Chapitre 13 🎵

Note : une chanson apparaît dans ce chapitre (d'où le petit logo dans le titre du chapitre). J'en ai écrit les paroles, et j'ai demandé à l'IA Suno de m'en faire une chanson. Je l'ai enregistrée, j'ai mis une image générée par l'IA que j'utilise à chaque chapitre, et de cette façon j'ai pu poster la vidéo sur YouTube pour la joindre aux paroles que vous lirez. Une IA étant une IA, la chanson comporte plusieurs défauts, mais j'adore l'idée de pouvoir illustrer ces paroles avec une mélodie et une voix... et en plus je l'aime beaucoup, cette chanson. XD

J'espère qu'elle vous plaira aussi !

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« Les troupes arixiennes sur le départ échangèrent un regard éloquent avant de contempler la raison pour laquelle elles prenaient les armes contre l'envahisseur : ils refusaient que la magie subvertisse, corrompe voire détruise leur belle cité. »

– Yon Palik, Les hommes d'ombre et de lumière.


Repartis d'Astelias après le déjeuner, Jimin et ses soldats atteignirent les abords de Noria un peu moins de deux heures plus tard. À mesure que la ville se rapprochait, Yoongi s'émerveillait de plus en plus des hauts bâtiments, de la vie qui débordait dans les artères animées des quartiers les plus éloignés du centre, du brouhaha qui s'élevait en continu.

Ils rejoignaient l'enceinte fortifiée, dont Jimin informa son compagnon de voyage qu'il s'agissait d'un mur édifié un millénaire plus tôt mais détruit à de nombreuses reprises au cours des guerres des peuples. Par chance, voilà quelques siècles qu'aucun ennemi n'avait atteint la capitale, de sorte qu'ils contemplaient là une construction datée de près de six cents ans. Yoongi l'écouta avec attention, avide de la moindre connaissance. Il n'avait jamais rien vu d'aussi grandiose, à part peut-être, quand pas un nuage ne tachait l'horizon, la chaîne des Neraï que l'on pouvait apercevoir depuis les hauteurs du mont Tikia. Il avait assisté en de rares occasions à des couchers de soleil dont il ne risquait pas d'oublier un jour la beauté.

Le pas tranquille des chevaux claquait sur les pierres qui pavaient la rue. Autour d'eux les Arixiens s'arrêtaient de travailler et venaient regarder les soldats impériaux avancer, les applaudissant et les félicitant pour leur labeur. Une clameur savoureuse régala les oreilles de Jimin qui souriait aux sujets d'Arixium et rendait leurs saluts à ces braves gens.

« Votre capitale a une architecture si... moderne ! s'extasia le Phénix en serrant un peu plus fort son épaule. Le climat nous oppose beaucoup de contraintes auxquelles nous tentons encore de nous accommoder, mais cela... ouah, je n'aurais jamais imaginé découvrir pareilles merveilles un jour !

— Heureux que cela vous plaise. Nous avons de talentueux architectes que nous invitons à développer leur créativité. Noria est unique parce qu'elle permet à chacun de s'exprimer. Les arts sont très encouragés, les sciences aussi, et l'imagination. Vous savez... Noria me fait beaucoup penser à... à Yiraleï. »

Yoongi se rembrunit, son visage perdit son sourire, son regard ses étincelles. Voilà longtemps qu'il n'avait plus évoqué l'antique Yiraleï, époustouflante capitale de l'ancien territoire des Phénix, à l'époque où le Continent était divisé non en quatre mais en cinq pays. Les Phénix vivaient au centre de tout, et Yiraleï se situait à ce qui correspondait aujourd'hui à l'est des collines de Brynel. Quand ils avaient exterminé les Éthéréens, les Quatre Peuples s'étaient approprié et partagé leurs terres après avoir détruit tout ce que les martyrs avaient jadis édifié.

Il n'existait pas dans les rares livres possédés à ce jour par les Phénix de représentation picturale de Yiraleï, uniquement des descriptions fondées sur des souvenirs ou des on-dit. Tous les textes néanmoins s'accordaient à affirmer qu'il s'agissait de la cité la plus belle, la plus grande, la plus prospère et la plus juste jamais construite. On y vivait en paix, on pouvait y laisser son talent s'exprimer, quel qu'il soit, et le mot harmonie, « yiral » en langue ancienne, avait donné son nom à cette ville où chacun était le bienvenu, même s'il était originaire d'un autre peuple.

