V
Quelques jours passèrent. Ondine passait la majorité de son temps avec Théia, qui se révélait agréable ; elle était franche, honnête et directe, ce que la princesse appréciait. Aussi, Ondine avait passé du temps avec Anaïs, qui avait tendance à la suivre partout, impressionnée par son titre. Cela plaisait à la jeune femme : au moins, elle n'était pas seule, et elle appréciait être au centre des intérêts.
Le mardi soir, après deux journées de cours, ils se retrouvèrent tous pour le dîner. Tous mangeaient dans la salle à manger, sur les nombreuses tables rondes couvertes d'une nappe blanche. Ils virent arriver Elysia, accompagnée par le professeur de planification, Monsieur Aurélien Coupere. Elle salua brièvement les professeurs installés à leur table, qui se trouvait au milieu de la salle, pour qu'ils puissent surveiller tout le monde. Ensuite, Elysia se dirigea vers plusieurs tables d'élèves, pour les saluer eux aussi. Aurélien s'était assis à table, et se servait déjà des pâtes avec de la carbonara. Car c'est excellent. Et meilleur que les pâtes bolo. Eh oui.
— Bonjour ! s'exclama-t-elle en arrivant à la table d'Ondine, où la jeune femme mangeait avec ses nouvelles amies. Comment allez-vous ?
— Bonjour Madame ! répondirent Romane et Lola en chœur.
Ondine se contenta de sourire. Elysia sourit elle aussi, et écouta Théia dire :
— Nous allons bien. Et vous ?
— A merveille. Je viens voir si tout se passe bien auprès de vous, afin de m'assurer que tout le monde soit à l'aise. S'il se passe quelque chose, ou si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas à vous rapprocher de moi ou de vos professeurs.
Les filles sourirent simplement en guise de réponse. Cependant, Lola lâcha :
— Justement, je voulais vous demander. Comme nous fêtons les huit cent ans de l'école, quand auront lieu les prochaines festivités ? J'ai oublié, je me souviens que vous l'aviez expliqué le jour de la rentrée, mais... Voilà.
— Bien sûr. Alors, nous commençons par le bal de rentrée, samedi soir. J'espère que vous avez trouvé de belles robes ou de beaux costumes cravate, Mesdemoiselles, car je compte sur vous pour être sur votre 31. Moi-même, j'ai prévu une jolie robe, alors que je viens toujours vêtue de la même manière, alors vous avez intérêt à faire un effort.
Cela fit rire les jeunes femmes, sauf Ondine, qui se contentait du même sourire habituel. Elysia reprit :
— Ensuite, nous assisterons ensemble à une conférence la semaine prochaine de Désirée Plessis, centrée sur l'écriture. Puis, il y aura la remise de diplômes pour les élèves qui l'ont eu aux rattrapages, avant, en octobre, de recevoir le Président de la République en personne, qui viendra féliciter l'école et moi-même.
Voyant que les élèves acquiesçaient simplement, elle ajouta :
— Surtout moi, car je dois supporter cinq cent élèves tous plus épuisants les uns que les autres.
— Quoi ? s'exclama Théia. Nous, épuisants ?
— Eh oui. Et peu honnêtes. Par exemple, tu m'avais promis un cadeau d'anniversaire, Romane, et je n'en ai jamais vu la couleur.
Romane plaça une main sur son cœur, l'air faussement choquée. Elle rétorqua :
— J'étais occupée avec le beau facteur !
— Beau facteur qui ne répond plus à ses messages, d'ailleurs ! lança Théia, moqueuse.
— Oh ! La balance !
Toutes se mirent à rire, amusées. Elysia secoua la tête, et dit :
— Eh bien, tu m'inviteras au mariage avec ton beau facteur, Romane. Ne faites pas de bêtises, au fait, pas comme l'année dernière. Je vous avais couvertes en partie auprès d'Aurélien, mais cette année, il m'a fait promettre de ne pas camoufler les bêtises des élèves pour ne pas qu'ils soient punis.
Romane et Lola sentirent de nouveau un sourire se dessiner sur leurs lèvres. Elysia avait la fâcheuse tendance à protéger ses élèves des autres professeurs lorsqu'ils faisaient quelques petites bêtises. Pour les choses plus graves, évidemment, elle s'assurait qu'ils soient punis sévèrement ; mais, cette fois-là, les deux jeunes femmes avaient simplement fait une liste des plus beaux professeurs, et avaient placé Aurélien en troisième seulement, en commentant qu'il « devait changer de paires de baskets ». Elysia avait trouvé cela drôle, mais Aurélien s'était vexé, en disant qu'avec son salaire de professeur, il n'allait pas pouvoir s'acheter les paires de baskets à la dernière mode. Petite pique à Elysia, qui avait refusé d'offrir des primes aux professeurs, prétextant que c'était l'Etat qui les employait.
