Chapitre 40

L'air glacial de l'hiver transformait l'air expiré en vapeur, tout comme elle rougissait les visages des vivants et semblait bleuir ceux des morts qui jonchaient le sol.

Couvert de sang, épée au clair et debout au milieu des cadavres des Ombres, qui avaient tenté une traversée, Sinn leva brièvement les yeux vers l'étonnant ciel bleu qui semblait appeler à la sérénité, alors que sur terre, la Mort avait pris ses quartiers aux abords de la frontière.

Partout où Sinn regardait, la neige avait pris une couleur rouge sang et les piliers qu'il avait fait installer, se dressaient toujours fièrement et remplissaient leur office. Accrochés aux potences, et malgré le froid, les cadavres en décomposition et dévorés par les volatiles et les insectes, émettaient une odeur qui perturbait les Ombres. Ainsi, les Yoxans franchissaient la frontière par petits groupes, ce qui rendait les exécutions plus faciles.

Sinn avait organisé ses troupes par roulements pour leur éviter épuisement et engelures. Les guerriers se rendaient régulièrement dans le campement des civils, pour y dormir deux nuits d'affilée au chaud.

Quant à Sinn, lui n'avait pas quitté le campement de l'avant-poste, ne voulant pas être vu par ses hommes comme un chef qui les laissait souffrir en menant la guerre de loin et en sécurité. Surtout Sinn savait que le nombre des groupes ennemis était croissant, ce qui signifiait qu'une horde impressionnante finirait par franchir la frontière. D'autant que le temps filait inexorablement et qu'il leur faudrait bien trouver de quoi se nourrir jusqu'à la fin de l'hiver, d'ailleurs seuls les Onis savaient ce que les Ombres faisaient durant les autres saisons.

Sinn repéra Erakris qui s'approchait mais il préféra l'ignorer et terminer d'achever ceux qui n'étaient pas encore décédés, tandis que quelques hommes regroupaient déjà les cadavres des Yoxans, et ceux de leurs frères d'armes pour les brûler séparément. L'odeur était épouvantable mais il fallait se débarrasser des corps car creuser était exclu, puisque le sol recouvert de neige était gelé.

Erakris, du sang séché sur la face, se racla la gorge :

— Toujours aucune nouvelle de Riyès, déclara-t-il.

— Il doit avoir perdu leurs traces au moment des premières neiges, soupira Sinn qui continuait de marcher entre les corps tout en fracassant des crânes. Il sait qu'il ne peut pas revenir sans avoir accompli sa mission.

Cela faisait un mois que l'étrangère s'était échappée...

Au petit matin, Sinn sortit de sa tente le sourire aux lèvres, imaginant trouver l'étrangère lovée dans le manteau, qu'il lui avait jeté après l'avoir mise en cage.

Quand il s'approcha, une masse était bien recouverte par son manteau. Sinn ouvrit la porte de la cage en déclarant « debout, tu peux sortir ». L'étrangère ne bougea pas.

Sinn tira sur le manteau pour dévoiler le corps inerte et froid d'Ilène, l'une de ses favorites.

Fou de rage, Sinn comprit que la garce avait bien caché son jeu.

Il l'avait considérée comme intouchable, parce qu'il s'était trop méfié des nombreuses possibilités dues à la magie. Sinn n'avait pas souhaité mettre en péril sa mission contre les Ombres, et il avait usé de beaucoup de volonté pour ne pas assouvir les pulsions qu'il avait eues envers elle. Il craignait que cette attirance malsaine soit en réalité un sortilège contre lui. Pire, il avait cru que même la tuer pouvait avoir des conséquences sur sa mission.

Sinn pensait bien faire en la gardant proche de lui et surtout saine et sauve. Il s'en voulait de s'être trompé à ce point, et ça avait coûté la vie à l'une de ses favorites.

Il beugla pour rameuter les guerriers qui étaient censés monter la garde. Riyès fut l'un des premiers hommes à arriver, il blêmit en constatant qu'il y avait un cadavre dans la cage, et qu'il ne s'agissait pas de l'étrangère. Connaissait très bien son seigneur, le guerrier sut qu'il était fou de colère et qu'ils allaient tous passer un mauvais quart d'heure.

Trouve-moi cette traînée, déclara froidement Sinn.

Je prends un groupe d'hommes et nous allons faire le tour du campement pour chercher des traces, affirma Riyès.

Riyès ! tonna Sinn. Elle a tué Ilène, cette garce doit souffrir !

Riyès opina du chef et tourna les talons pour se mettre en quête d'indices susceptibles de le conduire à la fuyarde et à son complice éventuel.

Trois heures plus tard, Riyès retrouva Sinn, devant le bûcher d'Ilène, pour lui faire un compte rendu :

Il y a des traces au nord-ouest du campement, qui m'ont conduit dans la forêt. J'ai trouvé des empreintes dans la boue, je pense qu'au moins un homme était avec elle. Ils sont partis ensemble sur un warex. L'animal devait être là depuis trois ou quatre jours, selon les crottins.

Alors celui qui l'a fait venir jusqu'ici, l'a retrouvée, réalisa Sinn, en regardant les flammes dévorer le corps.

Il se tourna vers Riyès :

Prends ce qu'il te faut et pars en chasse, déclara-t-il sèchement.

Dois-je vous ramener l'étrangère vivante ? demanda Riyès.

Non, ne t'encombre pas, ricana Sinn. Tue-les tous les deux, il faut mettre un terme à toute cette histoire !

Je pars sur le champ, affirma Riyès.

Le guerrier tourna les talons.

Riyès, tonna Sinn. Ne te représente pas devant moi, tant que tu n'auras pas accompli ta mission !

Je n'aurai de répit à les traquer, confirma Riyès.

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