Chapitre 3

« Ils assimilaient le blanc à la pureté de leur lignée comme de leur âme, descendants d'un phénix de neige, leur peau aussi immaculée que leurs cheveux et leurs prunelles. Peuple intellectuel, ils avaient étudié des siècles durant la symbolique de cette couleur, qu'ils considéraient comme preuve de leur ascendance divine autant que de leur bonté de cœur. »

– Yon Palik, Les hommes d'ombre et de lumière.


Lorsque Yoongi ouvrit les paupières, il éprouva aussitôt une écrasante fatigue. Son crâne continuait de cogner ; un râle de douleur lui échappa. Un coup d'œil autour de lui révéla que l'on avait éteint les candélabres, l'endroit éclairé par la seule lumière de la cheminée centrale. Il était allongé sur la méridienne, sur le dos, ce qui lui provoquait une souffrance ténue mais ininterrompue à laquelle il tenta de se soustraire en se tournant sur le flanc.

Il aperçut Jimin à l'instant où ce dernier referma la tente derrière lui alors qu'il en franchissait l'entrée.

« Heureux de vous revoir parmi nous, Yoongi, le salua-t-il.

— C'est un plaisir pour moi aussi, le railla l'autre.

— Pouvez-vous me dire ce qui vous est arrivé ?

— Aux dernières nouvelles, je me suis évanoui. Peut-être n'était-ce pas encore assez évident.

— Évanoui ? Je ne m'en étais pas douté, ironisa à son tour Jimin. Ce que je souhaite savoir, c'est pour quelle raison vous avez défailli. Votre dos vous fait encore souffrir, et j'espère qu'il ne s'agit pas d'une infection. J'attendais votre réveil pour que vous puissiez discuter avec le médecin, il vous donnera les recommandations nécessaires à...

— Peu importe, tout va bien. Je n'ai pas besoin de davantage de soins. Mes blessures guérissent bien, ma perte de connaissance n'était due qu'à des maux de tête. Je n'ai plus été nourri correctement depuis des mois, est-ce bien étonnant que je n'en sois pas remis au bout de vingt-quatre heures ?

— Pardonnez ma sollicitude, je me demande encore pourquoi je me suis inquiété pour vous, quel idiot.

— Votre bêtise vous est toute pardonnée, général. »

Jimin le foudroya d'un regard. Yoongi lui adressa un rictus moqueur auquel l'autre répondit sans hésiter.

« Et vous, au lieu de laisser échapper du venin de votre bouche, vous devriez peut-être songer à la remplir de cette nourriture dont vous avez tant manqué pendant des semaines.

— Pour une fois que vous me faites une suggestion intelligente, je pense que je vais m'y plier.

— Comptez-vous encore vous asseoir ? Cela ne m'a pas eu l'air de vous avoir réussi.

— Je pense en effet que je vais manger allongé, mon dos continue de me faire souffrir.

— Pas étonnant après ce qu'il a enduré. Combien de temps avez-vous gardé vos stylets ?

— Au total, au moins trois semaines je dirais, quoique je pense que certaines de mes « nuits » n'étaient rien de plus que de profonds évanouissements, auquel cas il s'agissait peut-être plutôt de quinze à vingt jours. »

Il avança une main vers le plateau ; Jimin l'approcha davantage pour lui faciliter la tâche. Yoongi en tira un fruit qu'il mangea sans précipitation, tant pour le savourer que pour éviter à son estomac de le rejeter sous prétexte qu'il avait perdu l'habitude d'une pareille quantité de nourriture.

« Dites-moi, Yoongi : pour quelle raison vous a-t-on infligé ce châtiment ?

— À votre avis ?

— Prisonnier trop remuant ?

— J'ai tenté de ruser pour m'échapper et j'ai failli y parvenir. Cela n'a pas beaucoup plu à nos amis.

— Et pourquoi l'avoir retiré en dépit de la douleur que cet acte vous causerait ?

— Pour tenter de m'échapper une nouvelle fois.

