XII

20 septembre 2022

  Le bar était animé. Théo avait réussi à obtenir un rendez-vous avec un homme, rencontré sur un réseau social, qui avait publié plusieurs messages indiquant qu'il n'aimait pas du tout l'Académie d'Ecriture et surtout, la directrice. Cet homme demeurait à Metz ; alors, Théo avait sauté sur l'occasion, et lui avait envoyé un message, pour lui donner un rendez-vous pour une interview. L'homme, enchanté d'attirer enfin l'attention, lui avait rapidement répondu positivement. Ainsi, Théo se retrouvait un mardi soir en plein centre-ville de Metz, à croiser les doigts pour que l'homme soit bien venu. Avec le prix de l'essence, le journaliste ne voulait pas avoir fait la route pour rien.

  — Vous êtes Théo, le journaliste ? s'exclama un homme, installé à une table.

  Théo hocha la tête. La musique était si forte que la voix de l'homme n'avait pas attiré l'attention de grand monde. Il répliqua :

  — Vous êtes Valentin ?

  L'homme acquiesça à son tour. Il l'invita à s'asseoir, et rapidement, un serveur vint lui demander ce qu'il désirait boire. Comme Valentin avait pris une bière, Théo en fit de même ; puis, il dit :

  — Merci beaucoup d'avoir accepté que je vous rencontre. Je me posais beaucoup de questions au sujet de votre présence sur les réseaux sociaux très active, notamment au sujet de l'Académie.

  — En fait, je vais vous expliquer. Vous voyez, j'étais élève à l'Académie durant plusieurs années, jusqu'en S2.

  — S2 ? répéta Théo, sourcils froncés.

  L'homme fit un tic agacé. Il secoua la tête, et dit :

  — L'équivalent de la 1ère au lycée en France, mais avec un an de retard. J'avais 17 ans, en fait.

  Théo retint à grand peine un soupir. Valentin était un grand blond musclé, à l'air hautain, et au visage si proche de celui d'un rongeur. Antipathique, à vrai dire ; mais le journaliste avait besoin de ses informations, alors il se tut, et écouta.

  — J'ai été injustement renvoyé, car un élève a foutu l'feu aux toilettes, et ils ont cru que c'était moi, comme j'étais sur les lieux. Alors que pas du tout. On a été trois à être virés, sans raison ! C'était même pas nous !

  Valentin secoua la tête. Il reprit :

  — Du coup, le jour du rendez-vous avec l'autre tarée d'Elysia, j'me suis débrouillé pour fouiller dans son bureau. Attendez, j'ai tout pris avec, j'ai tout gardé au cas où je devais porter plainte un jour.

  L'homme fouilla dans ses poches. L'espace d'un instant, Théo eut peur qu'il sorte une arme ; mais, il en sortit des papiers, roulés en boule, qu'il déplia pour les défroisser sur la table. Le journaliste les prit en main, et vit des tonnes de notes griffonnées à la va-vite, comme « retenue de Clara S3 samedi à 14h. Raison : ne m'a pas tenu la porte » ou encore « retenue vendredi soir 18h Mathieu L2. Raison : a refusé de m'acheter des compotes ».

  — Vous trouvez cela acceptable qu'elle punisse ses élèves par simple envie ?

  — C'est scandaleux, souffla Théo.

  — Et c'est pas tout ! Elle faisait des soirées avec ses élèves, et elle cachait des dizaines de leurs bêtises auprès des parents. A mon sens, elle a un grand problème avec la discipline. La grande école des du Berry s'effondrera avec elle, c'est évident ! C'est plus ce que c'était !

  L'homme avait tapé du poing sur la table, ce qui secoua sa bière. Le serveur apporta celle de Théo, qui le remercia du bout des lèvres avant de dire à Valentin :

  — Vous avez des informations supplémentaires ? Sur la famille d'Elysia, peut-être, ou encore sur cette Ondine d'Okeanos ?

  — Aucune. Sauf... Si. J'ai toujours cru qu'Elysia avait une liaison secrète avec Aurélien Courpere, professeur de planification ; par ailleurs, je pense qu'un scandale financier doit se cacher derrière tout cela, car Courpere changeait souvent de voiture. Et un prof, ça a pas le budget pour s'acheter une voiture.

