Chapitre 25
L'alcool avait eu raison de Korie. S'il s'était passé autre chose par la suite, il l'avait complètement oublié. Quand il ouvrit à nouveau les yeux après avoir échangé sa salive avec Valérie, il était toujours étendu dans le canapé, mais il était seul, et la lumière qui l'éblouissait était celle du soleil levant depuis la baie vitrée du salon. Il grogna et se cacha le visage de son avant-bras, marmonnant pour lui-même. Son crâne lui faisait un mal de chien, il avait l'estomac à l'envers et sentait une envie de vomir qui venait.
- La marmotte est réveillée !
- Pas trop tôt !
- Juste à temps pour le petit déjeuner !
- Taisez-vous ! hurla Korie en se couvrant les oreilles.
Des rires se firent entendre depuis la cuisine, accompagné d'un bruit de font constant et terriblement énervant. Korie ouvrit un œil pour apercevoir le Colonel, l'un des deux robots domestiques, passer l'aspirateur sur le tapis. Qui l'a activé ? se demanda confusément Korie. Il se souvenait vaguement l'avoir désactivé avant l'arrivée des invités.
Jugeant qu'il serait impossible d'avoir la paix pour dormir encore un peu, il se mit assis avec une extrême lenteur puis, toujours aussi lentement, se leva. Il resta immobile le temps que sa tête arrête de tourner, puis s'avança vers la salle à manger, un petit pas à la fois, tanguant dangereusement de gauche à droite. Quand il arriva enfin dans la pièce, il vit les quelques invités de la veille qui avait passé la nuit ici, soit Levis, Tobias, Emma, Valérie et Madison. Il les dévisagea tous tour à tour et grimaça de dégout en avisant leurs mines joyeuses.
- Vous avez pas le droit de rire quand je souffre, marmonna Korie d'un air presque menaçant.
- On va se gêner, fit Levis avec un sourire provocant. Viens manger, ton robot drag queen a fait des pains dorés !
- Viens, renchérit Mady en tapotant le dossier de la chaise vide à côté d'elle. Manger va te ramener.
Malgré l'envie de vomir qu'il présentait toujours, Korie avait faim. Il prit la place libre et se laissa tomber dessus, puis posa les coudes de part et d'autre de son assiette, le regard vitreux et les cheveux en bataille. Avec une fourchette, il pigea un pain doré dans le grand plat au centre de la table. Le pain lui sembla étrangement lourd et il resta de longue seconde à fixer la nourriture en se demandant pourquoi.
- Hideux ! hurla-t-il soudain, faisant sursauter tout le monde. Café !
- Tout de suite, monsieur !
- Korie, dépêche-toi à manger, dit Mady en posant une main sur son épaule. Faut que tu te ramènes un peu avant que tes parents arrivent.
Korie écarquilla les yeux, dévisagea Madison pendant une seconde, puis attrapa son pain avec les doigts pour enfourner près de la moitié dans sa bouche. Il déglutit, s'étouffa à moitié, puis se leva d'un bond pour courir vers les toilettes et s'y enfermer. Depuis la salle à manger, tous entendirent très clairement ce qu'il faisait.
- Purée, c'est dégueu, fit Levis dans une grimace. Qu'est-ce qui lui a prit de boire autant ?
- En fait, il a moins bu que d'habitude, dit Mady d'un air gêné. Mais justement, s'il avait pris au moins un verre de plus, peut-être qu'il aurait vomi la veille plutôt que ce matin, et là, il se porterait beaucoup mieux.
- Hein ? s'étonna Emma en se penchant au-dessus de la table. Plus d'alcool l'aurait fait se sentir mieux ? T'es sûr de ce que tu dis ?
- Ouais, s'il faut seulement que ça sorte ! dit Valérie. C'est logique, dans le fond.
- Oui et non, dit Tobias. Ça dépend du point de vue.
- Enfin, d'habitude, il boit plus, dit Mady en haussant les épaules. Et au matin, il est moins déchiré.
- Ouais, comme à la rentrée ! dit Tobias en pouffant et se tournant vers Levis. Tu te rappelles ?
- Il me faisait peur tellement il était bizarre !
Tous éclatèrent de rire au souvenir, même Mady qui n'y était pas présente. Elle connaissait assez Korie pour imaginer la scène, et dans sa tête, c'était tordant.