— Et ?

— À votre avis ? maugréa Yoongi.

— Nouvel échec.

— J'ai fait deux pas avant de défaillir. J'ai eu donc droit à un deuxième stylet.

— Que vous avez retiré de plus belle, conclut Jimin.

— Non.

— Ah ?

— J'ai possiblement parlé de façon désagréable à un garde qui, pour me punir, me l'a arraché du dos avant de le replanter à côté.

— Aïe, la punition n'était sans doute pas proportionnée.

— Cette fois, même pas besoin d'un pas pour m'évanouir. La douleur m'a foudroyé et j'ai perdu connaissance. À mon réveil, je souffrais le martyre et je priais les dieux pour que l'on me délivre. Peu après, vos troupes et vous êtes arrivés.

— Les dieux m'ont envoyé à vous, il faut croire, se rengorgea le général.

— Et quel cadeau...

— Vous savez, il n'est pas encore trop tard, je peux vous remettre votre stylet chéri et vous rendre à nos amis sawaï.

— Hum, tout bien réfléchi, je préfère encore rester ici.

— La réflexion fut de courte durée.

— Vous comptez m'importuner encore longtemps ou bien puis-je manger en paix ? demanda Yoongi en levant le fruit qu'il désirait savourer.

— La réponse de ceux qui ignorent comment répliquer... Eh bien soit, puisque je vous agace, je vais aller me chercher un matelas pour la nuit dans la réserve. »

Son invité se rappela à cet instant qu'en effet, il occupait la large méridienne qui servait de lit à son hôte.

« Votre camp ne possède-t-il pas d'infirmerie dans laquelle je pourrais me retirer afin de vous éviter tout désagrément ?

— Je préfère que vous restiez sous ma surveillance. Les Sawaï vous veulent, et je ne doute pas qu'ils tenteront de vous récupérer.

— C'est m'accorder trop d'importance.

— Ça, j'en jugerai par moi-même. En attendant, que vous soyez important ou non, je n'aime pas que ces punaises essaient de me voler mes affaires, répliqua Jimin avec un rictus amusé.

— Dois-je comprendre que vous me percevez comme vôtre et que vous estimez que l'on ne peut vous reprendre ce que vous avez vous-même volé.

— Je vous ai sauvé, je vous garde. Délivrer, c'est délivrer ; reprendre, c'est voler.

— Je connais une variante plus plausible de cette expression, le railla Yoongi.

— Je ne vois strictement pas de quoi vous parlez.

— Allez chercher votre matelas, général.

— Avec plaisir. »

Il quitta la tente, et une fois certain d'être seul, Yoongi s'autorisa à abandonner son visage marqué par l'ennui. Il se dérida pour afficher un sourire sincère et, hochant la tête de droite à gauche au souvenir de cette joute verbale, il croqua dans son fruit avec appétit. Il l'avait terminé et s'attaquait au reste de viande laissé un peu plus tôt quand Jimin revint avec, sous le bras, un épais rouleau de tissu qui servirait de matelas.

« Allez-vous vraiment réussir à dormir là-dessus ? s'inquiéta Yoongi quand il le déplia dans un coin.

— Bien sûr, pourquoi ?

— Cela me semble bien loin du confort de votre méridienne.

— Là où j'ai étudié, on dormait à même le sol de temps en temps, lors de simulations de batailles par exemple. Et puis on dit qu'il faut garder les pieds sur terre. Là, au moins, je suis sûr que tout mon corps y sera étendu.

— Vous étudiiez dans une école où vous dormiez par terre ? Eh bien, mon éducation me paraît tout à coup beaucoup plus clémente que je ne l'avais jamais envisagé...

— Ah ? Fut-elle difficile ?

— Des jours entiers, pendant plusieurs années, à lire et apprendre différents textes dont la plupart ne m'intéressaient pas beaucoup.

— Lire est une chose qui me plaît, mais tout apprendre... bon sang, je préfèrerais encore passer des années à dormir par terre ! »

Yoongi ne put retenir un éclat de rire à ce cri du cœur.

