Chapitre 38

« Ils auraient dû tuer la menace dans l'œuf s'ils ne voulaient pas que l'Aigle déploie ses ailes. »

– Lee Seonhyuk, au cours d'une prise de parole devant l'Assemblée.


Mincheol, installé à son aise, en tailleur sur le sol, leva sa tasse de thé à la santé de la prisonnière et en avala une gorgée. Il s'en délecta, se passa une langue indolente sur les lèvres pour en retirer les ultimes gouttes, et adressa un sourire carnassier à Yua.

« Hum, délicieux. C'est bien meilleur sans poison, désirez-vous goûter ? »

Sans savoir quoi répondre, habitée par la certitude qu'elle avait franchi une limite dont elle ignorait tout, la Phénix recula d'un pas sans quitter des yeux les iris charbonneux du domestique. Ce dernier, abandonnant la tasse par terre, se redressa de toute sa hauteur, l'air tout à coup menaçant.

Un éclair de lucidité traversa soudain Yua, qui profita d'être rentrée dans la chambre pour la refermer d'un geste brutal. La porte claqua, et la jeune femme arracha la dague à son fourreau d'étoffe. Elle fit volte-face, courut, et quand elle entendit la poignée s'abaisser, elle jeta son arme de fortune sous un meuble. Elle s'empara au passage d'un bougeoir qu'elle tendit en direction de son adversaire. Mincheol entra d'un pas leste et, peu pressé, avança jusqu'à elle.

« Comment avez-vous su ? gronda Yua.

— J'ai demandé à la cuisinière si elle avait la moindre idée de ce qui avait pu vous arriver, je refusais de croire à une viande mal cuite. Je vous l'ai dit, elles sont comme ma famille. Et... elle ne comprenait pas, la viande était cuite comme à l'accoutumée. C'est un de ses camarades qui m'a parlé de vos herbes. Il vient du nord du territoire, de sorte qu'il connaît ces plantes et leurs effets. Il m'a fait remarquer que vous aviez demandé ces derniers jours de quoi préparer une décoction émétique. J'ai rapidement compris comment vous aviez agi. Espériez-vous vous échapper si facilement ?

— Je vous sous-estimais, pardonnez-moi.

— Vous êtes tout excusée. Puis-je espérer que vous baissiez votre bougeoir ? »

Yua ne bougea pas. Un instant de flottement passa pendant lequel tout sembla suspendu, jusqu'aux battements de leurs deux cœurs. Puis la prêtresse attaqua. Brandissant son arme de fortune, elle se jeta sur Mincheol et abattit le bougeoir qu'elle serrait dans son poing à s'en faire blanchir les phalanges. Le domestique esquiva avec agilité, l'air tranquille.

« Je vous rappelle que je viens de la rue, la nargua-t-il, je sais me battre. »

Elle répliqua par une nouvelle attaque qui manqua de peu sa cible. Elle se savait perdue, elle savait que même si elle vainquait, les soldats dehors l'attendaient. Pourquoi laissaient-ils son serviteur se battre avec elle, d'ailleurs ? Mincheol leur avait-il demandé de ne pas intervenir de peur qu'on ne la blesse ? Elle comptait bien leur prouver qu'ils s'étaient trompés.

Le duel s'éternisa : Yua fit pleuvoir des assauts que parait Mincheol, aussi infatigable qu'elle. Endurant du fait de son quotidien, le jeune homme ne peinait pas à conserver son rythme, et il n'avait pas essuyé un seul coup depuis le début du combat. Yua cria de rage et lança d'un mouvement impressionnant un coup de pied retourné. Elle aurait pu faire mouche si le domestique n'avait pas attrapé sa cheville. En dépit de la célérité de la guerrière, il avait réussi à l'arrêter sans aucun mal. Déstabilisée, Yua tenta de garder l'équilibre, mais Mincheol la repoussa avec une brutalité dont il n'avait jamais témoigné envers elle. Elle tomba à la renverse. Trop affaiblie par ses récents vomissements, elle s'écrasa sur le plancher dans un fracas.

Gémissant de douleur, elle se replaça à genoux.

« Je préfèrerais que vous ne luttiez pas, je n'ai pas envie de devoir sévir avec vous, la menaça-t-il.

