Chapitre 72

« Un bon chef inspire le respect à ses sujets. Un mauvais leur inspire une haine sans borne. »

– Jang Jinwha, discours prononcé devant l'Assemblée des Cinq Peuples le 13 juin 712


Jungkook acquiesça sans paraître étonné alors que Yoongi avait écarquillé les yeux, tout comme Hoseok. Peu habitué aux combats, le Tyfodonien peinait à garder son calme dans une situation aussi tendue que celle dans laquelle les troupes alliées étaient embourbées. Bien sûr qu'il souhaitait défaire l'armée sawaï, il y était même plus déterminé que jamais. Or, sa spécialité demeurait la chasse, au point que l'optique d'une guerre le stressait.

Dès l'instant où une main familière se posa sur son épaule, il se retourna pour découvrir son petit ami.

« Je veux venir aussi, affirma Taehyung en se plaçant à ses côtés. Je peux vous être utile, j'en suis convaincu. Il vous faudra un médecin.

— Nous avons plein de soldats médecins beaucoup plus expérimentés, contra Jungkook. Cette mission est beaucoup trop dangereuse pour toi.

— Que je sache, l'idée est juste d'entrer, libérer les Phénix et sortir. Je ne serais là qu'au cas où quelque chose déraperait et pour les premiers soins seulement, il n'est pas question de combat mais d'infiltration.

— Le lieutenant Jeon a raison, réfuta à son tour Hoseok, cela serait beaucoup trop dangereux pour toi, je refuse que tu t'exposes à un tel risque.

— S'il se sent capable de participer, je ne vois pas pourquoi nous l'en empêcherions, répliqua le général. De ce que j'ai pu voir, Kim Taehyung se débrouille bien en combat, et j'ai remarqué qu'il s'était rapproché d'autres médecins pour revoir avec eux les gestes de premiers secours. Il suffira, Taehyung, que vous restiez à l'arrière, afin de n'être pas exposé au combat.

— Mais...

— Je n'envisageais même pas d'amener un médecin avec nous, pour tout vous dire, l'interrompit Jimin, alors peu importe lequel vient. Tout ce que je souhaite est qu'il ne prenne aucun risque inconsidéré et qu'il sache rester protégé quand cela devient nécessaire, afin de ne pas nous freiner ni nous déranger.

— Je ne vous gênerai pas, promit le poète avec conviction.

— Alors vous pouvez venir. »

Il savait que la présence de Taehyung inciterait Hoseok ainsi que Jungkook à se montrer plus vigilants. Si le médecin s'assurait de rester en dehors de tout conflit potentiel, alors il ne craignait rien et pourrait même, au contraire, devenir utile en cas de problème. Le lieutenant Jeon afficha une mine sombre : cette décision était mauvaise, les deux années du service militaire de Taehyung dataient de bientôt trois ans, et il ne s'était entraîné que deux ou trois semaines aux côtés des Tyfodoniens qui lui avaient enseigné la dague, arme qui le pénaliserait face à un sabre.

Il se promit de veiller sur lui et, en cas d'attaque, de l'évacuer avant de penser à combattre – un comble pour lui qui ne reculait jamais devant une rixe et qui s'amusait sur le champ de bataille plus que nulle part ailleurs !

« Rure m'accompagne, affirma pour sa part Yeonjun. J'ai besoin d'elle.

— Très bien, opina Jimin. Ce qui porte donc notre nombre à... neuf. Nous avancerons bien plus vite à neuf qu'à six cents. Nous serons sans doute à Hurna à l'aube si nous marchons toute la nuit.

— Oh pitié, marmonna Yoongi qui sentit soudain le poids de la fatigue s'abattre sur lui. Taehyung, vous reste-t-il de votre boisson qui donne de l'énergie ?

— Oui, Ina a encore ce qu'il lui faut pour nous tous. Je lui ai demandé justement d'en préparer pendant que je vous rejoignais.

— Nous en prendrons tous, affirma Jimin, et nous apporterons toutes nos rations de nourriture : nous arrivons dans la dernière ligne droite, hors de question que nous soyons dérangés par une faiblesse provoquée par la faim. »

Chacun approuva, déjà impatient à l'idée de se régaler. Yeonjun observa les militaires se dissiper après l'ordre de leur supérieur qui indiquait qu'il les voulait à l'entrée du camp dans quinze minutes. Tous filèrent avertir leurs sergents qu'il leur faudrait se charger des troupes en leur absence. L'Akashite décida de les imiter. Sa fidèle Rure à ses côtés, il partit prévenir ses huit soldats du plan du général Park.

