Chapitre 8

Ce fut malgré tout une belle soirée. La note après l'entrée, le repas et le dessert avait été salée, mais Korie n'avait pas bronché, ce qui avait conforté Bella dans son plan d'action. Il n'avait aucune idée de la valeur de l'argent, et c'était ce qu'elle aimait chez lui.

Pas de baisée romantique sous un lampadaire, rien qu'un « on se revoit lundi » avec un petit sourire gentil. Korie était ensuite reparti chez lui, laissant Bella se démerder pour retourner chez elle en taxi.

Quand il fut arrivé devant l'appartement familial, il était un peu plus de vingt-et-une heures. Il donna une tape sur le verrou avec son téléphone tout en écrivant un code à cinq chiffres et la porte s'ouvrit d'elle-même. En entrant, l'habituelle voix robotique du colonel l'accueilli à coup de « identifiez-vous, je vous prie ». Korie leva les yeux vers l'androïde, ce qui fut suffisant pour que celui-ci le reconnaisse et le laisse tranquille.

- Korie, c'est toi ? entendit-il depuis la cuisine.

- Le seul, l'unique ! répondit-il tout en retirant ses chaussures.

Une odeur douce flottait dans l'air, mais l'estomac plein, il avait envie de tout, sauf manger. Il se sentait prêt à jeuner tout le reste du mois. Malgré tout, il alla rejoindre sa mère. Ça lui faisait toujours bizarre de la voir cuisiner, disons que ça lui prenait très rarement. À quoi bon se donner la peine quand on avait à disposition deux robots ménagers ?

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il en s'appuyant sur le comptoir.

- Une trempette, répondit-elle vaguement tout en coupant un poivron en petit morceau carré. Et toi, alors ? Raconte-moi ta soirée !

Korie plissa les yeux en remarquant le sourire démesuré de Violet. À ses mots, presque criés tellement elle était excitée, son père se ramenait aussi, avançant lentement, comme un chat se rapprochant sournoisement d'une souris.

- Mais... c'était juste une amie, je te l'avais dit !

Violet fit un clin d'œil plein de sous-entendus. Korie grogna.

- Juste une amie ! répéta-t-il rageusement.

- Tu t'es fait drôlement charmant pour « une amie », dit Owen en donnant une tape sur l'épaule de son fils.

- C'est la norme pour le restaurant, j'ai pas mis un veston pour Bella !

- Oh, la belle à un nom !

- Je l'aime pas ! s'énerva Korie en levant les bras au ciel. Je la supporte comme amie, mais plus ? Jamais de la vie ! Elle n'est pas mon genre.

Violet et Owen échangèrent un regard, s'arrêtant enfin de sourire à pleines dents.

- Elle est superficielle, continua Korie. Tout le contraire de ce que j'aime. Et de toute façon, j'ai jamais dit que je voulais une petite amie ! Ce sont des amis que je cherche. Et même que la plupart sont plus grands que moi.

- Ne le prend pas mal, on te taquine, dit Owen en passant une main dans les cheveux châtains de son fils. Seulement, c'est un drôle le choix de restaurant pour « juste une amie ».

- Merci, j'avais remarqué... un peu trop tard.

Échappant à la poigne de son père, Korie alla au salon pour s'étendre sur le canapé et sortit son téléphone cellulaire de sa poche. Le message de Tobias était toujours affiché, celui où il affirmait enfin avoir trouvé le numéro de Valérie. Comment avait-il fait ? Avait-il demandé directement a elle, en disant... en disant quoi ? Qu'est-ce qu'il avait bien pu lui dire à son sujet ?

Korie éteignit l'écran, la peur au ventre. Ce n'était peut-être pas une bonne idée de lui demander ça. Je le connais à peine ; et si c'est son trip de faire chier les gens ? Ce serait bien possible, s'il traine avec Levis !

Finalement, il envoya simplement : « comment t'as fait ? » Ensuite, au moins, il sera fixé. Mais le stress ne voulait plus le quitter.

Korie ferma les yeux, poussa un long soupire, puis les ouvrit à nouveau pour voir le film qui jouait à la télé. Cinq secondes plus tard, son père arrivait dans le salon pour prendre place dans son fauteuil, une bouteille de bière à la main. Il en prit une gorgée avant de croiser son regard.