— Qu'attendez-vous de moi ?

— Que vous cessiez enfin de vous rebeller. Le Prince vous offre une pièce luxueuse, un serviteur qui vous est dévoué, et des domestiques à votre service.

— Mais qu'attend-il de moi ? hurla Yua.

— Je n'en sais pas plus.

— Je n'en peux plus ! Je lutterai toujours contre vous, me comprenez-vous ?

— Dans ce cas vous subirez le stylet.

— Le... »

Yua se tut. Son jumeau lui avait déjà parlé de supplice dont il avait lu et appris des témoignages. Son visage prit un pli horrifié.

« Vous pratiquez encore cette torture ? souffla-t-elle. Mais quel peuple de barbares êtes-vous donc ?

— Je dissimule beaucoup de choses à mon souverain dans votre intérêt, Yua, reprit Mincheol, vous devriez m'en être reconnaissante, à la place de quoi vous continuez de me causer des problèmes.

— Je vous plains, quelle horrible prisonnière je fais.

— Si je narrais au Prince les récents évènements vous concernant, il vous reconduirait directement en prison. Est-ce ce que vous désirez ? Vous qui refusez les présents qu'il vous offre, les plats qu'il vous fait porter, peut-être seriez-vous heureuse de retourner auprès des vôtres. »

Bien sûr, elle s'en réjouirait... mais dans cette chambre, Yua le savait, elle disposait de davantage de moyens pour s'enfuir, et donc pour les aider. En restant dans sa prison dorée, elle agissait pour le bien des siens.

Mincheol ne devait pas s'en douter.

Yua baissa les yeux, prenant un air à la fois coupable et penaud. Elle enferma sa colère dans une partie de son cœur, et elle se redressa.

« Non, je ne veux pas aller dans une cellule.

— Hum... alors tenez-vous tranquille. Est-ce bien compris ?

— Oui, Mincheol. »

Elle n'osait pas relever la tête de peur qu'il lise dans ses iris sa détermination et sa fureur, de peur qu'il devine son envie de filer trancher la gorge du Prince.

« Bien, puisque vous semblez un peu plus docile, je vais en profiter pour vous demander d'arrêter votre comédie : je veux que vous dormiez dans votre lit, par sur un tas de couvertures, que vous vous nettoyiez chaque jour, que vous vous changiez, et que vous mangiez ce que l'on vous apporte.

— Pourquoi y tenez-vous tant ?

— N'est-ce pas évident ?

— Pas assez, visiblement. »

Les traits de Mincheol s'apaisèrent, perdirent leur cruauté, et il haussa les épaules en avançant pour se retrouver face à elle, à moins de vingt centimètres de sa silhouette qui demeura immobile. Yua restait digne, refusait de reculer. Mincheol enveloppa sa joue de sa paume, se pencha sur elle et s'arrêta alors que leurs lèvres s'avéraient bien trop proches pour qu'ils ne sentent pas le souffle de l'autre sur leur bouche.

« Je veux que vous vous sentiez ici chez vous, Yua. Mon Prince ma l'a demandé, mais depuis que je vous connais... disons que je m'efforce d'autant plus de lui obéir... parce que vous me plaisez. »

Yua frissonna de dégoût. Malgré tout, elle mesurait les avantages et inconvénients de cette relation. Si elle pouvait le manipuler comme un pantin, elle augmenterait encore ses chances de survie et de fuite. Or... impossible d'oublier Hyunbin, celui qu'elle chérissait depuis des années en secret, celui grâce à qui Yoongi avait réussi à s'évader. À lui et personne d'autre elle désirait offrir son premier baiser.

Mincheol recula, sourit, et lui caressa la pommette de son pouce.

« Je me désole de constater que vous me craignez et que vous ne ressentez pas pour moi un soupçon d'affection.

— Vous approuvez des atrocités, je ne peux cautionner un tel comportement. Mon peuple a été mutilé, massacré, et pour quelle raison ? Aucune de celles que vous pourrez avancer ne sera valable à mes yeux.

— J'ai risqué beaucoup pour vous donner des informations sur votre frère.

— Et je vous en suis reconnaissante, mais ce n'est pas pour cela que je serai attirée par vous.

