Dernier jour de la semaine avant le weekend. Korie essayait de sourire, mais l'idée de devoir aller au resto avec Bella l'ennuyait. Puisqu'il était un homme de parole, il avait fait une réservation dans l'un de ses restaurants préférés — tant qu'à y être obligé, aussi bien avoir quelque chose de délicieux à manger — et c'était bien la seule raison pourquoi il n'appréhendait pas autant qu'il aurait pu.

Dès qu'il pensait à Bella en essayant de se convaincre qu'elle était un bon coup, l'image de la brunette de son cours de chimie prenait le dessus dans son esprit, c'était plus fort que lui. Il n'avait même pas osé raconter cette histoire à ses parents, de peur qu'ils croient qu'il était « en couple » alors que cette idée ne l'effleurait pas. Pour Bella, du moins. Pour la brunette ; un peu moins.

En suivant la foule dans les corridors, Korie remarqua, venant à sa rencontre, Adam, qui dominait tout le monde d'une tête. Enfin une occasion de songer à autre chose !

- Oh, Adam ! s'écria-t-il pour attirer son attention. Viens là.

Le géant s'arrêta devant lui, bloquant le trafic. Korie l'entraina près des casiers.

- Tu peux me le rendre, maintenant, mon laser ?

- Eh... désolé, je l'ai oublié à la maison.

Korie soupira un bon coup. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais il l'avait prévu.

- Très bien. Je le veux lundi, dans ce cas. Ne l'oublie pas !

- Oui, sans faute !

Korie lui fit un sourire crispé, puis le contourna pour continuer son chemin. Adam se précipita pour lui emboiter le pas.

- Alors, toi et Bella, hein ? Petit chanceux !

Korie haussa les épaules. Il ne se sentait pas particulièrement chanceux, sur ce coup.

- Allez, quoi ! dit Adam en lui balançant un coup de coude qui l'envoya presque valser contre les casiers. Bella est géniale, elle est super belle... Y'en a qui tuerait pour être à ta place !

- Eh bien, qu'ils la prennent. Je ne suis pas prêt à mourir.

- T'es pas sérieux.

- Bien sûr que je le suis, dit Korie en lui lançant un regard en coin. D'accord, Bella est jolie. Mais est-ce que tu pourrais me donner une ou deux qualités de plus ?

Adam garda le silence un long moment. Son visage s'illumina quand la réponse lui vint enfin :

- Elle est gentille. Sociale. Elle a un bon sens de l'humour. Elle aime les animaux. Même les reptiles ! Elle a une tortue qui s'appelle Michelangelo.

Korie pouffa au nom de la tortue. Il fallait bien avouer qu'il ne s'était pas attendu à ça d'une fille aussi « rose bonbon » que Bella. Peut-être qu'elle pouvait encore le surprendre, finalement.

Adam, lui, c'était le rire de Korie qui le rendait heureux. Bien sûr, il ne pensait pas tellement au bonheur de son ami ; uniquement à celui Bella. Et du sien, par conséquent.

- C'est drôle ; au départ, je croyais que vous étiez ensemble, dit Korie. Toi et Bella.

- Oh, non ! s'esclaffa Adam. On se connait depuis toujours, elle et moi. Ce serait trop bizarre !

- Ouais, je comprends ça...

Korie n'osa pas en dire plus, mais cette histoire le faisait penser à lui et Madison. C'était la plus vieille fille de Joseph, un an de plus que lui. Leurs parents s'amusaient parfois à les pousser l'un vers l'autre, mais eux ne se voyaient que comme des frères et sœurs.

Elle était pourtant sa raison qui le sortait du lit tous les matins. Parce que, quand il ne le faisait pas, son robot Hideux était programmé pour le menacer d'avouer une flamme inexistante à Madison. C'était plutôt efficace.

Enfin, Korie était arrivé à la porte de son cours préféré ; la chimie. Il fit un signe de main pour Adam en guide d'au revoir et traversa l'ouverture, où il remarqua qu'aucun élève n'était assis à leurs places. Tous étaient debout ou appuyés contre les pupitres et bavardaient joyeusement entre eux. Korie resta bêtement devant l'entrée, intrigué.

- Il se passe quoi ?

- On change de classe, lui répondit un garçon près de lui. On attend les autres avant d'y aller.

Korie sourit à la nouvelle ; il savait parfaitement ce que ça voulait dire. Ils allaient enfin faire de la vraie chimie, dans un labo de chimie.