Quand Korie revint enfin de la salle de bain, les autres riaient encore de lui. Il laissa couler, songeant qu'il y avait surement d'assez bonnes raisons de se foutre de lui en ce moment, puis recommença à manger son pain doré avec un peu plus de lenteur.
- Votre café, monsieur.
Korie leva ses yeux torves de son assiette pour voir le robot au chapeau et à la barbe d'Abraham Lincoln s'avancer avec une tasse entre les pinces. Il la posa près de lui et reparti aussitôt en cuisine.
- Merci, Hideux...
- Pas de quoi, monsieur !
Korie l'observa quelques secondes de plus avant de prendre une gorgée de son café noir, sans lait ni sucre. C'était amer et même dégueulasse, mais il en avait besoin.
- Qui les a activés ?
- C'est moi, fit Mady.
- Tu connais le mot de passe ?
- Tu me prends pour quoi ? Évidemment que je le sais !
Korie haussa les épaules, désintéressé. En même temps, quand bien même elle ne connaitrait pas le mot de passe, elle était assez intelligente pour le découvrir. Elle n'était pas la fille de Joseph pour rien.
Korie appuya sa tête dans sa paume, poussa un petit soupire résigné, puis leva les yeux vers ses autres invités. Valérie et Emma, côte à côte en face de lui et Mady, et Levis et Tobias à chaque extrémité de la table.
- Alors ? J'ai manqué quoi d'hier soir ?
- Oh, il s'est pas passé grand-chose, en dehors de tes propres aventures, dit Tobias qui semblait un peu déçu. C'était plus tranquille de ce que j'avais imaginé.
- Sauf quand tu t'es pris un savon ! fit Levis avec un grand sourire. Il a essayé d'embrasser Madison. (Il fit un clin d'œil vers la concernée, avant de reprendre :) Faut croire qu'un demi-shooter aura quand même fait ses effets, parce que c'était plutôt drôle à voir. Et il a presque pleuré quand elle a refusé de l'embrasser.
- C'est pas vrai ! marmonna Tobias en faisant la moue. J'ai pas pleuré.
- Tu avais les yeux brillants, j'ai presque eux pitié de toi, dit Mady en hochant la tête.
Malgré son mal de crâne toujours aussi intense, Korie s'autorisa un sourire. Ça faisait du bien de savoir qu'il n'était pas celui qui s'était le plus ridiculisé.
- Moi aussi, j'ai embrassé quelqu'un... je crois, fit-il vaguement.
Il se passa une main dans les cheveux en observant Valérie et Emma, incapable de se souvenir de laquelle il avait embrassé. Les filles étaient penchées l'une contre l'autre et riaient en se cachant la bouche, sans aucune subtilité.
- C'était qui ?
- On te laisse deviner, dit Valérie avec un sourire.
Korie n'osa pas répondre ; le risque de nommer la mauvaise personne était trop grand. Il souhaitait que ce soit Emma, mais il avait une légère impression que ce n'était peut-être pas le cas. Mady, le voyant hésiter, se pencha à son oreille et murmura « Valérie ». Korie s'étouffa avec sa gorgée de café et toussa en avalant de travers.
- Pourquoi tes frères sont pas venus ? demanda Korie pour changer de sujet.
- Je leur ai même pas dit où j'allais ! Arrête d'essayer de les faire venir à tes fêtes, ils sont trop jeunes.
- Attends, fit Levis en se redressant sur sa chaise tout en mâchant un bout de son pain doré. Tu as combien de frères ? Y'a pas une loi qui court depuis une vingtaine d'années qui interdit d'avoir plus de deux enfants ?
- Ils sont jumeaux, dit Korie avec un sourire en coin. Personne n'y peut rien.
- Tu vois, les riches passent toujours entre les filets de la loi.
Korie donna un coup de pied sur le genou de Levis sous la table et il sursauta en grimaçant de douleur. Korie et Mady éclatèrent de rire en le voyant souffrir.
- Levis, tu peux pas te moquer de deux personnes en même temps, fit Emma en secouant la tête. Faut les prendre à part et ensuite, tu frappes.
- Ouah... les femmes sont féroces, par ici, murmura Tobias pour lui-même.
Tout le monde pouffa, surtout Emma qui était particulièrement fière de son coup. Depuis ce qu'elle avait vu la veille, elle avait envie de montrer qu'elle savait être forte, elle aussi, comme Valérie.
Elle voulut en ajouter une couche, mais la porte d'entrée s'ouvrit soudain avec un bruit de claquement. Hideux et le Colonnel laissèrent tomber leur boulot et se précipitèrent vers l'entrée en scandant des « identifiez-vous, je vous prie ! ».
