Chapitre 22

« La prêtresse : Je rêve d'un monde où l'on se comprendrait plutôt que de s'entretuer. Nous possédons le don divin de la parole, mais nous agissons encore comme de vils prédateurs. Quand comprendrez-vous ? »

– Moon Sungpio, La dame de la lune.


Jungkook attrapa un couteau de lancer à l'aide de sa main libre, et tandis qu'il se rapprochait du champ de bataille, il tira. Il parvint à toucher une archère sur le point d'abattre un guerrier. Se mêlant aux hostilités, il se jeta dans un véritable massacre, et il esquissa un rictus quand un premier soldat s'immobilisa devant lui alors qu'un second se ruait en même temps sur lui. Il avait deviné l'intervention de Yoongi, qu'il se chargerait de remercier de lui rendre la tâche si facile.

Euphorique de participer à une bataille d'une telle importance, ragaillardi par le sang qui giclait et l'idée qu'il sauvait sa nation d'une grave invasion ennemie, le lieutenant tranchait et tuait tout ce qui lui passait sous la main.

Depuis son perchoir, épuisé par ses actions, Yoongi soufflait en toute tranquillité, observant l'océan azuré reprendre le dessus. Désormais égaux en nombre, les deux camps s'affrontaient de façon équitable... du moins en apparence. Le Phénix le savait : les Tigres n'avaient aucune chance de s'en sortir. Les combattants arixiens étaient bien trop entraînés, et ils se trouvaient ici à leur avantage, au contraire des archers tyfodoniens qui préféraient se dissimuler pour attaquer leurs proies.

On n'avait plus besoin de lui à présent.

Le jeune homme jeta un regard en bas. Il était monté haut, vraiment haut, et un vertige lui procura une étouffante sensation de chaleur. Il se cramponna à l'arbre qu'il ne relâcha qu'une fois certain que ses étourdissements étaient passés. Il réfléchit à toute allure : descendre branche par branche était trop dangereux, d'autant plus qu'il arriverait vite aux plus basses, à plusieurs mètres du sol. Des plateformes, il ne réussirait pas à en créer assez pour toucher terre, et il ne se sentait plus capable que de former un ou deux murs d'ombre – pas assez pour le nombre de marches nécessaire.

Dubitatif, il jeta une ultime œillade à la mêlée, dont les soldats Aigles prenaient le dessus, bouleversant l'issue du combat. Piégés, les Tigres perdaient à chaque instant un peu plus d'effectifs.

Soudain, une idée effleura l'esprit de Yoongi qui vérifia de nouveau la distance qu'il devait franchir. Il grimaça. Pourvu que cela fonctionne...

Le jeune mage matérialisa devant lui une plateforme plus large que les précédentes. Il y prit appui, s'y installa en tailleur, puis, toujours concentré afin qu'elle ne s'évapore pas, il la déplaça en direction du sol. Conscient qu'il ne parviendrait pas à garder son équilibre s'il y était resté debout, il fut soulagé de s'être assis : elle ne bougeait pas de manière continue, mais par saccades, obéissant au pouvoir encore mal assuré de Yoongi qui peinait à contrôler son mouvement à mesure que la fatigue s'abattait sur lui.

Il sentait sa force vaciller, sa plateforme s'immobiliser pour reprendre ensuite sa lente descente, et il mettait toute sa volonté au service de son sortilège, déterminé à arriver en bas en un seul morceau.

Il poussa un cri de détresse lorsque l'ombre disparut. Son cœur lui sembla s'envoler, prêt à lui sortir par la bouche, quand il s'aperçut qu'il se trouvait à moins de quarante centimètres de sol, sur lequel il chut de façon lamentable. Cela lui coûta son coccyx, qu'il frotta dans un grognement rauque de douleur, à la manière d'un animal agonisant. Étendu sur le dos, il observa un instant les monstres d'écorce dont la cime caressait le ciel, et il frémit à l'idée d'être monté si haut.

Quelle folie, par Hiemis !