Yiraleï évoquait à Yoongi une forme d'utopie, un rêve inaccessible dont il ne parvenait pas à admettre qu'il avait un jour existé.

« J'aimerais croire, moi aussi, que Yiraleï a ressemblé à cela, souffla le Phénix. Ces bâtiments d'un blanc pur, ces toits de chaume, ces charpentes apparentes... oui, c'est magnifique. »

Fier de l'effet que la capitale exerçait sur le jeune homme, le général se tint plus droit encore qu'auparavant. Le ciel, toujours parsemé de nuages, s'était néanmoins éclairci, et Jimin pressentit avec joie que la soirée serait douce. Un soleil timide déversait ses rayons sur la vallée, et à mesure que les troupes approchaient de la caserne, on entendait de mieux en mieux, par-dessus le tumulte, le grondement du fleuve autour duquel s'était érigée la ville.

Les soldats s'arrêtèrent devant un bâtiment d'un étage, construit tout en longueur. Ses pierres rouges lui donnaient une allure particulière que Yoongi trouvait charmante, et sa forme rectangulaire laissait deviner de quoi il s'agissait.

« Voici la caserne, déclara Jimin. Elle forme un carré autour de la cour d'entraînement. Il s'y trouve d'un côté les écuries et la cantine, de l'autre les dortoirs et l'armurerie. Aujourd'hui, outre quelques nouvelles recrues, il n'y aura que mes soldats. »

Yoongi opina sans répliquer. Tous se rendirent aux écuries, et en moins d'une heure, du fait d'une organisation millimétrée, chaque cheval se reposait dans un box avec de quoi se nourrir et boire. Tout ayant été préparé pour les accueillir, les hommes et les femmes encore en armure pouvaient choisir : soit ils profitaient de leur jour et demi de permission pour se délasser ici, soit, s'ils avaient de la famille à Noria, ils pouvaient les rejoindre. L'essentiel des troupes se dispersa une fois l'autorisation reçue et les dernières indications données. Yoongi pour sa part, avec pour la première fois depuis des semaines l'impression d'être seul, abandonné, entra dans la caserne d'un pas lourd.

Il avait surpris le lieutenant Jeon quittant les lieux, pressé, et comme il enviait ceux qui retrouvaient les gens qui leur étaient chers ! Il se demanda si Jimin allait voir de la famille, ou bien quelqu'un de qui il serait épris... il lui souhaitait, en tout cas, de passer un agréable moment, même s'il n'avait pas eu le temps de le lui dire avant que le général ne s'évanouisse dans la nature – il ignorait dans quelle direction il était parti.

Parce que les pièces étaient bien indiquées, Yoongi n'éprouva aucune peine à trouver les dortoirs. Il contempla la salle dans laquelle se succédaient plusieurs rangées d'épais matelas sur le sol, bordés chacun par un coffre où remiser ses effets personnels, sans quoi que ce soit d'autre pour offrir aux soldats un peu d'intimité. Dubitatif, le Phénix jeta un regard aux guerriers déjà présents. Un garçon – sans doute une des nouvelles recrues évoquées par Jimin – écrivait ce qui ressemblait à une lettre, tandis qu'à quelques lits de là, une femme lisait un roman dont Yoongi parvint à saisir le titre. Les hommes d'ombre et de lumière. Un classique. Rédigé près de six siècles plus tôt par l'auteur Serpent Yon Palik, cet ouvrage racontait l'histoire d'un général Phénix décidé à dominer les Cinq Peuples. Le protagoniste, très inspiré du général Min, possédait des pouvoirs exceptionnels et écrasait les Élémentaires un à un avant que ces derniers ne s'allient tous pour défaire son armée constituée de puissants mages.

Ce livre avait été écrit dans un contexte de tensions, et il avait convaincu bon nombre de lecteurs que les Éthéréens représentaient un grave danger potentiel, à la manière d'un prédateur tapi prêt à bondir sur sa proie pour la mettre à mort. Une preuve supplémentaire du manque de tolérance et de la peur des Quatre Peuples à cette époque.

Dans un soupir, Yoongi jeta un regard aux autres jeunes recrues, sans doute âgées de seize à dix-huit ans, et il préféra quitter la salle pour l'instant. Au moins, il identifiait sans mal les places libres : le coffre installé en bout de lit était grand ouvert. Il en choisirait un éloigné de tous à la tombée de la nuit.

