Chapitre 42

Erakris sortit Sinn de ses pensées :

— La nuit tombe vite, déclara-t-il. Tu devrais aller dormir un peu.

— Il faut allumer les amphores dans les bois, répondit Sinn.

— Cesse de trouver des raisons pour rester éveillé, soupira Erakris. Nous devrions pouvoir garde le camp entier pendant que tu te reposes.

— Quand est-ce que ta guilde va nous envoyer des Alchimistes ? répliqua Sinn, irrité par leur absence.

— Ils vont venir, répondit Erakris. Au départ de cette expédition, tu m'as demandé de convaincre ma guilde de t'apporter assistance... et je me tiens devant toi parce que j'ai accompli ma mission... ils viendront !

— Quand il n'y aurait plus que nos cadavres à brûler ! objecta Sinn.

— Tu es devenu pessimiste, mon frère, se désola Erakris. Depuis le départ de l'étrangère, tu sembles douter de l'issue de ce conflit !

— L'étrangère n'a rien à voir là-dedans, soupira Sinn. Enfin, si, nos hommes ont été incapables d'arrêter deux individus à quitter le campement, alors une horde ! cracha Sinn.

— Techniquement, on doit empêcher la horde d'entrer, pas de sortir, objecta Erakris un léger sourire aux lèvres.

— Tu te trouves drôle ? grogna Sinn en prenant la direction de sa tente.

— Désolé, s'excusa l'Alchimiste. J'ai fait préparer des bouillottes de campagne pour ta tente, tu y seras au chaud, mon frère !

Sinn se passa une main sur le visage et soupira, il avait beaucoup de choses à faire, mais son frère avait raison, il devait se reposer pour tenir le coup.

— Qu'on me réveille dans deux heures ! ordonna-t-il à Erakris.

— Je serai ponctuel, mon seigneur, affirma Erakris avant de tourner les talons.

Sinn entra dans sa tente, les bougies n'étaient pas encore allumées, mais la pénombre ne le dérangeait pas. Les « bouillottes » dont Erakris avait parlé, étaient posées sous son lit de camp : des pierres plates étaient plongées dans de l'eau bouillante un moment, puis elles étaient mises dans les tentes et leur chaleur rayonnait sous le lit. On pouvait aussi en mettre des plus petites dans une taie d'oreiller que l'on déposait aux pieds, pour avoir plus chaud.

Sinn retira son lourd manteau et s'allongea sans plus de cérémonial. Il sombra dans un sommeil profond plus que mérité.

Lorsqu'il était éveillé, Sinn ne pouvait s'empêcher de penser que les Oracles avaient raison : « une armée face à tout un peuple... l'issue sera forcément fatale pour mon armée. »

Dans la nuit d'encre, des petits foyers brûlaient discrètement dans le campement pour éclairer faiblement les allées et réchauffer doucement les guerriers, qui se regroupaient autour.

Erakris et Orkan s'approchèrent rapidement de la tente de Sinn.

Erakris entra :

— Une horde arrive ! affirma-t-il, avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

Sinn se réveilla en sursaut avec l'idée qu'il avait à peine fermé l'œil.

— Désolé, mon frère, reprit Erakris. J'espérais que tu puisses dormir plus d'une heure, ajouta-t-il en regardant Sinn enfiler sans manteau encore humide.

— Allons-y ! ordonna le seigneur des Kross, le visage fermé.

Des amphores éclairaient le futur champ de bataille. Les flammes dansaient pour inviter les flocons de neige à tomber plus abondamment, comme si la nature cherchait à poser un voile blanc et dense sur l'horreur qui allait se jouer.

Les Ombres couraient à une allure folle pour atteindre les guerriers Kross. Des grognements bestiaux s'échappaient de leur gorge, tant pour s'encourager que pour intimider leurs proies.

Le fracassement des ennemis contre les boucliers sonna comme le glas, invitant la Mort aux festivités, mais les guerriers tinrent bon, encouragés par les ordres beuglés par Sinn et ses chefs de groupes.

Les épées et les haches fendaient les crânes des hommes et des femmes qui, peu de temps avant, avaient composé des foyers ordinaires. Une maladie avait tout changé, depuis ils n'étaient plus que des Ombres, des hommes et des femmes revenus à l'état sauvage... des animaux sanguinaires.

Le nombre des Ombres ne cessa d'augmenter, inondant le champ de bataille, alors les guerriers Kross grognèrent aussi fort que les Ombres. Fracassant des têtes. Amputant des bras. Tranchant des mollets...

Les Ombres, elles, se regroupèrent pour attaquer ensemble une seule proie à la fois, griffant, éventrant, mordant...

Parfois l'éviscération n'était pas assez profonde et l'agonie des blessés serait interminable, même si le froid allait engourdir les membres puis le corps tout entier... sauf que la Mort, cruelle, se ferait attendre, voire désirer par les Kross mis à terre.

La fraternité des guerriers était leur plus grande force. Se protégeant les uns les autres, les Kross arrivèrent à réduire les assauts des Ombres, puisqu'il n'y avait plus d'hommes isolés.

L'instinct animal des Yoxans les força à reculer, emportant avec eux les Kross qu'ils avaient mordus. Ils deviendraient des Ombres très vite, emportés par la maladie qui les feraient muter.

Sinn ordonna aux archers d'envoyer des salves de flèches, pour tenter de tuer les fuyards et les Kross atteints.

Des Ombres s'écroulèrent touchés par les projectiles, et les blessés furent abandonnés sur place par leurs congénères.

Rapidement, il ne resta que les Kross, debout, sur ces terres inondées de sang, d'entrailles et de cadavres.

Les guerriers blessés gémissaient de douleur. Ils savaient tous, qu'ils allaient être exécutés par leurs pairs, pour abréger leur souffrance, puisqu'ils ne pouvaient être guéris de leurs blessures.

Quand les derniers cris d'agonie se turent, les astres nocturnes avaient parcouru la moitié de leur course. Les premiers bûchers avaient été allumés pour dévorer les morts et les flammes s'élevaient pour danser et illuminer la neige qui tombait encore.

Sinn et ses hommes fracassèrent leur hache sur leur bouclier, ultime chant d'adieux à leurs frères d'armes. 

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