- Merde ! fit Korie d'une voix étrangement aigüe.
- Tes parents ?
Korie hocha la tête, attrapa son café à deux mains et but la tasse en trois grandes gorgées brulantes. Il renversa la quatrième sur son teeshirt et sauta en l'air sous le coup de la chaleur. Il retira le vêtement en vitesse et s'épongea le ventre en grimaçant, sans remarquer Valérie et Emma qui le reluquait.
- Korie ? On est revenu ! scanda la voix de Violet dans l'appartement.
- Ouais, j'ai entendu ! répondit-il dans un grognement.
Korie regarda nerveusement de gauche à droite, à la recherche de bouteille d'alcool ou autre preuve de ce qui s'était passé ici, mais ne trouva rien au premier coup d'œil. Il n'eut pas le temps de chercher plus, car ses parents entraient dans la salle à manger en trainant de lourdes valises. Owen et Violet s'arrêtèrent devant eux, étonnés de voir autant d'invités dans leur appartement.
- T'as fait une petite fête hier soir ou quoi ? fit Owen en s'avançant d'un pas vers son fils.
- Nah, je vois pas pourquoi tu dis ça ! s'écria Korie.
- Je te taquine, je sais bien que t'aurais pas osé. (Il se tourna vers les autres invités et leur fit un sourire chaleureux.) Ah, j'en reconnais au moins quelques-uns. Salut, Mady !
- Bonjour, parrain ! répondit Madison en se levant pour faire un câlin à Owen, pi à Violet.
- Et je reconnais aussi... Lewis et Tobin ?
Korie pouffa d'un rire nerveux, mais n'osa rien dire, occupé à éponger les traces de café sur sa peau. Levis et Tobias, avec le souvenir cuisant de la honte qu'ils s'étaient pris à leur première rencontre, se contentèrent de hocher la tête avec une petite grimace.
- Et qui sont ses jolies demoiselles ? demanda cette fois Violet.
- Valérie et Emma, répondit Korie alors qu'elles disaient salut avec des signes de mains.
- Laquelle est ta copine ? fit Owen avec un sourire intéressé.
- Papa !
- Quoi, les deux ?
- Papa ! hurla Korie.
Owen leva les mains en signe de soumission et se pencha pour prendre sa valise. Il fit un pas vers la sortie de la pièce, mais se retourna à nouveau vers son fils, l'air presque sévère. Korie déglutit nerveusement.
- Korie, me prends pas pour un idiot. Je sais ce que t'as fait, et tu sais que j'aime pas ça !
- Que... hein ? marmonna Korie, le cœur pompant à toute vitesse.
- Je t'ai déjà dit mille fois que je veux pas quand tu bois du café. T'es trop jeune pour ça !
- Oh ! eh... euh... désolé.
- Et en plus, t'en as renversé partout, ajouta Violet en regardant avec dégout la petite flaque qui s'était faite autour de son fils. Colonel ! Viens nettoyer ça !
- Oui, madame !
Ils s'éloignèrent enfin, retournant dans leur chambre pour déposer les bagages. Korie attendit qu'ils soient hors de vue pour souffler de soulagement, se laissant retomber dans sa chaise et plaquant une main sur son cœur.
- J'ai eu trop peur, marmonna Korie, soucieux de ne pas se faire entendre de ses parents. J'ai cru que j'allais mourir !
- Tu réfléchiras aux conséquences, la prochaine fois ? fit Mady en se penchant vers lui.
- Quelle conséquence ? répondit Korie d'un air innocent.
Mady le poussa à l'épaule et Korie s'accrocha au bord de la table pour ne pas tomber de sa chaise sous le rire de ses amis. Le Colonel arriva au même moment, se mit à quatre pattes à ses pieds et nettoya la flaque avec une lingette.
- T'es trop cinglé, Korie, dit Levis en se penchant un peu vers lui. Si tu t'étais fait prendre, tu serais déjà à Kingston !
- Pourquoi Kingston ? s'étonna Valérie.
- Longue histoire, dit Korie en secouant la tête. L'important est qu'ils n'ont rien remarqué !
- Pour l'instant, dit Emma pour elle-même. Mais je commence à croire que l'intelligence des Buchanan est grandement surestimée.
