Harmonie

[Frieda x Hitch]

2792 mots

***

Hitch n'avait de cesse d'observer le paysage devant elle. Il faisait sombre, mais tout était éclairé par cette forme mouvante. Devant la jeune femme, une voie lactée tangible s'étendait devant elle. Des lueurs volaient en dehors du tube que formaient toutes ces entités lumineuses, puis revenaient dans leur sillage. Elle savait que, si elle tendait le bras, elle pourrait toucher cette chose... Mais quelque chose l'effrayait. Elle était terrifiée. Que se passerait-il, si elle interrompait cette éternelle danse silencieuse ?

La soldate fut interrompue dans sa contemplation. Derrière le spectacle éblouissant, une petite silhouette émergea. Pas si petite que ça, elle semblait légèrement plus grande que la blonde. La jeune femme s'approchait d'elle, avec un air apaisé sur son visage. Celle-ci avait une peau de porcelaine, encadrée par des mèches aussi noires que le ciel, derrière elle. Deux iris bleus la sondaient, et elle se sentit soudain lisible, trop lisible. Elle sentit ses sourcils se froncer malgré elle. Cette femme lui inspirait une confiance absolue, et une peur aveugle. Elle n'arrivait plus à bouger, et soudain, elle se rendit compte qu'elle retenait son souffle depuis son apparition.

« Bienvenue, Hitch. Je vois que tu as trouvé le chemin. »

La concernée fronça les sourcils. Son interlocutrice avait une voix douce et suave, et cela ne faisait que renforcer sa méfiance. Une odeur amère saisit ses narines, et elle fut saisie d'un malaise.

« Ne sois pas si rebutée.

- Comment le savez-vous ? On ne se connait pas.

- Je sais tout de toi, ma belle. »

Une grimace de gêne tordit ses traits glabres. L'expression de celle qui connaissait son prénom demeurait aussi bienveillante que lisse. Comme si la jeune femme arborait un masque au-dessus de ses véritables émotions, pour n'en garder qu'une seule : la gentillesse.
Cependant, tout chez elle lui indiquait qu'elle ne possédait rien de tel.

« Ma belle ? Mais vous vous prenez pour qui ?

- Je savais que tu réagirais comme ça. »

Le sang de la soldate commençait à frapper de plus en plus fort à travers ses veines. Elle pouvait entendre chaque battement de son cœur retentir dans ses oreilles, et elle eut l'impression que son myocarde était remonté dans sa gorge. Devant elle, le tourbillon de lumières redoublait d'intensité. Elle eut peur que la plus grande ne soit happée dedans, mais il n'en fut rien. Les lueurs la contournaient, et prodiguaient à sa peau diaphane un éclat fascinant.

« Malheureusement, tu vas bientôt te réveiller. Ton camarade vient d'entrer dans la pièce. À bientôt, Hitch. »

À ces mots, sa vision devint floue. Les lueurs se transformèrent en une lumière lointaine. Le visage placide de la femme aux cheveux sombres s'étiola d'autant plus. Malgré ça, elle s'avança vers elle, s'accrochant à ses yeux bleus.

« Attends ! Je ne connais même pas ton nom ! »

En se réveillant, la jeune femme heurta quelque chose de dur. Elle poussa une plainte de douleur, tenant son front de sa main gauche, et ouvrit les yeux. Marlowe Freudenberg se tenait à côté de son lit, et se tenait le nez en geignant comme un enfant.

« Putain, Hitch ! Tu m'as pété le nez !

- Qu'est-ce que tu faisais dans ma chambre, sale pervers ?!

- M-Mais c'est pas du tout ce que tu crois, je venais te réveiller ! Tu dormais encore !

- Sors de cette chambre ! »

Elle aperçut quelques gouttes écarlates couler entre les doigts de son camarade, mais elle n'en tint pas rigueur. La soldate l'observa fermer la porte derrière lui et soupira, une fois seule. Elle posa sur le parquet froid ses pieds dénudés, et la fraîcheur du sol lui provoqua un sentiment de déjà-vu. Mince, elle était sûre d'avoir rêvé de quelque chose... Mais elle ne se souvenait plus de quoi.

Elle passa sa journée avec une impression de flottement, comme si elle n'était pas vraiment tangible dans son quotidien rébarbatif. Son esprit était ailleurs, hors du temps et de l'espace.

Comme s'il était attiré par quelque chose en dehors de ce monde.

***

« Hitch ? »

La jeune femme émergea à côté de la nébuleuse colorée. Le ciel était toujours aussi noir, l'air était toujours aussi frais. Néanmoins, les lucioles qui rejoignaient la perpétuelle danse lumineuse gravitaient autour d'elle. Allongée dans l'herbe sombre, elle se redressa et plongea dans deux iris océan qu'elle connaissait mieux que n'importe quoi.

