XXIV

De son côté, Elysia était installée sur des chaises d'hôpital, son téléphone en main. Romane n'avait plus de batterie : elle jouait depuis quelques minutes avec son bracelet, songeuse. Elle se pencha soudainement au-dessus de l'épaule de la directrice, discrète, et balaya la conversation du regard. Elle s'exclama :

  — Il te tend clairement une perche pour te pécho, Elysia.

  — Mais ! Romane !

  — Non mais sérieux. Regarde. « Tu me manques », « passer du temps avec toi me suffit »... Il te répond à l'instant près, et il vient de te répondre un smiley sourire qui rougit. Sérieux, il te kiffe !

  — Mais, c'est mon meilleur ami. Et puis, enfin... Non, je ne sais pas.

  Romane secoua la tête. Elle attrapa le téléphone des mains d'Elysia, et remonta un peu la conversation. Mais, Elysia lui reprit immédiatement, et souffla :

  — Continue et je te mets deux heures de colle en rentrant !

  — T'es pas drôle, Elysia. Mais en vrai, même ses regards, ses gestes... Il est intéressé par toi. J'en suis sûre.

  Le rouge monta aux joues d'Elysia, qui secoua la tête. Elle reçut au même moment un message, d'Ayden, bien sûr. Il avait envoyé un simple : « Tu es arrivée en Normandie ? Fais attention à toi. On se voit bientôt ? ;) » Romane haussa les sourcils, surprise, et murmura :

  — Tu parles avec le beau journaliste de ce matin ?

  — Je... Aurélien ne m'aime pas. Et le journaliste est... un ami.

  — Oui, c'est ça. Bon, raconte ! Je veux tout savoir !

  Elysia poussa un long soupir. Romane était certainement l'élève avec laquelle elle était la plus proche, certainement parce que la jeune femme était la plus naturelle et amusante avec elle. Mary et Anaïs se penchèrent pour mieux voir Elysia, qui se trouvait tout à droite du groupe.

  — En plus, on va pouvoir vous conseiller, Elysia ! s'exclama Anaïs. On lit plein de romance tout le temps, on a plein d'expériences amoureuses du coup !

  Elysia lâcha un petit rire. Conseillée par des adolescentes... Super. En même temps, elle n'avait aucun ami exceptés Philomène et Aurélien, alors...

  — OK, je vous explique. Aurélien et moi sommes meilleurs amis depuis nos douze ans environ, quand il a rejoint l'Académie en tant qu'élève l'année où j'ai moi-même commencé mes études. Ensuite, il est devenu professeur, et moi, j'ai récupéré la direction après la mort de ma mère en 2012.

  Les trois filles hochèrent la tête. Elles savaient déjà tout cela.

  — Pour mon anniversaire, Aurélien m'a emmenée en soirée, et j'y ai rencontrée Ayden, et... Enfin... On a fini la soirée à s'embrasser.

  — Je m'en doutais ! s'exclama Mary.

  — Et comment a réagi Aurélien ?

  — Il semblait vraiment agacé, mais il m'a dit qu'il était fatigué, alors... Oh, j'ai été bête. Cela se voyait à des kilomètres qu'il était jaloux, et je n'ai pas insisté, car je ne voulais pas me mettre à réfléchir à cela, et...

  Romane secoua la tête. Ah, elle allait aider la directrice, sinon elle n'allait jamais se marier. Et puis, Romane voyait loin : si elle aidait Elysia, elle pourrait peut-être être la marraine des enfants d'Aurélien et elle... Parfait !

  — Il est intéressé par toi, Elysia. Il faut que tu en prennes conscience.

  — Mais j'ai Ayden, maintenant. Et si je commence à réfléchir à mes sentiments pour Aurélien, pour savoir si oui ou non je pourrais en être amoureuse, cela pourrait tout gâcher.

  — Tout gâcher à quoi ? A votre amitié ? Aurélien ne va pas rester toute sa vie derrière toi, à attendre que tu te rendes compte de quelque chose. Il va finir par te le dire, ou à partir simplement car il n'en pourra plus de te voir heureuse avec quelqu'un d'autre. Il faut que tu saches si oui ou non tu l'aimes, et si Ayden t'importe tant que cela.

  Elysia, au fond d'elle, connaissait bien la réponse au sujet d'Ayden. Elle l'appréciait, mais elle n'en était pas amoureuse. C'était un potentiel bon ami, qui cherchait tout autant qu'elle quelqu'un pour fonder une famille ou trouver un équilibre. Amour ou pas, cela importait peu : ils avaient besoin de refléter ce que la société désirait d'eux. Une famille, des enfants, de l'argent. Ce serait parfait.