« Et ne peut-on pas venir ? répondit un de ses camarades une fois son discours achevé.

— Je préfère que vous restiez, affirma Yeonjun. À notre retour, dans le meilleur des cas nous aurons sauvé les Phénix, mais pas défait les dix mille soldats qui nous entourent. Je vous missionne de tout faire pour aider nos alliés. Trouvez de quoi concocter nos préparations les plus efficaces, soutenez les autres peuples. Nous pouvons gagner si nous travaillons ensemble.

— Bien, capitaine.

— Dormez, et demain, dès le lever du soleil, soyez les premiers à quitter le camp pour en fouiller les environs. Tenez, il ne me reste plus grand-chose, mais cela pourra vous aider. »

Il lui donna la bourse qu'il conservait toujours avec lui, contenant l'essentiel pour préparer les redoutables bombes akashites. Les troupes acquiescèrent dans un mouvement solennel. Les jeunes gens ne s'éloignaient presque jamais les uns des autres, devenus une véritable fratrie au fil de leurs années d'entraînement. Ainsi, alors que l'un de ses amis tendait la main à Yeonjun pour le saluer, ce dernier la lui prit uniquement pour le tirer à lui et lui offrir une étreinte.

« À bientôt, mon frère. Prenez tous soin de nos alliés, vous êtes un groupe d'élite, entraînés pour parer à toute éventualité. Je crois en vous.

— Tout comme nous croyons en vous. Revenez-nous sains et saufs. »

Tous s'enlacèrent un bref instant, et les deux élus rejoignirent l'entrée du camp où Hoseok patientait déjà avec Taehyung qu'il harcelait de recommandations pour les heures qui venaient. Les Akashites suivirent sans le laisser deviner l'échange qui les amusa et leur permit de se détendre.

« Je pense qu'il a compris, intervint Yeonjun lorsque le Tyfodonien répéta pour la énième fois à son amant de ne pas se mettre en danger. N'est-ce pas ?

— J'avais compris déjà la première fois, approuva Taehyung avant de se tourner de nouveau vers Hoseok. Ne crains rien, tout ira bien pour moi, j'en suis convaincu. Je resterai loin des combats et si je sens que la mission tourne mal, je pars sans me retourner pour rentrer prévenir les autres.

— Exactement, confirma son mentor. Peu importe ce qui m'arrive, je veux que tu t'enfuies. Je peux me gérer, mais nous gérer tous les deux, cela risque de s'avérer compliqué.

— Je sais, je ne veux pas devenir un fardeau.

— Tu ne l'as jamais été ni ne le seras jamais, je te rassure. »

Il se retint de l'embrasser lorsqu'il avisa Jungkook qui arrivait, encadrant avec Taehyun le général, lui-même suivi par Soobin et Yoongi. La nuit tombait, le moment était venu pour eux de se fondre dans l'obscurité afin de tromper la vigilance des troupes ennemies. Le chemin, Jimin l'avait étudié au point qu'il le connaissait par cœur. Aucun doute ne l'habitait, d'autant qu'il avait profité de ces quelques minutes pour se renseigner auprès d'Ina à propos de la direction à prendre. En parfaite passionnée d'astronomie, elle avait su lui indiquer la constellation à observer pour rejoindre les plateaux qui donnaient sur Hurna, au sud-est de leur position actuelle.

Les militaires avançaient d'un pas assuré, guidés par un orbe de lumière que Yoongi avait créé afin qu'il ne soit visible que dans un rayon d'une dizaine de mètres. Ainsi, eux y voyaient clair, mais quiconque se trouvait hors de portée ne percevait que les ombres qui se mouvaient dans l'obscurité totale des heures de Daimón. Bien que pleine en effet, la lune se laissait à intervalle régulier recouvrir par quelques nuages de passage, si bien que les combattants ne pouvaient pas se fier à son éclat fatigué.