- Alors, ta première semaine d'école ? C'était bien ?

Korie aurait bien voulu tout raconter, mais il estima préférable d'éviter. Owen hurlerait s'il apprenait qu'il avait « prêté » son laser à quelqu'un, hurlerait encore plus fort en apprenant qu'il l'avait apporté en cours avec lui. Il serait indigné que son fils fût jugé par son job. Puis il parlerait pendant des heures sur « comment j'ai un jour séduit ta mère » s'il disait un mot à propos de Valérie.

- C'était bien, dit-il à la place de tout le reste. Les gens sont cools et les cours sont juste assez difficiles pour que ce soit intéressant.

- Et tu t'es fait des amis ?

- Quelques-uns... En fait, c'est vraiment bizarre ; tout le monde adore l'école, là-bas. Tout le monde ! Stuyvesant, c'est le lieu le plus paradoxal que j'ai jamais visité.

- Alors ils doivent avoir une bonne influence sur toi ? dit Owen avec un sourire en coin.

- Peut-être, dit Korie dans un haussement d'épaules. Je reste le meilleur.

Owen pouffa de rire à l'assurance de son fils. Malgré tout, il ne doutait pas une seule seconde qu'il disait la vérité.

Violet fit enfin son entré dans le salon, un plat de trempette entre les mains. Elle le posa sur la table basse pendant que le Colonel arrivait derrière elle avec les croustilles et les cuillères. Hideux termina la marche avec un verre de vin blanc entre les pinces.

Encore plein de son souper avec Bella, l'idée de manger le répugnait. Par contre, le vin le tentait beaucoup.

- Je peux avoir un verre de vin, moi aussi ?

- Non, dit aussitôt Violet.

- Oh, allez... Juste un petit.

- Tu n'as pas l'âge de boire !

- Vous savez que j'ai déjà bu avant, dit-il dans un grognement.

- Korie, tu vois cette bedaine de bière ? dit cette fois Owen en se claquant le ventre. C'est toi dans dix ans si tu ne te calmes pas.

Korie grimaça, capitulant. Il n'était pas assez téméraire pour avouer à voix haute que son père était laid, mais l'idée de devenir gros le fit hésiter.

- Hideux, fais-moi un verre de jus de pomme, marmonna-t-il piteusement.

- Oui, monsieur.

Korie prit son téléphone, ouvrit l'appli RDCD lui permettant de communiquer avec Hideux et écrivit « ajoute 60 ml de téquila et cache bien la bouteille ensuite ». Le robot répliqua aussitôt : « il m'est impossible de vous donner de l'alcool, monsieur. Ordre de votre père. »

Korie jura entre ses dents. Merde à moi !

Une seconde plus tard, l'appareil vibra à nouveau, affichant un message de Tobias. Son cœur bondit dans sa poitrine et il se redressa sur le canapé pour y lire la réponse à sa question de tout à l'heure :

« Je lui ai dit que tu étais intéressé à faire sa connaissance ».

Il avait même eu le culot d'ajouter un émoji clin d'œil.

Sale con. Il est pire que Levis !

- Tout va bien ? s'inquiéta Violet qui avait remarqué son trouble.

Korie hocha distraitement de la tête, sans lui accorder un regard. Hideux apparut soudainement près de lui, posa son verre de jus de pomme sur la table et retourna se cacher en cuisine. Korie n'avait rien vu, trop occupé à insulter Tobias en silence. Celui-ci, comme s'il avait lu dans son esprit, envoya un second message, plein de sagesse :

« T'énerve pas contre moi, hein. Je sais que t'avais des arrière-pensées quand tu m'avais demandé son numéro. Tu m'avais aussi mentionné que tu étais parfois timide, alors... C'est un service, que je te rends là. Dis-moi merci. »

Korie n'avait pas envie de dire merci. Mais, bien malgré lui, il fallait admettre qu'il n'aurait jamais eu le cran de dire la chose directement. Il répondit donc d'un simple : « ok » qui ne voulait pas dire grand-chose. Il était trop fier pour avouer que Tobias avait raison.