« J'ai certaines facultés, par chance, mais je vous avoue que la tâche me paraissait parfois insurmontable.

— Je le conçois aisément. Vous disposez donc d'une pléthore d'informations, si je comprends bien, n'est-ce pas ? Vous en savez plus que quiconque. Votre culture pourrait-elle faire envie à nos voisins sawaï ? réfléchit Jimin.

— J'avoue ne pas m'être posé la question, je partais du principe qu'ils ignoraient mon métier puisque je ne leur avais rien confié à ce sujet.

— Ils ne vous ont pas posé cette question quand ils... enfin, quand ils vous obligeaient à parler, si je puis dire ? »

Yoongi poursuivit dans un silence pensif son repas.

« Quand ils me torturaient... ils m'ont posé plusieurs questions auxquelles j'ai répondu de façon imprécise, ou bien en les menant en bateau. Et ils ont beaucoup insisté sur mon prénom.

— Vous m'avez dit que c'était la seule information que vous leur aviez cédée.

— Oui, pourquoi ?

— Ils ont dû vous torturer pour vous arracher votre prénom ?

— J'ai lutté autant que j'ai pu, en témoignent les cicatrices sur mon torse et mon dos. Chacune a été tracée millimètre par millimètre, avec une lenteur qui m'a fait défaillir plus d'une fois alors que je me tenais debout, les poignets retenus au plafond de la salle dans laquelle on m'avait transporté.

— C'est en rapport avec ce que vous m'avez dit au sujet de votre jumelle, n'est-ce pas ? Vous pensez qu'ils voulaient savoir si vous étiez bien son frère ? Vos prénoms se ressemblent ? l'interrogea encore le général.

— Oui. J'ai avoué peu après, il y a environ trois semaines : j'ignorais ce qui m'attendait, mais mon corps et mon esprit étaient à bout, je n'en aurais pas supporté davantage. Je préférais encore que l'on me tue plutôt que la torture continue. Je vous l'ai dit, je ne suis pas de ceux qui se battent, je lis et j'apprends. Jamais on ne m'avait frappé, jamais je n'avais senti la pointe d'un couteau s'enfoncer dans ma chair. Riez de ma délicatesse exacerbée, mais j'étais incapable de résister à cette douleur.

— Je n'avais pas même envisagé de me moquer de vous pour avoir cédé à vos bourreaux, affirma Jimin d'un ton grave. Je vous l'ai dit aussi : je suis soldat non pour tuer, mais pour défendre, justement parce qu'il me paraît horrible qu'un humble citoyen subisse pareilles atrocités. Je suis formé à supporter la douleur afin que seule moi l'éprouve, afin que mon corps serve de bouclier à mon peuple. La carrière militaire est, pour nous Arixiens, le summum de l'abnégation. Nous considérons chaque soldat comme un cœur brave qui s'évertuera à maintenir en paix l'Empire. Nous voulons éviter la guerre, et si nous n'y parvenons pas, nous nous interdisons de renier notre honneur : jamais nous ne toucherons à un civil. Seuls les faibles s'en prennent aux plus faibles qu'eux, car les forts les effraient.

— Vos paroles me rassurent quant à vos intentions, général Park, se détendit Yoongi alors qu'il achevait son dîner.

— Malgré ce que vous avez pu croire après notre rencontre, j'ai beaucoup de respect pour vous. Je ne rirai jamais de vos maux.

— Hum, raison pour laquelle vous vous êtes moqué de mon incapacité à m'asseoir, protesta Yoongi avec une mine renfrognée.

— Vous l'aviez cherché, et puis il n'était pas question de moquer votre tolérance à la douleur : n'importe quel être vivant avec vos blessures aurait été contraint à des jours entiers d'alitement. D'ailleurs, sachant maintenant que vous supportez mal de souffrir, j'ai encore du mal à croire que vous ayez réussi à vous redresser si tôt.

