Chapitre 23

L'attente ne dura qu'une minute, mais Korie avait eu l'impression qu'une heure s'était écoulée quand la porte à sa droite s'ouvrit enfin. Il ferma les yeux, une boule de stress énorme dans le ventre, prit une grande inspiration, et lâcha, dans un souffle, la voix aigüe et couinante comme un petit cochon :

- Salut, Valérie ! Comme on se rencontre !

- Il t'en aura fallu, du temps, répondit-elle dans un rire. Allez, ouvre les yeux. Je suis pas si laide que ça, quand même !

- Arrête, tu es...

Il fut incapable de dire la suite. Autant que le peu de courage qu'il avait su emmagasiner n'était pas suffisant pour lui permettre de dire « magnifique », autant parce qu'il avait enfin ouvert les yeux.

Oui, Valérie était magnifique. C'était une jeune femme pleine de charme, et le premier à dire qu'elle était laide n'avait aucun sens de la beauté. Mais le problème, c'était surtout que Valérie n'était pas Valérie.

Korie en fut complètement bouche bée. Devant lui, la basanée s'était appuyée au mur d'en face, jouant avec la bretelle de son sac à main avec des mouvements nerveux. Ses cheveux étaient encore plus frisés que d'habitude, lui faisant un petit afro, et elle était habillé intégralement de noir, allant d'un leggin en faux cuir et d'un chandail large.

- Tu peux le dire, dit Valérie avec un sourire charmeur. Je suis quoi ?

- T-tu... tu es... magnifique, fit Korie, le cœur pompant à toute vitesse. Très jolie.

- Merci, répondit-elle, toi aussi.

Korie hocha la tête, incapable de réfléchir à ce qu'il devait dire. Qu'est-ce que je fais, maintenant ? Il se sentait complètement coincé. Avouer que ce n'était pas sur elle qu'il avait flashé, mais sur la brunette ? Des plans pour se prendre une gifle et détruire l'amitié des deux filles. Et si, en plus, ça lui faisait une réputation de raciste ? C'était bien possible ! Valérie semblait trop gentille pour qu'on s'arrête sur sa personnalité, alors forcément qu'il ne restait plus que son apparence. Mais Korie la trouvait belle, et si ça n'avait pas été de l'autre « Valérie », peut-être qu'il se serait permis de la draguer. Le problème, justement, est qu'il avait passé deux semaines entières à mettre son énergie sur la mauvaise personne et ça le tuait.

- Tu m'as l'air bien nerveux, Korie. Tobi m'avait dit que tu voulais me dire quelque chose ?

- Heu... ouais... c'est que... (Korie toussa dans son poing et prit plusieurs longues gorgées de son verre de punch.) C'est que... je... ah, tu sais, ça fait près de deux semaines qu'on se parle sur texte, mais on s'était jamais vu en face. Je voulais juste... apprendre à te connaitre. Parce que je te trouve très jolie et... tu me plais ?

Le sourire de Valérie s'élargit encore un peu plus. Korie répondit à son sourire, mais intérieurement, il jurait à plein poumon contre Tobias. En même temps, à qui la faute ? Quand Korie lui avait demandé son nom, il n'avait jamais précisé de quelle fille il parlait, il ne faisait que regarder dans sa direction, et Valérie — la vraie — était juste à côté. C'était bien possible que Tobias ai pu croire qu'il parlait d'elle.

L'erreur est humaine, à ce qu'il parait, mais sur ce coup, il aurait préféré le contraire. Les robots font jamais d'erreur, eux. Je veux être un robot, merde ! Ce serait tellement plus simple !

Mais maintenant que le mal était fait, il n'avait plus le choix d'aller en ce sens. Au moins pour le temps de trouver un plan.

- Tu commences à me faire, peur, à me fixer comme ça, dit Valérie avec un rire nerveux.

- Oh, pardon, dit Korie en sursautant. J'étais perdu dans... ta beauté.

Valérie pencha la tête de côté, un petit sourire en coin, puis prit une gorgée de son verre. Elle ne fit que tremper ses lèvres dedans, comme ne manqua pas de remarquer Korie, et ce geste ne réussit qu'à le mettre encore plus mal à l'aise, sans qu'il ne comprenne pourquoi.

- Tu es extrêmement nerveux de nature ? Ou je pourrais presque croire que tu ne penses pas vraiment ce que tu dis.

- Mais si, je le pense ! s'offusqua Korie. Tu es vraiment belle, c'est juste que...

