ténébreuse affaire.
« Il y a quatre mois, la secte satanique en a eu assez de mutiler des cadavres de vache dans la nature comme offrande à leur Noir Seigneur. Ils voulaient un vrai lieu de culte. Certains des adeptes étaient hauts placés et voulaient se sentir à l'abri dans un endroit caché. J'ai reconnu Lord Morestrack parmi les victimes. Ramon a donc voulu que l'affaire se concrétise enfin. Grâce à Nancy, il savait que vous étiez amoureux fou de Gina et que vous ne pouviez plus vous passer d'elle. Ramon a donc monté un plan machiavélique, un chantage odieux. Il vous a forcé à accepter que votre maison soit le lieu de messes noires, en échange de quoi vous pouviez continuer à fréquenter Gina. Trop faible pour renoncer à cette femme, vous avez accepté. »
Soudain Sigel Holmes baissa la tête, brisé, il restait muet sous les assertions de son fils.
« Seulement il se passa quelque chose que personne ne pouvait prévoir, même parmi la secte satanique, continua Holmes impitoyable. Les deux frères de Gina, Tino et Phelipe, étaient aveuglés par la soif de richesse. Ils voulaient devenir riches. Gina était leur complice, cette vie pauvre et misérable ne lui suffisait plus. Tous trois ont donc conçu une entreprise sans en avertir leur père. Ils se sont mis à voler des chevaux et vous ont chargé, par l'intermédiaire de leur sœur, de fournir le certificat d'origine. Vous vous êtes encore plié à leurs exigences. Ainsi ils ont pu vendre des bêtes volées dans d'autres régions sans crainte d'être inquiétés par la police. »
Sherlock Holmes regarda son père en face, sans ciller.
« L'amour vous a laissé commettre des choses terribles, père !
- Pourquoi Gina se déguisait-elle en fantôme pour rencontrer votre père ? demandai-je. Il aurait été plus simple pour elle de passer par le souterrain.
- Et risquer de rencontrer Ramon dans la chapelle ? Non il fallait que tout reste secret. Les gens de la région sont superstitieux, ils en firent vite une légende.
- Continuez Holmes, s'écria Lestrade.
- L'inspecteur Mac Frey découvrit très vite comment se déroulaient les vols mais il ne put croire à ses déductions. Il vint souvent vous rencontrer, père, et comprit ce qu'il se passait. Je suis sûr qu'il vous a même proposé de vous débarrasser de ces adeptes du satanisme. Malheureusement vous aimiez trop Gina pour vous en séparer.
- Elle est...était enceinte de moi... murmura Sigel Holmes. Elle me l'avait dit. Je voulais l'épouser, la sortir de ce monde de folie où elle était plongée... Je lui donnais beaucoup d'argent tous les mois, j'espérais qu'elle accepterait de me rejoindre. Elle a toujours refusé de m'écouter.
- Tout a changé ce fameux jour de rendez-vous, ce 26 avril dernier, commença Holmes. »
Soudain ce fut Sigel Holmes qui continua l'histoire, d'une voix qui semblait lointaine.
« J'avais reçu un message de Gina. Je devais la rejoindre à l'étang de Grinton. Dans sa missive, elle m'avouait qu'elle avait réfléchi et était d'accord pour m'épouser. J'en étais heureux. J'y suis allé sans me méfier. Gina était avec son père Ramon. Ils m'attendaient. Elle m'expliqua qu'elle accepterait de m'épouser mais qu'il fallait que je fasse une dernière chose pour elle. J'étais prêt à tout mais pas à ce qu'elle me proposa. Elle m'expliqua qu'il était primordial qu'un sacrifice humain ait lieu dans la chapelle secrète pour célébrer leur démon lors de la fête de Belteine pour rendre ce lieu vraiment spirituel. Elle voulait que je donne mon accord et que je ne m'y oppose pas. Elle termina son discours par un ultimatum, je devais accepter ou la perdre à jamais. »
Sigel Holmes reprit son souffle avant d'enchaîner.