— J'imagine que je tolère mieux la douleur quand je me l'inflige moi-même. »

Sa répartie amusa Jimin qui ne chercha pas à dissimuler son sourire. Yoongi s'était exprimé avec une légèreté surprenante pour un sujet si grave, preuve qu'il souhaitait sans doute parler d'autre chose.

« Votre dîner vous a-t-il plu ? s'enquit donc le général avec un regard sur le plateau à moitié terminé.

— Un régal, merci beaucoup pour votre hospitalité.

— Je vous en prie, je suis heureux que vous vous portiez mieux. Vous devriez dormir à présent, vous avez besoin d'un repos réparateur pour vous remettre des traumatismes. »

Un tel témoignage de bienveillance étonna Yoongi qui se contenta de hocher la tête en se replaçant correctement sur la méridienne – ce faisant, une douleur brûlante lui remonta des reins et incendia son corps entier. Il stoppa net son mouvement, prit une profonde inspiration et s'allongea enfin.

« J'espère que nous aurons l'occasion de reprendre cette conversation, acheva Jimin, vous et les vôtres m'intriguez de plus en plus, Yoongi. »

Le blessé l'observa sans un mot et le regarda se diriger vers la sortie de la tente.

« Vous partez de nouveau ? s'étonna-t-il.

— Je dois discuter avec mes lieutenants, mais rassurez-vous : un soldat vous surveillera. Tant que je ne serai pas revenu, il demeurera à l'intérieur pour assurer votre sécurité.

— Et pour m'empêcher toute intimité.

— Tant que j'ignore tout de vous, je reste sur mes gardes ; cela vous surprend-il ?

— Cela fait de vous un homme avisé. »

Jimin esquissa un sourire puis disparut derrière le pan de toile, vite remplacé par le soldat qui surveillait jusque-là les alentours depuis l'extérieur.

Le général se dirigea vers le poste de commandement, une tente dont la lumière qui en émanait indiquait qu'elle n'était pas vide. Il y trouva Jungkook qui, seul, observait un plan d'Arixium. En entendant le pas caractéristique de son supérieur, le jeune homme ne se tourna même pas.

« En passant par la capitale pour accorder un jour de repos aux troupes, le trajet jusqu'aux frontières sud nous prendra au moins une semaine – à condition que la météo se montre clémente. Je n'arrive pas à comprendre en quoi notre aide pourrait être utile à ceux qui s'y trouvent déjà. Tant de généraux sont plus proches que nous, c'est ridicule !

— Je sais bien, mais nous devons nous plier aux ordres. Si nous réussissions à bouleverser l'issue du combat, nous pourrions en retirer un grand mérite et obtenir un appui plus solide à l'Assemblée.

— Si seulement...

— Nous devons essayer. En revanche, nous n'irons pas tous là-bas, je refuse de laisser cette frontière sensible surveillée par une petite cinquantaine de soldats.

— Je suis soulagé de vous l'entendre dire. »

L'évidence leur apparaissait à tous deux : les Sawaï frapperaient tôt ou tard. Il fallait laisser une troupe au complet.

« Lequel de nous deux aura la chance de rester ? s'enquit Jungkook.

— Le lieutenant Kang demeurera ici : ses espions nous apporteront peut-être de quoi nourrir enfin notre curiosité à l'égard de nos voisins.

— Bien.

— Ne soyez pas déçu, le taquina son général, je suis convaincu que vous serez heureux d'obtenir une journée entière de permission à la capitale.

— Je ne nie pas, même si j'aurais souhaité éclairer certaines choses ici avant.

— Nous obtiendrons vite nos réponses, j'y veillerai. »

Jungkook acquiesça de façon solennelle, après quoi une question l'effleura.

« Que ferons-nous du prisonnier sawaï ?

— Yoongi ? Il nous accompagnera. Je ne veux pas le lâcher d'une semelle : qu'il soit un espion sawaï ou un homme qu'ils jugent important, il serait imprudent de le garder ici.

