Chapitre 18

Aussitôt après avoir récupéré son cher et tendre alcool, Korie était allé à la tour pour cacher son drone. Il était au moins sûr qu'ici, Adam ne le trouverait jamais. Son père était déjà parti, alors il ne s'éternisa pas. Il revint à l'appartement pour relaxer, jugeant que les prochains jours risquaient de lui demander beaucoup d'énergie.

Le lendemain matin, il fut arraché à son sommeil trois minutes avant l'intervention de son réveil par des sons étranges en provenance de la chambre de ses parents. Korie grogna et enfonça son visage dans son oreiller, essayant de profiter du temps qu'il lui restait, mais c'était peine perdue. En bâillant, il sortit de son lit pour aller voir ce qui faisait autant de bruit et trouva sa mère qui se battait avec la Fermeture éclair d'une valise trop pleine. Il pouffa de rire en la voyant rager et jurer — preuve qu'elle n'avait pas remarqué qu'un mineur l'écoutait et prenait en note les insultes les plus originales — avant de manifester sa présence par une toux discrète dans son poing.

- Oh ! Korie ! s'écria Violet, qui s'empourpra de honte. Tu m'as entendu ?

- Tu m'as même réveillé, dit-il en riant doucement. D'où t'as appris à parler comme ça ? C'était assez impressionnant !

Violet n'osa pas répondre, ses joues devenant encore plus rouge qu'avant. En riant à nouveau, Korie s'avança pour l'aider à boucler sa valise.

- Où tu vas avec ça ?

- À Washington.

- Ah, c'est vrai... c'est aujourd'hui. On est déjà jeudi.

- Je sais que tu avais dit que tu ne voulais pas venir, mais tu as toujours le temps de changer d'avis.

- Non, c'est bon. Si je viens, je manque deux jours d'écoles...

Et les paris de ce soir, la fête de demain, la réaction d'Adam et Bella... la discussion avec Valérie. Parce que, cette fois, ce sera la bonne !

- Sur et certain ?

- Oui, m'man ! Ça va, je peux survivre trois jours sans toi et papa ! Et si la solitude m'accable, bah j'irais chez des amis.

Ému, Violet prit son fils dans ses bras et serra fort. Korie couina de surprise, mais se laissa faire, jugeant que sa pauvre maman avait bien besoin de courage pour abandonner son bébé seul pendant toute une éternité.

- Quand tu reviendras de l'école, ce soir, nous serons déjà partis. Mais tu peux nous appeler quand tu veux ! Si on ne répond pas, on est occupé, mais ne t'en fait pas : on rappellera dès qu'on le pourra !

- Ça va, soupira Korie, qui commençait à trouver la scène un peu longue. J'ai pas cinq ans.

- Oui... excuse-moi, fit Violet en serrant une dernière fois son fils dans ses bras, l'étranglant presque. Bon, va te préparer pour l'école, maintenant !

Korie ne se le fit pas répéter et tourna les talons, heureux de s'éloigner de sa mère.

*

Pour Korie, ce fut un soulagement de quitter l'appartement. Ses parents avaient rarement été aussi lourds pour démontrer leur amour, comme s'ils s'imaginaient qu'ils n'allaient plus jamais se revoir, pas au moins avant plusieurs années. Korie, lui, avait seulement hâte de se débarrasser d'eux.

Il était finalement arrivé à l'école. Après les déchirantes séparations de la famille, il était heureux d'être à Stuyvesant. Il souffla un bon coup en passant les portes et le détecteur de métal, se sentant enfin libre — et ce n'était pas peu dire, quand on se sentait plus libre à l'école qu'à la maison —, mais le sentiment ne dura pas plus de dix secondes, le temps qu'il croise le regard d'Adam. Il avait à peine fait quelques pas dans le corridor que le géant se postait devant lui, les mains sur les hanches et le visage menaçant, Bella à ses côtés.

Korie s'efforça d'avoir l'air naturel, mais il n'en menait pas large.

