XLII

Novembre 2022

  Nicole s'était installée tranquillement sur le trône d'Elysia. Les élèves avaient suivi tout cela, effarés, alors que ni Paul, ni Aurélien n'avaient osé prononcer son nom à voix haute. Le seul groupe de S3 présent, composé de Sarah, Alex, Victoria et Ariana, s'était hâté d'envoyer des messages à tous leurs amis pour qu'ils viennent voir ce qu'il se passait. Rapidement, la table des S3 se remplit : quand il y avait des ragots, ils étaient les premiers à accourir.

  Enfin, Elysia entra dans la pièce, le pas pressé. Elle portait un long manteau noir, fermé par une ceinture noir avec une boucle en or. Néanmoins, à la différence de l'accoutumée, elle portait des talons, ainsi qu'un sac à main noir également.

  — Tante Nicole ? s'exclama-t-elle en entrant. Mais qu'est-ce que tu fais ici ?

  Elysia s'arrêta net. Sa tante dégustait du chocolat tranquillement ; elle releva la tête de son plat, et répondit :

  — Ah, enfin ! Où étais-tu ? Tu traînais les rues ?

  — Je... J'étais au village.

  — Dans cette tenue ?

  Elysia fronça les sourcils. Elle tourna la tête vers Aurélien, qui grimaçait, vraisemblablement mal à l'aise à cause de la présence de Nicole. La directrice tourna enfin la tête vers les élèves, qui s'étaient arrêtés de manger pour mieux suivre la scène.

  — Tatie, que fais-tu ici ?

  — Tu croyais vraiment que j'allais laisser l'Okeanos te faire du mal ? Je suis persuadée qu'ils sont responsables de la mort de tes parents, et ils ont tenté de te tuer, toi aussi. Alors, je viens ici pour t'aider !

  Ondine, présente dans la salle, haussa un simple sourcil. Elysia, qui l'avait repérée, déglutit et balbutia :

  — Tu racontes n'importe quoi. Allez, viens, allons parler ailleurs.

  — Depuis quand Elysia a une tante ? lâcha Anaïs, assez fort pour que Nicole entende.

  — Je vais vous raconter ! s'exclama la femme en se levant.

  — Non ! s'écria Elysia. Viens avec moi, et laissons les élèves finir de manger. Je ne te laisserai pas raconter des bêtises, surtout que j'ai encore la justice sur le dos, et que chacune de tes paroles pourraient me retomber dessus.

  Nicole lâcha une exclamation effarée. Debout face au trône d'Elysia, elle avait les mains posées sur la table. Toute son attitude témoignait de son assurance, et face à elle, la directrice de l'Académie n'en menait pas large.

  — Comment oses-tu parler ainsi à ta tante ?

  — Je pense que papa n'aurait pas aimé te voir entrer ici sans aucune raison. Je t'attends dans mon bureau, continua-t-elle en tournant les talons. Et ne t'avise pas de raconter n'importe quoi ! Ne faites pas attention, reprit Elysia en tournant la tête vers les élèves.

  Elysia partit sans attendre d'un pas pressé. Nicole la suivit du regard, mâchoires serrées, et souffla :

  — Sa mère l'a élevée à son image. Déplorable. Philippa n'avait pas la gentillesse de Béryl, et était la digne héritière des directeurs de cette école.

  Nicole poussa un long soupir. Elle tourna la tête vers les élèves, et déclara :

  — Elysia a grandi ici. A l'âge de trois ans, Nérée a envoyé des hommes pour la tuer, car elle était l'héritière potentielle de son trône. Je lui ai sauvé la vie, mais j'ai failli en perdre la jambe.

  D'un geste de main, la tante désigna sa jambe. Aurélien se racla la gorge, avant de bredouiller :

  — Nicole, il faut que tu vois Elysia, seule à seule.

  — Humf. Elle va me dire de partir.

  — Certainement, avoua Aurélien. Mais au moins, tu lui auras parlé. Et peut-être que vous pourrez enterrer la hache de guerre.

  Nicole haussa les épaules. Elle contourna la table en boitillant, mais fut vite rejointe par Aurélien, qui lui tendit son bras pour l'aider. Le jeune homme avait perdu toute sa superbe en voyant la tante d'Elysia, ce que les élèves n'avaient pas manqué. Que s'était-il passé avec elle ? Pourquoi n'en avaient-ils jamais entendu parler ? Et surtout, ce qui perturbait beaucoup les élèves : Aurélien, qui vouvoyait tous les adultes, tutoyait cette femme. Il la connaissait donc.