— Nous devons partir au plus vite pour la frontière sud, protesta le lieutenant.

— Ces imbéciles attendront que notre ami soit rétabli de ses blessures. Ils ont résisté jusqu'à présent aux assauts tyfodoniens, ils survivront encore quelques jours. »

~~~

Son repas terminé, au terme d'une longue réflexion, après avoir pesé le pour et le contre un moment, Yoongi avait décidé de se nettoyer. La tâche en elle-même ne s'avérait pas complexe, toutefois, rejoindre le baquet d'eau impliquait de marcher, ce qui posait un sérieux souci au blessé. La sensation de crasse l'écœurait, et il se demandait pourquoi on ne lui avait pas laissé un savon près de la méridienne.

Le général Park craignait peut-être qu'il ne la tache en se lavant.

Il ne supporterait pas plus longtemps de rester sale, et si une certaine angoisse lui avait noué l'estomac à l'idée d'être débarrassé de ces immondices, il avait élaboré un plan en repérant le seau rempli de morceaux de charbon près de la cheminée.

Yoongi réussit à se redresser au terme d'un interminable combat contre lui-même, et il lui fallut plus de temps encore avant de se mettre debout. Il ne devait son salut qu'au garde qui avait fini par accepter de l'aider à se rendre derrière le paravent – en chemin, il avait feint de faiblir afin de se baisser et de glisser un fragment d'anthracite dans sa poche, le soldat n'y avait vu que du feu.

Il reçut, pour se vêtir après son bain, une chemise noire ainsi qu'un pantalon de toile d'un bleu céruléen. Seul et dissimulé, Yoongi retira avec une peine monstre ses guenilles auxquelles s'accrochaient des relents nauséabonds de crasse et d'hémoglobine. Il approcha, enfin dénudé, du baquet d'eau dans lequel s'installer tint du calvaire. Plus d'une fois son sang quitta sa figure, lui donnant l'impression de manquer de s'évanouir. Il tint bon. Il guérissait plus vite que les humains tels que les Sawaï ou les Arixiens ; ses blessures les plus récentes lui causaient une souffrance indicible qu'il parvenait malgré tout à maîtriser.

Yoongi ne s'assit pas, incapable de ce mouvement et trop effrayé à l'idée de ne pas réussir à se relever ensuite. Il se nettoya un long moment, savourant ce luxe qui ne lui avait plus été permis depuis des semaines. Quel bonheur de se débarrasser de ces saletés ! Sang, sueur, larmes, poussière et crasse avaient semblé former un second épiderme sur son corps maltraité.

Dans un soupir de bien-être, il contempla l'eau devenue marron dans laquelle disparaissaient ses genoux. Sa peau avait retrouvé sa pureté presque dénuée d'imperfections – de monstrueuses blessures lui lacéraient le torse – et ses cheveux avaient recouvré leur blancheur immaculée.

Il quitta le baquet dans un énième grognement de douleur alors que de nouveaux maux de tête apparaissaient, et il combattit son instinct pour s'infliger d'enfiler son pantalon propre. Il ne lutta pas plus pour s'habiller : il laissa la chemise de côté, peu enclin à endurer davantage pour si peu.

Puis, avec ses dernières forces et alors que ses tempes ressemblaient de plus en plus à des tambours sur lesquels on s'amusait à frapper aussi fort que possible, il attrapa le morceau de charbon et en frotta chacune de ses mèches. Le processus lui prit un temps tel que le soldat qui patientait derrière le paravent lui demanda à plusieurs reprises s'il se sentait bien. Yoongi répondit chaque fois qu'il devait agir lentement pour éviter toute nausée, et que tout mouvement lui provoquait une souffrance fulgurante. Il se nettoyait à son rythme.

Enfin convaincu que sa chevelure était brune, il dissimula l'anthracite dans sa poche et appela son gardien à l'aide pour regagner la méridienne. L'homme le soutint, et Yoongi parvint à remettre à sa place le morceau dérobé un peu plus tôt.

Satisfait, il s'allongea, épuisé. Veillant à ce que ses cheveux ne noircissent pas le nouvel oreiller qui lui avait été confié, il ferma les paupières et laissa le sommeil l'emporter alors que s'apaisaient ses incessants maux de tête.