Donc, Aurélien et Elysia s'étaient gentiment disputés, avant qu'Elysia lui promette de punir les filles de son côté. Alors... Romane et Lola avaient dû envoyer durant les vacances un texte, n'importe lequel, à Elysia, pour qu'elle leur corrige. D'abord enchantée par cette punition, les filles avaient vite déchanté en voyant que c'était Aurélien qui avait corrigé, assez méchamment. Finalement, elles avaient bien ri, car sur la copie de Romane, Aurélien avait commenté : « à l'image de mes baskets : la phrase est passée de mode ».
Bref, c'était amusant, mais Aurélien gardait tout de même un regard assombri lorsqu'il observait les deux demoiselles. Il voulait les mettre en retenue pendant au moins trois heures ; Elysia l'avait apaisé, mais quand même.
— Au fait... lâcha Théia, en se penchant vers la directrice. Avec Aurélien, ça avance ?
Elysia lâcha un « Oh ! » surpris. Elle fit une grimace, et bredouilla :
— Quoi ? Euh... Hein ?
— Oh, Madame, vous allez devoir reprendre des cours de diction avec la professeure du club théâtre ! J'ai oublié son nom, mais voilà.
— Madame Lemaire, grinça Elysia. Et non, Théia, ça « n'avance » pas. C'est mon meilleur ami.
— Moi aussi, j'aimerais être meilleure amie avec le beau facteur, lâcha Romane, avant d'exploser de rire, suivie par Lola.
Ondine restait en retrait, assez gênée. Elle n'était pas aussi proche de la directrice qu'elles, ce qui était ironique en sachant qu'Elysia était sa cousine. Mais, soit ; elle gardait le silence, et souriait, en guise de participation.
— Je ne vais pas... Roh, vous m'ennuyez, les filles ! Où est Gabriel, d'ailleurs ? C'est lui qui vous calme, d'habitude.
— On s'est embrouillés, grinça Théia.
Un grand sourire apparut sur le visage d'Elysia. Elle tapa dans ses mains, l'air euphorique, et dit :
— Oh, des potins ! Ne bougez pas.
Elysia traversa quelques mètres pour attraper une chaise, et la mettre entre Ondine et Théia. Elle s'assit, et écouta Théia expliquer :
— En fait, on traîne de plus en plus avec Victoria, Anaïs, Louana et Lucie. Et donc, on a prévu de se faire une soirée ensemble dans notre dortoir.
— Hum. Tu étais d'accord, toi, pour la soirée ? demanda Elysia en tournant la tête vers Ondine.
— Bien sûr. Je suis toujours partante pour une fête.
Elysia fit une moue songeuse. Moui. Elle aurait été furieuse à la place d'Ondine de subir une fête avec des personnes qu'elle ne connaissait pas. Elle retourna la tête vers Théia, et dit :
— Quand j'étais élève ici, j'avais tué mes camarades de dortoir quand ils avaient fait une soirée. Ondine est très très gentille.
— Bah, Madame ! Vous êtes la première à organiser des soirées !
— Bien sûr. Parce que j'adore ça, maintenant, mais à l'époque... Boh. Je préférais étudier, et ma mère était la directrice, c'était compliqué.
Les filles grimacèrent, même Ondine. Elle n'aurait jamais pu faire une soirée au château de son père, elle, en tout cas. Non seulement elle n'avait qu'Océane comme réelle amie, mais en plus, Nérée aurait refusé.
— Bref, nous avons prévu une soirée samedi soir dernier, afin de parler et de se raconter nos vacances. Simplement, comme nous étions déjà huit, nous n'avons pas invité Gabriel, ni Adrien, donc...
— Mince. En même temps, dix personnes dans un dortoir, c'est trop. Vous n'avez pas la place.
— C'est ça. Et, on a hésité à aller demander une salle, mais c'est mal vu dès le premier week-end de faire une soirée entre nous.
Elysia hocha la tête. Ce n'était pas elle qui remplissait les bulletins des élèves, mais plutôt elle qui les validait. Ainsi, ils n'hésitaient pas à se confier à elle, même sur leurs envies de faire des bêtises ou certaines choses « mal vues », généralement annulées.
— Les profs auraient été mécontents, et j'aurais dû vous faire une réflexion sur votre comportement. Une petite soirée entre vous à l'étage, ce n'est pas grave, mais demander une salle pour faire une soirée avec plein de gens...