  — Où est la catin Ondine ? demanda soudainement Nicole, en s'arrêtant.

  — Nicole ! s'exclama Aurélien. Un peu de tenue !

  Ondine fusillait la femme du regard. Nicole observa chaque élève un par un, avant d'enfin tomber sur la princesse. Elle sourit, comme moqueuse, et s'approcha, pour lui cracher aux pieds. Ondine resta immobile, comme si l'acte de Nicole ne la choquait pas. Aurélien accourut pour tirer la femme à lui, et l'éloigner d'Ondine, mais c'était trop tard.

  — Présentez-vous, ordonna Ondine en l'observant.

  — Et elle me donne des ordres, en plus ! s'écria Nicole. Tu entends ça, Aurélien ?

  — J'entends, grommela Aurélien.

  Nicole émit un tic agacé. Elle observa Ondine de nouveau, puis dit :

  — Je suis Nicole de Clermont, la sœur de Béryl. L'homme que votre père a tué.

  — Mon père n'a pas tué ce bâtard. S'il l'avait fait, je lui en aurais été éternellement reconnaissante, mais malheureusement, ce n'est pas le cas.

  Nicole lâcha un juron. Elle tenta de s'approcher de nouveau, comme pour frapper Ondine, mais Aurélien entoura ses bras autour d'elle et l'entraîna de force jusqu'à la porte. Paul lui vint en aide ; Nicole se débattait avec force, insultant Nérée, Ondine et l'Okeanos de tous les noms.

  — Vous avez tué mon frère ! hurlait-elle. Vous devriez avoir honte ! Vous ne toucherez pas à un seul cheveu d'Elysia, vous m'entendez ?

  Les élèves entendirent ses cris jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans les appartements des professeurs. Tous les regards étaient tournés vers Ondine, qui se mit debout. Elle passa au-dessus du crachat le plus simplement possible, et quitta la pièce d'un pas tranquille, un air serein peint sur le visage. Les S3, qui la suivaient du regard, avaient le visage grave ; aucun mot ne fut prononcé, sauf par Lola.

  — Va te faire voir, Ondine.

  Elle était déjà partie.

 Aurélien et Paul parvinrent finalement à jeter Nicole dans le bureau d'Elysia. La directrice les remercia, avant d'inviter Aurélien à rester. Le jeune homme acquiesça, et prit une chaise pour s'installer aux côtés d'Elysia. Comme s'il n'y avait rien eu : mais la situation était grave.

  — Que fais-tu ici ? souffla Elysia.

  — J'ai vu dans les journaux que tu avais été arrêtée à cause de l'Okeanos.

  Elysia hocha la tête. Cela ne l'étonnait pas que sa tante l'ait lu, car cela avait fait tous les gros titres des journaux.

  — Et ?

  — Je ne veux pas qu'ils te tuent comme ils ont tué ton père.

  — L'Okeanos n'a pas tué papa. Un médecin l'a vu, et ils ont dit qu'il avait un cancer.

  Nicole gardait la tête baissée. Toute son énergie des minutes précédentes semblait avoir disparu, et la femme énergique était devenue un être triste et morne. Aurélien observait Elysia en coin, qui paraissait troublée ; elle était partie en hâte de la salle à manger, et il savait pertinemment que c'était parce qu'elle n'avait pas été préparée psychologiquement au fait de la revoir. Elle avait dû préférer partir plutôt que de fondre en larmes devant tout le monde, et cela avait dû être le mieux.

  Elysia avait toujours associé sa tante au malheur. Chacune de ses arrivées n'annonçait rien de bon, car les seules fois où elle l'avait vue, Nicole était venue pour des enterrements. En plus, Nicole ressemblait beaucoup à son frère ; elle faisait la même taille que lui, avait à peu près la même corpulence, et avait un visage ressemblant sur plusieurs traits.

  — J'étais sûre que tu allais dire cela, rétorqua Nicole. Ta mère pensait la même chose. Mais, je n'avais pas confiance en ce médecin, et je ne voulais pas non plus revenir à l'Académie pour en parler avec Béryl, car je lui en voulais encore pour notre dispute. J'ai appelé Philippa, qui m'a dit que le médecin était de confiance. Je ne l'ai pas cru, et je suis allée dans son cabinet. Regarde ce que j'y ai trouvé.

  Nicole sortit une simple paire de ciseaux de son sac. Assez petite, elle semblait n'avoir été que très peu utilisée. Elle la tendit à Elysia tout en expliquant :

   — Je l'ai volée dans le bureau du médecin de ton père. J'ai appelé Philippa, et comme elle ne me croyait pas, j'ai même appelé Béryl. Ils ont dit que j'étais tombée dans une paranoïa liée à l'Okeanos, et ils ne m'ont pas cru.