— Vous savez, quoi qu'il en soit, comment agir désormais. Je compte sur vous, sinon quoi je me ferai un plaisir d'expliquer à Sa Majesté nos petits différends. »

Mincheol se savait sévère, mais il lui avait trop lâché la bride, elle en avait profité et l'avait mis dans une situation délicate sans se soucier de lui. Il mourrait si l'on découvrait tous les caprices de Yua auxquels il avait cédés.

Il tourna les talons puis quitta la pièce d'un air digne qui agaça davantage la prêtresse. Elle jeta un regard sur son tas de couvertures qui lui servait de lit. Elle devait prouver sa bonne foi, son envie de rester dans cette pièce. Elle devait, pour son peuple, accepter de courber l'échine malgré sa répugnance.

D'un mouvement faible, épuisée par le poison avalé, Yua s'efforça de ranger les draps, couettes et édredons au fond de l'armoire. Décidée à se coucher, elle alla d'abord rechercher sa dague qu'elle cacha de nouveau dans son matelas. Elle l'utiliserait un autre jour, quand elle se retrouverait en pleine possession de ses capacités.

Elle tenterait encore de s'échapper, elle s'en fit la promesse.

~~~

Jungkook éructait. Le messager était parti depuis à peine quelques secondes quand il explosa : « Comment a-t-il osé ? Je lui ai offert ce petit chef sur un plateau d'argent, et il le libère !

— Lieutenant, que s'est-il passé exactement ? » s'enquit son général.

Jungkook parut un instant réticent, après quoi il finit par expliquer la situation à son supérieur. Jimin acquiesçait, concentré sur son récit.

« Je suis désolé, conclut le cadet d'un soupir dépité une fois son monologue achevé, je n'avais pas imaginé une seconde qu'il puisse fomenter une évasion de si grande ampleur, je ne comprends pas encore comment il a pu procéder.

— Je vois...

— Ils se dirigent vers Mournan, que devons-nous faire ?

— Nous ne pouvons rien faire, affirma Jimin. Nous allons bientôt partir pour Hurna, impossible d'envisager la moindre intervention à présent. Il est trop tard.

— Et... Taehyung est en danger, ne peut-on pas agir ? Je m'inquiète pour lui.

— N'a-t-il pas servi sa patrie ?

— Si, en tant que soldat-médecin.

— Dans ce cas je pense que vous n'aurez pas à vous en faire. Les soldats-médecins sont certes mis à l'arrière pour leur éviter toute blessure, mais leur entraînement n'est pas négligé pour autant, au contraire ils doivent être en capacité de se défendre mieux que quiconque afin de sauver, en plus, leurs camarades.

— Mais Taehyung...

— Ne vous a jamais montré de quoi il était capable, n'est-ce pas ? compléta pour lui le général.

— Non. Il... s'est toujours montré un peu en retrait, pusillanime voire timoré. Je ne l'imagine pas en train de suivre ces Tyfodoniens puis combattre à leurs côtés. Il ne tiendra pas longtemps.

— Je trouve attendrissante votre inquiétude, mais tout ce que je peux faire, c'est envoyer Samran demander des nouvelles à Namjoon dans les jours qui viendront.

— Je vois... je suis désolé de me soucier autant de lui, je sais que vous ne souhaitez pas... que nous nous attachions.

— Je ne vous en tiens pas rigueur, lieutenant, vous apprenez plusieurs nouvelles difficiles à la fois, il est normal de perdre un peu vos moyens. L'essentiel est de vous ressaisir et de raisonner : tous nos camarades de la frontière sud ont sans doute été mis au courant de cette fugue, ils arrêteront les prisonniers et votre ami. Ce dernier a des relations haut placées, une bonne réputation, et pourra prétendre avoir été entraîné contre son gré. Enfin, Taehyung les ayant sauvés, les Tigres seront sans doute enclins à le protéger. Vous n'avez rien à craindre pour lui, et dans tous les cas, s'il s'est bel et bien enfui avec eux de façon volontaire... alors partez du principe qu'il savait quels risques il encourait, et qu'il était décidé à les affronter. Vous ne pouvez pas décider de ce qui est le mieux pour lui, il est maître de ses choix.