Korie rougit sévèrement, ce qui fit éclater de rire Tobias et Levis. Les filles, sans trop comprendre ce qui l'embarrassait à ce point, terminèrent de manger leurs pains dorés et de boire leurs chocolats chauds. Mais après quelques bouchées, Emma leva à nouveau les yeux vers Korie. Il ne la regardait pas, concentré sur son assiette avec un air coupable. Peut-être que sa remarque lui avait vraiment fait de la peine ? Elle en doutait, mais avec ce qu'elle avait vu hier soir, elle savait maintenant que Korie aimait les femmes fortes. Du coup, elle n'avait pas l'intention de se gêner.
Emma risqua un discret coup d'œil vers Valérie. Elle buvait dans sa tasse, la levant bien haut pour avoir la dernière goutte. Emma en était sure — c'était même aussi voyant que le nez au milieu de la figure — qu'elle était amoureuse de Korie. Elle l'avait bien embrassé à pleine bouche jusqu'à l'asphyxie il y avait tout juste une dizaine d'heures. Et en plus, de toute évidence, c'était réciproque. Korie n'était pas doué pour cacher ses sentiments, il suffisait de le voir rougir dès que ses yeux se tournaient vers Valérie. Et elle était bien placée pour le savoir : à chaque fois, elle était juste à côté de son amie. Et jamais les observations au loin de Korie lui étaient adressées. Car, à chaque fois que leurs regards se croisaient, il baissait les siens d'un air presque intimidé. Exactement comme il venait de le faire après sa remarque.
Alors, pourquoi cette soudaine envie de rivaliser contre sa meilleure amie pour attirer l'attention de Korie ? Il n'en valait même pas la peine. Mais c'était plus fort qu'elle, Emma voulait que Korie sache qu'elle existe, elle aussi. Non, elle n'était pas championne de karaté, elle n'avait pas non plus un teint caramel foncé ni encore ses cheveux crépus qu'elle coiffait parfois en afro. Emma avait honte de l'avouer, mais elle était jalouse du look de Valérie. C'était toujours elle, la jolie et forte Valérie, qui se faisait remarquer. En dehors de ses yeux gris dont elle était fière, il n'y avait rien sur son propre corps qui ne sortait pas de l'ordinaire, selon elle. Elle était trop banale et ça la mettait en horreur.
C'est ce qu'elle pensait alors qu'à moins d'un mètre en face d'elle, Korie, le nez dans son assiette, était incapable de lever la tête, car il se sentait intimidé par sa beauté.
- Bon ! dit soudain Madison en faisant claquer sa tasse contre la table. Je vais y aller, moi. Quelqu'un veut que je le ramène ? J'ai de la place pour tout le monde.
- T'as une voiture ? demanda Levis.
- Elle a dix-huit ans, signala Korie, toujours concentré sur ses pains dorés.
- Tu prends quelle direction ?
- J'habite pas trop loin du parc Zuccoti, si tu connais. Mais ça ne me dérange pas de faire un détour.
- Non, on est complètement à l'opposé, dit cette fois Tobias. On va prendre le métro.
- D'accord. Et vous, les filles ?
Emma et Valérie se concertèrent du regard. Emma et Levis habitaient le même quartier, et si c'était l'opposé pour lui, ce l'était aussi pour elle. Mais l'occasion de parler de Korie dans son dos se présentait sur un plateau d'argent et c'était difficile de refuser.
- Ouais, si ça ne te dérange pas ! dit Valérie d'un air faussement décontracté.
- Pas du tout ! fit Madison avec un grand sourire. Préparez-vous, j'y vais dans cinq minutes, le temps de dire salut à tes parents.
Elle s'essuya les doigts et la bouche avec une serviette en tissu qu'elle laissa ensuite retomber dans son assiette, puis quitta la table et alla en direction de la chambre des parents de Korie — son parrain et sa marraine. Korie avala enfin son dernier morceau de pain doré et regroupa son courage pour lever la tête vers les filles.
- Vous n'allez pas profiter de l'occasion pour parler derrière notre dos, hein ?
- Bien sûr que non ! pouffa Emma d'un air détaché.
Pas dans votre dos, eut-elle envie d'ajouter. Seulement le tien.
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Ça fait plus d'une semaine que j'ai pas publié de chapitre... Et le pire, c'est que le trois quart de celui-ci est écrit depuis au moins trois jours et j'avais rien fait entre temps ! Moi qui essaie de publier deux chapitre par semaine minimum, va falloir qu'on me donne des coups de pieds au cul. Je peux compter sur vous ?
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