— C'est Ondine qui nous a conseillé de ne pas faire quelque chose de trop important, déclara Théia.
— Mes parents sont très stricts, alors à force, j'ai appris des méthodes pour faire tout ce que je veux, mais en secret. Promis, je ne ferai pas de bêtises ici.
— J'espère bien ! s'exclama Elysia, le regard allumé d'une lueur malicieuse. Les parents stricts, je connais bien aussi. Ne t'en fais pas, une fois que tu leur auras prouvé une fois que tu es forte et que tu sais retomber sur tes pieds après un échec, ils commenceront à te laisser voler de tes propres ailes.
— Ça sent le vécu, déclara Lola, moqueuse.
Elysia haussa simplement les épaules. Soudainement, elle sentit quelqu'un arriver dans son dos. Elle releva la tête et dit :
— Je passais un bon moment, Aurélien !
Aurélien secoua la tête, amusé. Grand, aux cheveux brun foncé et au regard assorti, il avait des sourcils assez fins, un nez aquilin et une mâchoire carrée. Lola jeta un simple regard à Ondine, un sourire aux lèvres : elles avaient parlé de lui, et Lola avait expliqué qu'elle ne comprenait pas pourquoi Elysia ne tentait pas sa chance avec lui. Même si c'était son meilleur ami, il était très bel homme, selon les élèves. Il avait placé une main sur le dossier de la chaise d'Elysia, et patientait, un simple sourire aux lèvres.
— Je sais, mais tu devrais laisser ces demoiselles manger. Elles ont un texte à rendre pour demain à leur professeur d'imagination, et il vaudrait mieux qu'elles s'y mettent dès maintenant.
— Eh ! s'exclama Victoria, en arrivant derrière. De quel droit demande-t-on à Elysia de laisser ses élèves tomber ? On va finir par faire une Révolution pour protéger notre directrice !
— Ou pour la faire tomber, ajouta Lucie, à ses côtés. Au bûcher !
Au même moment, Louis arrivait derrière elles, et entourait ses bras autour de Victoria pour la porter, et mimer de la kidnapper. Il s'écria :
— Protégeons la directrice !
— Ouais ! crièrent plusieurs élèves en se levant, hilares.
Ondine se mit à rire, amusée. Elle se mit debout, et dit, en se tournant vers ses camarades de dortoir :
— Je vous propose de nous ranger du côté de la directrice.
— Mais vous n'allez pas vous révolter ! lança Elysia en se levant, retenant avec difficulté un rire. Bon sang, mais ces élèves sont intenables.
— J'avais dit qu'il fallait être plus dur avec eux, bougonna Monsieur Schmitz, professeur de français, en passant à côté d'Elysia. Mais bien sûr, tout le monde laisse l'anarchie s'installer...
Schmitz fut suivi du regard par tout le monde, dans le silence, jusqu'à ce qu'il ne sorte. A peine eut-il quitté la pièce que Victoria cria :
— Révolution !
— Noooon ! hurla Théia. Prenons les armes pour la directrice !
Théia avait attrapé un simple bout de pain en guise d'arme. Elysia leva la tête vers Aurélien, et lâcha, assez fort pour qu'il l'entende malgré les cris et rires :
— Je suis censée les gérer, là, non ?
— Je pense que oui.
— Hum. Flemme.
Elysia se dirigea vers la sortie d'un pas tranquille, un sourire amusé aux lèvres. Avant de sortir, elle cria :
— On ne gâche pas de nourriture, et en cas de décès, vous allez à l'infirmerie ! Bon courage !
— Quelle excellente directrice ! s'exclama un professeur. Allez, calmez-vous, rangez vos chaises et finissez de manger !
Les élèves se rassirent, encore hilares. Ah, quelle belle journée ! Ondine était enchantée d'avoir rejoint l'école, car tout le monde semblait dans la bienveillance, mais surtout, voulait s'amuser et profiter du moment. Comme si tous savaient que l'école d'écriture était un lieu hors-norme, qui permettait de s'octroyer une protection du monde réel encore quelques années.
Peut-être qu'avant cela, les cœurs brisés et les désillusions ont poussé tous ces élèves à se tourner vers l'Art, en guise de réconfort. Fuir dans le monde fictif et souvent plus simple et plus apprécié que de se confronter aux duretés du monde. Ces jeunes avaient fait le choix de mêler les deux, en écrivant leurs rêves tout en luttant pour accéder aux plus atteignables d'entre eux. Ici, de vivre de leur passion. Et, ils y arriveraient. Tous. Car ils en étaient capables.
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