— Vous avez raison. J'ai réagi au quart de tour sans réfléchir, reconnut le lieutenant. Je ne l'aurais jamais imaginé si effronté, je pense que le choc m'a retourné. Je ferai attention à l'avenir à ne pas me laisser ainsi dominer par mes émotions.

— Ressentir est une chose, être submergé en est une autre, bien plus dangereuse, approuva Jimin d'un hochement de tête. Gardez en tête que chaque problème cache une solution. Je veillerai à ce que nous soyons tenus au courant du moindre de leur mouvement. »

Jungkook opina, reconnaissant, et Taehyun posa une main sur son épaule pour lui témoigner son soutien. Il savait le lien qui s'était tissé entre les deux hommes, il avait remarqué que leur relation était située entre la forte amitié et l'amour. Il comprenait que Jungkook puisse être monté sur ses ergots à l'idée que son amant avait fui avec son ennemi, mais Jimin lui avait permis d'y voir plus clair et de se rendre compte qu'il ne pouvait rien y changer en l'état actuel des choses ; il devait se calmer pour penser de manière rationnelle afin d'aviser une fois qu'ils en apprendraient davantage.

« Reprenons notre sujet principal, si vous le voulez bien, décida Jimin au terme de cette discussion houleuse. Lieutenant Jeon, le lieutenant Kang et moi avons décidé de l'itinéraire que nous emprunterions pour l'attaque, et nous voulions vous en faire part au plus vite.

— Je vous écoute. »

Il avait retrouvé sa quiétude habituelle, de nouveau maître de ses émotions.

« Une fois sur le territoire sawaï, nous descendrons dans le canyon Karnagion. »

Il laissa un court temps de silence que Jungkook comprit comme une attente de son approbation.

« C'est du suicide, affirma-t-il.

— Exactement, renchérit Jimin, c'est exactement pour ça que nous l'emprunterons. Que pensera l'ennemi à votre avis ?

— Que nous ne sommes rien de plus que des clowns et que nous voulons mourir.

— Lieutenant...

— Ils penseront que nous avons voulu faire au plus vite au lieu de contourner, soupira Jungkook avec plus de sérieux, et que nous serons peut-être divisés en deux troupes pour amoindrir le risque d'être pris par surprise des deux côtés.

— Et que feront-ils ?

— Oh je doute qu'ils nous offrent du thé et des gâteaux...

— Tout à fait, ils essaieront de nous tuer en nous piégeant. C'est pour cette raison que je reste en constant contact avec Namjoon : quand l'ennemi fondra sur nous, ce sera précisément à ce moment que nous rejoindra la troupe auxiliaire que l'on m'a accordée. Ainsi nous piègerons ceux qui nous ont piégés.

— En espérant que les Tigres n'aient aucun retard...

— Croyez bien qu'ils connaissent les enjeux de ces combats, lieutenants, et qu'ils n'attendent que de faire leurs preuves pour s'intégrer à notre peuple le temps que les tensions qui traversent le leur s'apaisent. Enfin, je vous l'ai déjà dit et répété : nous devons tenter le tout pour le tout, en face à face nous ne ferons pas le poids. »

~~~

Yoongi se reposait, allongé sous un épais édredon, alors que son esprit se baladait d'idée en idée. Il ne s'arrêtait pas toujours sur l'une d'entre elles, et son manque de concentration témoignait du fait qu'il commençait à s'assoupir.

Il songeait pour lors à tout ce qu'il avait réussi grâce à ses pouvoirs. Figer, contrôler, tuer... il maîtrisait désormais mieux les ombres que les soldats les plus aguerris de son village. Comment avait-il pu développer de tels pouvoirs en l'espace d'un mois et demi – à peine, car il était longtemps resté alité ! Même l'œil de Hiemis ne pouvait pas offrir de pareilles capacités. Son talent dépassait l'entendement. D'où lui venait donc toute cette magie ? Rien de ce qu'il avait appris ne justifiait ce phénomène.

Il se demanda si Yua pourrait l'aider à y voir plus clair. Yoongi la savait en possession de secrets que lui-même devait ignorer, et inversement, il connaissait des pans de l'histoire qu'il ne racontait jamais. Parce que Yua veillait sur la pierre et parlait à Hiemis à travers ses rêves prémonitoires, peut-être avait-elle découvert quelque chose au sujet de son iris qui s'était assombri, ou bien de son pouvoir démentiel.