« J'ai refusé. Il était hors de question qu'un meurtre ait lieu chez moi. J'ai enfin compris ce qu'on attendait de moi. Ramon sortit une arme pour appuyer les paroles de sa fille et me forcer à accepter leur odieux chantage. Personnellement j'ai toujours un revolver sur moi, j'ai connu la guerre et c'est une habitude qui m'est toujours restée. Je le saisis et visai Ramon. Je voulais mettre fin à leurs agissements et priai Gina de m'accompagner chez l'inspecteur Mac Frey pour tout avouer. Elle refusa. Son père appuya sur la gâchette, je l'imitai, nous fîmes feu presque simultanément. Je reçus une balle en pleine poitrine mais Ramon était toujours en vie. Ils se sont enfuis, m'abandonnant mourant. J'eus encore la force de remonter sur mon cheval puis je m'en suis allé. Ensuite, je perdis connaissance.
- Et après ? demanda Sherlock Holmes.
- Ce fut ton arrivée qui bouleversa les plans de mes adversaires, ils avaient trouvé un nouveau chantage à me faire. On me proposa ta vie contre celle d'un inconnu sacrifié. Ils ne pouvaient venir dans la chapelle sans être certains que je resterai docile. C'était beaucoup trop dangereux pour eux.
- Gina est venu vous proposer ce nouveau compromis cette nuit où vous étiez resté sans garde-malade, n'est-ce pas père ? Elle s'était déguisée encore en fantôme. Sans doute pour prévenir Nancy qui devait guetter son arrivée de la fenêtre de sa chambre...
- Oui. J'ai refusé, j'abhorrais l'idée du meurtre. Mais Gina est revenue le lendemain, elle fut plus ferme, ses frères étaient prêts à tout. Tu avais rencontré les Tziganes, parlé avec Ramon, posant des questions étranges sur leurs coutumes religieuses, leurs habitudes... Tu devais être supprimé ! J'eus peur pour toi. Le lendemain, j'essayai de te faire partir de force, il fallait que tu quittes cette maison.
- Mais je suis resté !
- Cette nuit-là, Gina est revenue pour me l'apprendre. C'est elle qui a tué Nancy.
- Pourquoi ? demandai-je. C'était sa complice !
- Nancy a été touchée par la situation de mon fils, elle l'aimait beaucoup. Elle a refusé qu'on l'assassine sans raison religieuse. Satan, selon elle, n'aurait pas accepté un tel meurtre. La conversation entre elle et Gina dégénéra. Cela ne dura que quelques secondes, je n'eus pas le temps de réagir, à ma grande horreur, Gina n'hésita pas à la tuer.
- Nancy est morte dans ta chambre ?
- Oui. Ensuite Gina a replacé son corps devant ma porte. Sa détermination me fit accepter l'inacceptable. La Betleine pouvait avoir lieu chez moi, je ne m'y opposais pas, pourvu que tu restes en vie. Seulement je ne savais pas qu'ils en avaient déjà décidé autrement. J'ai appris ta mort Sherlock quelques heures plus tard. J'étais désespéré, je me suis cloîtré dans ma chambre. J'attendais Gina.
- Pourquoi ne pas avoir fait appel à la police ? s'enquit Lestrade.
- Je voulais me venger de Ramon et de son odieuse famille ! J'ai attendu jusqu'au soir, ne descendant que pour me restaurer. Je savais que mes fils s'inquiétaient de moi et je ne voulais surtout pas que l'idée de me donner une garde-malade pour la nuit ne leur vienne à l'esprit. J'ai préféré agir comme si de rien n'était.
- Vous auriez dû nous prévenir, jeta Sherringford.
- Puis la deuxième servante a été assassinée... Je ne sais pas pourquoi ni comment mais je suis sûre qu'il s'agit de Gina.
- Cette femme était un démon !!! hurlai-je.
- Ce n'est pas l'œuvre de Gina, mais celle d'un homme père, expliqua posément Mycroft Holmes. J'ai observé le cadavre de Judith, on voit clairement de grosses traces bleues autour du cou, des doigts forts, aux bouts carrés. Peut-être Ramon...
- Le frère de Gina, rectifia Holmes. Tino a quitté le campement un moment, son père l'a envoyé faire une course. J'ai hésité à le suivre, j'espionnais le camp et ne souhaitais pas quitter ma surveillance. Je le regrette maintenant.