Taehyung, que l'agitation nocturne angoissait – tous ces bruits dont il ignorait la source, avec pour toile de fond un silence sinistre –, se rapprocha de Hoseok aussitôt que le permit le sentier et marcha à ses côtés après avoir entrelacé ses doigts aux siens. Le Tyfodonien, attendri, les lui serra de telle sorte que le poète comprit les mots de réconfort que son geste charriait. Il posa son épaule contre la sienne, et malgré leurs armures, il se sentit tout à fait rasséréné.

Yoongi, son orbe entre les mains, se concentrait sur les alentours. Le moindre son le mettait dans un vif état d'alerte, et Jimin essayait de le calmer à l'aide de regards confiants et de sourire qui se voulaient rassurants. Troublé, le mage cachait mal son anxiété. Sa sœur tournait dans son esprit. Elle, aux mains de ce maudit Mincheol ! Il devait l'en sauver, mais comment ? Ils atteindraient Hurna à l'aube, et après ? Quel plan alambiqué Jimin avait-il prévu pour qu'ils réussissent à entrer dans le palais sans être repérés, puis à rejoindre les Phénix ?

Il songea qu'après tout, avec le soutien de sa pierre, il parviendrait peut-être à se rendre invisible assez longtemps pour s'en charger, mais le reste des soldats devrait patienter à l'écart, car jamais il ne tiendrait le sort sur eux tous. Et quelle terrible idée de lui demander un tel effort alors que la guerre se préparait dans la vallée ! Il serait épuisé en la regagnant, il lui serait impossible de combattre après un périple pareil !

« Jimin... comment comptes-tu t'y prendre une fois à Hurna ? demanda-t-il enfin tout bas alors qu'il marchait aux côtés de son fiancé.

— J'ai mon idée.

— Et moi j'ai besoin de savoir, il est question de ma sœur, la seconde moitié de mon âme. Tu ne peux pas me cacher cela.

— Pour tout te dire, j'ai plusieurs idées, et la plus confortable se trouve à deux heures de marche en direction de la capitale.

— Nous sommes perdus...

— Allons, ne sois pas si défaitiste, sourit Jimin. T'ai-je déjà surpris par mon manque de compétences ?

— Non, non...

— Alors pars du principe que je sais ce que je fais.

— Non plus. »

Le général lui adressa un regard las. Yoongi, pour la première fois depuis l'arrivée du messager, songea qu'un baiser lui ferait le plus grand bien. Il n'osa pas en réclamer devant les autres militaires.

Minutes puis heures se succédèrent. Ils avaient délaissé les sentiers montagneux étriqués pour franchir des plateaux qui les plaçaient à découvert. Par chance, la nuit continuait de les dissimuler, et Jimin avançait d'un pas plus leste : ils marchaient depuis bientôt deux heures, ils avaient donc réussi à éviter les troupes sawaï décrites par la missive. À présent, plus besoin de prendre garde à tout ce qui les entourait, ils devaient progresser le plus vite possible.

Jungkook et Rure, les deux guerriers à la vision la plus acérée, le remarquèrent en même temps.

« De la lumière, » souffla le lieutenant en pointant une oscillation à l'horizon.

Le panorama, depuis le plateau, permettait d'y distinguer cette lumière à près d'un kilomètre.

« Nous devrions contourner par là, conseilla Rure, ainsi nous...

— Nous allons droit sur la lumière, » l'interrompit Jimin.

Sa phrase claqua à la manière d'un fouet. Tous échangèrent des regards interloqués. Yoongi le premier crut défaillir à l'idée qu'en plus d'attaquer Hurna, Jimin souhaitait d'abord s'en prendre à un village qu'il n'avait jamais vu apparaître sur les cartes. Il était pourtant convaincu qu'entre les carrières et Hurna, il ne se trouvait rien d'autre que des montagnes et quelques plateaux. Les Sawaï s'étaient pour l'essentiel établis à la capitale et autour de l'immense lac Kéïani. Quant à ceux qui ne craignaient pas le froid, ils avaient construit des villes importantes dans les Grandes Steppes, au nord du Continent. Et s'il s'agissait d'un piège ?