Rapidement, les quelques étudiants manquants arrivèrent et le vieux prof barbu leur expliqua ce que tous savaient déjà ; changement de classe pour aujourd'hui. Puis il les entraina dans les corridors jusqu'à une seconde salle pas trop loin de la première. Dans celle-ci, les tables étaient plus longues, faites pour accueillir deux personnes, et les meubles en porte vitrée exposaient toutes sortes de produits colorés.

Le prof leur indiqua un autre meuble un peu plus loin contenant le matériel de protection de base ; gant, lunette et tablier. Korie se servit et quand il se retourna pour se trouver une place, il remarqua qu'elles étaient déjà toutes occupées.

- Qui veut de moi ? demanda-t-il timidement.

Plusieurs choix s'offraient à lui chez ceux qui étaient encore seuls à leur table, mais aucun avec qui Korie avait sympathisé. La brunette était déjà groupée avec une fille à la peau basanée et aux cheveux abondamment frisés, à la limite de l'afro. Il pinça les lèvres et en cherchant un autre endroit et il croisa le regard de Tobias ; son fidèle Levis n'était pas dans cette classe, le blond était donc abandonné. Il semblait presque déprimé, sans son ami.

- Allez, viens ici, dit Tobias.

Korie souffla de soulagement et alla s'assoir à la chaise à côté de lui. Il posa ses gants et ses lunettes sur la table devant lui pendant qu'il se battait avec le lacet de son tablier.

- Je te laisse travailler, je veux pas m'imposer, dit Korie en guise de salutation. Je voudrais pas renforcer ma réputation d'arrogant et me la jouer « je sais mieux que toi comment on fait ».

- Ah... dommage, parce que je suis pas le meilleur, en ce qui concerne la chimie.

- Alors tu veux que je fasse tout le travail ?

- Non ! s'écria aussitôt Tobias. T'en fais pas ! Je t'ai pas laissé t'assoir avec moi rien que pour profiter de ton QI.

- Tu l'as fait parce que j'avais l'air d'un con que personne ne veuille de moi ?

- Korie, arrête... soit pas pessimiste, en plus du reste.

Il avait enfin réussi à nouer son tablier dans le dos. Sans mettre les gants, il s'appuya de ses coudes sur la table, alors que le prof attendait encore que tout le monde s'installe. Korie soupira, puis tourna la tête vers Tobias, qui feuilletait son gros livre de chimie.

- Pourquoi tu dis ça ? demanda Korie avec une pointe de désespoir dans la voix. Je suis pas pessimiste ni arrogant... enfin, je crois. J'ai surement des défauts, c'est sur, je suis pas une machine... mais j'ai comme le sentiment que, Levis et toi, vous cherchez vraiment à m'en trouver le plus possible. Ça commence à être énervant.

Tobias haussa piteusement les épaules. Les yeux toujours dans son livre, il avoua :

- C'est Levis qui veut ça, pas moi. Je crois seulement que tu lui as fait une mauvaise impression, en arrivant le premier jour avec une gueule de bois. Et surtout que tu lui avais menti sur ton nom.

- Je l'avais fait parce qu'il m'avait dit, une seconde avant que je me présente, qu'il n'aimait pas les gosses de riche. T'aurais fait quoi, à ma place ? J'y peux rien si j'ai de l'argent, enfin ! Pour avoir son respect, il faudrait peut-être que je mette une bombe dans l'immeuble de mon vieux ? C'est tordu.

Tobias garda le silence, méditant sur ses sages paroles. Korie fronça les sourcils, remarquant qu'il avait posé le doigt sur quelque chose. Apparemment, Tobias n'avait jamais réalisé que ce n'était pas sa faute si son père était doué. Il n'est pas blond pour rien, pensa Korie en s'efforçant de s'empêcher de sourire.

- Ça n'a peut-être pas vraiment de lien avec son argent, dit lentement Tobias en levant les yeux vers lui. Mais plutôt le fait que tu as un père aussi cool, alors que lui... ne lui dit surtout pas que j'ai dit ça. Lui, il n'a jamais rencontré le sien.

Tobias s'interrompit, jugeant qu'il en avait assez dit. Korie garda le silence un moment, dans l'espoir d'en entendre un peu plus, mais Tobias semblait décidé à ne plus ouvrir la bouche.

