Cette fois, c'était la bonne. La vraie de vraie. Il n'était plus question de faire demi-tour, malgré l'envie.

Vendredi matin. Korie était déjà à l'école, mais le premier cours ne commençait que dans une vingtaine de minutes. Plutôt que de trainer à la cafétéria à discuter avec Tobias et Levis, comme il en avait pris l'habitude, il avait erré dans les couloirs jusqu'à se trouver une classe vide. Il y était entré, s'était assis dans le fauteuil du professeur, avait basculé la tête par en arrière et mit ses pieds sur le bureau, laissant une trace de soulier sur une pile de copie à corriger, puis avait fermé les yeux. Sans rien regarder de ce qu'il faisait, il envoya un texte à Valérie pour lui indiquer où elle pourrait le rejoindre.

« Ke sios dans la sappe 209 ai 3e etape. Vuen alev Enna. »

Son téléphone sonna quelques secondes plus tard et il répondit machinalement. Il se sentait un peu obligé.

- Ouais, j'ai rien compris de ce que tu viens de me dire.

Korie éloigna l'appareil de son oreille pour relire le message. Il pouffa de rire, avant d'expliquer :

- Je suis dans la salle 209... eh, 309, en fait. Au troisième étage. Tu peux m'y rejoindre ? Avec Emma.

- Pourquoi Emma doit venir ? dit Valérie d'une petite voix plaintive.

- C'est pas ce que tu crois... Viens, s'il te plait... avant que je me dégonfle.

Korie éteignit l'appel sans un au revoir et le posa à plat sur le bureau. Il ferma à nouveau les yeux, espérant s'endormir et louper la visite des filles, mais il était beaucoup trop conscient pour ça.

Quand la porte de la classe s'ouvrit sur Valérie et Emma, Korie fut incapable de les saluer. Il ne put que faire un petit sourire crispé et un coucou de la main, avant de la laisser retomber sur l'accoudoir.

- Tu sais que c'est interdit de s'assoir dans le fauteuil des profs ? dit Valérie en s'appuyant sur un pupitre de la première rangée.

- Y'a pire comme acte de rébellion, fit Korie d'un plat mouvement d'épaule. J'aime les fauteuils, ça me met en confiance. Cherche pas à comprendre...

- D'accord... et sinon, pourquoi tu voulais nous voir ici ?

Korie prit un moment pour tenter de trouver une manière douce de dire la chose. Une manière qui ne donnerait pas d'envie de meurtre à Valérie, de préférence. Il avait bien écouté le conseil de sa mère, en ce qui concernait de se faire un public « adulte » en cas de problème, mais après réflexion, il préférait encore avoir mal que honte.

Korie passa le bout de sa langue sur ses lèvres, asséché par le stress, pendant que ses yeux allaient de l'une à l'autre sans discontinuer. Mais il s'arrêta au bout d'un moment, dévisageant Emma. Ses sourcils se soulevèrent et sa bouche en tomba quand il réalisa enfin où était le changement.

- Tu t'es coupé les cheveux ?

Emma haussa les épaules, l'air de dire « qu'est-ce que ça peut te faire ? » puis serra ses cheveux en queue de cheval pour les cacher derrière son dos.

- Mais ça te va super bien, les caches pas ! dit Korie, attristé par son geste. Ça te va mieux comme ça, je trouve. Tu ressembles presque à Black Widow dans le Winter Soldier... mais en brune. Mais quand même toujours aussi badass, j'en doute pas !

Emma s'efforça de rester sérieuse, mais ne put réprimer un petit ricanement, qu'elle s'empressa de camoufler. Valérie les observa à son tour en plissant les yeux.

- Pourquoi tu voulais nous voir ici ? demanda-t-elle encore.

Il est trop tard pour reculer, hein ?

Korie toussa dans son poing et se redressa sur le fauteuil, éparpillant quelques copies sur le bureau au passage. Il s'y appuya avec ses coudes, la tête dans une main, ses doigts tirant sur une mèche de cheveux châtains, la soulevant comme une corne. Il souffla, promena son regard un peu partout dans la salle de classe. Pourquoi c'est aussi compliqué ?!

- Allez, Korie. J'ai pas que ça à faire.

- Je sais, je suis désolé... les mots veulent pas sortir !

- C'est si dur que ça ? Tu peux bien faire un effort. Ça commence à être chiant, là.

Korie leva les yeux au ciel et secoua la tête, les lèvres pincées. Il prit plusieurs grandes inspirations.

- Tu veux rompre avec moi, c'est ça ? fit Valérie d'une voix un peu plus douce. C'est ça, hein ?

- Quoi ? Mais on n'est même pas ensemble !

- Mais...

Valérie fronça les sourcils et pencha la tête de côté, son afro suivant le mouvement avec un léger rebond. Emma les regardait tour à tour, à la fois intriguée par la « chicane de couple » qui se jouait devant elle, et secrètement heureuse de la tournure des évènements.

