Phase 1.6☞Secret • Harley Goldman
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H A R L E Y
Je marche dans les couloirs du palais depuis ce matin. J'ai profité de la distraction d'un garde pour me glisser dans la partie interdite du château. Ce qu'on peut voir ici est bien plus intéressant que ce que l'on trouve dans la salle de séjour. Toute l'histoire du royaume s'étale sur les murs qui défilent au fur et à mesure que je m'enfonce dans le dédale des corridors.
Les yeux des portraits me suivent alors que mes doigts effleurent les commodes en bois précieux. Les tapis aux motifs mystérieux, étouffent le bruit de mes escarpins. Je suis passée par des salons où chaque canapé vous supplie de vous asseoir, par des salles de bal qui n'attendent que musique et danseurs et par des bibliothèques bien trop remplies pour être un jour lues entièrement. Chaque tournant offre un nouveau délice pour les yeux, une nouvelle merveille pour les sens.
Je finis par arriver dans une partie du palais qui m'est plus familière. Je suis déjà venue ici, lorsqu'Aidan m'a fait appeler dans son bureau. Je reconnais aussitôt la porte de bois lorsque je passe devant. J'hésite à frapper. Je doute qu'il apprécie que j'envahisse son espace personnel. Peut-être n'est-il même pas là. La tentation est trop forte, je toque.
-Entrer ! Répond-il à travers la porte.
Je pénètre dans la pièce, prête à m'excuser, mais il continue de parler, assis à son bureau, penché sur ses papiers :
-Que se passe... Harley ?
Il a relevé la tête et me regarde, surpris et embarrassé. Je lui souris.
-Je suis désolée de vous interrompre Aidan, je passais par là et...
-Vous passiez par là ?
Cette fois son ton est amusé et ses yeux rieurs. Il m'invite à m'asseoir, me désigne la chaise en face de lui.
-Je visitais le palais et j'ai fini par arriver devant votre bureau. Contre ma volonté, bien sûr.
Il rit, se cale plus confortablement contre le dossier de son siège.
-Harley, je ne peux pas croire que quelque chose vous arrive sans que vous ne le vouliez.
Je m'offusque :
-Vous m'avez forcé à monter à cheval !
Il secoue la tête, moqueur.
-Si vous m'expliquiez plutôt comment vous avez atterri dans cette partie du palais ? Ça m'a tout l'air d'une histoire intéressante.
Je ris.
-Je vous assure qu'elle n'a rien de fascinant. Je m'ennuyais et j'ai simplement voulu visiter le palais. Aucun de vos gardes ne m'a remarqué. En continuant mon exploration, je suis arrivée ici, et je me suis dit : pourquoi pas ?
-Vous avez eu raison de frapper. Votre visite me fait plaisir, assure-t-il en souriant.
Il a l'air heureux, détendu et je le suis aussi. Je retrouve les vertus apaisantes de la pièce. Mais un souvenir vient obscurcir mon esprit. J'ai essayé de ne pas y penser, mais l'ennui m'a forcé à y réfléchir. Quel meilleur moment que celui-ci ?
-Aidan, je dois vous confessez quelque chose.
Devant mon air grave, son visage redevient sérieux. Je prends une longue respiration et plonge mes yeux dans les siens. Je ne suis pas lâche, je n'éviterai pas son regard.
-Lorsque je me suis inscrite à la Sélection, je ne vous imaginais pas vraiment fait pour la couronne. Pour être totalement franche, je vous prenais pour un imbécile incapable de régner.
Je le vois se tendre, mais il ne m'arrête pas. Nos yeux ne se quittent pas.
-Je pensais vous séduire facilement, conquérir le trône et régner à votre place. Comprenez-moi, je vous prenez pour un prince idiot, coureur de jupon, ignorant des affaires du pays. Des rumeurs courraient sur votre compte, on murmurait que votre père et ses ministres vous dictaient chacune de vos décisions. Je croyais servir mes ambitions en même temps que les intérêts du peuple ! Mais je suis arrivée ici, et dès notre première rencontre, je vous ai découvert bien différent de l'image que je m'étais faite. Vous êtes intelligent, courageux et désireux de justice. Je me suis lamentablement trompée et je vous demande pardon.
Je tremble lorsque je remarque à quel point Aidan est furieux. Ses yeux bouillonnent de dégoût et ses poings sont crispés de colère. Il se maîtrise à peine. Sa respiration est haletante. Seule son éducation royale le retient de me jeter dehors. Il se lève brusquement et me domine de toute sa hauteur.
-Pourquoi me dire cela maintenant ? Me crache-t-il.
-Parce que je me suis attachée à vous.