Pour lors et parce qu'il se sentait fatigué, il décida de s'asseoir à l'une des vastes tables de la cantine. La pièce, qui disposait de peu de fenêtres et dont on n'avait pas allumé les torchères, s'avérait juste assez éclairée pour que l'on distingue les objets qui la meublaient. Yoongi trouva étrange de s'isoler pour la première fois depuis son arrivée auprès des Aigles. Jusqu'à présent, il était toujours surveillé, et le voilà désormais libre de ses mouvements.

Il s'affala sur son banc, jusqu'à finir le buste contre la table. Il posa la tête entre ses bras, ferma un instant les paupières dans une profonde respiration, puis créa une boule de lumière enfermée dans une sphère d'ombre qu'il rendit assez dense pour qu'elle obtienne une réelle consistance. Il la fit rouler devant lui et la promena dans la cantine en la dirigeant du bout de l'index, la mine ennuyée.

Tout s'était passé à une vitesse indescriptible depuis leur venue ici. Un tohubohu de soldats et d'instructions hurlées lui avait donné mal au crâne, et à présent il se sentait perdu. Peut-être pourrait-il proposer à une des jeunes recrues de s'entraîner avec lui à l'arme blanche dans la cour qu'il n'avait pas encore visitée.

Son cœur vide le supplia de combler le silence.

« Hiemis, veille sur nous, je t'en prie couve-nous/De ton regard aimant, ton aile maternelle. / Je t'ai offert mon cœur, mon amour éternel,/Aide-moi à présent à me tenir debout. / J'ai perdu mon chemin, le ciel s'est obscurci. / L'avenir incertain des miens me terrifie. / Mes larmes sont de glace et mon cœur est brisé,/Nous avons tout perdu, puis tout abandonné. / Main dans la main nous veillons les uns sur les autres/Pour survivre nous devrons compter sur les nôtres. / Phénix, relevez-vous, et vos morts enterrés,/Construisez le futur : renaissez du passé,/Déployez vos ailes, envolez-vous loin du monde,/Séchez les pleurs dont vous caressez l'amère onde. / Hiemis, veille sur nous, je t'en prie couve-nous/De ton regard aimant, ton aile maternelle. / Je t'ai offert mon cœur, mon amour éternel,/Aide-moi à présent à me tenir debout. »

Son chant, à peine plus haut qu'un murmure au début, s'était intensifié. Il lui tira une larme qu'il ne prit pas la peine d'essuyer. Yoongi esquissa un sourire, puis sursauta quand un éclair métallique jaillit dans son champ de vision et heurta sa sphère d'ombre. Sa concentration relâchée, le Phénix ne parvint pas à maintenir plus longtemps son sort : la balle sombre disparut et l'étoile d'acier, qui avait rebondi contre elle, retomba un peu plus loin.

« Si j'avais su que vous chantiez si bien, je vous aurais demandé de le faire bien plus tôt.

— Vous avez le don pour apparaître quand vous n'êtes pas attendu, Jimin, râla Yoongi en se redressant sur son banc.

— Soyez heureux que ce soit moi et non une recrue qui soit venue. Je doute que ces paroles auraient plu.

— Pardonnez-moi pour mon imprudence...

— Vous êtes tout pardonné. Et donc... quelle était cette chanson ?

— Il s'agit d'un long poème écrit par un Phénix peu après l'arrivée de mon peuple sur le mont Tikia.

— Vous le chantiez.

— Notre poésie est chantée.

— Intéressant. Donc vous êtes plus qu'un simple gardien des savoirs, vous êtes un artiste.

— Je doute que l'on puisse m'attribuer ce statut...

— Avez-vous déjà chanté devant les vôtres ?

— Oui, lors de certaines festivités, le gardien est amené à chanter un passage d'un poème Phénix de son choix, voire à en écrire s'il le souhaite.

— C'est fascinant... et vous avez une voix magnifique.

— Ne dites pas n'importe quoi. Je déteste chanter.

— Pourtant, alors que vous étiez seul, vous avez choisi de chanter, remarqua Jimin en prenant place à côté de son protégé. Vous aimez donc cela.

— Le silence m'angoissait.

— Alors vous avez chanté.

— Alors je l'ai comblé avec la voix des miens.

— Hiemis, veille sur lui, je t'en prie couve-le/De ton regard aimant, ton aile maternelle. /Il t'a offert son cœur, son amour éternel,/Permets qu'il sauve ceux qui le rendent heureux, » fredonna Jimin à voix basse sur l'air de la chanson de son aîné.

