Chapitre 13 : « solstice »
La période d'examen commença, dans le temps tiède de la fin du printemps. Les étudiants s'embrassaient sur le parvis de l'université, entre les platebandes fleuries disséminées ça et là, se souhaitant bonne chance, ou se félicitant, tandis qu'elle observait tout ceci d'un œil absent et lointain, plongée dans des rêves éveillés qui l'enveloppaient d'une étreinte douce. Elle ne s'était pas inscrite, n'avait pas même daigné tenter sa chance car à quoi bon ? Elle n'avait pas assisté à la moitié de ses cours, elle n'avait pas lu les ouvrages requis. Son plan à elle était bien plus important que les feuillets de papiers que se passeraient les élèves dans quelques instants. Elle, profitait de la chaleur et du soleil entre les fleurs.
Elle prit son sac, son ordinateur et ses écouteurs pour changer d'endroit. Ses parents la croyaient en examens, elle avait tout le temps du monde pour errer dans les rues, à la recherche d'autres boutiques de deuxième main, d'autres librairies, d'autres cafés. Elle avait le temps. De respirer. De réfléchir. De prendre sa décision.
Fribourg s'éveillait lentement, en même temps que le soleil, et les ombres des passants se prélassaient sur les pavés d'argent, qui claquaient sous les cheveilles de la jeune femme tandis qu'elle descendait la rue marchande. La musique douce-amère qui envahissait son ventre lui faisait regretter cette époque lointaine où les étoiles ne lui manquaient pas encore, où elles n'étaient qu'un songe dans cet imaginaire collectif, où les contes seulement retraçaient leur histoire, et qu'elle se les figurait imaginaires. D'un geste court, elle éclipsa ce qu'elle s'efforçait depuis plus de dix ans à enterrer. Cette ère ne devait plus exister. Ça faisait trop mal de se rappeler.
Les images d'un petit garçon solitaire, son casque d'astronaute vissé sur le visage tandis qu'il partait à l'aventure, les jeans troués, les genoux écorchés, les pieds nus sur le goudron. Le portrait déchiré du petit bonhomme aux cheveux blonds dans le soleil, tandis qu'elle s'évadait entre les arbres pour lui échapper. Le petit être debout sur la table pour s'approcher du ciel.
Trop tard, la valve était ouverte. Elle s'arrêta sur un banc, surplombant la Sarine qui déroulait son long ventre languissant dans les creux du val, et laissa éclater son chagrin.
C'était l'idée de partir, d'imiter les rêves du petit garçon perdu, qui faisait resurgir, de plus en plus souvent, les souvenirs étouffés.
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En rentrant ce soir-là, le cœur lourd de doutes et d'inquiétude, elle sentit le besoin douloureux de parler de son futur avec quelqu'un. Marc lui avait sauté à l'esprit mais il n'en était pas question. Elle ne pouvait pas laisser ses sentiments amoindrir la nécessité de son voyage. Les étoiles, pensait-elle sans discontinuer en s'étalant sur son lit, sous les yeux rassurants du globe. Elle tapota quelques chiffres lumineux sur l'écran de son téléphone portable, puis colla l'appareil contre son oreil glacée.
- Allo ?
La voix familière réchauffa le corps d'Aurore.
- Coucou, c'est Aurore ! T'as un peu de temps ?
- Aurore ? Mais qu'est-ce qui arrive ?
La voix inquiète de Julie ramena aux narines de la jeune femme une odeur de patchoulis qu'elle regrettait ne pas avoir autour d'elle.
- Non, rien. Je dois juste un peu parler, je crois.
- C'est à propos de Marc ? demanda la comédienne. Attends, je suis dans ma coloc, je sors sur le balcon.
Elle attendit quelques instants avant que Julie ne lui demande de continuer.
- Non, enfin un peu à propos de Marc. T'as du temps ?
- Tout le temps du monde, ma belle.
Alors elle commença. Il lui sembla parler mille ans, sa gorge sèche lui demanda plusieurs fois de cesser son monologue. Julie ne l'interrompit pas. Elle lui décrit tout, son plan, son désir, ce désir brûlant, consumant sa vie, ses nuits, mais aussi son amour pour l'homme aux fossettes d'étoiles, aux regards plus réconfortant que la pâle lumière du soleil, pour cet homme sans lequel elle serait encore amoindrie.
- Je fais quoi ? Je peux pas lui dire, il voudra me retenir. Mais je dois lui expliquer ! finit-elle sur un ton de désespoir.
Julie ne répondit pas tout de suite, laissant le silence de ses hésitations remplir la pièce.
- Non, je le connais, tu peux pas lui dire. Il te retiendra. Il y arrivera. Il a un don pour convaincre, ça fait chier qu'il ne veuille pas faire avocat, il serait un maître. Mais il va péter un cable s'il n'a pas d'explications.
- Tu le connais mieux que moi, dis-moi ce que je peux faire, lâcha la petite voix d'Aurore, abattue.
Encore une fois, la meilleure amie de Marc se tut, pondérant chacun de ses mots à l'autre bout du combiné.