~~~

Jimin, avec la volonté de se vider l'esprit, avait proposé à Jungkook de s'entraîner avant de se coucher. Les deux jeunes gens se trouvaient donc dans la cour principale, surveillés par bon nombre de paires d'yeux admiratives qui enviaient leur talent. Entourés de quelques dizaines de soldats, ils multipliaient attaques et contrattaques sans se fatiguer, avec une souplesse et une puissance rares qui rendaient légitime leur position au sein de l'armée arixienne.

Jimin tira de la pochette à sa ceinture une étoile d'acier qu'il jeta en direction de la cuisse de son cadet à cinq mètres de lui. Jungkook esquiva d'un bond qui lui permit de se propulser sur son supérieur. Ce dernier ne bougea pas, prêt à l'accueillir comme il se devait. Le lieutenant, la lame de son jingum pointée devant lui, ne ralentit pas. Il avait depuis longtemps appris qu'il était inutile de retenir ses coups contre le général Park qui appréciait sa fougue.

Le métal hurla quand les deux armes entrèrent en contact avec violence. Jimin avait déployé toute sa force pour couper court à l'assaut de son subordonné qui recula en tentant, d'un geste du poignet, de lui toucher le flanc. Nouvel échec : l'aîné avait paré de façon habile, le regard rivé sur son ennemi pour anticiper chaque offensive. Tout mouvement de ses pieds ou de son buste le trahissait. Jimin savait sur quelle jambe s'appuyer pour agir de telle ou telle manière, pour lancer telle ou telle attaque. Il les devinait avant même que la lame n'entame sa course jusqu'à lui.

L'obscurité nocturne que n'atténuaient que quelques torches disposées çà et là n'empêchait pas le jeune homme de repérer les signes qui lui permettaient la riposte adéquate. Ainsi, quand Jungkook tenta un nouvel assaut en direction de ses côtes, Jimin esquiva et frappa avec tant de force qu'un instant le bras du lieutenant partit de côté sous l'impact. L'autre en profita pour plonger son jingum vers l'abdomen non protégé.

Conscient de sa faiblesse temporaire, Jungkook avait par chance dégainé d'une main son karambit et parvint à parer le coup, déployant une puissance qui impressionna même Jimin – qui s'apprêtait à stopper son geste et se vanter de sa victoire ; dommage. Le combat se poursuivit encore de longues minutes au cours desquelles les deux guerriers s'affrontèrent avec toutes les armes qu'ils possédaient. Jungkook avait épuisé son stock de lames de lancer avant son chef qui en profita pour tenter de le mettre dans l'embarras en jetant deux étoiles d'acier à la fois tandis qu'il l'assaillait au jingum en même temps. Le lieutenant écopa d'une entaille à l'avant-bras en esquivant.

Le souffle court, les membres endoloris après plus de quinze minutes de lutte à un rythme effréné, il se plaça hors de portée et leva un bras, signe qu'il avait besoin d'une pause. Jimin haussa les sourcils.

« Si vite, lieutenant Jeon ? Une bataille dure beaucoup plus longtemps.

— Une bataille n'implique pas des combats aussi vifs et sans la moindre seconde de repos, rétorqua le jeune homme dont l'autre avait piqué l'orgueil.

— Je vous l'accorde, mais me voyez-vous exténué ?

— Vous êtes une machine à tuer, mon général, je ne peux pas lutter.