  — Ce n'est pas faux que tu es tombée dans une paranoïa, en même temps, grinça Elysia.

  Nicole baissa la tête, comme blessée. Elysia observa les ciseaux : le blason de l'Okeanos y était gravé. Elle déglutit, surprise, avant de les montrer à Aurélien, qui lui jeta un regard surpris. La jeune femme les retourna, et vit qu'en tout petit, les initiales « M.F » étaient indiqués.

  — Comment s'appelait le médecin de papa ? demanda Elysia en relevant la tête.

  — Martin Fèbre.

  M.F.

  Aurélien se pencha pour observer les initiales, et fit une grimace, avant de se réinstaller à sa place. Nicole reprit :

  — Ton père est mort deux mois plus tard. Ils ont détecté son cancer en mars, il mourrait en juin. Ce n'est pas normal, surtout que ses symptômes n'étaient pas graves, au début. Il avait vu le médecin pour des douleurs à l'estomac, et on lui annonce un cancer qui venait de commencer. Tu ne meurs pas en deux mois de cela.

  — A quoi penses-tu ?

  — Nérée a tué Béryl.

  Elysia secoua la tête. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux : la mort de son père était une blessure encore assez ouverte, même si elle arrivait à en parler plus librement qu'avant. Elle adorait son père, et cela faisait vingt ans cette année-là qu'il avait quitté ce monde.

  — Tu venais m'alerter du fait que l'Okeanos risquait de me tuer, alors ? demanda Elysia, en tentant de se reprendre.

  — Nérée a tué Béryl, répéta Nicole en plantant son regard dans le sien. Et je ne les laisserai pas te tuer non plus.

   — Quelle est cette histoire que vous avez racontée dans la salle ? lâcha Aurélien, intervenant pour la première fois depuis le début de la conversation. Celle où Elysia aurait été attaquée à trois ans.

  Nicole poussa un soupir. Elysia jeta un regard surpris à Aurélien, qui gardait son attention centrée sur la femme. Alors, Nicole raconta tout. Tout, de A à Z, de l'attaque lors de la venue de Nérée. Elysia écoutait le tout, attentive, mais surtout neutre. Son visage ne trahissait aucune de ses émotions, si ce n'est une légère grimace en entendant que sa tante avait reçu une balle dans la jambe. Aurélien passait plus de temps à observer Elysia que Nicole, même si Nicole s'était mise à sangloter au milieu de l'histoire. Elle restait marquée par l'événement, terriblement ; en même temps, qui en serait sorti indemne ?

  — Papa et maman ne m'en ont jamais parlé, souffla Elysia lorsque Nicole eut fini.

  — Ils ne voulaient pas que tu haïsses l'Okeanos, et que tu ne cherches à te venger. Ils voulaient que tu t'éloignes le plus possible de l'Okeanos, coûte que coûte.

  La voix de Nicole tremblait. Elysia baissa la tête, touchée elle aussi : non seulement l'événement était marquant, mais les pleurs de sa tante l'ennuyait profondément. Elles avaient beau ne pas bien se connaître car Nicole était partie de l'Académie lorsqu'elle était une enfant, mais Elysia l'appréciait, car elles avaient eu de rapides discussions lors des enterrements de ses parents. Nicole avait été adorable, avec Elysia mais aussi avec Aurélien, présent lors des deux événements. Le jeune homme tendit la main vers Elysia, assez discrètement, et la posa sur sa jambe, pour la rassurer. La directrice de l'Académie poussa un soupir soulagé : il ne lui en voulait pas. Elle entremêla ses doigts aux siens, tout en murmurant :

  — Je suis désolée, tatie.

  — Il faut que tu leur montres que tu ne te laisseras pas faire, déclara Nicole. Tes parents ont baissé la tête, et ont préféré ignorer le problème plutôt que de l'affronter. Mais j'ai lu les journaux, j'ai vu les messages de tes élèves postés là-dessus, continua-t-elle en désignant son vieux téléphone qu'elle sortit de sa poche. Je sais qu'Ondine prend le même chemin que son père, à péter plus haut que ses fesses et à t'en vouloir, Elysia, rien que parce que tu respires.

  — Tu as espionné mes élèves ?

  Nicole hocha la tête. Elysia prit une bouffée d'air : elle était effrayante. La tante reprit :

  — Nérée n'arrêtera jamais de te haïr pour ce que tu es. Tu auras beau lui montrer que tu te fiches de son trône, il est obsédé par toi. Et au-delà de toi, tes enfants seront attaqués, dès leur naissance.