- Tu écris ? finit-elle par demander. Genre de la ficiton, des textes, ou je sais pas trop quoi ?
Un peu déstabilisée, l'étudiante souffla que oui.
- Alors tu veux pas te servir de ça ? Tu sauras mieux poser tes pensées sur papier. Et puis il les trouvera après ton départ. Tu prends pas ton téléphone, on est d'accord ? Il aura pas de moyens de te contacter.
- Non, murmura la jeune femme. Enfin, j'en pris un autre numéro, sur un ancien Nokia à ma mère. Comme ça j'ai quand même quelque chose si vraiment j'ai un soucis.
- Putain, t'es courageuse ma belle. Et moi qui me disais avoir bravé l'existence en m'inscrivant en école de théâtre, rit la belle comédienne.
- C'est deux rêves différents- poursuivre ton rêve en général c'est une preuve de courage. Parce qu'à partir du moment où tu te décides, si ça foire, tu tombes de si haut, hésita Aurore.
- T'es tellement une belle personne, Aurore. Je suis heureuse que Marc t'ait eu un moment dans sa vie.
- Merci Julie. À bientôt.
- À bientôt, je t'embrasse fort, chantonna la comédienne en raccrochant.
Une étoile mourut dans le cœur de l'étudiante, alors qu'elle reposa son téléphone sur le duvet sombre. Elle comprenait qu'il était venu le temps des adieux, ceux qu'elle avait repoussés depuis le début. Il lui restait encore un petit mois pour les faire. Sur son calendrier mural, à côté de son bureau désordé, brillait la date du 23 août d'un éclat transcendant. Dehors, le vent agitait les nuages d'argent et jouait avec les rayons de la lune.
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Après la fin présumée de ces examens, Marc l'avait conviée chez lui, et proposé de passer la nuit. Elle avertit ses parents qu'elle serait absente, et qu'elle reviendrait le lendemain.
- Tu veux qu'on t'amène quelque part ?
- Non merci, déclina-t-elle. Je me débrouille avec les bus !
Ses parents échangèrent un regard entendu et la laissèrent quitter l'antre familiale.
Arrivée chez Marc — et eux la pensait à l'autre bout de la région !, son petit sac à la main, elle entra sans toquer, et s'affala nonchalamment dans le canapé où, il lui semblait, tant avait commencé.
- Tiens ! Salut, fit Marc en la voyant ainsi avachie chez lui, avec une mimique étonnée.
Elle se releva bien vite pour venir l'embrasser sur la joue.
- Coucou, lui chuchota-t-elle à l'oreille.
Son odeur à lui déchira un peu plus son âme, car elle pensait aux mois prochains durant lesquels elle devrait l'oublier. C'était un peu, selon elle, l'odeur des astres, ce mélange sucrée de miel boisé et de brise marine. Elle lui manquerait.
Elle se sentit un peu moins gênée soudainement, et osa déposer sur les lèvres de Marc un rapide effleurement, qui le prit de cours.
Il la félicita pour ses examens, elle n'eut pas le courage de tout lui avouer et accepta les louanges avec un sourire honteux qu'il confondit avec de l'humilité. Il lui offrit alors ce petit cadeau, qu'il disait avoir gardé depuis des mois dans l'espérance brûlante qu'il pourrait l'offrir comme preuve de son amour, une chaînette délicate au bout de laquelle pendait une étoile de saphir. Le collier d'argent étincelant semblait, à la lumière de la nuit, laisser échapper un doux soufflement, un chant astral. Elle l'embrassa, à présent que la frontière tangible s'était brisée, et il dut se retenir de ne pas la faire basculer dans le canapé de velour.
Et le repas se fit dans l'attente secrète du coucher, dans l'anticipation de cet instant de gloire tant espérer. Ainsi, ils prolongèrent chaque bouchée, inconsciemment, pour retarder l'ultime instant où leur corps tacitement se retrouveraient, mais s'empressèrent de se servir, dans la hâte fébrile qui agitait leur âme. Le coeur d'Aurore battit la chamade quand il l'effleura et il sentit son trouble.
C'était drôle comme de l'absence de baisers, ou de ces embrassades timides et résonnantes de gêne, ils en étaient arrivé en l'espace de quelques heures à ce poids docile qui vibrait dans leur ventre. Était-ce le verre de vin rubis qui avaient égayé leurs sens ? Les conversations sourdes prononcées à l'oreille attentive ? Peut-être simplement la chaleur tiède de l'été et les saveurs des vents qui venaient s'engouffrer par les rideaux. Ils restèrent tard accoudés à la table, les yeux s'embrassant comme le corps ne le pouvait pas, les mains rapprochées, se frôlant parfois, frissonnant d'amour.