Je tente de garder un air digne, mais je me sens sale sous son regard accusateur. C'est avec dégoût qu'il me lance :
-Et moi qui commençais à m'attacher à vous ! Je me doutais que vous n'étiez pas un ange, mais de là à imaginer... Vous venez m'insulter et vous osez demander mon pardon, pire, dire que vous vous êtes, quoi ? « Attachée » ? Vous me dégoûtez. Sortez !
Je me lève, le visage impassible.
-Je me suis trompée, je ne vous connaissais pas.
Il ricane, me jette un regard noir
-Mais vous étiez prête à ruiner mon bonheur, ma vie, pour vos seules ambitions.
Je ferme les yeux pour échapper à ce désastre. Je suis une idiote, comment ais-je pu penser qu'il le prendrait autrement ? Je me force à rester de marbre.
-Je suis désolé, essayez de me croire.
-Vos arguments sont bien pauvres, se moquent-ils cruellement.
Nous nous fixons. Debout, l'un face à l'autre, notre éducation nous empêchant d'exprimer tout ce qui nous pèse. Deux masques de pierre qui refusent de céder. Quand il reprend la parole, sa voix est triste.
-Pourquoi me le dire ? Tu aurais pu continuer ton mensonge, et, qui sait, j'aurais pu te choisir.
Je ne réagis pas à son soudain tutoiement. Je cherche mes mots.
-Je ne veux pas gagner en mentant. Je veux toujours le trône, c'est vrai, mais je te veux surtout toi ! Avec tes défauts, tes qualités, tes peurs, tes espoirs, tes pleurs et tes rires. Je te veux comme ami, comme mari, comme amant !
Je fais le tour du bureau pour le rejoindre et me place à quelques centimètres de lui. Je souffle :
-Pitié Aidan, pardonne-moi.
Il sait à quel point cette prière me coûte. Moi, une Deux, membre d'une des plus grande famille du royaume, je n'ai jamais supplié personne. Il soupire :
-Comment aimer une personne en qui on ne peut pas avoir confiance ? Une personne dont on ne connaît que les mensonges ?
Je le dévisage. Il veut savoir qui je suis ? Très bien, qu'il ouvre grandes ses oreilles, mais qu'il ne s'attende pas à un merveilleux conte de fées ou à une épopée tragique.
-J'ai dix-neuf ans et je suis une avocate brillante. J'ai grandi dans une famille respectée et puissante, avec l'idée que le monde m'appartenait. J'ai commis des crimes parce que mon métier l'exigeait. J'ai dû me battre face à des hommes machistes, pervers et rétrogrades pour m'imposer. J'ai écrasé mes adversaires, sans remords et pas toujours de manières légales. Je suis tout, sauf une princesse naïve qui souhaite qu'on la sauve.
Je n'ai rien à cacher. Qu'il fasse ce qu'il veut maintenant. Le silence s'éternise, mais je refuse de le briser. C'est à lui de parler. Sa voix est chargée d'amertume lorsqu'il m'annonce :
-Tu n'as, alors, pas besoin d'un prince.
Il se détourne. Furieuse, je lui agrippe le bras et le force à me faire face. C'est tout ce que cet imbécile a retenu ?
-Aidan, je me fous du prince, je veux l'homme ! Je n'ai pas besoin d'un gentil petit seigneur, servant et protecteur. Je peux très bien me défendre toute seule. Ce que je veux, c'est un homme qui me traite comme son égal et non comme une poupée fragile, un homme que je puisse respecter et aimer ! Et je crois que tu peux être cet homme, Aidan.
Il me regarde, silencieux. J'ignore ce qu'il ressent : il a fait de son visage un parchemin mystérieux impossible à déchiffrer. Lorsqu'il reprend la parole, sa voix est froide.
-Jures-tu de ne plus jamais me mentir ? De ne plus rien me cacher ?
-Je le jure. Tu ne recevras de ma bouche plus que la vérité. Et si tu ne veux pas de moi comme ta femme, considère-moi à jamais comme ton alliée.
Nous nous tenons droits, immobiles, solennels. Pareil à des statues. Les mots de mon serment se sont gravés dans mon esprit pour ne jamais en disparaître.
Soudain, il m'attrape et me sert contre lui. Surprise, je passe mes bras dans son dos. Il m'écrase contre son torse. Nous nous serrons si fort que cela en devient douloureux. Il niche sa tête dans le creux de mon cou, respire l'odeur de mes cheveux. Finalement, il approche sa bouche de mon oreille et murmure :
-Je te pardonne Harley.
Alors, enfin, je me détends, ferme les yeux et profite de son étreinte.
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