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Allemagne

Juin 1993


- Amalia! criait Fiekchen, alors que sa fille ne semblait pas vouloir lui répondre.

Depuis qu'elle lui avait annoncer, qu'elles devaient malheureusement quitter Munich, la jeune fille s'était enfermée dans sa chambre, ainsi que dans le mutisme.

Fiekchen savait bien que retourner dans son village d'enfance auprès de ses parents et de son frère n'était pas la meilleure solution, mais elle n'avait pas d'autre choix. A vingt ans, elle avait subi un viol et avait été frappée au point, que c'était un miracle, qu'elle soit encore de ce monde. Découvrant sa grossesse quelque mois plus tard, sa mère avait exigé qu'elle parte, ce qu'elle avait fait grâce à l'aide de son père. Amalia était née l'année suivante, en septembre et même si elle était le fruit de ce qu'elle avait subi, elle était fière d'avoir mis au monde seule, ce petit brin de fille.

Amalia avait 11 ans, ses longs cheveux roux ondulés venaient parfaire son regard vert et ses magnifiques taches de rousseurs. Pétillante et vive d'esprit, la jeune fille adorait la vie et aussi l'art gothique. Trouvant en une âme immortelle la plus vénérable des passions. Pourtant, une fois dans son monde, la jeune fille en oubliait tout le reste, au grand désespoir de sa mère.

- Amalia, insistait-elle en entrant dans sa chambre.

Cette dernière était sur son lit en train de dessiner un vitrail dans un style gothique, orner de roses et de Lys. Perdue dans son œuvre et le son de son walkman à fond, elle ne fit pas attention à l'arrivée de sa mère, qui doucement s'approchait-elle.

- Amalia... es-tu prête? Demandait-elle en s'asseyant sur son lit.

La jeune fille la regardait tristement et enlevait son casque.

- Oui, soupirait-elle.

- Je sais que c'est dur, mais nous n'avons vraiment pas d'autre choix.

- Je sais maman... ne t'inquiète pas, assurait la jeune fille en rangeant soigneusement ses crayons.

Deux mois plutôt, la tante de Fiekchen qui l'avait accueilli alors enceinte, était décédée des suites de sa longue maladie. Ne pouvant rester dans cet appartement onéreux, qui se trouvait dans la vieille ville de Munich, elle n'avait d'autre choix que de retourner vivre auprès de ses parents, le temps de trouver un travail et de mettre de l'argent de côté.

Amalia embrassait tendrement la joue de sa mère et soupirait longuement, car elle savait que sa mère angoissait de se retrouver dans la même maison que cet homme.

Sa mère lui avait souvent parler de son grand père, mais très peu de sa grand-mère et encore moins de son oncle. Elle avait même décelé une colère sourde, lorsqu'elle prononçait son prénom. D'ailleurs, elle disait toujours: mon papa ou ton grand père. Mais lorsqu'elle devait parler des autres membres de sa famille, elle disait: elle ou ma mère. Ou encore Lui. Ce qui la connaissant, ne laissait rien présager de bon et les rêves très étranges qu'elle avait recommencés à faire, allaient définitivement dans ce sens.

Le trajet en train avait été interminable et elles avaient dû en changer à plusieurs reprises. Plus elle se rapprochait et plus une étrange angoisse montait chez Fiekchen, qui hésitait à renoncer à ce projet. Elle avait cherché encore et encore d'autres solutions, mais à moins de vivre pauvrement, elle ne semblait pas en trouver. Plus les heures s'écoulaient et plus elle essayait vainement de se convaincre que tout irait bien, mais une petite voix lui murmurait avec cruauté, qu'elle savait très bien que c'était faux.

Elle n'avait pas remis les pieds dans la région de Lörrach depuis plus de 12 ans et à peine sortie de la gare de la petite ville de Steinen, qu'elle sentit les larmes lui monter aux yeux. La ville n'avait pas vraiment changé, quelques immeubles avaient été construit, mais elle semblait figée dans le temps. Fiekchen soupirait longuement et entrainait sa fille vers les arrêts de bus. Même les horaires n'avaient pas changé.