« Tiens. Encore toi.

- Oui. Tu n'es pas venue, hier.

- J'étais de garde. Je ne pouvais pas dormir. »

Son interlocutrice lui jeta un sourire angélique, avant de s'asseoir en face d'elle. À ses côtés, les éclats opalins s'agitaient et venaient s'accrocher à sa chevelure lisse. La soldate ne savait pas depuis combien de temps elle rêvait de cette femme, mais cela lui faisait du bien. Elle égayait les journées qui suivaient ces nuits-là. Mais elle savait qu'elle n'existait que dans ses songes, qu'elle n'était que le fruit de son imagination. Malgré tout, elle s'y raccrochait. Elle ignorait pourquoi, mais ses prunelles mystérieuses étaient devenues le phare qui guidait sa vie dans les ténèbres.

« Frieda, pourquoi je te vois toutes les nuits ?

- Je l'ignore. Peut-être car je le souhaite.

- Ah... Je suis ridicule. C'est moi qui dois le souhaiter. Après tout, ce n'est qu'un rêve. »

Son visage prit un air mélancolique, mais la tristesse disparut de ses traits ronds la seconde d'après, si bien qu'Hitch crut qu'elle l'avait imaginée. À la place, les commissures de ses lèvres s'étirèrent en un sourire enjoué, et sa bouche rose fut éclairée un instant par un éclat de lumière.

« Tu penses que je n'ai jamais existé, n'est-ce-pas ? »

La question de la jeune femme lui fit étonnamment mal, et elle ne savait pas la raison de cette douleur soudaine. Néanmoins, son cœur souffrait d'un malheur impalpable, incompréhensible, inimaginable ; et son souffle en fut coupé.

« Tu as l'air effrayée. »

La soldate baissa les yeux vers ses mains, et se rendit compte que celles-ci tremblaient. Elle n'était pas effrayée, elle était terrifiée. Mais pour quelle raison ? Une idée aussi futile la rendait-elle dans cet état ? Elle se sentit ridiculement honteuse.

« Je ne suis pas effrayée ! Tu n'existes que dans mon imagination ! Que dans mes rêves... Comment pourrais-tu être vivante et m'attendre ici ? Comment pourrais-je rêver d'une véritable personne ?! C'est impossible ! »

Ses hurlements se répercutèrent, tel un écho, le long du tourbillon lumineux à leurs côtés. Le visage de la plus grande se ferma totalement, arborant devant elle le masque de la nonchalance et de la froideur. Elle bougea légèrement sa main vers elle, et Hitch la suivit du regard, jusqu'à ce que celle-ci n'effleure sa joue. Sa main était aussi glacée que ses yeux bleus, et un long frisson parcourut son échine, s'échouant à la base de ses vertèbres cervicales. Elle eut l'impression, un instant, de chuter le long d'une abîme aux reflets turquoise, tant la tristesse et le regret dansaient dans ses prunelles humides.

« Tu as peut-être raison... Je n'ai jamais vraiment existé... »

Une larme vint s'échouer sur les doigts de Frieda. Son interlocutrice ne s'était même pas rendu compte qu'elle pleurait. Mais pourquoi ? La honte étendit son royaume jusqu'à sa gorge, créant une boule si épaisse qu'elle crut qu'elle ne pourrait plus jamais inspirer.

« Allez ma belle, ne pleure pas... Je suppose que nous ne pouvions pas continuer ainsi. Je vais devoir te dire adieu. »

Alors qu'elle se levait, sa main émit une dernière caresse sur sa joue humide. Cependant, seul le silence passait entre les lèvres de la plus petite. Elle voulait retenir ce bras qui était déjà si loin d'elle, cette silhouette qu'elle ne voyait presque plus, ses yeux bleus auxquels elle ne s'accrochait plus. La lumière prenait de plus en plus de place dans son champ de vision. Elle ne voyait même plus sa propre main, tendue vers le dos longiligne de son amie.

« Frieda, je t'en supplie attends ! Ne me laisse pas ! »

La blonde s'éveilla en sursaut. Elle observa les recoins de sa chambre, cherchant désespérément deux prunelles bleues auxquelles s'accrocher. Malheureusement, elle n'aperçut que le lit vide d'Annie. Une douleur vint soudain la saisir derrière ses paupières, et elle étouffa une plainte. Elle ne ressentait plus cette impression de dissociation de la réalité. Elle n'éprouvait plus cette sensation de distance et d'attachement à quelque chose au-delà du temps. La jeune femme ne sentait plus rien.

