Chapitre 31
Cette fois, Korie avait su se procurer le numéro de téléphone d'Emma, avec l'aide de Tobias. Enfin, il pouvait se mettre à lui envoyer des messages autant qu'il le voudrait, à toute heure du jour et de la nuit, et il n'avait pas l'intention de se gêner. Heureusement pour la victime, Korie n'en avait pas le courage.
Un seul par jour équivalait déjà à du harcèlement, de son point de vue. Il voulait lui faire comprendre qu'il n'était pas si méchant ou pénible que ça, mais il avait peur, c'était plus fort que lui. Mais qui ne tente rien n'a rien, aussi Korie expédia son tout premier texto après sa longue journée bien ennuyante de cours. Quand il fut bien confortablement étendu sur son lit, il envoya le premier d'une petite liste qu'il avait su trouver un peu partout, sois en demandant à des amis ou cherchant sur Google :
« Pourquoi vaut-il mieux enlever ses lunettes lors d'un alcotest ? Parce que ça fait déjà deux verres en moins ! »
Korie pouffa à la blague stupide. Elle était nulle à un point qu'on ne pouvait qu'en rire. Il l'avait choisi uniquement parce que, avec un sujet comme l'alcool, Emma pourra facilement deviner à qui elle avait à faire. Il valait mieux ne pas garder de secret, même si l'envie de tout recommencer à zéro et dire « ola beauté, jé m'appelle Fernando » était plutôt tentante. Elle ne pourrait qu'être séduite par un type qui se nomme Fernando, avec son nom de famille trahissant des origines latines. Korie, lui, déprimait d'être cent pour cent blanc. Il trouvait ses gênes ennuyantes.
Son téléphone vibra, le sortant de ses pensées. « C'est qui ? » était inscrit à l'écran, accompagné d'un émoji intrigué. Korie soupira en levant les yeux au plafond. Lui dire que je m'appelle Korie ? Ou Fernando ?
Incapable de se décider, il rallongea le mystère avec une autre blague stupide qu'il avait découvert le jour même.
« Quel est le nom de la nouvelle pizza robotique ? La pizza automate. (Aux tomates) »
« Korie ? C'est toi qui m'espionnes par la caméra de mon téléphone ? »
« La pizza m'a trahi, hein ? »
« Des blagues sur l'alcool et les robots, c'est difficile de trouver quelqu'un qui y corresponde mieux que toi. »
Korie ferma les yeux et s'autorisa un sourire. C'était à la fois très peu et vraiment beaucoup. Emma avait su le reconnaitre avec deux blagues nulles, qu'est-ce qu'il fallait en croire ? Qu'elle pensait déjà à lui avant ? Qu'elle trouvait Korie autant nul que ses blagues ? Korie préférait faire son optimiste et pencha pour la première option.
« J'en ai une autre. Qu'est-ce qu'un steak qui n'en est pas un ? »
Emma répondit presque aussitôt par un point d'interrogation et un émoji ennuyé.
« Une pastèque. »
Plus de réponse. Korie angoissa.
« Pastèque ? Pas steak ? T'as pas compris ? »
Toujours pas de réponse. Deux longues minutes passèrent, Korie éteignit son téléphone et ferma les yeux en soupirant. Il sursauta quand l'appareil vibra et l'alluma aussitôt pour regarder le message.
« Excuse. Je riais. »
Korie resta incrédule devant son écran, la bouche bêtement ouverte, à relire les trois petits mots. Elle riait. Emma a ri. Mon Dieu.
« Valérie est au courant que t'es en train de me parler ? »
« Elle n'a pas à savoir tout ce que je fais. »
Korie grimaça. Avec tout ce qu'il aurait voulu répondre à ça, il n'y trouvait rien qui ne risquait pas d'être inapproprié. Mais Emma enchaina :
« Je la comprends d'être en colère et je suis entré dans le jeu par solidarité pour notre amitié. Mais elle — ou plutôt "on" — aurait dû se douter qu'il y avait quelque chose. C'est vrai qu'on te connait depuis pas très longtemps, mais quand même assez pour savoir que t'es quelqu'un de parfois excessivement timide. On aurait pu aller te parler en premier, ça t'aurait au moins donné le courage de continuer la conversation. Non ? »
« Oui » fit Korie, qui imagina sa réponse comme un marmonnement honteux. « Tu m'intimidais. J'ai sérieusement angoissé. »
« Plus maintenant ? »
« Je suis optimiste, mais pas stupide pour autant. Je sais que c'est mort. »
Nouveau long silence. Convaincu que la conversation était terminée, Korie se tourna de côté sur son lit, les yeux fixés aux photos qu'il avait accrochées au mur. Elles comportaient essentiellement des paysages des voyages qu'il avait faits avec ses parents, mais beaucoup montraient aussi ses amis de son ancienne école. Aucune de Tobias et Levis, et bien sûr, aucune d'Emma. Il aurait voulu en avoir une, mais au risque qu'elle le prenne pour un pervers à la suivre partout avec son gros appareil photo, il préférait encore ne pas en avoir.