Puis Yoongi se rappela : Jimin, il y a à présent environ deux heures, lui avait parlé de cette « solution plus confortable » qui pourrait leur permettre d'atteindre Hurna. Connaissait-il quelqu'un dans ce village ? Bien sûr, c'était la seule explication pour qu'ainsi il décide de foncer droit sur l'ennemi. La famille de Maïri, peut-être ? Cette commerçante lui aurait-elle glissé quelques contacts aux abords de Hurna ? Si en effet ils pouvaient se changer pour revêtir l'armure Scorpion, ils pourraient s'infiltrer avec bien plus de facilité : d'après Jimin, tant de jeunes gens avaient rejoint l'armée ces dernières années qu'ils ne risquaient pas d'être remarqués, et si les marchands eux-mêmes avaient choisi de se reconvertir, les origines tyfodoniennes manifestes de Hoseok et Soobin ne choqueraient personne.

« Tu y as un contact, n'est-ce pas ? souffla Yoongi avec un regain d'espoir. De qui s'agit-il ?

— J'aurais aimé, mais non. Je me fie uniquement à mon instinct qui me dit que nous devons nous rendre là-bas.

— Tu veux nous tuer, en fait...

— Non, pas tout de suite, mon amour. »

Yoongi leva les yeux au ciel, abandonnant ses belles théories dans un soupir soucieux. Pourquoi Jimin s'entêtait-il à garder ses plans secrets ? Ne se fiait-il pas à ce groupe composé uniquement de puissants guerriers avides de vengeance ? Tous voulaient se débarrasser du Prince, Yoongi était convaincu qu'une trahison dans une telle situation ne risquait pas de se produire, pourtant l'Arixien demeurait silencieux. Même à lui seul il refusait de murmurer ses idées. Ne lui faisait-il pas confiance ? Le passé l'avait-il à ce point marqué ?

Dépité, Yoongi se résigna. Il ne posa plus la moindre question à son amant qui, en signe d'excuses, lui effleura les doigts en toute discrétion. Jimin savait à quel point ses décisions pouvaient peser, inquiéter, mais il n'aimait pas pour autant laisser ses camarades dans le flou. Il voyait l'effet de son silence sur son bien-aimé, pourtant impossible pour lui de révéler son dessein. L'enjeu était devenu trop important.

Alors qu'ils approchaient, Yoongi éprouvait de plus en plus ce mauvais pressentiment qui le hantait depuis leur départ. Et s'ils fonçaient droit sur un campement de soldats Scorpions ? Jimin semblait ignorer vers quoi ils se dirigeaient exactement – un point lumineux, quelle description vague ! –, comment pouvait-il être si convaincu que ce n'était pas la mort qui leur tendait les bras ?

Puis les contours du lieu se dessinèrent de manière plus nette, et Yoongi se rassura en découvrant qu'il s'agissait d'un village. Jimin changea de cap pour rejoindre une hauteur qui leur permettrait de l'épier sans attirer l'attention d'éventuelles sentinelles, et chacun suivit dans un silence parfait. Ils se déplaçaient de façon agile, habitués pour certains aux missions d'infiltration. Taehyun notamment marchait avec une grâce admirable, au point que son armure ne produisait pas le moindre son. Voilà bien longtemps qu'il en avait modifié quelques éléments afin de n'être pas trahi par le bruit.

Jimin s'arrêta, observant en contrebas. Jungkook s'installa près de lui, vite imite par Rure qui dégaina sa longue-vue. Devant chaque maisonnette brûlait une torche. L'endroit ressemblait néanmoins plus à un campement qu'à un véritable lieu de vie, d'autant que l'architecture sawaï était très réputée. Or, il ne s'agissait de toute évidence pas de constructions militaire, organisées d'une manière trop différente pour correspondre. À quoi cela rimait-il donc ?

Même de loin, Jungkook repéra plusieurs arbres fruitiers plantés au beau milieu du village, ainsi que quelques potagers entourés de barrières de bois. Les gens ici paraissaient mener une existence paisible.

Voilà pourquoi, sans doute, un sursaut général agita le groupe lorsque des pas résonnèrent derrière eux, se rapprochant de façon inéluctable. Tous dégainèrent leurs armes, prêts à riposter à une attaque. Le cœur au bord des lèvres, Yoongi tentait d'organiser ses idées. Il avait serré ses mains autour de son orbe dont il refusait de se défaire comme s'il tenait l'œil de Hiemis. Figé par l'angoisse, il demeura immobile quand deux silhouettes arrivèrent, maintenant entre eux une distance qui ne leur permit pas d'entrer dans la lumière produite par le Phénix.

