Chapitre 34
Le lendemain matin, en dépit de quelques difficultés à sortir du lit quant à l'heure tardive à laquelle il s'était couché la veille, Korie était de bonne humeur. Il entama sa journée avec un chocolat chaud et un sourire confient, sous l'œil intrigué de ses parents.
— Pas de café ce matin ? demanda Owen d'un air à peine subtil.
— Il me semblait que tu me trouvais trop jeune pour du café.
— C'est pas ce qui t'empêche d'en prendre, d'habitude.
Korie haussa les épaules et avala une nouvelle gorgée de chocolat chaud. Ses parents s'échangèrent une œillade qui n'échappa pas à leur fils.
— J'ai pas envie de commencer la journée du mauvais pied, s'expliqua Korie. Donc, restons gaies ! Avec un peu de chance, ça va peut-être influencer...
Korie s'interrompit aussitôt, sa bonne humeur diminuant d'un cran. Ça portait malheur de prétendre que tout allait bien aller. Il fallait faire comme au théâtre et ne souhaiter rien de plus que de la merde.
— Influencer quoi ? demanda Violet en s'installant à table, en face de son fils.
Est-ce que ça allait obligatoirement foirer s'il déballait son plan ? Pour l'instant, Korie avait l'impression que c'était la pire chose à faire.
— Faut que j'aille en cours ! hurla-t-il soudain. Pas le temps de parler ! À ce soir !
Cinq secondes plus tard, il avait déjà quitté l'appartement. Le silence dura un instant supplémentaire, alors qu'Owen et Violet s'échangeaient un regard inquiet.
— Peut-être qu'on aurait dû lui dire qu'on sait qu'il est sorti hier soir, avança Violet.
— Et dire aussi qu'on sait qu'il a apporté un laser à l'école et éclater une fenêtre pour le récupérer ? Et parler de la fête qu'il a faite ici même ?
Violet se mordit la lèvre en réponse. Elle n'était pas certaine de la meilleure décision à prendre concernant son fils. Malgré toutes les punitions qu'il s'était déjà récoltées par le passé, rien n'était parvenu à le calmer. Que leur restaient-ils à faire ? Qu'est-ce qu'ils n'avaient pas encore essayé ? Seront-ils obligés d'envoyer réellement Korie à Kingston, alors que ce n'était qu'une fausse menace au départ ?
— J'ai une idée, dit Owen en s'asseyant à l'ancienne place de Korie. Laissons couler jusqu'à sa fête, comme prévu. Et ensuite... on lui fera une belle peur.
Au sourire presque machiavélique de son mari, Violet se demanda si elle devait s'inquiéter ou non. Mais c'était surtout la curiosité qui prenait le dessus.
— Explique-moi.
*
Malgré un détour pour s'acheter un café, Korie arriva à l'école avec une heure d'avance. En passant le temps en jouant à des jeux sur son téléphone, assis sur l'un des bancs devant l'établissement et longeant la baie d'Hudson, il se sentait de plus en plus nerveux. C'était aujourd'hui qu'il allait demander à Emma... demander quoi, au juste ? Un rencard ? Une sortie toute banale entre amis ? En fait, ce n'était pas d'Emma qu'il avait peur, il était sûr qu'elle allait dire oui. La source de son angoisse était en réalité Valérie. C'était peut-être trop tôt pour tourner la page sur leur petit malentendu. D'un côté, Korie voulait attendre par politesse pour la basanée. D'un autre, il en avait marre de stagner au même niveau, avec Emma. Tout ce temps qu'il avait perdu à cause de Valérie... et il devrait en laisser couler encore plus, et ce, toujours pour elle ?
Korie avait passé la soirée de la veille à angoisser. Maintenant, il voulait agir... pour le meilleur ou pour le pire.
Devant lui, un concierge venait de déverrouiller les grandes portes bleues de Stuyvesant. Korie se leva aussitôt, but sa dernière gorgée de café, balança le gobelet dans la poubelle à côté du banc et s'élança vers l'école. Le concierge le dévisagea pendant une seconde, avant de prendre son poste près du détecteur de métal.
— En voilà un de matinal, aujourd'hui !
Korie approuva d'un petit sourire tout en traversant l'arche du détecteur. Sa bonne humeur fondit légèrement dès qu'elle se mit à sonner. Il dut fouiller son sac et en ressortir les boulons et autres morceaux de pièces détachées qui trainaient au fond, avant que l'employé ne le laisse enfin passer.
— C'est la même histoire tous les matins. Tu devrais peut-être songer à le nettoyer un peu.
— Mouais, ouais...
Korie remit tous les objets en place avant d'aller vers la cafétéria. Il avait autant l'intention de se débarrasser de ses « jouets » que d'embrasser Bella.