— Vous devriez. Cela signifie qu'il vous faut encore entraîner votre endurance. Dans une bataille, vous ne pourrez pas simplement lever la main pour demander une pause à l'ennemi. »

Quelques rires retentirent autour ; Jimin se rappela alors qu'ils n'étaient pas seuls. Il se morigéna d'avoir reproché à son lieutenant son manque d'endurance devant les soldats. Les chefs devaient paraître forts, indestructibles. Une troupe ne pouvait pas se fier à un guerrier incapable de se battre. Jungkook, très jeune, était déjà décrié par l'Assemblée – Jimin lui-même subissait les récriminations des hommes et femmes politiques –, son supérieur ne pouvait pas le rabaisser de cette manière face aux personnes qui lui offraient toute leur confiance.

Ainsi, agacé par cette réaction, Jimin tendit la lame de son jingum en direction du cercle autour d'eux.

« Puisque vous riez, messieurs dames, je vous invite à tenter de faire mieux que votre lieutenant. N'ayez pas peur, après tout je viens de combattre un quart d'heure. Quelqu'un veut-il se mesurer à moi pour tester son endurance ? »

Un silence de mort retomba sur le camp. Jimin, satisfait d'avoir rattrapé sa faute, esquissa un sourire mauvais.

« Bien. Vous avez donc appris ce soir à ne pas vous moquer de quelqu'un à la cheville de qui vous n'arrivez pas encore. Travaillez avec ardeur, dépassez-vous chaque jour, et ensuite revenez juger celui dont vous avez ri. Sachez néanmoins qu'une fois que vous aurez rattrapé le lieutenant Jeon, vous ne serez plus d'humeur à le persifler, car vous comprendrez tout le travail nécessaire pour atteindre un tel niveau : vous le respecterez davantage en l'égalant. Ainsi, à défaut de l'égaler, tâchez au moins de le respecter, sinon quoi je ne vous proposerai pas de tester ma lame, je vous l'imposerai. »

Le message compris par chacun, Jimin s'inclina devant Jungkook qui lui rendit la politesse, et ensemble ils quittèrent la cour, fendant le cercle formé autour d'eux. Les soldats s'écartaient sans un mot, tantôt honteux, tantôt admiratif. Il émanait de leur général une autorité teintée de sagesse qui surprenait du fait de son jeune âge. Il s'exprimait avec fermeté, mais derrière des discours parfois durs, on percevait toujours la bienveillance qui guidait son cœur et l'affection qu'il éprouvait pour ceux qui le suivaient au combat.

Une fois éloignés des troupes, ils ralentirent le pas. Jungkook poussa un soupir.

« Je renforcerai la partie endurance de mon entraînement dès demain, mon général, affirma-t-il.

— Bien. J'ai confiance en vous, lieutenant, vous ne m'avez jamais déçu. Vous êtes plus jeune et vous avez tout appris par vous-même : il est déjà exceptionnel que vous ayez réussi à acquérir une telle force, une telle rapidité, et une telle endurance. Le seul capable de me tenir tête était celui qui est aujourd'hui l'un de nos empereurs. À votre âge, je peinais à tenir plus de vingt minutes contre lui ; à présent, nous sommes à égalité, il m'est même arrivé de le battre. J'ai hâte que vous me battiez à votre tour, et je ne doute pas que ce jour arrivera.

— Je ferai mon possible pour satisfaire vos ambitions et me montrer digne du rang que vous m'avez attribué.

— Vous l'êtes déjà. Ne soyez pas trop gourmand, tout vient à point à qui sait attendre. »

Ils s'arrêtèrent devant la tente des lieutenants, dont la lumière à l'intérieur prouvait que Taehyun s'y trouvait déjà, sans doute occupé à peaufiner les plans d'infiltration de ses espions ou bien à prendre soin de son armement. Jungkook s'inclina face à son chef qui le lui rendit, et ils se séparèrent.

Jimin se dirigea pour sa part vers ses quartiers dans lesquels il entra sans bruit. Le soldat de surveillance, l'attention rivée sur la pièce, se mit au garde à vous avant de quitter les lieux pour regagner son poste à l'extérieur de la tente. Le général, seul avec Yoongi, se détendit en découvrant ce dernier endormi.