Elle se souvint soudainement de toutes ces nuits qu'elle avait passées à attendre Frieda, à l'observer, à rire avec elle. Elle se souvint soudainement de tous ces rêves où elles parlaient de sa vie, dans ce même décor chatoyant. Elle se souvint de ses yeux bleus et de son sourire bienveillant.

Sa vision devint trouble à cause des larmes qui envahissaient ses songes. L'angoisse secouait son estomac, mais malgré ça, elle posa ses deux pieds dénudés contre le parquet froid. La soldate essuya les gouttes d'eau qui coulaient depuis ses yeux fatigués. Elle ne devait pas penser à ça. Ce n'étaient que des rêves... Elle tentait de se convaincre qu'elle pourrait encore la rencontrer, cette nuit.

Mais elle avait l'impression qu'elle ne pourrait plus jamais la revoir.

***

Le quotidien de la jeune femme était devenu insipide. Sa nourriture préférée n'avait plus aucun goût. Les blagues de Marlowe ne la faisaient plus soupirer. À vrai dire, la vie elle-même avait perdu son éclat de folie. Elle passait ses journées à se remémorer les moments qu'elle avait passés avec elle, perdue dans ses rêves et ses attrayantes chimères. Annie avait remarqué quelque chose, et malgré son attitude nonchalante, elle lui proposait parfois de s'entraîner avec elle, pour lui changer les idées. Mais Hitch n'avait plus envie de rien. Elle ne faisait qu'attendre que la journée passe pour rejoindre Morphée, à défaut de rejoindre Frieda. Sur un malentendu, elle pourrait revenir...

Lorsqu'elle marchait dans la rue, elle observait toutes les femmes qu'elle croisait. Elle savait qu'elle ne la verrait pas... Cependant, elle ne pouvait pas s'empêcher de la chercher dans la foule éparse. Parfois, elle tombait sur quelques filles qui lui ressemblaient, mais aucune n'était Frieda. Personne ne pouvait être Frieda.

La semaine dernière, elle avait vu la reine Historia, et elle n'avait pas pu s'empêcher de pleurer à la vue de ses yeux bleus. Elle avait exactement les mêmes que son fantôme. Elle avait fui la cérémonie pour se réfugier dans les toilettes, seule. Pourquoi la reine avait-elle les mêmes yeux qu'elle ? Presque le même visage ? Elles n'étaient pas identiques, mais elle avait bien cru que c'était Frieda en blonde... Peut-être fantasmait-elle sur elle depuis le début, et qu'elle s'était construite un personnage autour d'elle ? Elle avait rigolé entre deux sanglots, ce jour-là. Un crush sur la reine, quelle idiote.

Ainsi, comme une myriade de nuits avant celle-ci, elle se réfugia dans ses draps et serra ses couvertures contre sa poitrine, essayant d'y sentir l'odeur amère de celle qui hantait ses pensées.

Elle bascula, au bout d'un temps indéterminé, dans ce même paysage qui laissait défiler ses nuits. Le tourbillon surplombait toujours la nuit sans nuages, mais elle savait très bien que Frieda n'était plus là. Cela faisait des mois qu'elle ne se cachait plus derrière. La jeune femme soupira, observant les lueurs qui s'envolaient et dansaient ensemble. Peut-être était-elle devenue l'une de ces lumières ? Elle esquissa un léger sourire à cette pensée, se traitant d'idiote.

Mais après tout, elle rêvait. Personne ne serait témoin de cet instant de faiblesse, n'est-ce-pas ?

« Hey, Frieda... C'est moi. »

Ses paroles ne changèrent absolument rien à l'éternelle danse lumineuse qui se déroulait devant elle. Malgré cela, Hitch ne se découragea pas et continuait de fixer ces enchaînements sempiternels.

« Je ne sais pas si tu existes vraiment. Je ne sais pas si tu n'es qu'une construction de mon esprit débile ou un véritable être... Je ne sais rien de toi, à vrai dire. Mais je sais une chose... C'est que depuis que je ne te vois plus... Tout est fade. »

Elle se sentit ridicule, mais passa outre son désir de ne pas paraître si faible.

« Je me souviens toujours de tes yeux. De ta voix. De ton putain de sourire. Et je ne sais pas si, un jour, je pourrai apprécier la vie comme avant... Si je ne te vois plus. Alors je t'en supplie, si tu m'entends... Je suis désolée, si j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas dire... »

Elle retint quelques larmes, érigeant un barrage par sa seule volonté. Malgré sa retenue, sa voix chevrotante renforçait son angoisse.