Yoongi se sentit touché comme jamais par ces quatre phrases réinventées par son ami, dont il découvrit qu'il possédait une voix plus aigüe lorsqu'il chantait. Il éprouva la sensation que quelque chose en lui se brisait, de sorte que, un sourire bouleversé aux lèvres, il poursuivit en soutenant le regard de son cadet : « Je veux croire en un monde qui nous sourirait,/Un monde sans danger, qui nous accepterait,/Un monde où nos pouvoirs seraient vus comme un don. /Je crois en un lieu dont le sol serait fécond/En prodiges humains, en regards bienveillants,/Et où vivrait heureux chacun de nos enfants. /Oui nous bâtirons pour vous un monde d'amour,/Qu'importe les obstacles sur notre parcours. »

https://youtu.be/HRonQNl97Jw

Yoongi, alors qu'il achevait son vers, adressa un signe de tête à Jimin qui opina pour lui signifier qu'il avait compris. Le Phénix reprit : « Hiemis, veille sur nous, je t'en prie couve-nous... »

Et Jimin, en canon à la manière d'un écho, chanta sa propre version de ce refrain.

« Hiemis, veille sur lui, je t'en prie couve-le...

— De ton regard aimant, ton aile maternelle.

— De ton regard aimant, ton aile maternelle.

— Je t'ai offert mon cœur, mon amour éternel.

— Il t'a offert son cœur, son amour éternel.

— Aide-moi à présent à me tenir debout.

— Permets qu'il sauve ceux qui le rendent heureux. »

Le dernier vers prononcé, Jimin adressa un sourire à Yoongi qui, ému par ces paroles qu'il n'avait plus fredonnées depuis plus d'un mois, par ce jeune étranger qui reprenait en chœur avec lui ce chant qu'il adorait et lui permettait de ne pas sombrer, ne retint plus ses larmes. Son visage rayonnait d'un bonheur mélancolique ; sans plus réfléchir, il enlaça son ami qu'il serra contre lui dans une bouleversante étreinte.

Le général Park, stupéfait par ce geste qu'il n'aurait jamais imaginé venir de Yoongi, resta une courte seconde immobile et crispé avant de se détendre. Il entoura de ses bras couverts de bandages la taille de son aîné dont il caressa le dos comme s'il cherchait à consoler un enfant.

Le Phénix ne s'aperçut de son acte qu'à cet instant : il recula soudain, sa bulle éclatée. Jimin le laissa s'écarter et se replaça sur le banc, droit.

« Veuillez m'excuser, je ne sais pas ce qu'il m'a pris, marmonna Yoongi en s'essuyant les yeux. Je suis vraiment trop sensible, c'en devient ridicule.

— Je vous ai déjà dit ce que j'en pense. Et... je vous comprends : comme vous, j'aime les miens de tout mon cœur, et je serais atterré qu'ils soient tous en danger. N'ayez pas honte. Vous êtes proches des vôtres, vous avez le droit d'être triste en pensant à eux.

— Merci...

— D'ailleurs... j'espérais vous montrer pourquoi il était si important pour moi de protéger Arixium et Noria. Accepteriez-vous de me suivre ?

— Vous voulez me faire découvrir la ville ?

— J'aimerais beaucoup. »

Yoongi jeta un œil à l'endroit où sa sphère avait disparu. Jimin lui proposait de se promener là où les ancêtres des Aigles avaient condamné à mort le peuple Phénix. Il lui proposait d'admirer des bâtiments dans lesquels on avait peut-être enfermé, torturé puis assassiné les siens...

« J-Je ne sais pas, hésita-t-il.

— Acceptez de vivre le présent sans penser au passé, Yoongi. Acceptez les mains que l'on vous tend quand elles le sont avec bienveillance. »

Jimin s'était relevé, et il tendait à présent sa main gauche à son ami qui la jaugea avec une moue hésitante. Il observa un court instant son visage angélique, son regard sincère en partie dissimulé derrière quelques fines mèches brunes que le soldat ne tarderait sans doute pas à faire couper. Ce garçon au cœur empli de bonnes intentions n'avait rien à voir avec les bourreaux du passé.

« C'est d'accord, » accepta Yoongi en prenant sa main à la manière d'un accord que l'on scellait.

Jimin sourit pour la première fois au point que ses yeux se fendirent de façon ravissante, et l'aîné sut qu'il avait bien fait d'accéder à sa demande. Il semblait si heureux que Yoongi comprenait à cette seule réaction que son peuple comptait pour le jeune chef autant que les Phénix comptaient pour lui.