Mais s'il la retrouvait et lui posait la question, lui répondrait-elle ?

Yoongi, quoi qu'il en soit, refusait de croire que la violence de sa magie ne dissimulait rien. Il devait exister une explication. Si on l'avait autorisé dès son enfance à apprendre à manier son don, au lieu de l'enfermer avec des livres et un homme qui l'obligeait à retenir tous les récits de leur peuple, il aurait pu devenir un guerrier hors normes, et peut-être même aurait-il réussi à sauver les Phénix de l'invasion Scorpion.

Il aurait pu sauver ses parents...

Soudain bien réveillé, à la fois furieux et frustré, Yoongi quitta la méridienne. Il resta planté au milieu de la tente, le regard dans le vide, puis baissa les yeux sur ses mains. Elles auraient pu lui permettre d'aider les siens, au lieu de quoi il lui semblait à présent qu'elles étaient couvertes de sang.

« J'aurais pu empêcher tout cela, souffla-t-il alors qu'il les fixait toujours. Nous aurions eu le temps de nous enfuir vers d'autres horizons, de nous sauver, et de vivre heureux ailleurs. »

Une épaisse ombre noire s'échappait peu à peu de ses paumes à mesure que ses émotions l'étouffaient. Il serra les poings, ce qui n'empêcha pas sa colère de grandir encore. Plus il pensait à ceux qu'il avait chéris, plus son impuissance lui paraissait tronquée. On l'avait interdit de se montrer utile, on lui avait coupé les ailes. Il aurait suffi qu'il s'entraîne un peu, qu'il démontre ses capacités, et peut-être l'aurait-on accepté en tant que soldat. À quoi servait de conserver la mémoire d'un peuple disparu ? Que faire de ses connaissances à présent qu'il était le dernier Phénix en liberté ?

« Calmez-vous, Yoongi, regardez-moi. »

Du fait de sa pénombre qui l'enveloppait, Yoongi ne s'était pas aperçu de l'entrée du général, qui se trouvait à présent devant lui.

« J'aurais pu les sauver, répondit-il d'un timbre plus bas qu'à l'accoutumée. J'en avais le pouvoir.

— Vous n'êtes pas responsable de ce qui s'est passé. Seuls les Scorpions sont à blâmer. Je vous prie à présent de vous calmer. »

Yoongi ne comprit pourquoi il lui réclamait de s'apaiser que quand il remarqua que la tente entière avait disparu, avalée par l'obscurité. Au même instant, Jimin posa ses mains sur les siennes sans cesser de chercher son regard. Lorsque les prunelles ténébreuses du Phénix plongèrent dans les siennes, tout revint à la normale, les ombres se dissipèrent en un clin d'œil. Yoongi battit des paupières.

« Que s'est-il passé ? lui demanda le général.

— Je l'ignore. J'ai... je me suis soudain senti si en colère...

— Je ne sais si vous vous en rendez compte, mais quand votre pouvoir enveloppe des Élémentaires, il leur inflige une pression colossale.

— Pardonnez-moi, j'ai encore du mal à me contrôler.

— Je ne vous en veux pas. Est-ce que vous vous sentez mieux ? »

Yoongi baissa les yeux sur ses mains, que Jimin n'avait pas lâchées. Son ami s'en aperçut, et si l'aîné crut qu'il allait s'écarter, il n'en fit pourtant rien, au contraire : son cadet resserra son emprise.

« Est-ce que vous vous sentez mieux ? répéta-t-il.

— Je ne sais pas.

— Dites-moi ce qui se passe, s'il vous plaît.

— Mon pouvoir aurait pu sauver mon peuple si on m'avait permis de développer mon potentiel. Pourquoi m'en avoir empêché ? Jimin, nous aurions pu éviter cette catastrophe.

— Il est trop tard pour les regrets, malheureusement. Et cette question, je ne peux y répondre, il vous faudra la poser à votre ami le fils du chef, lorsque vous retrouverez les vôtres. Détendez-vous. Rappelez-vous que vous ne devez pas laisser votre pouvoir vous submerger.

