Phase 2.5☞Ariane Thompson
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A R I A N E
-Et ça tourne !
Je ne sais pas ce que je dois faire. Toute l'équipe a les yeux braqués sur moi ou plus exactement sur le bâtiment gris tombant en ruine dans mon dos. C'est cet endroit où j'ai vécu trois longues et pénibles années avant de prendre la fuite.
Je dois remplir une bonne action, aujourd'hui. Comme chaque candidate. En réalité, j'avais espéré que je serais éliminée avant ce genre de tâche. Et j'ai à nouveau choisi le pire endroit où j'avais pu aller. J'aurais pu choisir un hôpital, un quartier défavorisé, mais non ! Aussi suicidaire que suis, je suis revenue chez moi. Là où je me vois courir étant encore môme. Là où les enfants ont à peine de quoi se nourrir. Même les orphelinats n'échappent pas à la vague destructive. Il est juste plus facile de se procurer de la nourriture.
-Alors Ariane. Racontez-nous ce que vous allez faire, dit le caméraman.
Il s'en fiche pas mal de ce que je vais faire.
-J'ai grandi ici, dans ce taudis, en proie à la faim, au froid et surtout et à la mort. Savez-vous ce que l'on ressent lorsqu'elle nous traque ? Lorsque l'on s'aventure dans une ruelle, vous ignorez si vous serez toujours vivant pour voir la prochaine. Aucun enfant ne devrait habiter ici. Mais parfois on ne vous laisse pas le choix.
Je fixe la caméra, d'un regard si intense que je remarque que même le caméraman frissonne.
-N'est-ce pas, Aidan ? On ne choisit pas toujours son destin.
Je me tourne et agite ma main en direction de l'orphelinat.
-Vous voyez ces bâtiments qui tombent en ruine derrière moi ? J'y ai passé trois ans. Et c'est moi qui m'occupai des enfants réfugiés ici. Il n'y a aucun adulte qui surveille si vous avez mangé votre yaourt. Il n'y a que vous.
Je reprends mon souffle.
-Je ne peux sauver ces enfants. Mais je peux leur offrir ce qui m'a toujours manqué.
Je brandis les sachets à la caméra. En quelques jours, parler à un objet inanimé est devenu un jeu d'enfant.
-J'ai ramené des couvertures, de la nourriture et des habits.
Ne jamais oublier à qui tu as à faire.
-La future Reine du peuple d'Illéa devrait s'assurer qu'aucun enfant ne vive dans ses conditions.
Je me tourne et gravis les marches. Je déplace tous les sachets sur une épaule et mon bras. Je pénètre lentement à l'intérieur toute l'équipe sur mes talons.
-Arissa ? Chuchotai-je. C'est moi.
Aucune réponse. Non, il y avait une respiration.
-Irina ?
-Ariane ?
Une ombre parmi les ombres se leva et son visage apparut à la lumière du jour. Elle était squelettique. Ses magnifiques cheveux roux autrefois luisant retombaient en mèches éparses sur ses épaules à peine couverte.
-Tu t'es bien remplumée.
J'ai honte. Trop honte de m'être graciée alors que d'autres souffraient ici. Soudain un sourire las se dessina sur ses lèvres.
-Mais je suis contente de te voir.
-Où est Arissa ?
-Elle est morte. Une semaine après ton départ.
Un coup de poing dans mon ventre.
-Arissa supervisait le fonctionnement de l'orphelinat après que j'ai pris la fuite, dis-je furtivement à la caméra.
Irina jeta une œillade craintive à l'équipe.
-Oublie-les, chuchotai-je. J'ai ramené de la nourriture.
Ses pâles yeux brillaient à la mention du mot « nourriture ».
-J'ai des habits. Et des couvertures.
-Pourquoi ?
Je hausse les épaules.
-Personne ne doit subir les conséquences de sa naissance. Appelle les autres.
Elle acquiesce. Crie. Les orphelins descendent tous les escaliers dès que le mot « nourriture » sort de sa bouche.
Il y en a de tout âge. Certains savent à peine marcher, d'autres sont plus âgés. Je reconnais quelques frimousses qui piaillent joyeusement mon prénom. Je ne peux m'empêcher de sourire.
-T'es qui ?
-J'ai suivi toute ta Sélection chez Nikki ! Tu étais superbe ! Montre leur que même si nous n'avons pas de famille nous pouvons être tous redoutables !
- Ariane !
-Mais sérieux, c'est qui ?
-T'es trop con !
Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Irina met une main sur mon épaule et me tourne vers la foule.
-Je vous présente Ariane. Beaucoup la connaissent mais pour les plus récents, je vais vous présenter. Ariane est la plus courageuse d'entre nous, durant trois années de suite elle est devenue notre chef et je ne me souviens plus de meilleure chef qu'elle. Aussi, son nom était connu par tous ici. En ce moment, elle participe à la Sélection. Il lui reste six autres concurrentes.
-Je vous promets à vous – je me tourne vers la caméra et pointe mon index dessus – et à vous aussi qu'avec l'argent qu'on me donnera je redonnerai à ce foyer toute sa grandeur. Mais pour le moment, je n'ai pas pu vous apporter que ces modestes choses.