« Alors c'est vous, les voleurs qui nous pillent chaque nuit, gronda la voix dure et accusatrice d'une inconnue.

— Piller ? s'étonna Jimin. Je crois qu'il y a méprise.

— Ne pensez pas fuir si facilement sous prétexte que vous êtes plus nombreux, renchérit une voix plus jeune mais non moins sèche, car vous ne l'êtes pas. »

Et aussitôt d'autres personnes apparurent derrière les deux villageois, portant leur nombre à une vingtaine. Jungkook écarquilla les yeux : qui donc formait des groupes d'une vingtaine de veilleurs pour un si petit campement ? Une centaine d'âmes à peine devaient y vivre, d'après le peu de maisons qui s'y trouvait.

« Cette fois, vous ne nous échapperez pas, vociféra la première qui avait parlé.

— Yoongi, calme-les je te prie. »

Parce qu'il avait réussi à détacher sa sphère de son pouvoir afin qu'elle ne dépende pas de son énergie, Yoongi concentra toute sa magie sur l'obscurité alentour qui se referma sur les combattants face à lui, qui se retrouvèrent immobilisés. Satisfait, Jimin prit l'orbe enchanté à son aîné et s'avança vers le groupe qui les avait menacés sans se douter de leur puissance. Les deux premières silhouettes entrèrent dans le périmètre de lumière, révélant une femme d'une quarantaine d'années auprès de laquelle se tenait celui qui devait être son fils, au vu de la ressemblance frappante entre eux. Son âge avoisinait celui des jeunes Akashites. Or, ce qui retint avant tout l'attention de Jimin fut leur habit. Des armures, certes, mais...

« Des tuniques noires, souffla-t-il, vous êtes un campement de mercenaires.

— De rebelles ! cracha le fils. Et que fabriquent des Arixiens ici ? Quelle est cette lumière ? Avec quelle sorcellerie nous maintenez-vous immobiles ?

— Nous ne répondrons à vos questions que si vous jurez de ne nous faire aucun mal, car nous ne vous en voulons aucun, affirma Jimin en rengainant son jingum. Marché conclu ? Oh, et... avant que vous n'envisagiez de nous duper, sachez que vous avez face à vous le général Park Jimin, ainsi que quatre de ses lieutenants et un capitaine.

— Vos couleurs... qu'êtes-vous ?

— Promettez d'abord. »

Le jeune homme resta muet, l'œil mauvais. Sa mère néanmoins, après un court instant de réflexion, finit par accepter.

« Nous ne vous ferons rien si vous n'êtes pas venus troubler notre tranquillité. »

Aussitôt ils retrouvèrent leur mobilité, et Yoongi camoufla derrière une quinte de toux son essoufflement. Jimin s'avança, la sphère de lumière engloba bientôt tous les combattants sawaï, qui tous avaient renoncé à leur couleur.

« Je vais poser la première question, si vous permettez, décida-t-il. Je veux que vous m'en disiez plus sur vous.

— Et pourquoi devrions-nous vous faire confiance ? se méfia aussitôt le garçon aux yeux d'orage. Qui nous dit que vous n'êtes pas des militaires de notre nation déguisés pour nous piéger ?

— Parce que nous cherchons nous aussi à arrêter le Prince et à l'empêcher de poursuivre ses noirs desseins. Il souhaite asservir les Phénix, mais celui qu'il convoite le plus, le plus puissant d'entre eux, se trouve à nos côtés. »

Yoongi s'avança, passant une main dans ses cheveux couverts de charbon pour en dévoiler la couleur blanche. Les rebelles reculèrent d'un pas, stupéfaits. Une réaction si vive ne pouvait pas être feinte : ils ignoraient réellement que leur chef avait retrouvé et capturé des Phénix.

« C'est impossible, souffla la femme.

— Le Prince désire asservir le Continent entier, poursuivit Jimin, voilà pourquoi nous avons réuni des centaines d'hommes de tous horizons. Arixiens, Tyfodoniens et Akashites ont décidé de déclarer la guerre à Mincheol de Sawa et à son armée.

— Alors qu'est-ce qui nous dit que vous ne prévoyez pas de nous anéantir ? rétorqua le garçon aux abois.

— Beomgyu ! s'agaça sa mère.

— Maman, ils veulent sûrement...