Le voilà enfin loin des regards, il pouvait redevenir Park Jimin, le jeune homme qui cédait trop souvent la place à un combattant méthodique et froid. Il endossait volontiers ce rôle auquel il tenait beaucoup, mais il jurerait que cette position lui arrachait un petit quelque chose de l'âme, un je-ne-sais-quoi qu'il ne retrouvait qu'une fois isolé.

Il se rappela la première fois qu'il avait vécu ce vide, à l'académie qui l'avait formé. La première fois, il avait perçu ce manque comme une mort de son être, puis à mesure qu'il l'avait expérimenté, il n'avait plus éprouvé que la vague sensation d'un pincement au cœur. Sans doute le poids de ses responsabilités.

Après une profonde inspiration qui lui procura un sentiment de plénitude confortable, il se tourna vers son invité. Yoongi reposait, allongé sur le ventre, sous une couverture propre. Ses traits sereins rassurèrent Jimin qui ne l'avait jamais vu tout à fait en paix. Son dos semblait guérir à une rare vitesse, et le général se demanda si les stylets utilisés sur lui étaient les mêmes que ceux qu'il avait déjà observés sur d'autres prisonniers sawaï : pour un civil, peut-être avait-on décidé d'user de méthodes et d'ustensiles un peu moins barbares qu'à l'accoutumée. Il n'avait pas prêté attention à celui enfoncé dans son dos quand il le lui avait retiré.

En s'approchant, Jimin remarqua que le visage du jeune homme était à présent dépourvu de toute la crasse qui s'y trouvait encore à son départ en fin d'après-midi. Lui avait-on apporté de quoi se nettoyer la figure ? Étonnant, il n'avait donné aucun ordre à ce propos. Il se dirigea vers le paravent pour confirmer ses doutes, et il écarquilla les yeux en découvrant que le baquet était désormais souillé d'une onde marronnasse.

Yoongi s'était... lavé ? Il avait réussi à atteindre l'autre bout de la large tente ? Même aidé de son garde, cela tenait de l'exploit ! Stupéfait, il quitta ses quartiers pour enjoindre à son soldat d'aller chercher quelqu'un pour évacuer l'eau de son bain et la remplacer. Son ordre fut aussitôt exécuté, et Jimin entreprit de terminer ce que Yoongi avait laissé de son dîner. Plongé dans ses pensées, il tentait de rassembler les pièces du puzzle, or rien ne coïncidait. Chaque fois il aboutissait à des hypothèses invraisemblables. Il ignorait l'identité de Yoongi, mais il ne s'accorderait pas de répit avant d'avoir percé son secret à jour. En lui accordant sa confiance, le jeune homme finirait par s'ouvrir à lui ou bien par commettre une erreur qui le trahirait. Qu'il soit un ami ou un ennemi, Jimin savait qu'en le gardant à ses côtés, tout près de lui, il s'assurait de faire la lumière sur tous ces secrets.

Quelque chose lui soufflait que la vérité sur ce que mijotaient les Sawaï se trouvait en ce moment même en train de dormir ici, dans sa propre tente. Jimin espérait que, le voile levé sur l'identité de son invité, il découvrirait enfin ce que préparaient ses adversaires, dont il craignait de plus en plus la volonté de conquête.

Aucun peuple n'avait plus tenté d'en exterminer un autre ou de lui voler son territoire depuis des décennies. Un tel affront pouvait plonger le Continent entier dans la guerre, ce que le Conseil des Quatre Peuples réprouvait avec une véhémence marquée depuis des générations. Ces derniers temps, chaque fois qu'il se réunissait – une fois au début de chaque mois –, il condamnait les actes des Sawaï et appelait à la paix. Or, l'émissaire de ce peuple, général et conseiller le plus proche du Prince, se contentait de nier les allégations portées contre les siens et de passer au sujet suivant, refusant de répondre aux diverses accusations des Akashites, peuple qui habitait au sud des terres de Sawa et que les Sawaï dépouillaient peu à peu de leur région.

De graves évènements se profilaient. Yoongi devait vivre.

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