- Il était revenu récupérer la Bible de Gina, continua Mycroft Homes. Ramon savait que c'était Nancy qui la possédait, il voulait la reprendre de peur que nous ne la découvrions. Après la mort de la petite Nancy, c'était le seul indice qui les rattachait au manoir. C'est arrivé durant le repas, au moment où il n'y avait plus personne aux étages. Tino fouillait les chambres à la recherche de la Bible lorsqu'il fut surpris par Judith. Il l'a étranglée sans pitié et s'est enfui. Vous êtes arrivé quelques minutes après son départ, docteur Watson, vous auriez pu le croiser !
- Mon Dieu, murmurai-je.
- Ensuite le docteur Watson a bien mené son enquête, sourit Mycroft. Il a découvert les vols de chevaux, comprit comment cela se déroulait. Il est allé dans la chambre de Nancy, a trouvé la Bible de Gina. Il connaissait la fête du Betleine et la chapelle secrète. »
Tous les yeux se posèrent sur moi. J'étais horriblement gêné.
« Peut-être, mais j'ai tué l'inspecteur Mac Frey. Je suis désolé. »
Je baissai la tête, incapable de continuer. Mycroft Holmes murmura d'une voix lointaine.
« C'était lui ou vous, docteur Watson. C'est un geste malheureux mais vous n'en êtes pas entièrement responsable. »
Je levai les yeux de mes chaussures et observai le frère de mon ami. Mycroft était assis, calme, imposant, un verre de cognac dans la main.
« Continuez Watson, m'encouragea Holmes doucement.
- Je savais que c'étaient les Tziganes qui nous avaient attaqués, repris-je. J'ai donc cherché à le prouver. J'ai rencontré Maxwell Weston, visité la bibliothèque, discuté avec les marchands de chevaux. Mais je me faisais une mauvaise idée de toute cette affaire.
- Pas mauvaise Watson, je dirais incomplète ! »
Sherlock Holmes me souriait gentiment.
« Lorsque je compris l'horrible chose qui se tramait, nous sommes allés vous prévenir Holmes. Je croyais que vous étiez chez le Père Niels. Mais lorsque nous sommes arrivés, vous étiez déjà parti. Le Père Niels a été assassiné.
- Je le pensais bien...murmura tristement le détective. »
Son sourire disparut.
« Ils avaient enlevée Juliane, m'écriai-je.
- Je ne m'attendais pas à ce qu'ils la choisissent. Ils ont dû vous suivre lorsque vous êtes venu me retrouver, Watson. Ils se doutaient bien que je n'étais pas mort et pensaient m'atteindre en tuant celle qui s'était chargée de me sauver la vie. Une vengeance personnelle en quelque sorte. Quand j'ai vu Melle Ressing arriver dans le camp, j'étais impuissant à l'aider.
- Mycroft Holmes pensait que le sacrifice devait avoir lieu au manoir. Nous sommes donc revenus et...
- Nous nous sommes retrouvés Watson, compléta Holmes. Moi, caché sous la tunique d'un fidèle et vous, l'arme au poing, prêt à tout. J'ai assommé le propriétaire de mon costume dans le camp des Tziganes. D'ailleurs Lestrade, vous le découvrirez ligoté, bâillonné, caché sous une roulotte. Ne faites pas attention à son œil tuméfié. »
Holmes contempla l'ample robe noire qui le couvrait des pieds à la tête en souriant, avant de reprendre, les yeux fixés sur moi avec une intensité rare.
« Je dois avouer que vous m'avez surpris Watson, je ne m'attendais pas à vous voir débarquer durant la cérémonie.
- Oui, vous m'aviez envoyé enquêter sur les domestiques pour que je parte sur une fausse piste.
- Je ne souhaitais pas que votre vie soit en danger mon cher compagnon.
- Pourtant elle le fut. J'ai bien cru mourir lorsque tous ces gens m'ont aperçu.
- J'étais tellement surpris moi-même de vous voir Watson que j'ai mis du temps à réagir avant de vous prêter main forte. Comment va Melle Ressing ?
- Aucune blessure mais elle a été traumatisée par les événements.