Les deux garçons passèrent d'abord par les quartiers de Jimin, qui disposait d'une chambre individuelle dans un couloir où plusieurs portes s'alignaient. Chacune donnait sur la pièce d'un général arixien, ce qui montait leur nombre à une quinzaine.

« Combien d'hommes supervise chaque général ? s'enquit Yoongi alors qu'il admirait la petite salle confortable et sobrement meublée que Jimin venait de refermer derrière eux.

— Un général dirige un minimum de deux lieutenants, soit cinq cents hommes. Il en dirige rarement plus de cinq, donc environ mille deux cents hommes. Au total, l'armée arixienne compte près de neuf mille soldats, en plus des citoyens qui peuvent être enrôlés en cas de guerre après un service obligatoire, auquel cas les effectifs peuvent monter à un bon minimum de vingt mille hommes et femmes.

— Impressionnant... vous ne devez plus craindre grand-chose avec une telle puissance.

— Et pourtant... »

Le général sortit d'une petite armoire de chêne deux piles de vêtements. Il tendit la première à Yoongi, qui avait tourné son regard sur la large fenêtre qui offrait une abondante lumière à la pièce et l'ouvrait sur une rue passante en contrebas.

« Nous faisons la même taille, et notre corpulence a beau être bien différente, je pense que ces habits vous iront.

— Des habits ? s'étonna le Phénix.

— Vous n'espériez quand même pas vous promener avec votre armure et votre dague dans les rues, s'amusa Jimin.

— Je n'y avais pas réfléchi... mais j'y pense : ne vouliez-vous pas rentrer auprès de votre famille ?

— Non.

— Alors pourquoi avez-vous disparu à notre arrivée ici ? Si vous n'êtes pas sorti dans les rues en armure, où étiez-vous ?

— Je vous trouve bien curieux...

— J'aime tout savoir.

— J'étais simplement parti donner sa provende à Samran, mon aigle. C'est d'ailleurs pour cela que j'étais dans les environs de la cantine quand vous y êtes entré pour jouer avec vos pouvoirs et votre voix. »

Yoongi se sentit honteux à ce récent souvenir. Il attrapa la pile de vêtements qui lui étaient fournis sans même y jeter un œil, et il passa derrière le paravent qui cachait un coin de la chambre. Le général laissa un sourire poindre sur ses lèvres charnues, et il se changea en vitesse, habitué à mettre et enlever son armure. Le Phénix en revanche parut éprouver quelques difficultés à se déshabiller, car il lui fallut deux fois plus de temps pour se montrer enfin.

Vêtus tous deux d'un hanbok chaud coloré d'un bleu céruléen, ils se contemplèrent l'un l'autre.

« Eh bien, cette tenue vous va à ravir, affirma Jimin. Un manteau et nous pouvons sortir. »

Yoongi enfila sans hésitation le durumagi qu'il lui tendait avant de lui emboiter le pas. Il découvrit ainsi que sur le dos du manteau de son cadet était brodé l'aigle emblème du peuple arixien, preuve sans doute que celui qui le portait était une personne importante.

Quand ils sortirent, le soleil brillait encore de tout son éclat dans un ciel dégagé. Les gens qui circulaient étaient vêtus de hanboks de toutes les couleurs. Yoongi se sentit aussitôt happé par ce flot de citadins dont beaucoup bavardaient en se promenant, parfois avec des enfants qui chahutaient. Yoongi trouva ce tableau plus touchant que tout ce qu'il avait vu d'Arixium jusqu'à présent.

« La caserne a été construite sur une des plus grosses artères du centre de Noria, expliqua Jimin. Pas pratique pour des troupes qui rentrent de mission, mais très pratique pour protéger le peuple : la plupart des rixes et autres problèmes qui exigent la présence d'un ou plusieurs soldats se déroulent dans un périmètre de moins de deux kilomètres.

— Y a-t-il toujours un tel monde dans la rue ?

— Non, bien sûr. Mais il est vrai qu'à cette heure avancée de l'après-midi, il arrive souvent que l'avenue soit bondée. Venez, je vais vous montrer le théâtre ! »

Le cœur de Yoongi se réchauffa : l'art était adoré des siens. À l'époque des Cinq Peuples, les Phénix étaient d'ailleurs ceux qui s'étaient le plus intéressés à ce loisir. Les seuls théâtres, les seules scènes, les seules galeries, les seuls éditeurs qui existaient étaient situés à Yiraleï et dans les villes voisines. Les autres pays avaient peu à peu essayé de les imiter, mais au moment de la disparition des Éthéréens, ils n'avaient pas réussi à rattraper leur important retard sur ces domaines. Depuis, les Phénix tentaient avant tout de survivre, de sorte que l'art n'était plus qu'une activité secondaire, une passion que l'on peinait à développer dans le village.