Les élèves arrivaient au compte-goutte. La grande pièce se remplissait peu à peu. Korie, de plus en plus stressé malgré lui, était perdu dans ses pensées, cherchant les meilleurs mots à employer. Quand Levis et Tobias apparurent en s'asseyant en face de lui, il ne le remarqua même pas, jusqu'à ce que Tobias, à bout de nerfs de se faire ignorer, lui envoya un coup de pied sur le genou.
— Arg, putain ! s'écria Korie en sortant de sa trance. Quoi ?!
— Bonjour, dit posément Tobias, ce qui était en fait la troisième fois.
— Bonjour, grogna Korie en s'enfonçant le menton dans la main, le regard perdu au loin.
Il attendait l'arrivée d'Emma. Parfois, elle venait le matin à la cafétéria. Il fixait sa table avec une concentration suffisante pour la faire léviter, si seulement il était doué de télékinésie.
— Je te paris qu'il pense à une fille, souffla Levis à Tobias.
Korie plissa les yeux en reportant son attention sur ses amis. Il avait la vague impression qu'ils se moquaient de lui.
— Laquelle ? fit Tobias d'un air faussement intrigué. La douce Emma ? La féroce Valérie ? La folle dingue Bella ? C'est à voir... au prochain épisode !
Levis pouffa de rire et envoya un coup contre l'épaule de Tobias. Celui-ci ouvrit la bouche pour répliquer, mais Korie fut plus rapide :
— Non, vous la fermez ! Pas un mot de plus ! Vous allez me porter malheur !
— Malheur sur quoi ? demanda Levis.
— Faut pas que je le dise... Pas avant que ce soit fait.
— Pourquoi ?
Pour la même raison qu'il n'avait rien dit à ses parents ce matin ; il avait peur. Il était convaincu que parler de son plan allait le faire foirer complètement. En jurant de ne plus dire un seul mot, Korie s'appuya les bras sur la table, les yeux fixés sur celle toujours inoccupée.
— Sérieux, Korie, tu m'angoisses quand t'es comme ça, dit Levis. Est-ce que t'as encore la gueule de bois ?
Korie secoua la tête. Il aurait bien aimé, pourtant. Il était moins timide quand il buvait.
— Est-ce que t'as pris de la drogue ? dit cette fois Tobias en baissant le ton.
— Non !
— Excuse... on sait jamais, venant de toi.
Korie soupira en fermant les yeux. C'était l'un de ces moments où il se demandait pourquoi il s'était donné autant de peine à se faire des amis. Ils étaient encombrants, et en plus, ils n'arrêtaient jamais de parler !
Quand il ouvrit à nouveau les yeux, il eut la surprise de voir qu'Emma était là. Elle n'était pas encore assise à sa table habituelle, mais elle s'y dirigeait, bavardant avec Valérie qui marchait à ses côtés.
Tobias, remarquant un changement inquiétant dans le regard de Korie, se retourna pour observer dans la même direction.
— Oh, oh, c'est Emma, dit-il avec un grand sourire.
— Qu'est-ce qu'il va faire, d'après toi ? demanda Levis.
Korie ne se donna pas la peine d'écouter leur conspiration ; dans un élan de courage, il se leva d'un bon et alla vers les filles. Elles étaient déjà installées à leur table quand il les rattrapa, et dès qu'elles posèrent leurs regards sur lui, Korie sentit son moment de ténacité s'enfuir aussi rapidement qu'il était venu.
— Bonjour, Korie, dit Valérie d'un ton dur. Qu'est-ce que tu veux ?
— Heum...
Korie tourna les yeux vers Emma. Elle lui lança un sourire désolé, embarrassé de sa copine qui n'avait toujours pas digéré le malentendu. Bien sûr, elle ne tenta pas de le dire à voix haute ; entre eux, ils étaient encore que officieusement amis.
Le courage était revenu. Non, pire que ça ; c'était de la frustration. Korie n'aimait pas les secrets. Il pouvait garder ceux de ses amis sans problème, mais quand ça le concernait, il n'avait généralement qu'une envie ; le hurler pour que tout le monde l'entende. C'était le sentiment qu'il éprouvait en ce moment.
Korie enfonça ses mains dans ses poches et leva le menton bien haut, l'air sur de lui, car il l'était réellement. Va savoir par quelle sorcellerie il était épris, mais il ne ressentait plus aucune timidité.
— En fait, je suis venu t'inviter à sortir, Emma, dit-il en plantant son regard dans le sien.
— Oh, t'as vraiment du culot ! s'exclama Valérie en bondissant de sa chaise, les poings appuyés sur la table. Et tu imaginais sérieusement qu'elle dirait oui ? Après ce que tu nous as fait ?!