  — Je vais voir.

  Elysia répondit brièvement au message d'Ayden, tout en réfléchissant. Elle ne savait pas quoi faire. Aurélien était adorable, mais... Il était fort probable qu'il ne l'apprécie qu'en ami. Et même s'il l'aimait vraiment, l'aimait-elle aussi ? Il composait une partie très importante de sa vie, sans pour autant prendre toute la place dedans. Elle avait déjà réfléchi à ses sentiments envers Aurélien, assez inconsciemment : lorsqu'il la serrait dans ses bras, lorsqu'il lui murmurait à l'oreille qu'il l'aimait, et qu'elle mourrait d'envie de l'embrasser, mais qu'elle repoussait ses pulsions, car elle savait que ce n'était pas normal. C'était son meilleur ami, rien de plus.

  — Je dois y réfléchir, marmonna Elysia.

  Quelques secondes plus tard, la porte de la chambre d'hôpital s'ouvrit. Tremblante, Lola en sortit. Les larmes dévalaient sur ses joues, et venaient s'échouer sur sa veste traditionnelle de l'Académie d'Ecriture, qui composait l'uniforme. Peu le revêtaient encore, mais Lola avait tenu à la mettre pour montrer à tous les gens de son village d'où elle venait, et le porter avec fierté. Mary, Anaïs et Lola avaient revêtu des tenues « normales », à la demande d'Elysia, qui ne voulait pas attirer l'attention sur elles.

  — C'est fini, souffla Lola. Elle est partie.

  Le monde de Lola s'écroulait. Romane se mit debout et se jeta dans les bras de Lola, pour la serrer contre elle, tandis que les sanglots de la jeune femme reprenaient de plus belle. Elysia se mit debout, tout comme Mary et Anaïs. Les deux semblaient retenir leurs larmes elles aussi, émues par les pleurs de leur amie.

  Dans le couloir, entre des « bip-bip » de machines, des voix étouffés et des bruits de chariots que l'on déplaçait, seuls les sanglots de Lola se faisaient entendre. Elysia ne savait que faire : les parents arrivèrent bientôt, pleurant eux aussi. Elysia les accueillit, et écouta leur tristesse : elle tenta de les rassurer, mais comment faire pour aider quelqu'un qui vient de perdre sa fille ?

  C'était compliqué. Tout l'était.

  L'ambiance dans la voiture avait été pesante. Dès dix-huit heures, elles étaient reparties sur les routes, sans Lola, qui était restée avec ses parents. Sur la route, elles s'arrêtèrent à quatre pour manger dans un fast-food, avant de reprendre la route. Il commençait à faire noir, mais Elysia ne voulait pas qu'ils dorment dans un hôtel miséreux : mieux valait rentrer le plus vite possible à l'Académie. Tout en étant prudentes, évidemment.

  Les quatre n'osaient plus trop parler, ou échanger. Les larmes de Lola et celles des parents de la jeune femme avaient eu de quoi les chambouler. Même Romane, d'habitude si turbulente, n'en menait pas large. Elysia ressentait un lourd poids sur la poitrine, et même prendre de grandes respirations ne pouvait pas lui enlever la gêne qu'elle ressentait. Plus qu'une gêne : la tristesse l'étouffait. Elle n'aimait pas voir des personnes dans un tel état, surtout qu'elle appréciait beaucoup Lola.

  Finalement, elles rentrèrent vers vingt-trois heures trente à l'Académie. Elysia était épuisée, mais elle s'assura elle-même que les trois filles allaient bien, et qu'elles n'étaient pas trop marquées par les événements. Cependant, alors que les trois rentraient dans l'Académie, des journalistes leur sautèrent dessus. Ils surgissaient de l'ombre : les gardes d'Okeanos, qui protégeaient la porte, arrivèrent en courant pour encadrer les élèves et la directrice. Les journalistes avaient eu vent du fait qu'Elysia était partie de toute la journée, et s'étaient relayés pour l'attendre.

  — Alors, Madame, des choses à dire au sujet d'Okeanos ?

  — Avez-vous parlé au Roi Nérée ? A-t-il dit quelque chose au sujet de cette affaire ?

  — Depuis quand savez-vous que vous êtes l'héritière de la Couronne d'Okeanos ?

