Chapitre 28

À chaque fois que Korie avait croisé Emma et Valérie, que ce soit dans les corridors, à la cafétéria ou dans leur cours commun, il s'était dit « cette fois, c'est la bonne » avant de s'enfuir dans la direction opposée. Il se sentait aussi fébrile que si la mort le guettait, il avait même remarqué par moment que ses doigts étaient agités de tics nerveux. C'était une sensation qui le ramenait à ses dix ans, quand il paniquait dès que son père commençait ses phrases par « quand tu seras grand ».

Il avait tellement l'esprit ailleurs que, pour la première fois, la professeur Greeve, qui aimait tant lui poser toutes sortes de questions dans l'espoir d'un jour le mettre en faute, réussie enfin. À sa question, dont Korie n'avait même pas su comprendre, il avait ouvert bêtement la bouche, à court de mots, avant de hausser les épaules et de secouer la tête. Toute la classe s'était mise à le dévisager, comme s'ils croyaient que ce n'était pas vraiment lui. Un double en version robot, peut-être, mais certainement pas un vrai Buchanan qui n'arrivait pas à répondre à une question toute simple de physique. Même la prof avait les yeux écarquillés.

- Tu vas bien ? lui demanda Levis en se retournant sur sa chaise.

- J'ai mal à la tête, fit Korie, et ce n'était qu'un demi-mensonge.

Levis l'observa une seconde de plus, juste assez longtemps pour que Korie comprenne qu'il ne le croyait pas, puis se remit droit sur son siège. La professeure continua son cours d'un air incertain, avant de reprendre de son assurance.

Le même phénomène se produisit à l'heure suivante, durant la mathématique. Il ne réussit pas à terminer ses exercices et se récolta un devoir à la maison, pour la toute première fois de l'année scolaire. Korie s'amusa à faire une croix dans son agenda à la date du jeudi 19 septembre. Le jour fatidique où il fut incapable de répondre à une question et de terminer un exercice de maths dans les temps.

Les filles me rendent stupide, pensa-t-il malgré lui. Faudrait vraiment que je me convertisse chez les mecs.

*

Le soir, après le souper, il s'installa à la table de la salle à manger pour faire ses devoirs. Il avait bien un bureau dans sa chambre, mais il préférait être dans un espace plus large dans l'espoir de se sentir un peu moins enfermé dans ses pensées. S'il ne s'était pas mis à pleuvoir, il aurait même été sur le toit. L'accès était interdit, mais il savait crocheter le verrou.

Il bloquait complètement sur ses exercices depuis dix minutes. Le Korie de la semaine dernière aurait certainement ouvert son livre, regardé un exemple, et aurait compris presque aussitôt. Mais cette fois, avec Valérie et Emma qui tournait en boucle dans son crâne depuis quatre jours, il était incapable de la moindre pensée logique. Il était penché au-dessus de ses notes avec une grimace d'incompréhension, les coudes sur la table et la tête entre les mains.

Quelque chose lui frôla l'épaule et Korie sursauta, songeant à une grosse araignée, et donna une puissante claque dans le vide. Mais ce n'était que sa mère Violet, qui s'était éloignée à temps et lui présentait ses paumes en signe de paix.

- Oh, désolé, je t'avais pas remarqué, dit Korie en rougissant.

- Est-ce que tu vas bien ? Tu m'as l'air un peu distant.

- C'est rien...

Korie baissa à nouveau la tête vers ses livres, honteux. Il venait certainement le dire le plus gros mensonge de toute sa vie.

- Tu veux que je t'appelles ton père ? Il pourra t'aider avec tes devoirs.

- En fait, ce n'est pas rien, dit Korie, ignorant sa dernière question. C'est... (Il déglutit, plus nerveux que jamais, avant d'avouer dans un souffle :) C'est une fille.

Violet sourit, intéressé, puis tira une chaise pour s'assoir en face de son fils.

- Une fille ? Est-ce que c'était l'une de tes invitées de samedi ?

- Ouais...

- Laquelle ? La brunette ou la basanée ?

- Eh bien, c'est là qu'est toute la question ! Tout le monde croit que j'ai flashé sur Valérie — la basanée —, mais moi, depuis le début, c'était sur Emma — la brunette ! Mais même Valérie croit que j'en pince pour elle et depuis lundi, elle me tourne autour, alors qu'Emma, elle, elle m'ignore complètement. Mais tu vois, je voudrais bien leur dire ce que je ressens vraiment, mettre les choses au claire, mais qu'est-ce qui va se passer ensuite, entre elles ? Y'a tellement de façon que ça pourrait mal terminer ! Et je sais plus du tout ce que je dois faire !

Korie prit une grande inspiration, à bout de souffle. Il avait tout débité d'un seul trait et il se sentait le visage rouge comme une écrevisse. Et s'il s'était déjà confié à sa mère sur toute sorte de sujets, il n'avait jamais été question de quelque chose d'aussi intime.

- Et toi, qu'est-ce que tu voudrais faire ? demanda Violet.

- Dire la vérité, évidemment. Mais qu'est-ce que ça m'apporterait ? Emma se fout complètement de ma gueule, alors à quoi bon essayer ? Et Valérie, je te jure, c'est une ninja ! Elle fait du karaté et elle est sacrément douée. Je suis pas assez téméraire pour faire genre : « désolé, en fait, c'est sur ta meilleure amie que j'ai flashé ! ». Elle me casserait les jambes en un mouvement.

- Et elle te ferait du mal pour ça ? dit Violet en riant.

- Ouais, totalement ! Je l'ai vu faire deux fois ! Et en plus, elle m'avait déjà dit que, si elle faisait du karaté hors de ses cours, elle risquait d'être renvoyée. Et elle le fait quand même, alors, je sais pas toi, mais moi, je préfère rester gentil avec les rebelles ninja.

- Et tu crois pas plutôt qu'elle serait en colère si tu continuais de lui mentir encore longtemps ? Elle découvrira la vérité un jour ou l'autre, c'est évident.

Korie ne répondit pas immédiatement, penchant légèrement la tête de côté. J'avais pas vu les choses comme ça...

- Donc, peu importe ce que je fais, elle sera en colère ?

- Je crois que, où tu en es rendu... oui. Mais plus tu lui dis la vérité rapidement, moins sa colère durera.

- D'une manière ou d'une autre, elle me cassera les jambes...

- Arrête un peu de dramatiser ! Si tu as si peur d'elle, tu n'as qu'à te faire un public. Débrouille-toi pour qu'un prof ne soit pas trop loin.

- C'est pas fou, fit Korie dans un long soupir.

Violet posa sa main sur l'épaule de son fils en signe de réconfort alors que le silence s'éternisait. Dans le fond, Korie ne croyait pas vraiment que Valérie lui casserait les jambes, mais plus le temps passait, plus cette fille lui faisait sérieusement flipper. Elle était chouette à avoir comme amie, mais il n'avait aucun doute qu'elle saurait faire une ennemie redoutable.

Dans le fond, la seule chose que cette discussion avec sa mère avait pu lui apporter, c'était qu'il devait parler et, surtout, de faire attention. Une tentative de meurtre est si vite arrivée...

- Sinon, tu veux que j'aille demander à ton père pour qu'il vienne t'aider avec ce devoir ?

- Non, pas la peine, dit Korie en secouant doucement la tête. Je vais me débrouiller.

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