Plus loin, la bataille touchait à sa fin, Jimin n'en doutait plus. Il avait perdu de vue le chef ennemi quand ce dernier était descendu de son cheval, délaissant son arc pour sortir plutôt sa dague de son fourreau. Les combats faisaient rage depuis un temps incertain, déjà le soleil approchait son zénith, et contre la fatigue, seule l'adrénaline maintenait les belligérants alertes. Jimin se démenait, il abandonnait derrière lui des montagnes de blessés et de morts, n'offrant aucune issue aux Tyfodoniens.

Au moins deux tiers des troupes rebelles avaient péri. Il ne leur restait aucune échappatoire, ce que Hoseok savait aussi bien que ses hommes... et ce qu'il avait prévu, conscient que les Arixiens tenteraient de les déloger de leur camp.

Il porta deux doigts à sa bouche, poussa un sifflement suraigu, et les Arixiens échangèrent un bref regard les uns avec les autres avant de reprendre les duels engagés. Or, les Tyfodoniens en profitèrent pour les bousculer et s'éloigner, se massant autant que possible près de leur chef, à la lisière de la clairière. Ils ne disposèrent que de quelques secondes, pas assez longtemps pour que leurs ennemis n'envisagent de les suivre.

Tout à coup, la terre trembla. Jimin comprit trop tard : en baissant le visage en direction du sol, il vit les nombreux petits trous qui y avaient été creusés et mal rebouchés pour certains.

Jung Hoseok venait de l'est de Tyfodon, il était chasseur, commerçant : il avait déjà dû côtoyer plus d'une fois les Akashites, peuple connu pour ses brillantes techniques de guérilla... parmi lesquelles l'utilisation de potions explosives disséminées partout et déclenchées par une unique bombe qui créait un effet en chaîne.

« Repli général ! » hurla Jimin en écarquillant les yeux d'horreur.

La fiole d'origine détona, provoquant la déflagration des plus proches, qui elles-mêmes engendrèrent celle des flacons alentour. Le champ de bataille était un champ de mines, truffé de pièges.

Le jeune homme, qui combattait à l'autre bout de la clairière, courut jusqu'à l'arbre le plus proche sur lequel il se jeta et dont il atteignit le sommet juste assez vite pour échapper à une bombe dont il se protégea du souffle brûlant à l'odeur âcre en plaçant un bras devant son visage.

Une épaisse fumée s'éleva du centre des lieux alors que les dernières détonations résonnaient encore dans ces immenses montagnes. Pareilles à un tonnerre sauvage, elles finirent par s'éteindre, et Jimin ouvrit enfin les paupières, soulagé de ne pas avoir été pris pour cible – de toute façon, on n'y voyait plus rien à cinq mètres.

Le nuage se dissipa en de trop longues secondes pendant que Jimin quittait son abri. Il atterrit près du général Moon qui lui jeta un regard entendu : ils devaient rattraper Hoseok et ses hommes.

« Ferons-nous des prisonniers ? s'enquit l'aîné.

— Je pense qu'il serait intéressant de capturer leur chef ainsi que ces soldats qui ont su nous résister si longtemps et nous piéger de façon si ingénieuse. »

Les cadavres se comptaient par centaines dans la clairière.

« Comme il vous plaira. »

Jimin esquissa un rictus alors qu'il tournait le dos à son homologue qui s'élança pour rattraper leur ennemi. Il le suivit d'un pas assuré. Il restait sans doute un peu plus de deux cents Tigres. Le nombre idéal.

Ils peinèrent à avancer : partout des mottes de terre retournée, un sol raboteux, et pire encore, des cadavres que l'explosion avait déchiquetés. Jimin regardait droit devant lui, mais il ne pouvait pas ignorer cette odeur viciée qui lui montait au nez et le brûlait la gorge – sans compter que la fumée lui incendiait les poumons.

Avec l'impression de ne plus respirer depuis plusieurs minutes déjà, ils atteignirent l'endroit où les Tyfodoniens s'étaient protégés de leur piège et où le lieutenant Jeon se tenait lui-même au moment où tout avait été soufflé. Jungkook se trouvait là, en train de rassembler ses troupes, tandis que les derniers Tigres filaient au loin. Une escouade d'une centaine d'Arixiens était réunie ici, dont les généraux Moon et Park prirent la tête par réflexe, et qu'ils guidèrent à la suite de leurs ennemis.