- Mais tu m'avais embrassé, à la soirée ! Et tu avais dit que tu me trouvais belle, et tout...

- Premièrement, j'étais bourré ! fit Korie qui commençait à s'énerver. Je savais plus du tout ce que je faisais ni ce que je disais.

- Il fallait bien que ça sorte de quelque part, tu n'aurais quand même pas menti, juste comme ça !

- T'as raison, ce n'étaient pas des mensonges. Mais ce n'était pas de toi que je parlais. Et j'avais pas plus conscience que c'était toi que j'embrassais.

Valérie garda le silence, la bouche toujours grande ouverte. Ses poings se contractaient, s'ouvraient et se refermaient. Korie prit une grande inspiration, songeant que le volcan était sur le point d'exploser, et montra ses mains en signe de paix.

- Valérie, je suis vraiment désolé, je te le jure. Ce que je veux dire... ce que j'essaye de te dire depuis tout ce temps sans jamais en avoir le courage, c'est qu'il y a eu erreur sur la personne. Il y a déjà plus de trois semaines de ça, quand... (Il tourna les yeux vers Emma, avant de revenir rapidement à Valérie) quand j'ai vu... Emma...

- Pourquoi tu parles d'Emma, maintenant ? C'est entre toi et moi !

- Non, laisse-moi finir ! Quand j'ai vu Emma pour la première fois, elle m'est tombée dans l'œil. Et elle a pas voulu me donner son nom. Plus tard, j'ai demandé à... à quelqu'un de me le dire. Mais tu étais juste à côté, et il a cru que je parlais de toi. Il m'a dit qu'elle s'appelait Valérie. J'ai compris la vérité qu'à la soirée, quand tu es apparu devant moi, dans le corridor.

Un lourd silence flotta après la révélation. Korie se laissa à nouveau tomber dans le fauteuil ; Valérie était figée les poings serrés et les jambes légèrement écartées, prête pour la guerre ; Emma fronçait les sourcils à essayer de comprendre ce qui venait de se jouer devant elle, dévisageant Korie et Valérie à tour de rôle. Une mouche passa au-dessus de leur tête et s'écrasa dans l'une des trois vitres qui longeaient un mur de la salle de classe, ce qui sembla enfin les réanimer.

- Tu nous prends pour des connes, ou quoi ?!

- Non ! fit Korie d'une petite voix aigüe. Je vous jure, c'est la vérité ! Et je voulais pas vous faire du mal, c'est pour ça que j'arrivais pas à le dire plus tôt !

- Nous faire du mal ? Tu te crois vraiment si exceptionnel pour qu'on se batte pour toi ? Tu n'en vaux même pas la peine, dit Valérie avec une grimace.

Elle le lorgna de haut en bas, pouffa de dégout et tourna les talons pour quitter la pièce. Ce n'était pas un coup de pied dans le tibia, mais la douleur était bien présente. Juste, un peu plus haut. Droit dans le cœur.

- Viens, Emma.

Emma hocha la tête d'un air soumit, fit quelque pas vers la porte où l'attentait la basanée, mais s'arrêta pour se retourner vers Korie. Il n'y avait pas de dégout dans son regard à elle, Korie y voyait plutôt de la curiosité, mais il n'avait pas moins peur de cette fille.

- Alors c'est vrai, ce qu'on dit sur toi. Ton incroyable QI n'est égalé que par ta stupidité. C'en est impressionnant.

- Emma... Je suis désolé.

Emma se pencha légèrement au-dessus du bureau pour se rapprocher de Korie. Ses mèches courtes tombèrent devant ses yeux et elle inclina la tête de côté.

- Si je t'avais donné mon nom depuis le début, rien de tout cela ne serait arrivé ? C'est con, quand on y pense. Moi, je voulais seulement faire mon intéressante en te laissant mariner un peu. Peut-être que la deuxième fois, je te l'aurais dit.

- Bah vos techniques de drague, à vous les filles, sont vraiment à revoir ! Je croyais que tu te foutais complètement de moi !

Emma eut un petit sourire qu'elle camoufla rapidement en se mordant la lèvre.

- Les tiennes aussi sont à revoir.

Puis, sans prévenir, elle leva la main et l'envoya vers Korie, dans une tentative de gifle qu'il réussit à éviter en faisant rouler le fauteuil jusqu'au mur derrière lui. Le bout de ses doigts étaient passé à un centimètre près de son nez, il en avait presque senti l'odeur du verni noir qu'elle avait sur les ongles. Korie écarquilla les yeux vers Emma, le cœur pompant à toute vitesse. Elle s'éloignait déjà vers la porte, la tête haute, pour rejoindre son amie qui l'attendait avec un grand sourire fier.

- Ça, c'était pour Valérie. Et aussi parce que t'es vraiment nul.

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BAM, la première gifle d'Emma ! On fait péter le champagne ! 🍼
(J'ai pas d'émoji de champagne mais j'aime bien le biberon, ça fait mignon)