Chapitre 30

De retour à la cafétéria après avoir parcouru les corridors avec une extrême lenteur, Korie retrouva Tobias et Levis alors même qu'ils se levaient pour sortir. Korie agrippa Levis par le bras et se laissa tomber sur le banc qui longeait la table, entrainant Levis avec lui, pendant qu'il grimaçait de douleur en tentant de se retirer de sa poigne.

- Aïe, lâche-moi ! J'ai pas de temps pour ça, le premier cours commence dans cinq minutes.

Korie décrispa ses doigts, la main toujours suspendue en l'air, la tête basse et les yeux dans le vague. Tobias, en face d'eux, dû se pencher pour croiser son regard.

- Yo, Korie ? T'es vivant, ou t'es en train de te transformer en zombie ?

- Je sais pas, marmonna Korie d'une voix morne.

- Tu leur as parlé, hein ? demanda cette fois Levis.

- Et ça s'est si mal passé ? enchaina Tobias.

Korie hocha platement la tête et soupira longuement. Il prit une grande inspiration, puis se redressa pour tout lâcher d'un coup, dans un murmure coupable :

- Mec... je crois que je suis amoureux... mais l'autre, elle me déteste ! Elle a essayé de me gifler !

- Valérie a essayé de te gifler ?

- Non ; Emma ! Emma, elle a voulu me gifler, j'ai évité la claque d'à peine un centimètre, je te jure ! Elle est passée à ça de mon nez ! s'écria Korie en mimant le geste. Et elle a dit : « Ça, c'est pour Valérie. Et aussi parce que t'es vraiment nul ». Elle me trouve vraiment nul ! fit Korie en se prenant la tête à deux mains. Qu'est-ce que je fais, maintenant ?!

Levis et Tobias échangèrent un regard nerveux. C'était la première fois qu'ils voyaient Korie en peine d'amour, et pourtant, ils se seraient bien passés du spectacle.

- Je crois que c'est mort, fit Tobias, désolé. Passe à autre chose.

- J'ai pas envie de passer à autre chose. Et tu sais quoi ? Tu sais quoi ?! Emma s'est coupé les cheveux, ça lui va trop bien !

- Et toi tu pleurniches, t'as l'air d'un gros débile, répliqua Levis. Enfin, t'as jamais eu de vraie conversation avec Emma ! Tu te rappelles de Bella, qui était si canon, mais que t'aimais pas parce qu'elle n'avait aucune autre qualité ? Bin t'es en train de faire l'exact opposé avec Emma. Tu sais qu'elle est belle, tu adores sa nouvelle coupe de cheveux, mais tu la connais pas, dans le fond.

Korie soupira longuement, s'avouant vécu. La cloche annonçant le début imminent des cours sonna et Levis et Tobias sursautèrent, troublés d'être en retard. Korie resta platement assis à sa place dans l'idée d'y passer l'heure à fixer les murs beiges d'un œil morne, mais Levis l'agrippa par le bras de la même manière que Korie l'avait fait quelques minutes plus tôt et le redressa sur ses pieds.

- Aïe !

- Fais pas ta chochotte ; t'as la chimie, en ce moment, et faut que t'y ailles pour aider Tobi.

- Non, pas la chimie ! Emma et Valérie sont aussi dans le cours !

- Alors quoi, tu veux sécher ?

- Ouais !

- Non ! répliquèrent Levis et Tobias en même temps. (Ils s'échangèrent un regard, lourd de sous-entendus, avant que Tobias n'enchaine :) Sérieux, j'ai besoin de toi. À tous les coups, le prof va mentionner un tel produit que je connais pas et je serais complètement perdu et je comprendrais plus rien.

- Tu me demanderas après le cours. Ou mieux : tu poses la question au prof !

- Bon, débrouille-toi avec l'andouille ; moi, j'y vais.

Levis leur fit un sourire et un signe de main rapide et fila hors de la cafétéria. Il n'y avait plus que Korie et Tobias dans la salle, accompagné d'un surveillant un peu plus loin qui les observaient d'un œil noir. Il pointait sa montre au poignet, comme pour leur aviser qu'il ne leur restait que très peu de temps avant d'être réellement en retard.