— Il ne me submerge pas. »

Jimin avança d'un pas supplémentaire, désormais si près du jeune mage que ce dernier coupa sa respiration sans en comprendre la raison, par pur réflexe à la suite de cette intrusion dans son espace personnel. L'Arixien l'observait avec une intense concentration.

« Je suis convaincu que votre œil gauche a encore foncé, pourtant. »

Soudain effrayé, le Phénix recula dans un sursaut. Jimin ne l'avait toujours pas lâché, mais il s'en moquait. Il le dévisagea, peut-être à la recherche d'une quelconque trace d'humour. Or, le général s'avérait on ne peut plus sérieux.

« Non, non, c'est impossible, je n'ai tué personne ! paniqua-t-il.

— Je le sais bien, Yoongi, je ne doute pas de vous, mais je vous en prie, laissez vos ombres là où elles sont et ressaisissez-vous. Vous êtes un Phénix, un homme de lumière, vous souvenez-vous ? Désirez-vous vous asseoir un instant ?

— Non, je ne veux pas m'asseoir ! Je veux comprendre ce qui m'arrive ! Je veux comprendre ce que les miens m'ont caché ! Est-ce que je les ai toujours effrayés sans le savoir ? Que savent-ils que j'ignore ? termina-t-il dans un hurlement bouleversé tandis que de nouveau une noirceur tourbeuse se déversait dans la tente.

— Yoongi vos yeux virent au noir ! Calmez-vous, par Pyros, sinon je vais devoir m'en occuper moi-même ! »

Yoongi ne doutait pas que son cadet savait assommer autrui d'un unique coup bien porté, mais cela ne lui vint pas même à l'esprit. Il était envahi par le désarroi, sa fatigue rendait ses émotions beaucoup plus intenses, et sa magie le noyait avec plus de facilité, comme si elle s'en prenait à un homme qui ne cherchait pas à lutter, qui avait déjà baissé les bras.

Jimin réfléchit à toute allure alors que de nouveau il sentait le pouvoir de son ami lui écraser les côtes. À la moindre menace, Yoongi n'hésiterait pas à l'immobiliser, ce qu'il ne pouvait pas risquer de peur de finir étouffé – la dernière fois, il l'avait échappé belle. Quant à lui demander de penser à sa sœur ou son peuple, cela lui semblait devenu la pire des idées, car c'était précisément parce qu'il pensait à eux que Yoongi s'était mis dans un tel état.

Peu enclin à tergiverser plus longtemps, le souffle court sous l'effet de l'étau sombre qui se refermait sur lui, Jimin profita de sa liberté de mouvement pour agir dans l'espoir fou de calmer – ou du moins déstabiliser – le Phénix : il plaqua ses lèvres contre les siennes alors qu'il enroulait les bras autour de son cou dans le but non de jouir de ce baiser mais de lui interdire tout geste brusque.

Éberlué, Yoongi ne tenta même pas de se débattre. Jimin s'était jeté sur lui sans même le lui demander, sans se soucier de son premier baiser. Déconcentré, Yoongi se désintéressa de son pouvoir qui de nouveau se dispersa comme une simple fumée, et s'il envisagea d'abord de repousser Jimin, il préféra néanmoins s'abandonner à son contact. Il ferma les paupières.

Le militaire, conscient qu'il dérobait un précieux trésor à son ami, ne bougeait pas les lèvres. Les yeux clos, il attendait que la pression alentour disparaisse. Lui qui avait craint que son geste ne rende Yoongi plus furieux encore, il fut soulagé de constater que le monde reprenait sa consistance, et que les traces de magie s'effaçaient.

Il dénoua ses bras et recula... du moins il voulut reculer.

Yoongi en effet, à peine sa bouche décollée de la sienne, enserra à son tour sa nuque et l'embrassa avec une rare passion. Jimin, surpris, émit un gémissement qui oscillait entre protestation et désir. Lorsqu'il comprit que Yoongi souhaitait ce contact au moins autant que lui, il s'autorisa à en profiter. Lui qui n'avait pas prêté attention à la texture des lèvres du Phénix jusqu'à présent, il les découvrait certes fines, mais avant tout douces, tièdes, humides.