Elle fermait les yeux et hésitait une fois de plus. Quelle autre solution avait-elle, sans le moindre sou? Elle s'était occupée de sa tante malade, qui lui avait offert un toit et à manger, ainsi qu'un peu d'argent. Mais pas assez pour pouvoir prendre un appartement ou même pour subvenir aux besoins de sa fille. Ici au moins, elles auraient un toit, de quoi manger et elle pourrait trouver un travail, afin de mettre assez de côté, pour pouvoir définitivement partir.

- Oui, pensait-elle en essayant de se remplir d'espoir. Il ne s'agit que de quelques mois, espérait-elle de toute son âme.

Le bus arrivait, ne lui laissant plus d'autre choix que de monter à bord.

Le paysage était contrasté, un peu comme se qui se passait en elle. Les collines étaient toutes en nuances de vert et le ciel tout en nuances de gris. Comme toujours les nuages de l'Est étaient aussi menaçants que gorgé de pluie, alors qu'elles se dirigeaient dans cette direction. Fiekchen entendait à peine se qui se passait autour d'elle. Le bruit du moteur grondait à chaque changement de vitesse et une boule commençait à se former en elle, pourtant elle refusait de se replonger dans son passé douloureux. Elle avait survécu à tout ce qu'on lui avait fait endurer et elle savait qu'elle était désormais assez forte, pour se défendre.

Elle jetait un œil à sa fille qui semblait émerveillée par tout ce qu'elle voyait et cette idée lui réchauffait un peu le cœur.

Une fois le village de Weitenau passé, elles s'enfoncèrent dans l'Allemagne rural, qui contrastait logiquement avec la grande ville de Munich qu'elles venaient de quitter. Ici, tout n'était que collines, champs et forêt où serpentait les petites routes qui amenaient dans les villages souvent nichés au creux des valons.

Amalia n'en perdait pas la moindre miette. En voyant les forets verdoyants, elle s'imaginait déjà s'y balader en automne. Pour elle, ici, tout n'était que beauté, riche de millier de couleur.

Le ciel s'éclaircissait et au bout d'une ligne droite, la jeune fille vit une majestueuse église se dessiner. Dans les tons rouges, l'édifice attirait aussitôt son regard pétillant. Sans attendre, elle en capturait la moindre parcelle, dans l'espoir de pouvoir la redessiner, tant elle était magnifique.

Elle reconnu le style néo-gothique typique, grâce aux arcades sonores et au toit pyramide pliée et effilé, le tout édifié en brique de grès rouge, caractéristique de cette époque-là. Le bus passait juste à côté, la jeune fille se tournait pour voir la face principale qui était à coupé le souffle et elle se promettait de venir la visiter.

Le bus descendit au creux du vallon et les premières maisons du village d'Hofen se dessinèrent. Dans un pré, à l'entrée du hameau, un troupeau de mouton broutait paisiblement et Fiekchen fermait les yeux un instant afin de retenir les larmes qui menaçaient de couler. Le bus les déposait au milieu du village, elles remontèrent sur quelques mètres avant de prendre une petite route sur leur gauche.

Chaque pas était un supplice. Comme si ce lieu avait enchainé la mère de famille. Amalia elle, ne savait plus où donner de la tête, tant elle était émerveillée de voir toute cette nature. Jamais elle n'aurait cru que la Forêt Noire serait aussi belle. Inconsciemment, elles ralentissaient alors qu'elles dépassaient les dernières maisons. Là, au bout du chemin, elle apparut enfin.

- Maudite baraque, pensait Fiekchen en avançant un pas après l'autre.

Elle refusait d'inquiéter sa fille, mais sa main serrait la sienne bien plus fort que d'habitude, Amalia lui fit un tendre sourire, espérant lui faire comprendre qu'elle comprenait et acceptait sa décision.

Le vieux corps de ferme semblait presque abandonné, pourtant, avant que son père n'ait son accident, il avait été magnifique. Fleuri de partout, rangé, presque étincelant, car après tout son père avait été bourgmestre, une sommité politique dans la région. Mais tout cela faisait désormais partie du passé et seul le jardin montrait encore un peu de vie.

Fiekchen et Amalia entrèrent dans la cour, qui ressemblait à un dépôt de vieux véhicule agricole. Le vieux chêne planté par son arrière grand père trônait toujours vaillamment sur la droite, un vent doux soufflait dans ses branches grinçantes. Fébrilement, la mère de famille frappait un bon coup contre la porte et fermait les yeux.