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Aurore s'éveilla au beau milieu de la nuit. Elle jeta un rapide regard à son réveil, qui avait disparu. Elle n'était pas dans sa chambre. Frissonnant un peu, elle étira son bras pour trouver son t-shirt, jeté là sur le sol, et dont elle se vêtit fébrilement et s'extirpa des draps entremêlés pour rejoindre la fenêtre entrouverte. Une sensation d'étouffement l'avait prise et l'air frais du ciel opaque lui fit du bien. Marc laissa échapper un soupir endormi à l'autre bout de la pièce et elle sourit en voyant ses cheveux ainsi ébouriffés. Il était rajeuni, dans son sommeil, et elle eut l'impression de le voir tout jeune adulte. C'était les réelles traces d'insouciance qui apparaissaient, et non pas le masque feint qu'il revêtait chaque matin.
Dehors, trois formes vagues semblèrent lui apparaître, trois ombres dans la lumière jaune des lampadaires qui veillaient sur le goudron froid. Cette fois, l'une d'elle cessa sa course et tourna sa grande tête vers la fenêtre de la veille maison, de laquelle s'échappait Aurore. Un ronronnement s'échappait de cette gorge massive et l'impression de rêve de la jeune femme s'accentua d'autant plus lorsque la bête lui adressa une inclinaison respectueuse de la tête. Ses yeux d'émeraude brillant dans la nuit lui rappelèrent ceux d'un enfant perdu, il y avait bien longtemps.
- Merci, chuchota-t-elle.
L'ombre sauta hors de la lumière sourde du lampadaire grésillant pour retrouver le royaume des ombres et disparaître dans le silence de la nuit. Aurore suivit encore longtemps les traces imaginaires des trois songes, qu'elle croyait reconnaître, venue d'un temps ancien, ses amis imaginaires d'enfance, qui l'avait épaulée dans son deuil. Le regard émeraude. Le silence. Les trois grands animaux qu'ils avaient chevauchés, le petit garçon et elle lorsqu'ils étaient encore ces petits êtres qui croient aux contes et aux merveilles, qui les avaient acompagnés jusqu'aux confins de l'horizon et au-delà des frontières tangibles du monde des rêves.
Où es-tu à présent, petit être ? laissa-t-elle échapper de sa pensée vers le ciel, le cœur gonflé d'un sentiment trop lourd à porter. Une goutte d'argent tomba du ciel sur sa joue et elle s'aperçût qu'elle pleurait.
Marc, dans son lit, s'agita soudainement, en proie à des chimères nocturnes et rappela sa présence à la jeune femme, qui posa son regard embué sur la forme amoureuse dans le lit bleuté. Elle s'apprêta à retourner à lui, mais un courant d'air froid la rappela à la fenêtre. Encore une fois, dans le voile de l'obscurité, il lui sembla apercevoir la douce et rassurante lueur d'un astre. Un jour, elle verrait cette lumière envahir le ciel. Pour l'instant, elle en portait le reflet dans le cœur et sur sa poitrine.
Puis l'idée de Julie lui revint en tête, encouragée par l'odeur des fleurs d'été qui envahissait les champs fleuris. Elle n'allait pas simplement lui écrire une lettre, ce serait trop simple, trop peu, pour ce qu'il lui avait apporté. Tout ceci nécessitait quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus vrai. Elle rejetait la superficialité de ces dessins, l'aquarelle trop claire et la gouache trop lourde pour peindre ses sentiments à présent, mais c'était du côté de l'art qu'elle devait creuser, bêcher, sueur au front pour ressortir les premières gemmes de ce qui leur était arrivé.
Il fallait une chose qui puisse répondre au « je t'aime » que Marc avait soufflé avant de s'écrouler de fatigue, ce « je t'aime » auquel elle n'avait pas pu répondre — comment aurait-elle pu ? Il lui fallait écrire cette histoire. Voilà la conclusion à laquelle elle parvint.
Il lui restait un mois. Elle le passerait à la rédaction de son ouvrage, faire de cette année l'œuvre de sa vie, avant qu'elle ne parte. Graver sur papier d'argent les plus grands événements de son amour pour Marc, sur lequel avait veillé les éclats discrets des étoiles. C'est avec elles que tout avait commencé, ce serait avec elles que tout finirait.
En regardant une dernière fois le grand ciel qui l'étreignait d'une puissance douce, elle sut que son oeuvre pour Marc se terminerait ici, dans le regard de la nuit. Le dernier mois ne serait que volupté, ivresse et plaisirs. Il serait trop douloureux d'y revenir. Il ne fallait pas que cela ébranle son choix, cette dernière chasse au trésor mystique dans laquelle elle abandonnerait tout.
Et puis, qui sait ? Reviendrait-elle peut-être, les yeux brillants de constellations aperçues au détour d'une gare, tout en haut d'un mont, ou dans le reflet des vagues d'une mer.
Frissonnant, elle rejoignit le corps chaud de celui qu'elle pensait aimer et qu'il lui faudrait quitter et déposa sur son front constellé de son un baiser d'amour avant de se blottir dans son aura solaire.
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C'est le dernier chapitre je ;-;
Je vous retrouve la semaine prochaine pour l'épilogue. N'hésitez pas à me donner vos avis 🌟
Plein d'étoiles à vous
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