« J'ai pris la liberté d'envoyer quelques soldats suivre discrètement et de loin les révoltés, les informa Jungkook.

— Parfait. Mais tâchons de ne pas trop nous laisser distancer. »

Tentant de maintenir l'allure en dépit de la fatigue engendrée par le combat et leur course avec un équipement pesant, ils passèrent devant le village assiégé quelques jours plus tôt. Très vite, le lieutenant Jeon comprit où les rebelles se rendaient : dans le seul lieu alentour où ils pouvaient espérer un peu de paix malgré l'armée à leurs trousses. Un des soldats de Jungkook les rejoignit pour leur confirmer ce que les trois chefs avaient deviné : « Ils se sont enfermés dans la forteresse ! »

Le général Moon grimaça : il se plaisait à se vanter de cette magnifique forteresse à l'architecture si particulière, et voilà que l'on s'en emparait sans vergogne. Il ne supportait pas que l'on vole ce qui lui appartenait, mais plus le temps s'écoulait, plus il se sentait las : il avait déjà perdu trop d'hommes, il avait hâte que cessent enfin ces batailles dont le sens s'effaçait au fil des semaines et des mois. Il aimait protéger, pas attaquer. Or, ces temps-ci, il lui semblait se battre non pour préserver le territoire, mais pour assouvir les pulsions des membres de l'Assemblée.

Il avait préféré ne pas évoquer ses doutes devant ses soldats ni ses lieutenants, mais il en avait discuté avec son commandant qui avait avoué qu'il partageait ses craintes. Il livrait combat, il désirait gagner, mais il lui fallait sans arrêt se répéter qu'il agissait pour le bien des siens. Il s'en convainquait au fil des jours, et il tuerait ceux qu'il devait tuer... même s'ils ne le méritaient pas.

Tel était son devoir : obéir aux ordres.

Le général Moon marchait en direction de son précieux édifice, qu'il savait imprenable : les murailles qui l'enceignaient s'avéraient trop hautes, trop épaisses, et ils ne disposaient pas de l'équipement nécessaire pour l'assiéger. Toutefois, un détail lui échappait, que son homologue fit remarquer avec justesse une fois qu'ils arrivèrent en vue des portes fermées, restés assez loin pour éviter que les Tigres ne dégainent pas arcs et flèches afin de se défendre.

« Lieutenant Jeon, s'enquit Jimin d'un ton léger, rappelez-moi s'il vous plaît la quantité de vivres qu'il reste à l'intérieur de la forteresse quand vous l'avez quittée.

— La dernière fois que l'on a vérifié, il en restait pour une semaine. Ensuite, nous sommes revenus nous approvisionner ici afin de tenir le siège du village. Il doit rester environ deux ou trois jours de vivres.

— Très bien. Dans ce cas, il nous suffit d'attendre. »