« Je dis quoi, alors, si tu sais tout ? »

« Dis salut, banane ! T'es vraiment aussi nul sur le plan social que t'es doué en chimie ? »

« Malheureusement, oui. »

« Tu sais quoi ? Je crois qu'on va bien s'entendre. Ne le dis pas à Levis. »

Il lui envoya ensuite le fameux numéro de téléphone. Sans rien comprendre, Korie l'ajouta à ses contacts.

Un mouvement brusque attira soudain son attention. En sursautant, Korie leva les yeux vers ses parents qui le dévisageaient, chacun une croustille pleine de trempette rosée en main.

- T'es toujours parmi nous, Korie ? demanda son père, un petit sourire au coin des lèvres. Y' a quoi de si passionnant, sur ton téléphone ?

- Un nouvel ami, marmonna Korie dans une grimace. Il est chiant.

- Ça fait les meilleurs amis, dit sa mère, sérieuse.

- On peut changer de sujet ? Dites-moi quelque chose, vous aussi !

- OK, dit Owen en se penchant par en avant. Faut que j'aille à Washington D.C., jeudi. Tu veux venir ?

- Jeudi ? Je vais rater des jours d'écoles !

Violet s'étouffa avec sa croustille aux paroles de Korie. Il aime l'école, pensa-t-elle tout en tentant de reprendre son souffle. C'est pas mon fils, ça !

- Je veux dire... dit lentement Korie en dévisageant Violet. J'ai un examen jeudi.

- Un examen, à la deuxième semaine de cours ? dit Owen.

- Peut-être... Enfin, tu vas y rester combien de temps, à D.C. ?

- Je rentrerai samedi matin.

- OK... J'y penserais. Je suis jamais allé à D.C. Est-ce qu'on va voir le président ?

- Non, s'esclaffa Owen. Aucune chance.

- Dommage...

Son téléphone, toujours entre ses mains, vibra doucement. C'était encore Tobias.

« Alors, tu lui as parlé ? Tu ne dis pas n'importe quoi, j'espère ! »

« Je le fais dans peu de temps. Je suis en grande discussion avec mes vieux. Ils vont à Washington jeudi jusqu'à samedi ! Je devrais en profiter, tu crois ? »

« Qu'est-ce que t'as en tête ? »

Korie ne répondit pas immédiatement. Oui, une idée commençait à faire son chemin, mais poser les questions pour s'assurer que tout était faisable serait particulièrement louche. Et puis, est-ce que ça en valait la peine ? Un coup d'œil vers son jus de pomme le conforta dans cette idée.

- Tu vas faire quoi, à D.C. ? demanda-t-il tout de même d'un air détaché, les yeux scotchés sur l'écran de son téléphone. Une conférence ?

- Seulement convaincre quelques entreprises d'acheter nos robots. Des démonstrations, tout ça.

- Et Joseph y va aussi ?

- Oui, comme toujours. Pourquoi autant de questions ?

- Curiosité.

Korie se mordit la lèvre pour s'empêcher de sourire. Il avait l'habitude de suivre son père partout pour apprendre le métier qu'il pratiquera dans quelques années, mais les démonstrations, il en avait déjà vu des centaines et elles n'avaient plus aucun secret pour lui. Il était donc tout à fait naturel qu'il décline l'offre.

- Non, je suis mieux de rester ici. Les cours sont plus difficiles, j'ai peur d'être à la ramasse si je manque deux jours de suite.

- D'accord, dit son père, déçu. Je comprends. Tu vas pouvoir t'occuper seul pendant ce temps ?

- Mais oui. Et puis j'ai Hideux et le Colonel, je serais pas vraiment seul. Ils veilleront sur moi.

Owen hocha la tête, convaincu. Violet semblait un peu plus préoccupé, mais ne dit rien pour décourager Korie. Malgré sa peur, elle voulait que son fils devienne indépendant, et c'était en pratiquant on apprenait le mieux.

Sous les regards que se lançaient ses parents, Korie retourna à son téléphone pour envoyer plusieurs messages. Le premier pour Tobias : « J'ai un plan ! », un deuxième pour Madison : « Si ton père te demande d'aller à D.C., dis non ! » et finalement, un troisième, pour Valérie.

Un simple « Salut », écrit de peine et de misère avec des pouces tremblant sous le stress, alors que son cœur se mettait à pomper à toute vitesse.

Les choses vont enfin avancer, au prochain weekend.

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