- Salut ! fit-il avec un sourire. Ça va ? Il fait beau, aujourd'hui, hein ?

Apparemment, Adam n'avait pas envie de rigoler. Il attrapa Korie par le col de son blouson, l'attirant à lui et le soulevant de terre. Korie retint son souffle alors que ses orteils frôlaient tout juste le sol.

- Tu as explosé ma fenêtre.

- Quoi ? s'étonna Korie. De quoi tu parles ?

- Tu as explosé ma fenêtre ! lui cria-t-il au visage, accompagné d'un peu de postillons. Avec un drone ! Et tu as repris le Bic !

- Ah bon ?

Adam le secoua d'avant en arrière et Korie ferma les yeux en grimaçant. Il voulait faire le fier, mais il avait hâte que ce moment se termine. Finalement, il préférait encore quand sa mère lui faisait des câlins.

- Arrête de te foutre de ma gueule !

- Hé, c'est pas ma faute si elle est aussi moche !

Plusieurs éclats de rire lui parvinrent et il se risqua à ouvrir un œil pour regarder autour de lui. Une petite foule s'était formée près d'eux pour voir le spectacle. Certains angoissaient, d'autres souriaient. Mais aucun ne paraissait prendre le partit d'Adam. Ceux qui riaient semblaient même scander « vas-y, défends-toi ! » Mais avec Adam qui hurlait à ses oreilles, c'était difficile à dire.

- Tu peux nier tant que tu veux, je sais que c'était toi ! Et tu vas me rembourser ma fenêtre !

- Peut-être que c'était moi, répondit Korie avec un petit sourire arrogant (il vérifia rapidement que Levis n'était pas dans la foule.) Mais peut-être que non. T'as aucune preuve, alors tu ne peux rien contre moi. Et surtout ! ajouta-t-il en levant le doigt en l'air, tu ne peux plus me forcer à être poli avec ta pouf. Bella, ce fut un plaisir de te faire plaisir, mais s'en sera un encore plus grand d'être débarrassé de toi ! Adam, quand tu trouveras le véritable coupable, tu lui diras merci de ma part, OK ? Ce serait gentil.

C'en était trop pour Adam. Il sera le poing, prêt à l'envoyer à la figure de Korie — peut-être même directement sur son nez, ce qui achèverait de le casser pour de bon —, mais quelque chose l'en empêcha. Adam cria de surprise et de douleur et lâcha Korie qui s'affala au sol sur les fesses. Il regarda Adam tomber à son tour en se tenant le mollet à deux mains en grimaçant, deux grosses larmes sur le point de couler sur ses joues.

Juste derrière lui, semi-accroupie en une position d'attaque de Karaté, l'amie basanée de Valérie était là, le visage sévère et menaçant. Korie écarquilla les yeux, à la fois durement touchée dans son estime d'avoir été défendue par une fille, et jubilant à l'idée que le grand et féroce Adam s'était fait mettre à terre par une fille ne devant pas faire plus d'un mètre cinquante-cinq.

- Woh... souffla Korie, qui ne savait plus quelle émotion exprimer. Merci. T'es génial !

- Ne dis rien, surtout ! Je suis morte si mon entraineur apprend que j'ai fait du karaté en dehors des cours !

Korie mima une Fermeture éclair sur sa bouche, puis lança une clé imaginaire au-dessus de son épaule. La fille sourit de toutes ses dents, s'inclina comme au début d'un combat de Karaté, puis couru pour aller se cacher dans un coin une seconde avant qu'un enseignant n'arrive par le côté opposé du corridor. C'était son prof de chimie, le vieux monsieur avec l'abondante moustache. Korie se leva d'un bon pour lui faire face alors qu'Adam était toujours au sol à se tortiller de douleur en marmonnant des « elle m'a cassé la jambe ! » à répétition. Sachant que le « elle » pourrait porter à confusion, Korie s'écria aussitôt, sans même laisser le temps à l'enseignant d'exiger des explications :

- C'était moi, monsieur. Je lui ai foutu de coup de pied au tibia.