Korie s'interrompit aussitôt, se mordant la langue au passage. « C'est juste que... » Pourquoi j'ai dit ça ?!

- Quoi ? insista Valérie. Tu allais dire quelque chose ?

C'est juste que tu n'es pas la plus belle des deux. Si la basanée n'avait pas ses yeux braqués sur lui, il se serait enfoncé la tête dans le mur.

- Rien, dit enfin Korie. Tu as raison, je suis quelqu'un de nerveux...

- Étonnant. Je l'aurais pas cru de toi.

- Pourquoi ?

- Pour rien. Comme ça, dit-elle avec un vague mouvement d'épaule. En même temps, quand on regarde tout ce qu'il t'aura fallu rien que pour me parler...

Korie fit d'un petit sourire, ne sachant plus quoi répondre. Il est vrai que s'il avait eu un peu plus de courage, s'il avait fait les premiers pas sans laisser Tobias s'interposer, tout serait clair pour tout le monde depuis longtemps. Korie serait allé lui-même parler à « l'autre Valérie » et il n'y aurait jamais eu de confusion par la suite.

Ah, si seulement je n'étais pas aussi crétin ! Kingston serait peut-être une bonne idée, finalement !

Juste comme cette conversation commençait à manquer de sujet, un ding fit sursauter Korie, qui regarda de gauche à droite tel un lapin cherchant un renard. Il réalisa un peu tard que ce n'était que l'ascenseur qui s'arrêtait à leur étage, mais la peur le gagna à nouveau quand il vit les nouveaux arrivants.

Adam et Bella.

- Eh, Korie ! fit Adam avec un sourire carnassier. Je suis venu te dire salut !

Sous la panique, Korie ne réussit qu'à couiner quelque chose qui ressembla à « gnarh ! », il la prit par le poignet de Valérie et couru jusqu'à son appartement pour l'ouvrir à la volée et se précipiter à l'intérieur. Il la referma juste à temps, alors qu'Adam s'écrasait dessus de l'autre côté. Il tenta d'actionner le verrou, mais la poignée tourna entre ses mains et la porte s'ouvrit avec force, l'assommant sur le front. Il tomba sur les fesses et regarda avec impuissance Adam entrer chez lui, Bella le suivant à la trace comme son petit chien de poche. Elle avait d'épais cercles noirs de Kohl autour des yeux, lui donnant un look rebelle et provocant qui collait parfaitement à la situation.

- C'est quoi ces manières, Korie ? Ton riche et célèbre papa t'a pas appris comment accueillir des invités ?

Sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il l'attrapa par le col de son veston et le redressa sur pied, puis se pencha au-dessus de lui d'un air menaçant. Korie déglutit difficilement.

- Je me suis toujours pas vengé de ma fenêtre, dit-il dans un murmure, qui porta étonnamment bien malgré la musique assourdissante. Et pour Bella.

- Bella passe après ta fenêtre ? fit Korie dans un couinement.

Avec un sourire intimidant, Adam leva le poing devant Korie, qui ferma les yeux d'appréhension.

- T'as vraiment du culot de venir chez lui pour te battre, dit Valérie d'une voix étrangement dure. Selon les lois américaines, là, Korie aurait le droit de te tuer en légitime défense.

- Eh... répondit Korie en se risquant d'ouvrir un œil pour voir Adam dévisager Valérie d'un air sadique. Les lois, peut-être, mais mon père aimerait pas trop que je fasse un meurtre dans l'entrée. À la rigueur dans la salle de bain, ça se nettoie mieux.

- Je commence à te connaitre, Korie. T'aurais jamais le cran de lever le poing sur qui que ce soit. Contrairement à moi !

Korie ferma à nouveau les paupières, sachant que cette fois, il ne pourra pas s'en échapper. Mais alors qu'il se préparait à recevoir un coup, il entendit un cri étrange et Adam le lâcha, le faisant encore une fois s'écrouler au sol.

- Ça tombe bien, parce que moi, j'ai du cran, fit une voix féminine.

- Non, Valérie, te mêle pas de ça ! s'écria Korie en écarquillant les yeux vers elle. Il va te frapper ; il le fera vraiment !

- Encore faudrait-il qu'il y parvienne.

Avec un petit sourire amusé, Valérie s'était mise en position d'attaque, semi-accroupi et les mains devant elle. Korie pensa un peu confusément que si Jackie Chan avait un afro, il ressemblerait à ça.

- Je frappe pas les filles, fit Adam avec une grimace.

- Pourquoi ? T'as peur de perdre ?