- On le serait à moins. Bien sûr, j'avais pris la peine de contacter Lestrade pour lui demander de me donner son concours. Ce qu'il a accepté aussitôt. Je m'attendais à plusieurs dizaines d'adversaires acharnés. Le combat fut rude mais nous avons gagné.
- Gagné ! Vous avez de ces mots M. Holmes ! grogna Lestrade. Des morts, des chevaux volés, des animaux mutilés. Une belle affaire en vérité ! Qui dois-je arrêter ? Votre père ? Les derniers adeptes de cette horreur ? »
A ces mots, Sigel Holmes releva la tête, il avait perdu toute sa morgue.
« Nous avons interrompu mon père, dit doucement Holmes. Il disait être descendu dîner avec ses fils, et après ?
- Quand le corps de Judith a été découvert, j'ai continué à me taire. Ma vengeance allait être plus terrible. Après le dîner, la cérémonie commença dans la nuit, Gina vint m'en avertir. J'attendis quelques minutes et je m'apprêtais à descendre les rejoindre, un revolver à la main.
- Que vouliez-vous faire tout seul contre cette assemblée ?
- Mourir dignement, Sherlock. Ils t'avaient tué, avaient massacré mes serviteurs, je voulais m'expliquer, me venger et mourir. Je suis un excellent tireur, Ramon n'en serait pas sorti vivant !
- Voilà un acte plein de bravoure M. Holmes ! s'écria Lestrade.
- Seulement j'ai entendu le docteur Watson et Mac Frey se disputer violemment. Je connaissais Mac Frey, il m'a toujours considéré comme son frère. Il était prêt à tout sacrifier pour moi, même son honneur de policier, même sa vie s'il le fallait. Je décidai de me porter à son aide. Lorsque je compris qu'il était trop tard, je ne pus me résoudre à bouger. J'ai laissé le docteur Watson passer sans réagir, j'étais dans l'impossibilité de parler. Je suis sorti ensuite pour porter secours à mon ami. Bien trop tard. Enfin, quand tout fut terminé, je décidai de tout placer sous ma responsabilité. C'est ma faute si tout est arrivé !
- Non, je ne suis pas d'accord père, rétorqua Sherlock Holmes. Un jour lointain, je me suis vu insulter une mère par amour déçu et pourtant Dieu sait à quel point je l'aimais. Je savais pertinemment qu'elle ne s'en remettrait pas, et c'est ce qui est arrivé. »
Un silence pesant suivit les dernières paroles de mon compagnon.
Une heure passa dans le calme, chacun était perdu dans ses pensées. Lestrade faisait les cent pas nerveusement au milieu de la pièce. Sherlock Holmes pianotait doucement les touches, c'étaient les premières mesures d'une valse de Chopin.
« Et maintenant ? Qu'est-ce que je fais moi ?
- Ce que votre conscience vous ordonne mon cher, répondit Sigel Holmes.
- Pensez-vous que mon père soit coupable Lestrade ? demanda doucement Sherlock Holmes.
- Oui, M. Holmes, il est coupable car il a permis à une secte abominable d'agir à sa guise, il a laissé des voleurs de chevaux impunis, il a gardé le silence sur toutes ces horreurs ! Mais...
- Mais ?
- Il est innocent car il avait des circonstances atténuantes, il était amoureux.
- Avez-vous déjà connu l'amour Lestrade ? m'enquis-je, très surpris.
- Je suis un homme comme les autres, rétorqua sèchement le petit inspecteur à la mine chafouine. »
Je n'arrivais pas à imaginer Lestrade amoureux aux pieds d'une jeune demoiselle.
« Vous en connaissez donc les effets, lui lançai-je en souriant.
- Oui !
- Eh oui tout vient de là, murmura le détective de Baker Street. L'amour est une terrible chose, inspecteur, on lui obéit, on devient son esclave, on ne peut plus lui échapper. C'est une drogue, une cocaïne.
- Seulement il y a la loi M. Holmes ! Votre père est coupable au regard de la loi, il ne peut pas rester libre ! Je me dois de l'arrêter ! C'est ma conscience qui me le dicte. S'il est aussi innocent que nous le pensons, il ne risquera rien.