  Théo acquiesça, bien qu'il n'y croyait pas. Il savait que les professeurs vivaient au sein de l'Académie : s'ils n'avaient pas de loyer à payer, alors il pouvait aisément économiser pour changer régulièrement de véhicule.

  — Oh, et aussi. Elysia disparaissait souvent dans la salle du blason, sans raison. Je la voyais souvent en sortir, souvent tremblante, et l'air... Troublée. Ouais, troublée. Comme si elle avait vu un fantôme.

  Le journaliste avait sorti un calepin, et écrivait rapidement sur les feuilles quelques mots à ce sujet, pour ne rien oublier. Troublant... Il y avait des mystères à percer, dans cette école. De nombreux, même.

  — Après, c'est tout, j'pense... J'ai aucune info sur sa famille, malheureusement, hormis qu'elle est la dernière héritière des Du Berry et des de Clermont encore en vie. C'est tout.

  — Merci, Monsieur. Merci beaucoup, vos informations me seront très utiles. Vous serez crédité, si vous le voulez, bien sûr.

  — Bien sûr, qu'j'le veux ! Cette garce m'a gâché la vie : j'voulais être éditeur, j'finis à pleurer dans les bars le mardi soir ! Faut la faire tomber, celle-là, j'vous l'dis. Elle mérite que ça.

  La haine de cet homme l'en faisait trembler. Théo but rapidement sa bière, paya, et prit congé, après avoir salué une dernière fois l'ancien élève de l'Académie. Troublant, oui, c'était le terme exact. Le cœur de Théo battait à vive allure, et il lui semblait qu'il pouvait sentir le sang battre à ses tempes. Il marchait vite, courrait même : il avait envie de rédiger déjà tout ce que cet homme lui avait dit. Certes, son récit n'était pas très convaincant, et la moitié devait être inventée, mais Théo s'en fichait. Pour le buzz, il était prêt à tout.

  Et si pour se faire un nom dans le journalisme, Théo devait détruire cette Elysia de Clermont, il le ferait. Deux fois pour une, même. Et même si cette école devait fermer pour lui permettre d'atteindre la gloire, il le ferait.

  Alors, Théo se mit à l'écriture. A peine rentré chez lui, il se rua sur son ordinateur, ouvrit une page Word et se mit à rédiger.

  « SCANDALE : La directrice de l'Académie d'Ecriture au cœur du plus grand scandale depuis la création de l'école »

  Bon titre. Il hocha lentement la tête, satisfait, avant d'écrire :

  « Sans doute croyiez-vous jusqu'à maintenant qu'Elysia de Clermont, descendante de l'illustre famille du Berry, avait eu une solide formation issue de sa mère, Philippa, une directrice talentueuse ? Eh bien, ce n'était qu'une croyance. Certes, celle-ci était fermement ancrée dans les pensées de tous les parents d'élèves de l'Académie, mais un tissu de mensonge se dresse en réalité entre les yeux de ces pauvres parents et les actions de la terrible Elysia de Clermont. »

  Son téléphone sonna. Son chef.

  « Alors, des nouvelles ? »

  Théo sourit, enchanté. Il répondit :

  « Tu as l'article dans ton bureau demain matin, première heure. »

  Son patron répond simplement des émojis pouce en l'air. Théo se pencha de nouveau sur son ordinateur, et écrivit :

  « Qui aurait pu dire qu'Elysia de Clermont traitait ses élèves différemment en fonction de ses affinités ? Que les élèves, désireux de bien faire, n'obtenaient leur diplôme que si Elysia les approuvait ? Cette école a certes, été validée par l'Etat, mais je doute que l'Education Nationale soit vraiment assurée du traitement des élèves. De plus, selon une source sûre, Elysia assiste à des soirées débauchées avec des élèves, où l'alcool coule à flot, et où les élèves se distinguent de par leur libertinage déplacé. »

  Il mentait. Il le fallait. Pour la gloire.

  « Ce n'est pas tout. Elysia camoufle les bêtises des élèves auprès des parents, ce qui pousse de nouveau à du favoritisme, car elle ne le fait pas avec tout le monde. Trouvez-vous cela normal qu'une directrice, surtout celle d'une Académie aussi prestigieuse, se perde dans les bras de ses élèves le soir, tout en les protégeant des punitions la journée ? La situation est malsaine, déplacée, et terrible. Qu'attend l'Etat pour agir ? »

  Elysia tomberait.

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