Les Tyfodoniens sortiraient d'eux-mêmes d'ici quelques jours, affamés et prêts à renoncer. Pas besoin des techniques de siège du général Moon, il suffirait de surveiller les environs en cas de renfort inopiné, et tôt ou tard les Tigres se rendraient sans condition, trop affaiblis pour engager le moindre combat.

~~~

Trois jours passèrent. Les Arixiens avaient reculé un peu après un assaut Tyfodonien : leurs archers avaient réussi à tuer un soldat à plus de quarante mètres en dépit des obstacles naturels qui les protégeaient. Jimin avait néanmoins ordonné la formation de plusieurs lignes de défense permanente autour de la forteresse, de sorte qu'il était impossible d'en sortir sans se finir face à des dizaines d'ennemis.

Yoongi avait rejoint le camp sous le regard torve du général Moon. Il avait gardé l'arc mais vidé le carquois de ses flèches, prétendant les avoir toutes utilisées lors du combat. L'homme ne l'avait pas questionné davantage. Jimin se réjouit qu'il les ait retrouvés si vite – il était arrivé ici à la hâte, sans doute d'abord attiré à la clairière par les explosions, puis il avait avoué lui-même avoir suivi les derniers Arixiens qu'il avait vus s'éloigner.

Le jeune général avait passé donc les trois jours précédents à s'entraîner tantôt avec son lieutenant, tantôt avec son protégé, qu'il avait au passage félicité pour son intervention au cours de la bataille, décisive à plus d'une reprise. Jungkook pour sa part s'était excusé de ne pas les avoir rejoints en temps et en heure : ses soldats et lui avaient été retardés par les adolescents tyfodoniens qui avaient tenté de leur barrer la route et avaient cherché à s'enfuir. Il avait fallu les rattraper puis les mettre en sécurité dans le village où ils avaient été abandonnés aux mains de quelques hommes et femmes arixiens qui avaient accepté de s'occuper d'eux.

Ils s'y trouvaient d'ailleurs tous encore, disposant d'assez de réserve de nourriture pour tenir les quelques jours nécessaires au siège de la forteresse.

Quand il ne s'entraînait pas ni ne surveillait l'édifice, Jimin aimait flâner dans la nature, et Yoongi l'avait surpris plus d'une fois à admirer le vol des oiseaux. La veille, même, il en avait profité pour ouvrir le dialogue : « Que faites-vous ? avait-il demandé alors que son cadet, les mains jointes dans le dos, avait le nez levé sur le ciel.

— J'observe la montagne.

— Pourquoi ?

— Pourquoi pas ? avait-il rétorqué avec un rictus malicieux.

— Parce que cela ne vous ressemble pas.

— Vous trouvez ? En même temps, nous ne sommes jamais venus à la montagne ensemble avant aujourd'hui, vous ne savez rien de mes habitudes.

— C'est juste. Et qu'observez-vous en particulier, dans la montagne ?

— Rien et tout à la fois. Sans doute du fait de ma lignée, je m'intéresse beaucoup aux oiseaux. Il y en a beaucoup ici.

— En effet. »

Et Jimin et lui avaient discuté si longtemps que la nuit était tombée. En rentrant auprès des autres, tout ce que Yoongi avait retenu était que Jimin adorait la nature, les oiseaux, et qu'il avait l'âme sans doute plus romantique qu'il le croyait – peut-être l'air de la montagne lui faisait-il du bien.

Au soir du deuxième jour ici, Yoongi se prit à rêvasser d'un avenir paisible dans lequel il partagerait sa vie entre les Phénix et les Aigles. Il aimait ce que Jimin lui avait montré de la capitale, il aimait ce qu'il apprenait de ce peuple qui n'était pas resté figé dans la glace ces cinq derniers siècles, et il aimait la présence rassurante du général, ses attentions discrètes qui n'en étaient que plus touchantes, son sourire précieux, sa douceur mêlée de force. Il lui apparaissait comme un pilier, quelqu'un sur qui s'appuyer, les ultimes fondations de son monde qui s'écroulait.

Celui qui lui avait redonné courage.

Il désirait demeurer avec lui, passer de nouveaux moments en sa compagnie, lui présenter sa sœur une fois qu'ils l'auraient tirée d'affaire, et lui faire découvrir son village. Il avait envie de lui rendre tout ce qu'il lui avait offert, et le simple fait de l'avoir sauvé au cours de la bataille lui procurait un bonheur indescriptible auquel se mélangeait un attendrissement qu'il n'arrivait pas à qualifier et qu'il peinait à comprendre.