  — Comptez-vous demander à reprendre votre Couronne, Madame ?

  Elysia passa les bras dans le dos de ses élèves, et les poussa en direction de la porte, bousculant les journalistes au passage. Elle aida les filles à entrer sous le flash des photographes, puis se tourna vers eux et s'écria, d'un ton qui lui rappelait sa mère :

  — Quittez immédiatement les jardins ! L'Académie et les jardins qui y sont rattachés tout comme cette partie de la forêt m'appartiennent et je n'ai autorisé personne ici à être présent ! Alors, partez, avant que je contacte la police pour atteinte à la propriété privée !

  Des journalistes filmaient. Elysia invita les gardes à entrer, pour ne pas qu'ils aient froids, et ferma la porte. Elle sortit un trousseau de grandes clefs de sa poche et ferma tous les accès possibles : il fallait protéger les élèves. Ensuite, une fois cela fait, elle partit en traînant les pieds jusqu'aux appartements des professeurs. Terrible journée.

  Quelque temps plus tard, Elysia se glissait silencieusement face à la chambre d'Aurélien. Elle frappa deux discrets coups, avant d'ouvrir la porte. En cas d'urgence, ils s'étaient dit qu'ils pourraient entrer dans la chambre l'un de l'autre sans soucis : or, la jeune femme ne se sentait vraiment pas bien, et elle avait simplement besoin de sa présence. Même s'ils n'échangeaient pas un mot : elle ne voulait pas être seule, et elle avait besoin de lui.

  La directrice était passée prendre une rapide douche et se mettre en pyjama dans sa chambre. Vêtue d'un pantalon large et d'un débardeur, avec un petit pull par-dessus, elle était emmitouflée dans un châle, qu'elle serrait contre elle. Il faisait froid, et seule la chambre d'Elysia était équipée d'une cheminée. Les autres se contentaient de chauffages électriques : cela chauffait moins bien, selon Elysia, mais c'était ainsi.

  La porte avait grincé. Aurélien poussa un gémissement dans un sommeil, avant de se retourner. Elysia vint se placer à côté de lui, et instinctivement, il enroula un bras autour d'elle. La jeune femme poussa un soupir soulagé : son cœur battait si vite qu'elle craignait qu'il s'arrête, et elle ressentait un étrange sentiment dans son ventre, comme un nœud qui se liait en son centre. Après quelques minutes à se blottir contre lui, la jeune femme le sentit bouger. Il passa une main sur sa chevelure, et murmura :

  — Tu es déjà rentrée ?

  — Oui. Lola, enfin... Elle est restée là-bas. Sa sœur est morte.

  Aurélien poussa un soupir. Il ne s'attendait pas à retrouver Elysia ce soir-là, et encore moins à ce qu'elle vienne ainsi le soir. Il lui arrivait de la rejoindre aussi lorsqu'il avait appris une mauvaise nouvelle, et qu'il ne pouvait rester seul : elle devait se sentir mal. Il souffla :

  — Je suis désolé. Tu vas bien ?

  — Mieux que Lola et ses parents. Ils se sont effondrés, et... C'était compliqué, car je ne peux rien faire pour ramener cette fille à la vie. Elle est morte à cause d'un accident, et... C'est terrible.

  La jeune femme leva la tête vers Aurélien, qui l'observait déjà depuis quelques instants. Il porta la main à son visage, car une simple larme perlait à ses yeux, et glissait sur le côté ; il l'essuya puis chuchota :

  — Je te promets que ça ira. Lola reviendra sous peu à l'Académie et ils feront leur deuil. C'est terrible pour cette fille, et c'est une énorme perte, mais... Il ne faut pas que tu en souffres trop. Je ne veux pas te voir aussi attristée.

  Elysia fit une moue pour contenir ses larmes. Elle haussa les épaules, et répondit :

  — Demain, ça ira mieux. Est-ce que je peux rester ici, cette nuit ?

   — Bien sûr.

  Elysia sourit, le regard brillant à cause des larmes. Elle se blottit de nouveau contre lui, alors qu'il poussait un long soupir. Des papillons venaient danser dans son ventre, et en plus, elle allait se rendre compte que son cœur s'accélérait à une vitesse folle. Cependant, il fut surpris, en posant une main sur son dos pour la rapprocher de lui, de voir qu'elle aussi ressentait cette étrange tachycardie. Mais non, il ne devait pas se faire trop d'espoir. Elle le considérait comme un meilleur ami.

  Normalement. 

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