« À chaque pas que je fais, je pense à toi... À chaque repas que je mange, je me demande quel est ton plat préféré... Je te cherche, dans la rue... Dans les yeux des autres... Et ça me tue, de ne pas te trouver... Sans toi, j'ai l'impression d'être perdue au milieu de nulle part... »

Soudain, deux bras l'étreignirent, et elle hoqueta de surprise. L'odeur qu'elle cherchait désespérément depuis des mois la surprit de plein fouet, et elle en eut le souffle coupé.

« Le sucré. J'adore tout ce qui est sucré. Mon fruit préféré est l'abricot. Et j'adore le chocolat. »

La voix douce de celle qui la hantait libéra l'étau dans lequel son cœur était enfermé depuis des mois. Elle se retourna précipitamment, et le barrage se brisa lorsqu'elle croisa ses prunelles amusées. Hitch ne put contenir ses larmes, et la triste grimace qui allait avec. Elle serra Frieda dans ses bras en explosant en sanglots.

« Ahah, sacrée Hitch. Je t'ai tant manquée ?

- Espèce d'idiote ! Pourquoi ? Pourquoi tu m'as fait ça... ?

- Hitch... Tu avais raison sur le fait que je n'existe pas... Je suis morte. »

La concernée se détacha de ses cheveux noirs et l'observa avec horreur. Sa respiration saccadée était tout ce qu'elle pouvait entendre. À quelques centimètres de son visage, Frieda semblait, pour la première fois, réellement triste. Elle n'arborait aucun masque, ne tentait pas de feindre une quelconque autre émotion. Ses sourcils étaient retroussés vers le haut, et lui offraient un air désolé.

« Je suis Frieda Reiss. J'étais la véritable reine des murs, il y a quelques années. Mais quelqu'un est venu chez moi et m'a assassinée. On a tué toute ma famille, excepté mon père et ma demi-sœur.

- Reiss ? Comme Historia ?

- Tu la connais ? »

Hitch étouffa un léger sourire. Alors elle n'était pas folle...

« Je me disais bien que vous vous ressembliez beaucoup... Je pensais que je ne faisais que fantasmer sur elle. »

Son interlocutrice lui fit un sourire.

« Je suis désolée... Mais nous ne pourrons jamais être ensemble, Hitch. Je suis morte. Je ne peux apparaître qu'ici, grâce au chemin...

- Tu parles de ce truc étrange derrière nous ?

- Oui. Il relie tous les eldiens entre eux.

- Les quoi ?

- Nous. Le peuple. L'humanité.

- D'accord... Mais... Peu m'importe si tu n'es pas réellement là... Tant que je peux te rejoindre ici, je serai heureuse... »

La main froide de l'ancienne reine vint caresser le visage de la soldate, essuyant au passage le sillage d'une larme. Son cœur débuta une folle course contre lui-même, et elle pria tout ce qui lui passait par la tête pour qu'elle ne s'en rende pas compte. Soudain, elle identifia enfin le parfum que dégageait son aînée. En effet, une odeur de chrysanthèmes s'échappait de sa peau, comme pour lui rappeler le cruel fait qu'elle n'était plus de son monde.

« Qu'il en soit ainsi. À partir d'aujourd'hui, Hitch Doris, je m'engage à être présente dès que tu fermeras les yeux.

- Tu es toujours là, même quand je les ouvre.

- Ahah, idiote.

- C'est toi l'idiote. »

Le spectre saisit le menton de la plus petite et déposa un baiser chaste sur ses lèvres. Tout chez Frieda était froid, tout chez Hitch était chaud. Mais l'une contre l'autre, elles arrivaient à créer une harmonie entre la glace et le feu, entre le vivant et la mort, entre la journée et la nuit. Les doigts de la plus jeune se glissèrent entre les mèches lisses de l'ancienne reine, et un ravissant sourire vint éclairer la nuit noire qui s'étendait de manière infinie.

« On dirait bien que tu es le seul paradis auquel j'ai droit...

- Pff, au diable le paradis, tant que tu es dans mes bras. »

Ainsi, lorsque la soldate observait le monde qui l'entourait et les peurs fondées de ses camarades, elle se sentait toujours incroyablement chanceuse. Oui, elle avait de la chance de pouvoir frôler le paradis du bout des doigts toutes les nuits, pendant que ses camarades se noyaient dans cet enfer sanguinolent. Elle conjuguait ces deux aspects de sa vie avec une harmonie inattendue, toujours impatiente de s'enrouler dans ses draps clairs.

Peu importait le nombre de démons qu'elle devrait affronter, tant qu'elle pouvait la rejoindre.  

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