Ils étaient devenus amis, soudés face à l'adversité.

« Je vous trouve songeur, ce soir. Les étoiles vous inspirent-elles une quelconque mélancolie ?

— Non, je réfléchissais.

— À quoi donc ?

— Rien et tout à la fois.

— Bien répondu, Yoongi, sourit le jeune homme.

— Merci.

— Puis-je réfléchir avec vous ? »

Le Phénix l'y autorisa, lui laissant une place sur la souche d'arbre où il s'était installé pour contempler le ciel. Jimin le rejoignit, levant à son tour les yeux sur l'étendue dégagée qui révélait, sur un fond tourbeux, d'innombrables lueurs.

« Connaissez-vous l'histoire de la naissance des étoiles ?

— Ces immenses boules de feu qui brûlent dans de lointaines galaxies où, comme ici, des planètes tournent sans doute autour d'elles ?

— Elles-mêmes... enfin, pas d'après le mythe. On pensait en effet autrefois que les cieux avaient été créés par Hiemis et Pyros. Engendrés par le Chaos, ils façonnèrent à eux deux la Terre pour la rendre viable. Ils commencèrent par le sol, puis les mers, et enfin ils passèrent au ciel. Je vous épargne les deux premiers mythes – ce sera peut-être pour une prochaine fois. Quoi qu'il en soit, pour ce qui était du ciel, ils voulurent quelque chose d'au moins aussi exceptionnel que la terre et les océans, qu'ils avaient décoré de maints éléments fabuleux.

« Hiemis, déesse de la lumière, proposa de baigner le monde d'une immense lueur rassurante, et son frère approuva : il s'envola jusqu'au plus haut point des cieux, puis il souffla, souffla, et créa une boule de feu capable d'illuminer la Terre entière. Or, Daimón, dieu de l'ombre, s'opposa à leur idée : toute lumière impliquait l'obscurité, et il refusait d'être condamné à un jour éternel. Son frère et sa sœur lui autorisèrent donc à assombrir le ciel quelques heures à intervalle régulier : Daimón tissa avec sa magie une épaisse couverture noire qu'il étendait chaque nuit entre la terre et le ciel et qui ne laissait rien traverser. Il avait créé la nuit noire. Avec le temps, de petites peluches se détachèrent de la couverture et voletèrent en journée : les nuages qui cachaient parfois le soleil étaient nés à leur tour.

« Toutefois, la nuit était trop sombre, elle devint très vite dangereuse pour les animaux nouvellement fabriqués par les deux phénix. De nouveau la fratrie négocia, et Pyros et Hiemis obtinrent d'adoucir l'obscurité nocturne. Daimón néanmoins ne leur autorisa qu'une clarté ténue, à peine discernable, juste suffisante à une vague visibilité.

« Hiemis proposa de percer l'étoffe nocturne par endroits, et ses frères acceptèrent. Daimón se chargea de la tâche : il saisit une aiguille qu'il planta en de nombreux endroits du ciel, et il rendit le tissu plus fin pour que la nuit, en plus des étoiles, on puisse voir au travers de son drap enchanté la silhouette du soleil. Ainsi naquirent le soleil, les nuages, les étoiles et la lune. »

Jimin resta silencieux, Yoongi continuait de scruter le ciel. La nature vivait autour d'eux : le vent murmurait aux arbres dont les branches chuchotaient en réponse, des animaux nocturnes s'éveillaient, et le Phénix se sentit plus apaisé qu'il ne l'avait été ces deux derniers mois.

« C'est une belle histoire, reconnut enfin Jimin. J'ai hâte que vous m'en racontiez d'autres.

— Je tâcherai de me le rappeler. J'en ai encore des dizaines du même genre qui n'attendent que d'être racontées, et quand des humains sont impliqués dedans... elles deviennent encore plus intéressantes.

— Je veux bien vous croire. »

Ils allèrent se coucher sans échanger davantage. Jimin songeait à cette légende de couverture enchantée, et même s'il savait que les peuples n'avaient jamais cru à ces histoires fantaisistes qui s'étaient transformées en mythes, il ne pouvait s'empêcher de trouver touchantes la naïveté des Anciens et leur peur panique de ne pas comprendre le monde qui les entourait. Les astronomes Phénix et les mathématiciens Scorpions avaient réussi à prouver et vérifier bon nombre de notions ignorées à l'époque des premiers hommes, l'univers était devenu moins inquiétant, plus rationnel, et si le mythe des dieux phénix était resté, tous les autres en revanche avaient disparu peu à peu, connus des seules personnes qui s'y intéressaient vraiment.