Un attroupement s'était fait autour d'Adam, Bella, Valérie et Korie. Au premier rang, Korie put apercevoir Levis et Tobias, ainsi que « l'autre » Valérie — il désespérait de connaitre son prénom. Il la dévisagea une seconde de plus, s'attendant à voir de la crainte pour son amie, de la colère pour lui-même, peut-être — Valérie était bien sur le point de se battre pour lui — mais elle jubilait plus encore que tous les invités réunis. Elle semblait convaincue d'avance que la petite Valérie ne pouvait que gagner contre le gigantesque Adam.

- Ce serait dommage pour moi d'abimer un si joli visage, continua Adam.

- Alors quoi, tu abandonnes ?

- Je crois plutôt que je vais laisser les filles se battent entre elles ! T'es d'accord, Bella ?

Celle-ci, avec un sourire machiavélique, ne prit même pas la peine de répondre par des mots. Elle lâcha un cri d'attaque et bondit sur Valérie telle une panthère, ses ongles acérés en avant. Valérie se tassa de côté, leva un pied et la poussa sur les fesses. Bella s'écrasa au sol et Valérie se laissa tomber sur elle, la plaquant contre le plancher en marbre. Bella se débattait comme une folle, mais Valérie tenait bon sans aucun signe de difficulté. Elle leva innocemment ses yeux bruns vers Adam, qui semblait estomaqué devant la facilité de Valérie de contenir Bella.

- Je crois que j'ai gagné, dit Valérie avec un sourire triomphant. Et maintenant vous quittez l'immeuble ou je lui casse le nez, dit-elle en serrant le poing.

- Non ! hurla Bella au désespoir. On s'en va ! On s'en va, promis !

Bella réussit enfin à s'échapper de la poigne de Valérie. Elle profita de l'occasion pour se tirer, les larmes aux coins des cils et le Kohl dégoulinant sur ses joues.

Mais Adam ne se laissa pas démonter pour autant. Dans une dernière tentative, il envoya son poing vers le visage de Korie, qui regardait encore Bella s'enfuir. Il n'eut le temps que d'écarquiller les yeux, mais encore une fois, Valérie arriva à la rescousse. Elle repoussa son poing d'un revers de la main gauche, et de la droite, lui écrasa le sien en pleine poire. Le sang gicla de tout côté pendant que la foule s'écriait « oooh ! » devant Adam qui se tenait le nez en pleurant. Il hurla de rage et quitta l'appartement sans demander son reste.

Un silence estomaqué flotta quelques instants entre les invités, puis des exclamations de joie explosèrent. Certains scandaient « Valérie, Valérie ! » alors que son amie se précipitait pour lui sauter dans les bras. Korie recula un peu pour lui laisser le centre de l'attention, se faisant une petite place entre Levis et Tobias.

- Eh bien, t'as vraiment trouvé la perle rare, dit Tobias, des paillettes dans les yeux.

- À propos de ça... je vais te tuer.

- Hein ?

Korie le poussa à l'épaule tout en se retournant pour lui faire face.

- C'est même pas d'elle que je parlais, au départ ! C'était l'autre, là, son amie ! La brunette !

- Quoi, Emma ? fit Levis en se mettant près de Tobias comme pour le protéger. Mouais, elle est bien aussi. Mais... Valérie, quoi !

- Ouais, Valérie est géniale. Comment dire le contraire, après ça ? Mais c'est juste que... pendant tout ce temps, je savais même pas que c'était à elle que je parlais... Je me sens tellement nul, là !

- Normal, tu l'es.

Tobias frappa doucement dans l'épaule de Levis.

- Ce qu'il veut dire, c'est que... eh bien, c'est qu'une petite erreur, c'est pas grave ! Il faut lui dire !

- Ah ouais ? Après deux semaines de gentil flirt par téléphone, et après qu'elle ait envoyé son poing dans le nez d'Adam pour moi, surtout ? Il va l'avoir dans sa ligne de mire, maintenant. Elle s'est faite un ennemi à cause de moi. Et tu veux que je lui tourne le dos ? Tu me crois suicidaire ou quoi ? Cette fille sait se défendre ; c'est pas moi qui vais la contrarier !

Cette fois, Tobias et Levis n'avaient plus rien à répliquer. Korie secoua la tête, leva les yeux au ciel et poussa un grand soupire.

- Faut que j'aille boire. Eh, tout le monde ! s'écria-t-il soudain. Shooter !

Tous les invités crièrent des « ouaiiiiiiiis ! » auquel Tobias et Levis répondirent par des « Oh noooon... »

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