On leur avait arraché la plus belle part d'eux-mêmes.

Alors qu'ils marchaient, l'attention de Yoongi fut attirée par un imposant bâtiment dont un flot ininterrompu d'Arixiens entrait et sortait.

« De quoi s'agit-il, Jimin ?

— Le siège de l'État : entre autres, on y trouve l'Assemblée, le tribunal, et bon nombre de bureaux administratifs, dont celui qui reçoit les demandes des Arixiens pour obtenir un permis commerçant auprès du Conseil des Quatre Peuples.

— Eh bien... on dirait une fourmilière.

— Ne m'en parlez pas, je déteste ce genre d'endroits.

— Y êtes-vous déjà entré ?

— J'ai assisté à quelques procès, je trouve cela très formateur. Ah, voilà, le théâtre est là-bas ! »

Yoongi s'amusa de l'enthousiasme de son guide, qui avait accéléré le pas, aussi pressé de s'éloigner du repère des pires comploteurs de l'empire que de s'approcher du sublime édifice qui se dressait au bout de la large rue.

Ils visitèrent plusieurs bâtiments dont Yoongi était convaincu qu'il les avait contemplés avec des étoiles dans les yeux. La bibliothèque arixienne en particulier l'avait émerveillé. La beauté et la fragilité des codex aux pages dont le vélin dégageait une fragrance caractéristique lui avaient rappelé la petite collection de livres de son village, dont il s'occupait. Ces ouvrages avaient été fabriqués avec la même méthode, trace du passage des Phénix dans un monde qui avait oublié leur existence mais pas leur technique.

La nuit était tombée quand ils sortirent d'une galerie qui proposait une sublime exposition de peinture que Jimin avait découverte grâce à Namjoon, que l'art passionnait, quelle que soit sa forme.

« Nous devrions rentrer, songea Yoongi.

— Il est encore tôt. Et si nous allions nous balader au bord de la Nabacea.

— Êtes-vous vraiment sûr ? Il risque de faire froid.

— Avez-vous peur d'avoir froid avec toutes ces épaisseurs ?

— Non, vous avez raison.

— Et demain, vous pourrez dormir autant que vous le souhaitez, je vous rappelle que nous ne partons qu'après-demain.

— C'est juste.

— Alors pourquoi refuser ? »

Parce qu'il commençait à trouver cela étrange de passer autant de temps avec un Arixien à se promener dans Noria comme si son peuple n'était pas menacé d'une extinction imminente. Il jugeait dérangeant de profiter d'une ville qui avait détruit la sienne. Pourtant, la bonté de Jimin le dissuada d'émettre davantage de réserves.

« Très bien, allons-y. »

Jimin fut soulagé : il comptait bien sur la promenade le long de la Nabacea pour ouvrir les yeux de Yoongi sur la beauté de la capitale arixienne. Namjoon lui avait vanté tant de fois son projet d'aménagement de cette allée qu'il était impatient de la découvrir, d'autant plus qu'elle avait été inaugurée peu de temps auparavant.

Des réverbères luttaient contre l'obscurité qui enveloppait la ville, et dans les boulevards les passants se raréfiaient. Les chandelles s'allumaient dans les maisons, de savoureuses odeurs indiquaient que l'heure de dîner avait sonné, et au détour d'une rue, Yoongi sentit soudain sa mâchoire se décrocher. Les yeux de Jimin s'illuminèrent.

Devant eux coulait le large fleuve que longeait une magnifique promenade jonchée de stands d'artisanat, de nourriture, de vêtements, etc. Des effluves délicieux se mêlaient, et on avait dressé ici bon nombre de réverbères, ainsi que d'interminables guirlandes de lanternes de papier colorées dans lesquelles brûlaient des bougies. Des massifs de fleurs ainsi que des arbres minces apportaient une touche de nature bienvenue, et les pavés neufs sur le sol formaient une allée resplendissante.

« Bon sang, on m'avait dit que ce serait grandiose, mais là..., s'extasia le général.

— C'est... ouah, je n'en reviens pas... Jimin, c'est magnifique.