Jimin se tourna sur le flanc pour observer son voisin assoupi. Pas étonnant que le récit des divinités primordiales et de la création des humains soit demeuré, au vu de ce peuple doué de magie et possédant un artefact surnaturel. Yoongi était incroyable, on ne pouvait que lui attribuer une ascendance céleste.

Il ferma les yeux, heureux pour une raison qu'il ne s'expliquait pas : il était bien, ici, à dormir à la belle étoile avec cet être qui défiait l'entendement. Il ignorait pourquoi, mais il se sentait protégé auprès de lui.

Le jeune homme rouvrit soudain les paupières, alerté par un bruit discret, à peine audible, différent de celui de la brise qui caressait les arbres. Il se redressa sur-le-champ, aux aguets, sourcils froncés, et réveilla Yoongi d'une pression délicate sur son épaule. Le Phénix sortit de sa torpeur, il s'étonna de trouver l'endroit plongé dans les ténèbres nocturnes, et plus encore quand il vit Jimin sur ses gardes.

« Que se passe-t-il ? murmura-t-il.

— Je crois que nous ne sommes pas seuls.

— Et les sentinelles qui surveillent le camp ? N'auraient-elles rien vu ?

— Si elles sont encore en vie, si, elles auront vu quelque chose.

— Si elles... oh bon sang. »

Jimin enfila son bracelet d'émeraudes et se releva pour se placer devant son aîné.

« Yoongi, restez derrière moi. Si quoi que ce soit se produit, ne paniquez surtout pas : vous ne devrez pas avancer en direction de la forteresse, les Tigres présents vous y abattraient de leurs flèches, et il ne faudra pas non plus vous isoler, vous serez vulnérables.

— Que dois-je faire, alors ?

— Je vous l'ai dit : restez derrière moi. Jusqu'à ce que je vous donne l'ordre inverse, ne me quittez pas d'une semelle.

— Compris. »

Jimin devait l'évacuer au plus vite. Il réveilla les quelques soldats qui dormaient près d'eux, à quelques mètres, et alors qu'il regagnait l'endroit où il s'était reposé à peine quelques instants, se baissant pour ramasser la dague que Yoongi avait abandonnée par terre, il entendit une flèche siffler à moins d'une dizaine de centimètres de ses oreilles. Il se redressa soudain, tendit son arme au Phénix qui s'en saisit d'une main tremblante, et lui intima de se protéger derrière lui. Un nouveau trait hurla, se fichant dans l'épaule d'une femme.

« On nous attaque, tous à vos postes ! » cria le général.

Sitôt l'ordre donné, tout se bouscula : les Arixiens allumèrent des flambeaux, les flèches se multiplièrent, provenant de l'obscurité. Jung Hoseok avait dû laisser des combattants en arrière pour le cas où il serait capturé ! Jimin s'en était douté, mais il n'avait rien vu au camp tyfodonien qui permettrait de le prouver, si bien qu'il avait relâché sa vigilance.

Les troupes s'agitèrent, et tout ce que les deux généraux craignaient était que les Tigres enfermés dans la forteresse décident de les piéger en sortant pour les assaillir. Or, du fait de leur habileté à l'arc, mieux valait pour ces derniers qu'ils restent aussi à l'écart que possible : sans doute attaqueraient-ils depuis les remparts.

Les archers arixiens s'évertuaient à viser les adversaires, simples silhouettes embusquées derrière d'épais bosquets, pendant que les soldats pour leur part chargeaient à l'aveugle, plusieurs tombant sous les flèches ennemies.

« Yoongi, susurra Jimin sans même se retourner, c'est le moment idéal pour votre talent d'ombre. »

Jusque-là pétrifié par la stupéfaction, Yoongi opina et se concentra, protégé par la puissante carrure de son ami. Il repéra une dizaine de Tigres dans un rayon d'une quarantaine de mètres environ. Eux, il pourrait les figer. Ceux qui se trouvaient plus loin, il parvenait à percevoir leur présence, mais impossible d'en prendre le contrôle.