Je pose les multiples sachets que j'avais ramenés pour l'occasion et les déballe devant leurs yeux.
-Ca nous ira très bien, lança une petite voix haut perchée qui louchait sur la boite de conserve que je tenais entre mes mains.
Je l'ouvre et lui tends. Ses grands yeux s'émerveillent lorsqu'elle huma l'odeur des tomates confites. Je sors un paquet de pain de mie et lui donnai une tranche.
-Trempe-le dans la sauce. Tu verras, c'est encore meilleur.
Elle s'éloigne, les yeux brillants.
-Ariane ?
Je lève mes yeux vers un garçon à la haute stature, aux cheveux jais qui me toise d'un regard d'or.
-Bonjour, Liam.
L'électricité est palpable entre nous. Je grimace.
-Qu'attends-tu ? Une couverture ? Une boite de conserve ? Une courgette ?
Il s'agenouilla. Malgré le manque de nourriture, il paraissait en bonne santé. Son odeur boisée chatouille mes narines.
-Tu sais très bien ce que je veux.
-Nous avons déjà eu cette discussion.
-Nous n'avons rien eu. Tu n'as pas voulu m'écouter.
-Les caméras tournent, soupiré-je.
Il tourne la tête et jauge mon sac et la file qui s'était formée à côté de moi.
-Arrange-toi pour les faire partir.
-Impossible.
-Tu ne le veux ou tu ne le peux pas ?
-Je ne le veux pas.
Une fillette désigne de ses longs doits trop maigres pour son âge un croissant.
-Qu'est-ce que c'est ?
-Une sorte de brioche, tu le veux ? Demandai-je doucement tout en espérant qu'elle resterait afin que je ne me retrouve pas seule avec Liam.
Elle sourit. Je lui tends.
-Je peux aussi avoir une couverture ?
-Bien sûr. Laquelle tu veux ?
-Celle avec les lions. Comme ça la nuit, je n'aurais pas peur.
Je l'enveloppai dans la couverture.
-Si tu as peur, dis-tu que tu es toujours plus forte qu'eux. Tu es meilleure qu'eux. D'accord ? Ne les laisse pas gagner.
Elle hoche la tête et repart dans la direction opposée. Au bout d'une demi-heure, tous les orphelins furent servis en nourriture, en habits propres et en couvertures. Ne restent plus qu'Irina et Liam.
-Ariane ? Intervient le caméraman. Pourrez-vous dire quelques mots sur vos amis pour la caméra ?
J'entoure Irina de mon bras.
-Voici Irina, une de mes plus fidèles amies avec Arissa. Après que j'ai décidé de partir seule dans la rue, Arissa s'est occupée de l'orphelinat. C'est un boulot vraiment difficile à tenir. Il faut trouver à manger, s'occuper des plus faibles et surtout ne pas flancher. Si la personne sur qui vous prenez exemple baisse les bras, comment trouver son courage ? C'est impossible.
-Ariane est une dure à cuire, réplique Liam pour ne pas être en reste. Je l'ai rencontré quelques mois avant qu'elle n'envoie sa candidature à la Sélection. Elle m'a tout de suite subjuguée. Je savais qu'elle avait quelque chose de particulier. Vous savez, ses yeux. Se perdre dedans, c'est un vrai délice.
-Liam, je gronde. Ne te donne pas en spectacle.
-Mais je pense que le peuple a besoin de savoir qui est la véritable Ariane. Et surtout pour quoi tu as décidé d'envoyer ta candidature.
La jalousie. C'est tout ce qui l'animait.
-Elle était vraiment magnifique. Elle me faisait penser à une panthère. Douce mais féroce, belle mais vilaine. Le mélange était singulier et particulièrement attirant. Il n'a pas fallu longtemps pour qu'elle succombe à mon charme. Je l'aimais comme un fou, elle me rendait fou. Juste ton odeur, mon ange... Et lorsqu'elle m'a quitté pour le Prince, j'ai eu le cœur brisé. Et ce n'est pas par amour qu'elle y est allée, mais pour...
Je le gifle. Trop. C'était trop. Tant pis pour la mission. J'avais accompli ce que je devais faire mais Liam n'avait pas été au programme.
-Tu veux faire croire que tu es différente, Ariane. Mais tu es toujours la même qu'avant.
Il me lance un regard furibond avant de déguerpir.
-Je suis désolée, dis-je à la caméra. J'ignorai qu'il serait ici.
Pourtant, la caméra m'avait filmée offrir une couverture Liam. Il m'avait remerciée. Je ne le comprenais pas.
-Il a été dévasté après ton départ. Il t'aimait beaucoup, Ariane. Un peu trop même. Il avait passé la première semaine à t'appeler « mon ange ». Quand il t'a vu avec le Prince chez Nikki, il a pété un câble.
-Ce n'est pas grave, Irina. Il le supportera bien. Il n'a pas le choix. Et toi, comment ça va ?
-J'ai pris le rôle du chef et je... je crois que je vais craquer.
Elle se mit à sangloter. Je l'attire à moi.
-Tu dois être forte, Irina. Tu dois être forte... Nous devons tous l'être...
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