— Nous ne nous attaquerons à aucun innocent, ni quiconque qui ne nous menace pas, affirma Jimin. Notre but unique est de délivrer les Phénix et d'arrêter le Prince. Nous savons que le peuple souffre déjà bien assez.

— Je trouve votre but trop noble pour être honnête...

— Quel autre but voudriez-vous que nous vous cachions ? Nous savons que vos ressources sont épuisées, et nous n'avons pas pour ambition d'agrandir nos territoires respectifs. Nous ne souhaitons rien de plus que la stabilité, c'est elle qui garantit la prospérité de nos commerçants.

— Hum... je peine encore à y croire.

— Moi je veux vous croire, opina la femme en s'avançant. Je suis la chef de ce campement, né d'une rébellion à Hurna qui nous a obligés à fuir dans les montagnes. Nous avons trouvé refuge ici, où le terrain et la végétation nous ont permis de subsister. Nous habitons là depuis bientôt un an, et régulièrement nous accueillons de nouveaux membres.

— Pourquoi avoir tenté de vous rebeller ? s'enquit à son tour Jungkook.

— Parce que nous vivions dans des conditions indécentes. Mon fils Beomgyu et moi appartenions à l'armée où j'étais générale et lui un de mes lieutenants. Nous ne supportions plus de voir la population opprimée, réduite à fouiller les ordures pour se nourrir alors que les soldats avaient l'autorisation de leur dérober leurs ultimes denrées. Nous avons tenté de provoquer un soulèvement mais avons échoué, et il nous a fallu nous réfugier à l'écart.

— Vous avez parlé de pillage en nous voyant, reprit Jimin.

— Nous subissons des vols de nourriture depuis plusieurs mois, soupira-t-elle.

— C'est le guerrier fantôme, murmura un homme derrière elle.

— De quoi s'agit-il ? s'étonna Hoseok.

— Une légende sawaï, répondit Jimin. J'ai en effet entendu dire que certaines personnes attribuent à ce guerrier fantôme des phénomènes inexpliqués qui se déroulent ici, dans un village au nord de Hurna. »

Et Yoongi comprit l'origine de son intuition : Jimin savait qu'il se trouvait là un village, car il l'avait oublié, mais les Scorpions avec qui ils avaient discuté le jour de leur rencontre avec Ina l'avaient mentionné sans y prendre garde. Mais pourquoi avait-il décidé de venir ici ? Qu'attendait-il de ce prétendu fantôme ?

Beomgyu passa une main dans ses cheveux de jais, plus longs que ceux de sa mère puisque les siens lui couvraient la nuque, alors que la femme à ses côtés les avait coupés courts. Son visage fermé témoignait d'une sévérité que Yoongi devinait de surface, parce que dès lors que son regard tombait sur sa mère, il brillait d'indulgence et d'affection.

« Quoi qu'il soit, il nous vole notre nourriture, affirma Beomgyu. Au début, il s'agissait d'une ou deux pommes, pas plus de trois fois par semaine. Mais depuis le début de l'année, les vols ont commencé à devenir plus conséquents, et surtout beaucoup moins espacés. Ces dernières semaines, même, ils se produisent toutes les nuits. Nous risquons vite de manquer de nourriture, alors qui que soient ces voleurs qui se font passer pour des fantômes, nous comptons bien les arrêter.

— Cela a au moins le mérite d'expliquer pourquoi vous êtes si nombreux, constata Jungkook.

— Quand exactement sévissent ces fantômes ? s'enquit encore le général.

— D'habitude, aux alentours du moment où la lune est la plus haute dans le ciel, répondit la Sawaï dans un soupir en constatant que l'heure approchait.

— Et depuis combien de temps tentez-vous de les appréhender ?

— Bientôt trois semaines, sans succès malheureusement. Voilà pourquoi nous avons grossi les troupes de sentinelles. Nous patrouillons toute la nuit autour du village, mais cela ne sert à rien, et même ceux supposés surveiller le campement ne voient rien. Qu'ils clignent des yeux, et des pommes se sont envolées. Nous n'y comprenons rien et certains d'entre nous commencent à croire qu'il s'agit bel et bien de l'œuvre du guerrier fantôme. »

Yoongi opina. Ce que l'homme ne parvenait pas à élucider avec la science, il cherchait à le justifier par la croyance. Pas étonnant que devant les faits, certains se soient jetés sur des explications dignes des convictions d'un enfant de quatre ans.