- Alors, c'est de la jalousie, en déduisit Korie en faisant la moue. Il me hais parce que j'ai un père cool... (Korie plissa les yeux, avant de pouffer :) Son job est cool, mais lui, il est tout le temps en train de me couver. C'est un père normal, je crois. Il n'est pas aussi fantastique que tout le monde semble le supposer.

- Je te rappelle que Levis ne sait pas ce que c'est, un « père normal ». Oh, on ne devrait pas parler de lui dans son dos comme ça ! S'il l'apprend, il va encore se mettre à jurer hyper fort. Il a un problème là-dessus.

Korie voulut ajouter quelque chose, lui assurer qu'il ne répèterait rien à personne, mais le prof débuta ses explications en même temps. Contre son gré, il détourna le regard de Tobias pour fixer l'enseignant et écouter. Il avait de la difficulté à comprendre ; il ne pouvait que penser à Levis.

Ça avait peut-être commencé sur une histoire de gosse de riche, mais dans le fond, c'est personnel. Il est jaloux de mon père.

- Pourquoi tiens-tu autant à faire de Levis ton ami ? chuchota Tobias en se cachant la bouche de sa main pour ne pas se faire voir par le professeur. Sur les milles et quelques élèves ici, c'est pas le choix qui manque.

- Je dois t'avouer que je suis pas trop doué pour ce qui est de faire le premier pas. (Il lança une œillade en direction de la brunette, quelques tables devant lui.) Ça va peut-être te surprendre, venant de moi, mais il m'arrive d'être du genre timide. C'est plus facile d'aller vers les gens qui m'ont déjà parlé avant, tu comprends ?

- Surprenant, en effet ! Toi qui clamais ton niveau de confiance en soi, hier.

- J'ai jamais dit que j'en avais des masses ; c'est Levis qui essaie de m'enlever ce que j'ai !

Cette fois, Tobias ne trouva rien à y redire. De son point de vue, il était vrai que Korie n'était pas aussi extraverti de ce qu'il s'était imaginé. Même ; plus il lui parlait, quand bien même que la conversation semblerait un peu tourner autour de lui, plus il se demandait ce que Levis pouvait bien avoir contre lui.

Lui qui détestait discuter en classe, il n'arrivait pas à s'empêcher de vouloir en savoir plus.

- Tu vas faire quoi, alors ? Pour Levis ?

Korie plissa les yeux en examinant le visage légèrement tacheté de son de Tobias.

- Je rêve ou t'es de mon côté ?

- Y' a pas de « côté », s'empourpra Tobias. T'es pas le gentil et lui le méchant, ou vise versa ! Seulement... (il grogna, avant d'avouer :) moi, je te trouve bien. Et j'aimerais que Levis se rende compte que tu n'es pas le trou du cul qu'il croit que tu es.

- C'est ce qu'il dit de moi ? dit Korie dans une grimace.

- Faut pas le prendre personnel. Il jure beaucoup quand il s'enrage.

Korie garda le silence un moment, digérant l'information. Dans son ancienne école, il avait l'habitude d'être quelqu'un de normal, personne ne le jugeait en fonction du travail de son père. Bien sûr, il n'avait pas eu que des amis, mais c'était tout de même la première fois qu'il se faisait nommer « trou du cul » pour aucune raison. Ça faisait un choc.

Enfin, tous les élèves ayant terminé de se battre contre leurs tabliers, le prof leur donna les consignes et Korie écouta attentivement. Tobias, soucieux de ne rien oublier, notait les informations dans son carnet. Ils purent ensuite commencer à travailler... mais pas longtemps, parce l'envie de faire la conversation était trop grande pour Korie. Sur un sujet en particulier.

- Alors, Tobias... on est ami, là ? Ou au moins, tu m'endures ? Ce serait déjà un énorme pas en avant.

- Ouais, je t'endure, dit Tobias en pouffant.

- Je peux te poser une question hyper importante ?

Tobias tourna la tête vers Korie, intrigué. Il appréhendait ce qui allait venir, sentant presque son cœur faire des bonds dans sa poitrine.

Korie, lui, avait les yeux visés sur la brunette, quelques tables plus loin. Il ne regardait plus du tout ce qu'il faisait, déversant un peu de produits chimiques sur son gant.

- Comment elle s'appelle ?

Tobias se fendit d'un sourire perfide en comprenant le sens de la question. Il leva la tête pour voir de qui il parlait et remarqua la brunette... ainsi que son amie basanée.

- Elle s'appelle Valérie.

- Et t'aurais pas son numéro, par hasard ?