— Exactement... je n'avais jamais rien vu de si beau. Vous comprenez, maintenant, pourquoi je désire protéger cet endroit plus que tout. Le paradis n'existe pas, mais Noria regorge de beauté. J'ai choisi d'en être le bouclier.

— Je comprends.

— Allons-y. »

Jimin fit signe à son ami qui le suivit. Ils s'engagèrent sur la promenade bondée. Cette fois néanmoins, Yoongi ne se sentit pas oppressé par la foule, au contraire il éprouvait le sentiment de s'y mêler, d'y appartenir, de s'insérer dans quelque chose d'immense auquel il n'avait pas imaginé prendre part un jour. Tout ce qui l'entourait lui apparaissait comme une merveille dont il voulait repaître chacun de ses sens.

« Que diriez-vous de dîner ? s'enquit de Jimin alors qu'ils approchaient d'un emplacement occupé par un couple qui proposait des brochettes de viande.

— Avec plaisir, merci beaucoup. »

Ils s'installèrent chacun sur un siège, face aux deux quinquagénaires qui préparaient sous leurs yeux leurs brochettes à l'odeur appétissante. Jimin en commanda deux. Il sortait des pièces de sa poche quand la femme retint soudain son souffle.

« Bon sang, général Park ! s'exclama-t-elle.

— Oui... enchanté madame, hésita le jeune homme que l'on ne reconnaissait jamais à l'accoutumée.

— Oh, pardonnez mon soudain emballement, mais... m-ma fille est sous les ordres du lieutenant Kang, et... vous savez, c'est une femme bourrée de talents, mais son ancien général... il a tenté d'abuser d'elle e-et parce qu'elle s'est défendue en l'attaquant, elle a failli être renvoyée de l'armée avant d'être finalement transférée sous vos ordres, déclara la femme avec émotion. Elle était écœurée, mais le lieutenant Kang et vous-même l'avez accueillie et bien traitée, et désormais elle adore son métier.

— Qui est votre fille ?

— Shin Soyeon, général.

— Bretteuse et archère ? Les cheveux courts, plutôt petite ?

— O-Oui, c'est bien elle ! »

Ils ne discutèrent que quelques secondes de plus avant que la femme, émue de rencontrer le chef de sa fille, n'offre aux jeunes gens quatre brochettes, avec la bénédiction de son mari qui remercia à son tour le général Park pour sa bonté envers ses troupes.

« Je suis sévère avec mes soldats, soupira Jimin alors qu'ils avaient repris leur marche, mais je ne leur en demande jamais trop, et je sais les récompenser quand ils le méritent, pas uniquement les punir quand ils commettent des erreurs.

— Cette femme avait l'air sur le point de vous prendre dans ses bras.

— Elle a dû être si triste quand la place de sa fille dans l'armée a été menacée... Je peux la comprendre. »

Yoongi ne répliqua pas. Il observa les autres kiosques, et l'un d'eux, qui proposait de petits objets artisanaux et autres colifichets, l'intéressa au point qu'il ralentit le pas, ce qui n'échappa pas à Jimin.

« Quelque chose vous plaît-il ? demanda le général en se stoppant.

— Non... je me contente d'admirer la finesse de ce travail. »

Jimin suivit le regard de son aîné pour constater qu'il contemplait les quelques boucles d'oreilles exposées dans un coin de la table. Il se souvenait que Yoongi lui avait décrit celle qu'il portait comme un simple piercing surmonté d'une pierre d'un bleu similaire à celui de ses iris envoûtants.

« Elles vous rappellent celle que vous avez perdue, n'est-ce pas ? Vous m'aviez dit l'avoir retirée au moment de l'attaque.

— Oui... c'est étrange de ne plus la porter. Elle était comme une partie de moi. »

Jimin opina, et ils poursuivirent leur route. Les yeux du Phénix restèrent un instant accrochés à l'étal couvert de babioles et de bijoux. Les deux hommes se promenèrent encore quelques dizaines de minutes pendant lesquelles ils parlèrent peu, intéressés avant tout par ce qui les entourait. Yoongi, s'apercevant que Jimin ne l'en blâmait pas, se mit à s'arrêter devant tous les stands, fasciné par ce qu'il y trouvait.

« Alors ? s'enquit l'Arixien tandis qu'ils rentraient à la caserne. Que pensez-vous de Noria, à présent ?

— Je comprends que vous vouliez la protéger autant que je souhaite protéger notre village. Ce genre d'endroit, ce genre de magie, il faut les chérir et les protéger, car détruire est tellement plus rapide que construire. Prenez-en soin, général Park.