Sans réponse, elle regardait machinalement en direction du jardin, avant d'entendre le son des sabots de sa mère. La porte s'ouvrit brusquement sur une vielle dame sans le moindre sourire, qui les dévisageait tour à tour, avant de laisser apparaitre un sourire triomphant sur ses lèvres. Sans le moindre mot pour sa fille, qu'elle n'avait pas revue depuis plus de 12 ans, Hilda Muller laissait la porte grande ouverte et retournait à ses mots croisés.

Amalia jetait un œil à sa mère et lui serrait tendrement la main, alors que les larmes coulaient sur ses joues et il ne lui en fallut pas plus pour comprendre enfin dans quel genre de foyer avait grandi sa maman. Le cœur frappant durement dans sa poitrine, Fiekchen entrait et se dirigeait sans un mot vers le salon où se trouvait son père, qui se levait d'un bon avant de la prendre maladroitement dans ses bras et d'ébouriffer les cheveux de sa petite fille.

- Bon sang... tu as grandi, disait-il un peu fort à cause de sa surdité naissante. Et toi ma fille... comment vas-tu? Et le voyage! Tout va bien, séchait-il ces larmes.

- Papa, murmurait-elle heureuse de le retrouver.

Il n'était pas un père parfait, très loin de là. Surtout depuis qu'il avait sombrer dans l'alcool à cause de son accident de tracteur, qui avait failli lui écraser la tête. Mais il l'avait toujours protégée et fait en sorte qu'elle aille tout ce qu'il faut. C'était lui qui l'avait envoyé chez sa sœur malade, afin qu'elle puisse élever sa petite, sans recevoir les foudres des habitants du village ou celle de sa mère. Une jeune femme serveuse dans un bar, qui se faisait violenter et tombait enceinte. Aucun homme n'aurait voulu d'elle et elle aurait été la risée de la région.

Elle entendit soudain ses pas et elle serrait les poings, sans même s'en rendre compte. Emmerich Muller son frère, arrivait avec un petit sourire satisfait et dévisageait étrangement la mère et la fille.

- Le retour de la fille prodigue, raillait-il en soupirant.

- Qu'as-tu dit? lui demandait son père en se penchant vers lui.

- ELLES SONT ENFIN DE RETOUR, criait-il alors en souriant faussement à son père.

Ils entendirent un murmure venir de la cuisine et Fiekchen hésitait un instant à cacher les oreilles de sa fille.

- Tu dois être Amalia, moi c'est Emmerich... mais tu peux m'appeler tonton, proposait-il en lui caressant la joue.

La jeune fille prit sur elle de ne pas bouger, mais une sensation étrange était en train de naitre en elle. Elle baissait les yeux et fit de son mieux, pour ne rien montrer de sa gêne.

- Je sors. Je vais boire des bières avec mes potes, lançait-il à sa sœur. Ta chambre à pas bouger. La gamine n'a qu'à dormir dans la chambre de la vieille, montrait-il les escaliers.

Et il sortit comme il était venu, non sans jeter un drôle de regard en direction de sa nièce, qui n'avait toujours pas oser bouger.

Fiekchen soupirait longuement avant de monter à l'étage avec Amalia qui essayait vainement de comprendre ce qui venait de se passer. Sa mère ouvrit une porte et l'invitait à entrer.

- Ton arrière-grand-mère dormait ici... avant, fit-elle de son mieux pour garder son sang-froid. Se sera ta chambre... mais avant faisons un peu de ménage, essayait-elle de sourire.

Amalia entrait et regardait la pièce, qui était plutôt spacieuse, quoi que vieillotte et très poussiéreuse. De toute évidence et au contraire de sa mère, sa grand-mère n'était pas une fée du logis.

- Je suis vraiment désolée, ma chérie...

- Maman... c'est une jolie chambre. Tout va bien se passer, tentait-elle de la rassurer, alors qu'elle tremblait de tout son être.

Elle n'avait vécu qu'avec sa mère et sa vieille tante. Entourée d'amour, de rire et de moments aussi doux que tendre, mais dès qu'elle avait vu son oncle, une partie d'elle avait compris, que ces instants ne seraient plus que de lointain souvenirs.

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