« Ils sont peu, souffla-t-il, nous en viendrons vite à bout.

— Combien ?

— Au total, sans doute moins d'une centaine.

— Ce ne sont pas des troupes auxiliaires, comprit Jimin, c'était des soldats présents lors de la dernière bataille et qui se sont enfuis pendant la confusion provoquée par les bombes.

— Je pense aussi.

— Pouvez-vous figer les plus proches ?

— Oui.

— Alors couvrez-moi. »

Le général s'élança sans la moindre hésitation, ce que Yoongi trouva non courageux mais suicidaire. Il partit néanmoins à sa suite, tâchant de se focaliser sur les ombres qu'il ressentait et dont il pouvait prendre le contrôle.

« Encore vingt mètres, tout droit. »

Jimin obéit, et très vite ils discernèrent cette silhouette qui tentait de rester discrète. Yoongi vit le Tyfodonien armer ; il n'eut pas le temps de tirer. L'Arixien avait attrapé une de ses étoiles d'acier et l'avait lancée, elle l'avait atteint au front. L'ennemi s'écroula.

« À gauche, le prévint Yoongi, vingt-cinq mètres. »

Ils parvinrent à assassiner ainsi une demi-douzaine d'adversaires avant de revenir auprès des autres soldats Aigles, sur conseil de Yoongi qui avait remarqué une mêlée. Son sommeil vaincu par la nervosité, il sentait son pouvoir couler dans ses veines, une puissance nouvelle qui le dépassait.

Ils arrivèrent sur le lieu de l'affrontement principal, où les archers qui avaient tiré toutes leurs flèches combattaient leurs opposants à l'aide de dagues et de poignards pour la plupart. Jimin dégaina son jingum.

« Yoongi, restez à l'écart, cachez-vous ! hurla-t-il en filant.

— Attendez, je... »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase, déjà son cadet était parti trop loin, et l'appeler attiserait l'intérêt. Que faire ? Il refusait de laisser Jimin se battre seul, mais à le rejoindre, il le mettrait en danger. Yoongi recula d'un pas, puis deux, toujours hésitant... puis il décida de se cacher au plus près des combats. Du fait des flambeaux, il distinguait sans mal les soldats qui s'affrontaient à une vingtaine de mètres de là et qui ne lui prêtaient pas la moindre attention. Une quarantaine d'hommes et de femmes échangeaient des coups furieux qui résonnaient dans le silence qu'avait installé la nuit.

Yoongi se dissimula derrière l'épais tronc d'un chêne, et il commença son œuvre : des guerriers habillés de noir et de vert s'immobilisèrent les uns après les autres, figés juste une ou deux secondes, le temps que les Arixiens s'en débarrassent. Ces derniers d'ailleurs, bien que surpris par ces brèves paralysies, n'émirent pas la moindre protestation, trop soulagés de gagner le combat avec une telle facilité.

Le Phénix s'était avancé, surveillant son cadet qui bataillait contre deux Tigres. Il comptait les stopper à leur tour quand le garçon se tourna et, repoussant ses deux adversaires d'un mouvement leste, il attrapa une étoile qu'il tira en direction de Yoongi... qui découvrit soudain l'archer furtif qui s'était approché de lui, dague en main, et s'apprêtait à le tuer. L'homme parvint à esquiver le projectile du général qui grimaça de frustration en poursuivant son double combat. Yoongi arracha de son fourreau sa propre lame et se mit en garde. L'ennemi voulut frapper quand...

« Bon sang, je ne peux plus bouger ! » maugréa-t-il.

Ce furent ses derniers mots, mais Yoongi n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste : un archer arixien s'était débarrassé pour lui de l'ennemi. Soudain enivré par l'adrénaline, Yoongi ne ressentait aucune fatigue. Remerciant son sauver, il se focalisa de plus belle sur l'attaque, mais pas sur les environs. L'archère perchée au sommet d'un arbre, prenant le temps de viser le général, lui avait échappé. Il ne la repéra qu'à l'ultime seconde avant qu'elle ne décoche son trait mortel.

Le Phénix, paniqué, sortit d'un bond du buisson derrière lequel il avait trouvé refuge et se précipita sur son ami qui, trop concentré sur un duel, était placé dos à la pointe qui approchait.