— J'y compte bien. Je ne laisserai personne nous faire subir ce que nous vous avons jadis infligé, et je tiens à ce que ce soit clair, Yoongi : je ne souhaite à personne, pas même au peuple Scorpion, de connaître ce que les vôtres ont connu. Les erreurs d'un général, d'un prince, d'un empereur, ne devraient pas faire peser de si graves conséquences sur leur peuple. Je trouve barbare que la guerre s'étende aux populations...

— Si seulement nos voix pouvaient être entendues. »

Mais au cœur d'une ville pareille, comment élever la voix au-dessus du chahut constant ? Si Jimin lui-même n'était pas écouté de l'Assemblée arixienne, aucune chance pour que les choses changent. Ceux qui contrôlaient les foules se moquaient bien de ce qui pouvait advenir aux petites gens, seule comptait leur propre personne.

Arrivé à la caserne, Jimin se dirigea vers les chambres ; il s'arrêta après deux pas, constatant que son aîné ne le suivait plus. Il se retourna pour l'interroger du regard.

« Je veux que l'on s'entraîne, affirma Yoongi.

— Que l'on s'entraîne ? Maintenant ?

— À l'arme blanche, oui. Je n'ai plus la force d'utiliser ma magie, mais je peux encore tenir debout. Je dois me battre pour les miens, apprenez-moi. Mieux je saurai me défendre avec ma dague, mieux je saurai utiliser mes pouvoirs.

— Alors ne perdons pas une minute. »

Sans se changer – ils se contentèrent de retirer leur manteau –, les deux amis se retrouvèrent au centre de la cour d'entraînement, l'un armé d'un sabre en bois, l'autre d'une dague du même matériau. Le poids identique à la sienne le surprit, d'ailleurs. Yoongi serra sa prise et sa mâchoire, prêt à en découdre, les muscles bandés. Cette balade dans les rues de Noria lui avait donné envie de se défouler, à la manière d'une piqûre de rappel à propos de la mission qui lui incombait.

Face à face, Jimin fit signe à son aîné de l'attaquer le premier, et ainsi ils passèrent près d'une heure à travailler les gestes, la précision et la force de Yoongi, qui termina épuisé mais fier de lui. Agenouillé sur un sol de pierres rendu glacial par la nuit, il garda la tête baissée jusqu'à ce qu'une main apparaisse dans son champ de vision, celle du général.

« Allons nous laver et nous coucher, vous en avez beaucoup fait aujourd'hui. »

Il accepta ce bras tendu sans un mot, et une fois qu'ils furent tous deux passés par la salle de bains commune aux chefs, ils se rendirent dans la chambre du cadet pour reposer les habits utilisés dans l'après-midi.

« Bonne nuit, le salua Yoongi alors qu'il s'apprêtait à quitter la pièce.

— Restez, ordonna Jimin, j'ai un matelas supplémentaire dans l'armoire.

— Mais...

— Je vous ai dit que je préférais que vous ne vous éloigniez pas, surtout la nuit.

— Je ne crains rien dans la caserne.

— Au contraire, vous serez un Phénix entouré d'Aigles inconnus. Je n'aime pas beaucoup cela.

— Je vois...

— Cela vous ennuie-t-il ?

— Pas outre mesure... disons que j'en suis simplement embarrassé. »

Jimin haussa les épaules et installa le matelas fin mais confortable qu'il possédait dans son armoire. Il le couvrit d'un édredon, et enfin les jeunes gens purent se détendre, bien au chaud sous leurs épaisseurs.

~~~

Dans une maison à quelques rues de là, alors que les lampes étaient éteintes, de profonds soupirs s'échappaient d'une chambre inoccupée ces dernières semaines, mais qu'à présent une atmosphère lourde et sensuelle comblait. Deux silhouettes s'étreignaient avec une passion déchaînée, presque bestiale. Taehyung avait enfin retrouvé le lit qui l'avait inspiré, la chaleur qui lui avait dicté ses mots, l'amour qui lui avait à la fois enflammé et brisé le cœur des mois plus tôt.

Il avait enfin retrouvé les bras du lieutenant Jeon Jungkook.




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Tout le monde l'avait vu venir ce Vkook (prochain chapitre déconseillé aux moins de 18 ans mdr). :3

Merci pour votre lecture, hésitez pas à voter et partager, j'ai vraiment hâte de poster la suite ! ^^

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