Cette fois, c'était la colère. Korie avait la désagréable impression qu'il allait passer par toutes les gammes d'émotions, aujourd'hui. Il imita la posture de Valérie et répliqua du ton le plus posé possible, malgré que sa mauvaise humeur transperçait clairement dans sa voix.
— Il faudra que je le dise combien de fois ? Je suis désolé de vous avoir confondu ; je connaissais pas vos noms ! Et désolé de t'avoir embrassé alors que j'étais complètement torché ! Tout à échappé à mon contrôle uniquement parce que j'étais trop timide pour faire les choses par moi-même, et c'est justement pourquoi j'ai décidé de t'inviter à sortir, dit-il en reportant son attention sur Emma. Je t'invite moi-même, sans messager, sans Tobias pour faire une autre boulette. Rien que toi et moi.
Malgré la demande, Korie fixait toujours Valérie, comme pour la mettre au défi d'ajouter quelque chose. Mais elle était bouche bée, s'efforçant de lancer une réplique acerbe qui ne voulait pas venir. Au bout de cinq secondes de silence tendu, elle se tourna vers Emma et se pencha légèrement vers elle.
— Refuse. Il n'en vaut pas la peine.
Emma se mordilla la lèvre en dévisageant Valérie, puis Korie, à plusieurs reprises. Ses neurones carburaient à cent à l'heure en essayant de démêler ce qu'elle devait faire.
Korie, de son côté, sentait son assurance se dissiper rapidement. De sa timidité qui était réapparue sournoisement, Korie tira une chaise et s'assis en face des filles, puis baissa la tête, incapable de soutenir leurs regards une seconde de plus.
— OK, j'ai dit n'importe quoi. Refuse, Emma. La dernière chose que je veux, c'est bien que briser votre amitié... Je suis désolé, j'aurais pas dû.
Korie se leva à nouveau, cette fois pour revenir auprès de Levis et Tobias... ou sécher les cours, il n'était pas encore sûr. Il se sentait bête et stupide d'avoir cru, pendant un instant, avoir une chance avec Emma. Même si, il en était conscient, le problème était surtout Valérie.
— Korie, attends ! J'accepte.
Korie s'interrompit dans sa marche, les yeux écarquillés, puis se retourna lentement vers Emma. Je rêve ou elle vient d'accepter de sortir avec moi ? Il observa tour à tour la brunette et la basanée, s'imaginant que cette dernière allait sauter au plafond d'une seconde à l'autre.
— C'est vrai ? dit-il dans un souffle.
— Oui, c'est vrai ! Désolé, Val, dit Emma pour son amie, mais j'attends ce moment depuis des semaines.
— Des semaines ? répéta Korie en écho.
Il n'en croyait pas ses oreilles. Est-ce qu'il était devenu fou et qu'il s'imaginait complètement cette scène ? Ou bien était-il mort et au paradis ? Malgré lui, il sentit un sourire démesuré lui monter progressivement au visage, incapable de s'en empêcher. C'était trop beau pour être vrai.
— Des semaines, souffla Korie, le cœur pompant à toute vitesse.
— J'accepte de sortir avec toi, Korie, dit à nouveau Emma, qui doutait qu'il ait bien entendu.
— Oh, faites donc comme vous voulez, dit Valérie en croisant les bras et se laissant tomber sur sa chaise.
Un peu de son euphorie s'envola quand Korie reporta son attention sur Valérie. La peur d'avoir causé des problèmes le rongeait de l'intérieur. Il s'approcha pour se mettre face à elle.
— Valérie, je te jure, je suis vraiment désolé. Tu n'as qu'à me dire comment je peux me faire pardonner. Mais s'il te plait, ne vous mettez pas en froid à cause de moi.
Valérie continua de bouder quelques secondes, avant qu'un petit sourire ne fasse craquer ses apparences de dure à cuire. Elle leva les yeux vers Korie, puis vers Emma, toujours debout près d'elle.
— Respecte-là. Ou je te jure que je te tue.
— Promis, dit Korie avec un grand sourire. Vraiment, tu peux compter sur moi.
Emma souriait elle aussi, ce qui acheva de mettre du baume au cœur de Korie. Il avait l'impression qu'un ballon d'hélium enflait dans son ventre et que, pour un peu, il se mettrait à flotter à travers la cafétéria, tellement il était heureux.
— Alors, Emma, je t'envoie les détails par texto, OK ?
— J'ai déjà hâte.
Le sourire de Korie s'élargit encore un peu plus, ses joues menaçant de craquer sous la pression, et il tourna les talons pour retourner auprès de Tobias et Levis, tout en sautillant de bonheur sous l'œil amusé des autres étudiants.
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