« Nous pouvons peut-être vous aider à l'appréhender, songea Jimin en glissant un regard au Phénix.

— Et en quel honneur, je vous prie ? répliqua Beomgyu en croisant les bras contre son torse.

— Je veux voir qui sont ceux qui réussissent à faire croire à un peuple entier que les fantômes existent.

— Traitez-nous de naïfs tant que vous y êtes.

— Je n'oserais pas... même si je n'en pense pas moins. »

Le rictus de Jimin aurait pu provoquer la fureur du Scorpion, or ce dernier se contenta d'un regard las et d'un soupir.

« Je ne peux même pas vous donner tort, ils sont vraiment trop naïfs. Mais comment pensez-vous pouvoir les arrêter ? Nous avons déjà tenté bon nombre de pièges, tous sans arrêt déjoués.

— Avec ceci, répondit Jimin en tendant ses mains dans lesquelles reposait toujours la sphère de lumière. Vous disiez qu'ils vous volent des pommes. Nous allons placer la sphère au pied de l'arbre, ainsi à l'instant où ils en approcheront, ils seront en pleine lumière. Il nous suffira de nous cacher tout près pour les voir puis les arrêter.

— Nous pouvons essayer, j'imagine, songea l'ancienne générale avec une mine pensive. Ils ne devraient plus tarder d'apparaître, dépêchons. »

Les deux groupes descendirent au campement. Yoongi peinait encore à croire qu'en plein milieu d'un tel périple, le chef arixien ait décidé de chasser des fantômes voleurs de pommes dans un petit village de rebelles. Par Hiemis, il n'en faisait toujours qu'à sa tête ! S'il souhaitait convaincre ces Sawaï de les suivre, il suffisait de le leur demander, ils sauteraient sans doute sur l'occasion. Pas besoin de sauver leurs maudits arbres !

Le hameau dormait lorsqu'ils atteignirent la place principale où Jimin remarqua trois tonneaux les uns contre les autres. La cachette idéale. Il posa sa sphère derrière eux et se retourna vers le lieutenant Jeon.

« Je suis sûr que vous rêvez d'attraper ce fantôme, n'est-ce pas ?

— L'attraper, je n'en rêve pas, mais l'étriper...

— Parfait, alors installez-vous ici. Dès que notre fantôme entrera dans votre champ de vision, je compte sur vous pour l'arrêter. »

Jungkook opina, décidé à mener à bien sa mission, ravi d'en recevoir une un peu plus légère qu'à l'accoutumée. Il comptait bien ne laisser aucune chance à ces voleurs. Il observa le reste du groupe s'éloigner pour se dissimuler dans une maison, sans doute celle de la générale, et il reporta sa vigilance sur l'endroit où cessait la lumière. Concentré, il était prêt à fondre sur toute silhouette suspecte. Il épiait la nuit comme un oiseau de proie qui attendait que son dîner se jette dans son bec. Aucun détail ne lui échappait, il vérifiait tout le cercle autour des arbres, que le vent faisait mugir de façon paisible.

Pas un bruit ne troublait le silence. Il prêtait une attention considérable aux alentours, convaincu que si le voleur était qualifié de fantôme, cela signifiait qu'il risquait de ne pas l'entendre arriver.

Il surveillait les environs, scannant du regard le village alors que dans son esprit se mettait à vagabonder. Il secoua la tête lorsque ce fut le délicat visage de son ancien amant qui lui apparut. Bon sang, pourquoi devait-il penser à lui sans arrêt maintenant qu'ils s'étaient séparés ? N'aurait-il pas pu se rendre compte de son affection pour lui plus tôt ?

Un bruit infime attira son attention, et il écarquilla les yeux en découvrant, perché au sommet de l'arbre, trois mètres plus haut, un jeune homme qui remplissait de pommes un sac de toile qu'il avait retiré de son dos. Comment s'était-il débrouillé ! Comment était-il arrivé ici sans qu'il le remarque ? Hébété, le lieutenant se demanda surtout pourquoi le garçon n'avait pas fui dès lors qu'il s'était aperçu qu'il était enveloppé de lumière.