- Korie, on peut pas sécher, dit Tobias avec un signe de menton vers l'homme, près des portes. On est déjà repéré. Alors, s'il te plait, bouge-toi !

Korie leva les mains en signe de soumission, puis grogna et quitta enfin la table. Tobias soupira de soulagement et se précipita à la suite de son ami. Les corridors étaient déserts, il ne leur restait exactement qu'une quinzaine de secondes avant la cloche.

- Je vais mourir, je vais tellement mourir, marmonna Korie en secouant vivement la tête.

- Attention aux prémonitions que tu lances.

- Je suis pas devin. Je suis déjà trop de chose pour être devin, en plus du reste. C'est ce que Levis a dit, une fois.

Tobias haussa les épaules, ne trouvant rien à répliquer, et pressa le pas pour atteindre en classe. Mais la cloche sonna trois secondes avant qu'ils y arrivèrent et quand ils passèrent la porte, c'était le silence dans la pièce. Le prof avait déjà commencé à expliquer ce qu'ils allaient faire aujourd'hui et il était devant son tableau, un feutre en l'air.

- Retard, fit le prof.

- C'est sa faute, dit aussitôt Tobias.

Korie se retourna pour lui lancer un regard noir, puis soupira en revenant au prof.

- C'est ma faute.

- Puisque c'est une première à tous les deux et que ce n'était que de quelques secondes, je ferme les yeux. La prochaine fois, ils seront grands ouverts !

- Pas trop grand quand même, sale pervers, marmonna Korie, trop bas pour que le prof ait pu comprendre.

Tobias le poussa dans le dos et l'entraina vers les deux places restantes, au centre de la pièce. Korie fit deux pas et se figea à nouveau, remarquant Emma et Valérie qui l'observaient d'un œil noir. L'un des deux pupitres libres était juste à côté d'Emma et Korie se précipita vers la seconde, mais Tobias le bouscula pour passer et il tomba assis à la place qu'il ne voulait pas.

- C'est bon, je peux continuer mon cours ? demanda le professeur Moreno qui commençait à s'impatienter.

- J'ai oublié mes livres ! s'écria Korie. Je peux sortir ?

- Tu restes là ! Tiens, tu n'as qu'à suivre avec la personne à côté de toi. Elle te fait déjà des yeux doux.

Korie déglutit de nervosité avant de tourner la tête à droite. Emma lui lançait le regard le plus meurtrier qu'il n'avait jamais vu.

Elle va me tuer. Elle va sérieusement le faire.

- Je peux me mettre en groupe avec Tobias ?

- Non, vous allez bavarder durant toute l'heure. Allez, approche ta chaise de son pupitre, elle va pas te manger !

- Pas en public, précisa Emma avec un sourire machiavélique. J'ai quand même un peu de retenue.

Je vais mourir, je vais mourir !

Se sentant obligé, Korie traina sa chaise sur une vingtaine de centimètres vers la droite. Il restait une distance de sécurité entre eux et Korie préférait se mettre à pleurer dans son coin que de s'avancer encore un peu. S'il lui arrivait d'être téméraire, il n'était pas suicidaire pour autant.

Enfin satisfait, le prof continua sa matière tout en dessinant des molécules au tableau. Korie lança un regard d'alerte vers Tobias, qui lui fit un petit sourire désolé et un pouce en l'air. Il remua les lèvres pour dire « ça va aller ! », mais Korie n'en croyait pas un mot. Il commençait à envisager Kingston comme une libération.

Le cours continua sur une dizaine de minutes de long silence embarrassant. Quand le prof parlait de quelque chose dans le livre, un paragraphe à lire ou une image à regarder, Korie allongeait le cou vers le livre d'Emma, sans rien comprendre. Il était encore trop loin et à cette distance les mots étaient un peu flous. Et vues sur le côté, les illustrations n'avaient aucun sens pour lui.

- Maintenant, je vais vous demander de répondre aux questions de la page trente-cinq et trente-six, vous avez le reste du cours. Si ce n'est pas fini dans les temps, ce sera un devoir pour demain.

Les élèves se plongèrent dans leur travail. Emma ouvrit son carnet de notes et se pencha au-dessus du livre pour recopier les exercices. Korie tenta une dernière fois de s'approcher un peu, un tout petit peu, avant qu'Emma ne lève les yeux vers lui. Korie se laissa aussitôt retomber sur sa chaise.