- Alors agissez selon votre conscience inspecteur ! »
M. Sigel Holmes tendit les poignets à Lestrade. Celui-ci était ennuyé mais il obéit.
Il ne fallut que quelques minutes à l'inspecteur de Scotland Yard pour emporter les adeptes de la secte, les blessés et les cadavres. Finalement il ne resta bientôt plus que Sigel Holmes dans la pièce, des menottes aux poignets. Lestrade s'apprêtait à l'embarquer à son tour. M. Holmes observait son fils.
« Sherlock, tu aurais fait la fierté de ta mère !
- Après avoir fait arrêter mon père !!! Non, je ne crois pas. »
Holmes poussa un petit rire nerveux.
« Elle t'aimait beaucoup tu sais et...
- Je vais rentrer à Londres, le coupa Holmes. Au revoir père, je vais me charger de vous faire sortir de prison avant le procès. J'ai des relations haut placées à Newcastle et à York.
- Très bien mon fils, au revoir. »
Ils se serrèrent la main et Lestrade accompagna Sigel Holmes jusqu'au fourgon de police.
Plusieurs heures s'étaient écoulées. Je m'étais recouché et avais dormi, vaincu par la fatigue. Lorsque je m'éveillai, il y avait un soleil éclatant dans le parc. Une vraie journée de printemps ! Je me dépêchai de retourner dans le salon. Nos malles étaient déjà déposées dans l'entrée. Holmes s'entretenait avec ses frères. M. Robert se tenait dans un coin, presque invisible.
« Ah Watson, vous voilà enfin. Nous allons avoir le plaisir de faire le voyage de retour en compagnie de mon frère Mycroft.
- Si jamais tu veux revenir à « My Croft », mon frère, cette maison est la tienne, dit lentement Sherringford. »
Un instant leurs yeux s'accrochèrent, Holmes baissa les siens en souriant.
« Merci Sherringford mais je me plais dans mon petit 221 b de Baker Street. Vous êtes prêt Watson ?
- Mais... Et Juliane ? »
Sherringford se frappa le front.
« J'allais oublier docteur ! Melle Ressing est partie dès son réveil, elle m'a laissé ceci pour vous. »
Il me tendit une enveloppe à mon nom.
« Partie ? Comment ça partie ?
- Je crois qu'elle devait rentrer à Londres.
- Peut-être vous attend-elle là-bas, murmura Sherlock Holmes. »
Un petit quelque chose dans sa voix me fit douter de cette idée.
Dans le parc, j'aperçus Estelle, elle se tenait près de la voiture. Jimmy était assis sur le siège du cocher, un pâle sourire aux lèvres.
La gouvernante s'approcha de nous et saisit Holmes par les côtés, il était bien plus grand qu'elle. Elle leva la tête et le fixa de ses exceptionnels yeux violets.
« Enfin, je peux t'approcher. Tu n'as même pas pris la peine de venir me voir. Tu n'as pas beaucoup changé tu sais. Juste grandis. Reviendras-tu ?
- Bien sûr Estelle. »
Mais son ton manquait de conviction, Estelle sourit tristement.
« Tu vas me manquer, sale garnement. »
Holmes lui rendit son sourire, puis nous grimpâmes dans la voiture. La cuisinière nous tendit un panier lourd comme une enclume d'où s'exhalait une odeur de victuailles. Estelle s'expliqua en sanglotant.
« Je suis sûre que tu ne te nourris pas convenablement à Londres Sherlock, tu es maigre comme un clou. »
Holmes se pencha par la portière et déposa un baiser sur son front. Jimmy fit claquer le fouet et nous partîmes pour la gare.
« Dieu seul sait si nous reviendrons Watson !
- Au moins tu t'es réconcilié avec ton frère, lança Mycroft.
- Pas certain. Parlons plutôt d'armistice. »
Je brûlais d'envie d'ouvrir la lettre de Juliane mais je voulais être seul, je décidai d'attendre d'être à Londres. J'étais impatient. Pour ne pas me perdre dans mes pensées, je posai des questions sur notre affaire.
« Holmes, il y a quelque chose que je n'ai pas compris.
- Laquelle ?