Le gamin, un adolescent aux cheveux hirsutes et au corps amaigri, finit sa tâche avant de baisser sur Jungkook un regard moqueur, empli d'une vivacité qui tranchait avec les lignes émaciées de son visage anguleux. Jungkook se redressa d'un bond, mais déjà le voleur sautait, s'accrochant un peu plus bas à une branche pour couper net sa chute, qu'il termina un genou au sol. Le lieutenant s'apprêtait à le pourchasser lorsque le Sawaï poussa sur ses longues jambes et partit dans un sprint aussi effréné que discret. Jungkook, alourdi par son armure, sut qu'il ne le rattraperait pas.

En pleine course, à peine fut-il sorti de la lumière qu'il s'immobilisa. L'Arixien soupira de soulagement en remerciant en silence Yoongi qui, s'il demeurait caché, avait néanmoins senti l'ombre du garçon qu'il avait réussi à stopper.

Aussitôt le général Park jaillit de la maisonnette. Il s'empressa de rejoindre le voyou dont Jungkook avait saisi les bras, afin qu'il ne puisse pas leur échapper. L'adolescent restait muet, les prunelles chargées de haine. Il pouvait de nouveau bouger, mais il ne chercha pas à se débattre.

« Eh bien, lieutenant Jeon, il faut croire qu'un enfant a su vous impressionner, le taquina Jimin en arrivant à sa hauteur alors que les autres sortaient de l'habitation de leur chef. Je me demande à quelle vitesse il peut courir. »

Il reporta son regard sur le prétendu fantôme qui détourna le sien.

« Comment t'appelles-tu ? »

Il ne répondit pas. Beomgyu arriva au même moment et lui arracha son sac des épaules d'un geste furieux. Il l'ouvrit et en déversa son contenu sur le sol. Chacun retint son souffle, stupéfait. La vitesse de cet inconnu n'avait d'égal que sa discrétion. Jungkook lui-même s'y était laissé prendre, d'autant qu'il semblait déborder de témérité et de confiance en lui, puisque malgré la présence d'un militaire, il n'en avait pas démordu, tenant absolument à voler ce pour quoi il était venu.

À la vue de son précieux butin, l'enfant s'agita.

« C'est à moi ! C'est à moi !

— Espèce de sale voleur ! cracha Beomgyu. Ces fruits sont à nous ! Nous n'avons qu'eux pour vivre !

— Nous aussi !

— Nous ? »

Le garçon se tut aussitôt, et Jimin intervint.

« C'est encore un enfant, Beomgyu, tâchez de faire preuve d'un peu de compassion. Regardez dans quel état il est.

— Un Sawaï affamé parmi d'autres, rétorqua le rebelle.

— Un enfant désespéré qui ne mange sans doute même pas ce qu'il rapporte, n'est-ce pas ?

— Je n'ai pas besoin de votre pitié, s'agaça l'adolescent.

— De ma pitié, non, mais de cela... »

Il sortit de sa poche une bourse remplie d'écus d'or et d'argent. Les prunelles du voleur s'illuminèrent d'envie. Jimin la lui tendit, il n'osa pas la prendre.

« Que voulez-vous en échange ?

— Je veux savoir où ils sont.

— Mes amis ?

— Tu sais très bien de quoi je parle. Réfléchis bien, l'encouragea Jimin. Mais si tu préfères, donne-moi d'abord ton prénom et tu auras une pièce d'or.

— Je m'appelle Kai.

— Très bien, Kai, voilà pour toi, sourit-il en lui donnant une pièce que l'enfant serra dans sa main jusqu'à s'en faire blanchir les jointures. Maintenant, ton âge et celui de tes amis pour une pièce d'argent.

— J'ai quatorze ans, et mes amis ont tous entre quatre et treize ans. On est orphelins. »

Il reçut son paiement pour cette information. Jimin crut voir son regard se voiler d'un bonheur ému.

« Où vivez-vous ?

— À Hurna, on a trouvé une planque.

— Et maintenant, si tu veux ma bourse pour aider tous tes amis, réponds à ma première question : où se trouvent-ils ? Je sais que tu les empruntes tous les soirs pour venir, tu ne pourrais pas, autrement, voyager dans les montagnes en plein milieu de la nuit, c'est bien trop dangereux.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, marmonna le garçon en triturant les pièces entre ses mains.

— Tu veux que je sois plus clair ? Très bien : je sais que tes amis et toi avez trouvé les tunnels sous Hurna. »

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