- Je le ferais ce soir, c'est pas grave, marmonna-t-il pour lui-même.

Emma soupira, puis tourna la tête pour croiser le regard de Valérie, comme si elle cherchait son approbation. Celle-ci les observait avec circonspection, l'air de craindre une trahison de son amie.

- Laisse-moi juste le temps de recopier les questions et je te passe mon livre.

- Attends, j'ai plus simple. Je vais prendre la page en photo.

Korie se leva pour repêcher son téléphone, tout au fond de ses poches, et allongea le bras pour la photo. Son cœur s'emballait à la proximité de l'espace personnelle d'Emma, mais qu'en réalité, il n'y avait que sa main au-dessus du pupitre alors que tout le reste de son corps le tirait dans la direction opposée. Plusieurs élèves regardaient son cirque en pouffant, même Tobias qui se mordait les lèvres pour s'empêcher d'éclater carrément de rire, mais Korie était trop absorbé par la tâche pour s'en rendre compte.

- Voilà, maintenant, j'ai plus besoin de toi... enfin, de ton livre. Euh... enfin... tu peux me passer un papier ? Ah, et un crayon, aussi ?

- Emma ! fit Valérie dans un murmure. Le laisse pas avoir ce qu'il veut, il te manipule !

Emma hocha la tête et se redressa d'un air supérieur.

- Désolé, je peux pas.

- Emma ! Ne t'excuse pas pour lui !

- Et je peux pas m'excuser, désolé. Euh, je suis pas désolé.

- OK, pas de problème ! dit Korie qui commençait à se demander qui était réellement manipulé, dans cette histoire. Alors... Tobias. Tobias ? Tu voudrais bien...

Un claquement fit sursauter les élèves. Le prof avait frappé son bureau du plat de sa main, rappelant un juge avec son maillet, provoquant le silence dans toute la salle.

- Monsieur Buchanan et mademoiselle Mendez, vous n'avez pas fini de perturber ma classe ?!

- Oui, monsieur, on a fini ! s'écria Korie, avant de se pencher vers Emma et d'enchainer, sans aucune subtilité ; Mendez ? T'as des origines latines ? C'est cool !

- Korie ! hurla à nouveau le prof. Dernier avertissement !

- Oui, monsieur, mais j'ai besoin de papier pour travailler !

- Emma, donne-lui du papier !

- Mais c'est pas obliger que ce soit sont papier, ça peut être celui de Tobias aussi ! Hein, Tobi ?

Tobias hocha précipitamment la tête avant d'arracher plusieurs feuilles de son cartable et de les tendre vers Korie.

- Et donne-moi un crayon !

- J'ai que le mien.

- Bah, un feutre, un stylo ?

- J'ai que mon crayon, je te dis !

- Si vous ne la fermez pas tout de suite, c'est chez le directeur que vous ferez vos exercices !

- J'ai besoin d'un crayon ! hurla Korie avec impatience.

- Emma, donne-lui un crayon.

- Mais c'est pas obligé que ce soit Emma, hein...

- J'en ai assez entendu ! Sors de ma classe !

- C'est bon, prend mon crayon ! fit Emma en le lui fourrant dans les mains.

- Bon, parfait ! Maintenant, tu te la fermes et tu fais tes exercices ! J'entends encore un soupir sortir de ta bouche et t'es en retenue pour toute la semaine !

Korie hocha la tête, le message étant on ne peu plus clair. Il se mordit la lèvre, baissa les yeux vers la photo des questions à répondre sur son téléphone.

- Mais monsieur, on est vendredi.

- SORS ! Tout de suite !

J'aurai peut-être dû la fermer.

Dépité, Korie redonna les feuilles à Tobias et le crayon à Emma, puis sorti de la pièce sous les rires des autres élèves. Mais malgré tout, il était fier, parce qu'il avait vu qu'Emma riait aussi. Peut-être qu'elle riait de lui, mais il avait encore un peu d'espoir que c'était quand même lui qui lui avait arraché un sourire.

Changement de tactique est cours. Mission : faire rire Emma, enclenchée !

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