« Tu veux que je te dise pourquoi Valérie t'en veut tellement ? »
Parce que je suis un gros nul, pensa aussitôt Korie. Il se tourna sur le dos pour répondre.
« Dis ? »
« Elle t'aime. »
« Sérieux. Pourquoi elle m'en veut ? »
« Je suis sérieuse. Enfin, ça ce soit. Depuis tout ce temps que tu lui envoies des messages, elle s'était faite à l'idée que tu la draguais. De façon très, très subtile, mais quand même. Elle était convenue que, quand tu aurais finalement eu le courage de faire le geste, vous auriez été un couple. »
« J'aime bien Valérie, je la trouve vraiment cool. Mais je suis pas attiré par elle... J'ai jamais eu envie de l'embrasser, tu comprends ? »
« Tu l'as déjà fait, pourtant. »
« Je l'ai dit ; j'étais bourré. J'étais complètement à l'ouest ! Je croyais que c'était toi. »
Korie figea au mot qu'il venait de taper à l'écran, mais il avait déjà appuyé sur envoyer. Oh, qu'importe ?! Tout avait été dit, tout ce qu'il ferra ne pourra plus rien y changer, il en avait conscience. Il faut que j'arrête d'être aussi nerveux. Il faut que je dise tout !
« Tu le sais déjà, de toute façon. C'est sur toi que je suis tombé depuis le début. »
« Ouais, maintenant, je le sais. C'est surtout à Valérie qu'il faudra le faire comprendre. »
« Elle a toujours envie de me tuer ? »
« Laisse-lui un peu de temps, c'est tout ce que je peux dire. »
« Une semaine ? Un mois ? Une année ? »
« Je te dirai quand elle aura plus de pensée meurtrière. »
« Faut croire que j'étais vraiment un bon coup pour qu'elle soit si énervée. »
« Ah, t'as pas idée ». Émoji avec un petit sourire en coin.
Korie cligna bêtement des yeux, relisant le message à plusieurs reprises. Elle a dit ça ? Et elle le pense vraiment ? Elle trouve que je suis un bon coup ?!
« C'est ce que Valérie a dit ? Ou c'est ce que toi, tu penses ? »
C'est fou comme les mots sortent plus facilement à l'écrit qu'à l'orale...
« Un peu des deux. »
Korie posa son téléphone à côté de lui, se mit debout et sautilla à plusieurs reprises en faisant quelques pas de dance bizarre. Il souffla pour retrouver son calme, se coucha à nouveau dans le lit, et tapa : « Cool. »
Emma répondit par un « oui », tout simplet. Korie avait mal aux joues à force de sourire comme un crétin.
« Mais en public, je vais continuer de te gifler par soutien moral envers ma meilleure amie. Dison que nous sommes officiellement ennemies et officieusement amis. Ça te va ? »
« C'est déjà un gros progrès. J'en suis tout chamboulé. »
« Parfait. À plus, le souper est prêt. »
« Bon appétit. »
Et elle arrêta de lui répondre.
Korie posa le téléphone sur sa poitrine, prit une grande inspiration et expiration, puis leva le poing en l'air en hurlant un « OUAIS ! » qui résonna en écho dans sa chambre à coucher. La porte s'ouvrit à la volée presque aussitôt sur son père, qui regarda partout comme à la recherche d'intrus.
- Tout va bien ? Pourquoi t'as crié ?
- C'était un cri de triomphe ! fit Korie avec un sourire démesuré. Je me suis fait une amie.
- Une ? répéta Owen d'un air intéressé.
- Ouais. Une...
Korie s'allongea à nouveau sur le lit, les mains croisées au-dessus de son cœur et fixant le plafond d'un air absent et un peu idiot. Owen plissa les yeux, presque inquiet du comportement de son fils, mais préféra refermer la porte et quitter la pièce. Valait mieux laisser les ados s'occuper de leurs petites amourettes.
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