L'atmosphère feutrée de la pièce se gorgea d'une soudaine sensualité.

Bien sûr que Yoongi l'attirait, il l'attirait depuis des semaines. Plus d'une fois Jimin s'était réveillé d'un rêve impliquant le Phénix avec une érection embarrassante entre les jambes. Plus d'une fois il s'était demandé à quoi pouvait ressembler le goût de sa langue. À présent, il se régalait, et impossible pour lui de s'écarter : il étreignit la taille de son ami, colla son bassin au sien, mais ne se concentra que sur sa bouche exquise.

Il désirait le toucher partout, savourer chaque millimètre de son épiderme d'albâtre.

Jimin ne coupa le baiser que pour mordiller les lèvres de Yoongi et y passer ensuite la langue en guise d'excuses quand l'autre lâcha une plainte sous l'effet de la douleur qui se mêlait à l'excitation. Chacun songea à parler, or il leur sembla que le moindre mot gâcherait cet instant crucial. Jimin donc plongea de nouveau sur la bouche de son partenaire, dans laquelle il lui fit comprendre qu'il souhaitait infiltrer sa langue. Yoongi céda dans un soupir aux notes concupiscentes, et son amant s'empressa d'obéir à ses pulsions.

Une touffeur accablante enveloppa tout son être. Yoongi, dépourvu de toute expérience, n'osait pas bouger, ce qui incita finalement Jimin à s'écarter de lui et à prendre la parole : « Suis-moi, fais exactement ce que je fais, et je te promets que cela te plaira.

— Sur le lit...

— Très bonne suggestion. »

Jimin attrapa ses cuisses pour le soulever, ce qui surprit Yoongi qui se laissa néanmoins faire. Il se sentait devenu marionnette, et il obéissait avec joie à toute directive venant de son cadet. Jimin l'étendit sur la méridienne, se plaça au-dessus de lui, et assaillit de nouveau sa bouche qu'il lui ouvrit sans hésiter. Les langues se retrouvèrent dans l'instant, le Phénix passa derechef les bras autour de la nuque de Jimin, qui pour sa part appuya les coudes de part et d'autre de sa tête, et les genoux de son bassin. De cette façon, bien qu'allongé sur lui, le militaire lui infligeait pas son poids.

Yoongi tentait de suivre les mouvements réguliers de la langue qui s'amusait avec la sienne. Il se savait mauvais, mais son cœur palpitait avec une force telle qu'il ne pouvait nier adorer cet échange malgré tout. Tout son corps était en fête, en particulier son bas-ventre qui grondait tant sa libido était d'ordinaire peu stimulée : lui qui n'avait jamais connu l'amour, un simple baiser l'enflammait.

Par Hiemis, non, il ne s'agissait pas d'un simple baiser : le général Park débordait de passion !

Jimin bascula son poids sur son coude gauche afin de glisser la main droite sur le torse de son ami. L'échange se poursuivait, ils échappaient de faibles soupirs entre chaque contact, et l'Arixien n'en pouvait plus : il lui fallait toucher celui qu'il désirait avec tant d'ardeur.

Yoongi, agacé de l'armure que son amant portait encore, chercha à lui retirer ses pièces métalliques. Or, paupières closes et en plein baiser, impossible pour lui de se concentrer sur ses sangles. Il poussa un geignement de frustration qui incita Jimin à reculer de plus belle. Ils se contemplèrent l'un l'autre, le souffle court, et le cadet demanda d'un regard à son aîné s'il souhaitait bel et bien que l'instant s'éternise. Yoongi approuva d'un unique hochement de tête à la suite duquel Jimin détacha lui-même toutes ses pièces d'armures à une vitesse qui émerveilla le Phénix.

Il les jeta avec nonchalance au pied de la méridienne, et il prit cette fois place entre les jambes de Yoongi qui les noua autour de son bassin alors que de nouveau Jimin se penchait pour l'embrasser. Rendu plus vorace après avoir observé l'adonis au corps glabre se défaire de chacune de ses protections, le mage avait plaqué la dextre dans sa nuque pour le garder tout contre lui, pour que plus jamais le baiser ne cesse. Sans même s'en apercevoir, il se mit à onduler des hanches, incapable de retenir ses hormones.