  Quelques instants passèrent dans le silence. Nicole souffla :

  — Et tu ne veux pas que tes enfants soient attaqués. Tu sais, j'ai passé ma vie seule, et je n'ai pas eu d'enfants. Lorsque tu es née, tes parents m'ont demandé de devenir ta marraine, et j'ai accepté avec grand plaisir. Je voulais te protéger, tout autant que tes parents, je pense, même si leur amour pour toi était à la hauteur de celui que des parents sont censés porter à leurs enfants. Je me tenais derrière eux, prête à les aider avec toi s'ils en avaient besoin.

  Elysia prit une grande respiration de nouveau. Ses parents lui avaient dit que Nicole avait jeté l'éponge concernant son rôle de marraine, car sa colère envers Béryl l'avait emportée sur le tout. Peut-être qu'il s'était passé d'autres choses. Soudainement, la sonnerie retentit : il était temps pour tout le monde d'aller en cours. Aurélien se pencha vers Elysia, et lui murmura :

  — Tu m'autorises à arriver en retard ?

  — Oui. Merci, Aurél.

  Aurélien lui sourit. Il se réinstalla sur sa chaise, tandis qu'Elysia cherchait ses mots.

  — Que voudrais-tu que je fasse ? demanda Elysia à sa tante.

  — Montre à Nérée que tu peux vraiment être une menace, et inverse les rôles. Il tente de te détruire : alors tente de le détruire à ton tour pour qu'il cesse.

  — C'est trop dangereux, intervint Aurélien en serrant la main d'Elysia. Leur conflit ne terminera jamais.

  — Alors il faut que vous trouviez un moyen de vous défaire de Nérée. Qu'il n'ait plus aucune influence sur l'école, ou que ses héritiers ne tentent plus de vous tuer, toi et tes héritiers. Voire ton futur mari.

  Elysia resta muette. Elle tourna le regard vers Aurélien, qui murmura :

  — Il faut y réfléchir.

  La jeune femme hocha la tête. Elle soupira, puis lâcha :

  — Merci. Où vis-tu, maintenant ?

  — Je vis à Tours depuis la mort de Béryl. Avant, j'étais partie à Toulouse, mais je suis revenue plus au nord.

  Elysia acquiesça de nouveau.

  — Tu serais d'accord pour rester un peu ici ? demanda Elysia.

  Le visage de Nicole parut reprendre des couleurs. Elle sourit, un peu gênée, et lança :

  — Bien sûr, j'adorerais.

  — Parfait, alors. Je vais te préparer moi-même une chambre, et tu pourras rester autant de temps que tu le voudras.

  Nicole hocha la tête, l'air enchantée. Elle essuya les dernières larmes qui roulaient sur ses joues, et se mit debout, juste après qu'Elysia et Aurélien se soient levés. La jeune femme avait lâché la main de son meilleur ami au passage, non sans lui avoir jeté un sourire pour le remercier.

  — Merci, Ely.

  — Merci à toi. Tu peux te promener partout dans les Appartements des professeurs, à la bibliothèque et dans les jardins. Evite simplement les dortoirs des élèves ou les salles de classe, si cela ne te dérange pas.

  — Tu peux venir assister à mes cours, si Elysia est d'accord, déclara Aurélien. Il faudra simplement te faire discrète, mais si cela te plaît, tu peux venir.

  — Pas de soucis pour moi, lâcha Elysia.

  Nicole remercia Aurélien, qui sourit simplement. Elle se dirigea vers les jardins, tandis qu'Elysia et son meilleur ami rejoignait une chambre à quelques salles de là, inoccupée. Elysia avait pris une clef dans son tiroir avant de sortir, ce qui lui permit d'ouvrir la porte de la pièce ;

  — Comment ça va ? demanda Aurélien, à peine la porte refermée.

  Elysia haussa les épaules. Les paroles de sa tante l'avaient retournée, et la revoir fut aussi troublant. Elle réfléchit quelques instants, avant de balbutier :

  — Je pense qu'il est fort probable que Nérée ait fait tuer mon père. Et je pense que la paranoïa de Nicole est justifiée.

  La jeune femme se dirigeait déjà vers l'armoire, pour en sortir des draps. Elle les posa sur le lit, et dit, en relevant la tête vers son meilleur ami :

  — Et je pense qu'il est en effet temps que je montre à Nérée que ce n'est plus à lui d'être le maître de jeu.

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