La flèche fila, cria un son aigu, et alors qu'il se trouvait à moins d'une dizaine de mètres du gros de la bataille, par un réflexe désespéré, il leva la main vers son cadet en hurlant.

« Jimin ! »

Il n'aurait pas le temps d'esquiver. Yoongi agissait pour le sauver, tant pis pour le reste. La main dressée vers le général Park, il matérialisa derrière lui un épais mur d'ombre, arrêtant la course folle du projectile qui s'échoua à terre.

Les combats cessèrent sous l'effet de la stupeur. Le général Moon lui-même, qui avait assisté au prodige, écarquilla les yeux avant de les tourner vers Yoongi.

« Un Phénix. »

Son murmure fut répété, clameur silencieuse. Un Phénix, un Phénix dans les rangs Arixiens.

Les Tyfodoniens se montrèrent tout à coup plus hésitants, tandis que leurs opposants furent ragaillardis : un Éthéréen les protégeait ! Il combattait dans leur camp !

La bataille reprit, plus vive. Avec une énergie nouvelle, les Aigles massacraient leurs ennemis qui ne résistèrent plus très longtemps. Yoongi n'intervint même pas, figé par l'horreur : son secret avait été découvert, ils savaient tous.

Un archer neutralisa celle qui avait tenté de s'attaquer à son chef, et après quelques minutes de plus, il ne restait plus aucun adversaire, ce que les hommes qui guerroyaient plus loin confirmèrent. Un à un, les combattants se tournèrent vers Yoongi, et le général Moon s'avança, imité par son homologue qui affichait un air inquiet.

« Général Moon, tenta-t-il, s'il vous plaît, je... »

Il s'interrompit quand, arrivé devant Yoongi, il vit l'homme non pas l'attaquer, mais s'incliner. Le Phénix, aussi surpris que son ami par cette réaction, recula et jeta un regard circulaire, mal à l'aise.

« Merci pour votre aide lors de ces deux batailles, Phénix.

— Vous saviez ? souffla Yoongi.

— Je n'ai pas l'habitude que mes adversaires s'immobilisent pour me regarder les tuer, en effet.

— Je vous promets que je ne compte vous poser aucun problème.

— J'ai cru comprendre que le général Park se chargeait de vous.

— C'est juste, confirma Jimin en se plaçant à ses côtés. Il ne fera de mal à aucun de nous : il est dans notre camp.

— C'est tout ce qui m'importe. Le reste ne me regarde pas. Soldats, reprit-il avec plus de force, bravo pour ce succès brillant. Que les sentinelles reprennent leur poste, allons dormir, il est tard. »

La petite foule se dissipa immédiatement aux ordres de son chef. Yoongi n'arrivait plus à bouger, statufié par l'angoisse. Des Arixiens savaient, des militaires arixiens l'avaient vu à l'œuvre : on allait le dénoncer, le faire exécuter. Les lois étaient toujours en vigueur, Jimin l'avait confirmé.

« Yoongi, tout va bien, affirma le général Park en approchant d'un pas lent. Tout va bien, hein ? Calmez-vous.

— Non, non, non, non, non, c'est... ils savent, Jimin, et je... ils vont...

— Ils ne vous feront rien, vous avez bien vu : le général Moon s'est incliné devant vous, il vous a montré son respect, il ne vous fera rien. C'est un homme bien. Tout va bien. »

Arrivé devant lui, il posa les mains sur ses épaules et planta son regard dans le sien. Il se dégageait de ses iris sombres une douceur rassurante et une confiance en lui qui apaisa peu à peu les doutes du Phénix.

« J'ai peur, murmura ce dernier. Plus ils seront nombreux à savoir, plus je serai en danger. Ils voudront me tuer.

— Non, parce que vous les avez sauvés, et parce que je veille sur vous. Venez, on va dormir, cela vous fera du bien. »

Yoongi opina et se laissa guider. Son cadet et lui s'allongèrent côte à côte après avoir abandonné près d'eux leurs armes. Le Phénix ressentit soudain de façon plus violente la fraîcheur nocturne, et il se mit à trembler.

Dos à Jimin, il ferma les yeux, tenta de trouver le sommeil, mais son cœur s'emballait de terreur. La présence réconfortante de son ami ne parvenait pas à le rasséréner.

Puis il sursauta quand une main se posa sur son bras.

« Jimin, qu'est-ce que...

— Détendez-vous et dormez, Yoongi, je vous rappelle que notre vrai combat n'a pas encore commencé. Vous devez économiser vos forces. »

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