Jimin néanmoins tempéra ses ardeurs en appuyant une paume sur le bas de son ventre. Il ne coupa pas pour autant leur échange, trop épris de sa langue pour s'en séparer tout de suite.

Yoongi glissa une main sous la tunique de son cadet, découvrant dans un battement de cœur tonitruant le grain délicat de sa peau liliale. Il ne l'avait pas imaginée si douce, si brûlante, si lisse. Il l'effleura, y sema une traînée de frissons. Une fragrance presque indiscernable imprégnait l'épiderme du général, Yoongi avait appris à la reconnaître : la méridienne en particulier la lui rappelait constamment.

Le Phénix avait chaud, son corps lui semblait traversé par une foudre délicieuse, et les odeurs se confondaient alors que les deux hommes mêlaient de manière impudique leur salive. Yoongi trouvait cela sale, si sale, mais si savoureux. Jimin souleva un pan de sa tunique pour lui caresser le ventre, et soudain l'aîné sentit croître en lui une excitation qu'il n'avait jamais connue. Son sexe pulsait de façon douloureuse, au point qu'il interrompit leur baiser pour gémir son mal-être.

Jimin, haletant, enveloppa sa joue de sa paume, puis s'avança pour appuyer une dernière fois ses lèvres sur les siennes.

« Nous devrions nous arrêter là, soupira-t-il. Pardonnez-moi pour ce baiser, Yoongi.

— Vous auriez dû me demander, anhéla l'autre.

— Je sais, mais vous n'étiez pas dans un état où je pouvais obtenir de vous quoi que ce soit, et vous attaquer aurait pu me mettre en danger.

— Peu importe... Par Hiemis, c'est désagréable... »

Il grimaça alors que Jimin quittait la méridienne. Le général comprit très vite à quoi il faisait allusion. Il se retint de pouffer.

« Ne vous en faites pas : un tour dans un bon bain frais et tout ira mieux. Je suis flatté, en tout cas, que cela vous ait plu. »

Yoongi prit une moue embarrassée, il n'osa pas croiser le regard de son ami.

« Bien sûr que cela m'a plu, et j'espère qu'à vous aussi.

— En effet. Mais... si je puis me permettre, puis-je vous demander pourquoi vous m'avez embrassé ?

— Pour la même raison que vous j'imagine, grommela Yoongi, et ne me faites pas croire que vous m'avez embrassé uniquement pour calmer mon pouvoir, je ne suis pas stupide au point de croire qu'il n'existait que cette solution.

— Je le concède, peut-être est-ce parce que vous m'attirez que c'est la seule solution qui m'est venue à l'esprit. Quoi qu'il en soit, je vous ai volé ce premier baiser, alors je le regrette. En revanche, pour ce qui est des suivants, je n'en regrette pas une seconde, pas un mouvement.

— Hum, disons que nous sommes quittes.

— Yoongi, soyez sincère s'il vous plaît : est-ce que vous m'aimez, ou bien avez-vous agi ainsi du fait du désir, de la curiosité ou de je ne sais quel autre sentiment similaire ?

— Par désir, affirma-t-il sans hésiter. On ne se connaît pas encore assez pour que mon cœur batte pour vous, vous m'en voyez désolé.

— Quant à moi, vous m'en voyez soulagé, car sachez qu'il en va de même pour moi. Vous me plaisez, mais l'intérêt s'arrête là.

— Alors... vous voulez dire... que nous... enfin...

— Que nous pourrions recommencer, c'est bien ce que je veux dire.

— Cela ne vous dérange-t-il pas ?

— Pourquoi cela me dérangerait-il ?

— Je n'ai aucune expérience.

— Alors soit, je vous apprendrai. »

Une chaleur soudaine incendia le bas-ventre de Yoongi, qui déglutit en opinant. Bon sang, il n'attendait que cela, d'apprendre aux côtés d'un homme comme Jimin.

L'idée dese complaire dans les bras d'un Arixien ne le gênait plus : il le désirait detout son être.



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Yes omg enfiiiiin *-*

Avouez, l'image au début du chapitre, elle est juste trop soft, je suis fan !

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