- Quand avez-vous saisis le fond de l'affaire ? »
Un petit sourire apparut sur les lèvres fines de mon ami.
« Watson, je vous ai demandé une nuit comment était habillée Nancy White, pourriez-vous me rappeler votre réponse ?
- Elle portait une robe noire, des chaussons, un pendentif,... Je vous avais rétorqué qu'il n'y avait là rien que de très normal.
- Avez-vous fait attention au pendentif ?
- Non, il était en argent je crois... »
Holmes glissa une main dans sa poche et extirpa une petite chaîne brillante au bout de laquelle se balançait une petite croix. Elle était inversée. Un grand sourire s'étala sur ses lèvres.
« Dès ce moment-là, vous saviez ?
- J'ai compris qu'il y avait une histoire de satanisme dès le lendemain de notre arrivée. J'avais remarqué le petit bijou de la servante affairée à débarrasser la table. Il ne me fallut pas longtemps pour découvrir le reste. Seulement j'ignorais qui allait être sacrifié et quand, je dus attendre avec impatience le jour où tout devait avoir lieu. »
Le détective joignit ses longs doigts et son regard se fit moqueur.
« Bravo Watson pour la fête de Betleine, personnellement je n'ai pas découvert cette information. Je pensais bien qu'une cérémonie importante devait se dérouler un jour prochain mais je ne savais pas laquelle. D'ailleurs si je l'avais su, cela aurait évité de nombreux morts. »
Le silence retomba sur la conversation.
Après la voiture et les adieux mouillés de Jimmy qui promit de venir nous rendre visite à Londres, nous restâmes dans le train. En fin d'après-midi, nous étions de retour à Baker Street. Mycroft Holmes était rentré chez lui sur un dernier sourire et une invitation à venir le voir au Diogene's Club.
Madame Hudson fut heureuse de nous voir de retour, elle se précipita sur nous et bavarda comme une pie avec Holmes. Elle trouva le panier encore à demi rempli de nourriture et nous jeta un regard surpris.
« Des réserves pour le voyage, expliqua Holmes.
- Et votre père ? Comment va-t-il ?
- Ne vous inquiétez pas Mme Hudson. Tout est réglé, il s'en est sorti. J'aimerais bien une tasse de thé.
- Mais bien sûr M. Holmes. Installez-vous confortablement docteur Watson. Je reviens dans quelques minutes.
- Vous avez donc quelques minutes pour lire votre lettre Watson ! »
Holmes alla dans sa chambre en emportant sa malle. J'en profitai pour sortir mon enveloppe, la déchirai fébrilement et lus ce qui suit :
Mon cher John,
J'ai beaucoup réfléchi cette nuit, sur vous, sur nous, sur moi. Je ne crois pas qu'il serait bon de continuer à se voir. Ce qu'il s'est passé ce soir m'a ouvert les yeux. Jamais je ne pourrai supporter d'être la compagne d'un policier, trop de dangers planent autour de vous. Lorsque je vous attendais chez le Père Niels, j'étais angoissée comme jamais je ne l'avais été, et lorsque je me suis retrouvée vivre cette horreur parmi ces fous, j'ai cru que j'allais en mourir. J'ai compris que je ne pourrais pas le souffrir une vie entière. J'ai eu trop peur pour vous et pour moi, je ne peux pas passer mes jours comme ça. Je préfère ne plus vous revoir. Je suis désolée.
Juliane.
Je laissai tomber la lettre à terre et poussai un cri déchirant. Holmes me rejoignit aussitôt, une inquiétude profonde marquait son visage.
« Que se passe-t-il Watson ?
- Juliane...
- Elle ne va pas bien ? Elle ne se remet pas de son agression ? »
Je secouai la tête, Holmes m'observait sans comprendre.
« Elle ne veut plus me voir. Elle ne veut pas vivre avec un policier.
- C'est ce qu'elle vous dit dans sa lettre ?
- Oui, je suis désespéré Holmes. »
Holmes baissa les yeux et regarda le sol un instant. Un sourire triste apparut sur ses lèvres.
« J'ai connu ça Watson. On s'en remet mon cher ami. Mais cela peut mettre longtemps à guérir. »
Il me laissa seul et retourna dans sa chambre.
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