Le prof croisa les bras devant lui, dévisagea Korie et Adam de longues secondes.

- Monsieur Watts, levez-vous. Je sais que Korie peut être un prénom de fille, mais ce n'est pas la peine de dire « elle » ainsi.

Korie pouffa de rire malgré lui, et Adam se leva enfin, s'appuyant au casier. Il lança un regard noir à Korie, puis chercha autour de lui pour la basanée, sans la trouver.

- Suivez-moi, maintenant. Chez le directeur !

Korie s'exécuta sans rechigner. Adam grogna, puis se pencha à l'oreille de Korie pour se faire entendre par lui seul :

- Je vais te tuer.

- Essaie donc répondit Korie, un sourire aux lèvres.

Il n'essaya pas.

Au lieu de quoi, ils marchèrent côte à côte, comme deux personnes civilisées, jusqu'au bureau du directeur. Arrivés dans la pièce au mur beige et tapissé de certificat universitaire, Korie et Adam s'évachèrent dans les fauteuils de cuirs noirs, l'un voulant prouver à l'autre qu'il était le plus à l'aise malgré la situation.

Le directeur entra quelques minutes plus tard, un cinquantenaire chauve et resplendissant dans son costume ligné. Il garda le silence quelques secondes de plus, pour un effet plus dramatique, avant de commencer son discours.

- Deuxième semaine de cours et déjà une bagarre...

- C'est une fausse alerte, monsieur, dit Korie en présentant ses mains aux jointures impeccables. Aucune bagarre de mon côté.

- Moi non plus, fit Adam avec les mêmes gestes.

- Juste un léger malentendu.

- Alors pourquoi as-tu affirmé au professeur Moreno que tu lui as donné un coup de pied ? demanda le directeur en toute innocence.

Korie déglutit, sous le choc. Si, au début, il était reconnaissant du sauvetage de la basanée, elle avait peut-être signé son arrêt de mort. Ou son arrêt de bus. Pour Kingston.

- C'est lui qui m'a attaqué ! s'écria-t-il d'un coup, un doigt accusateur levé vers Adam. Il a essayé de m'enfoncer son poing dans le nez, et il est déjà assez sensible depuis deux jours, quand j'ai reçu un ballon en styromousse dans la tronche, je voulais pas qu'il me l'éclate encore une fois ! J'aime trop ma belle gueule pour prendre le risque !

- Il raconte n'importe quoi, c'est un mytho ! renchérit Adam. D'abord, elle est même pas belle, sa gueule ! Ensuite, il a seulement trébuché, et j'ai voulu le rattraper avant qu'il tombe !

- Et c'est moi que tu traites de mytho ?! Tu m'as attrapé par le col, soulevé de terre et menacé avec ton poing ! Je t'ai juste donné le coup de pied pour que tu me lâches !

- Je te rends ce que tu mérites ! Tu as explosé ma fenêtre avec un drone, je te rappelle !

- Tu n'as aucune preuve que c'était moi, fit Korie d'un air suffisant.

- Et qui ce serait d'autre ? C'est forcément toi ! Il a même pris le Bic ! (Adam se tourna pour faire face au chauve, qui écoutait la conversation comme un match à la télé.) Korie avait apporté une arme à l'école. Un rayon laser !

- Il dit n'importe quoi. Et de toute façon, tu n'as toujours pas de preuve.

En rageant, Adam sortit son téléphone de la poche arrière de son jean et le tendit au directeur. Celui-ci leva bien haut l'un de ses sourcils broussailleux, avant de se pencher sur les photos. Korie s'approcha également, par curiosité.

- Voyez ? fit Adam. C'est un laser caché dans un stylo.

Sur la photo, on voyait bien le Bic avec une langue de lumière rouge jaillissant de la pointe, et en image de fond, on reconnaissait facilement les casiers d'un bleu sale de l'école. Adam fit défiler la photo pour montrer ensuite une vidéo, démontrant le laser découper un bout de bois aussi efficacement qu'une scie.

- Voyez ? répéta Adam.

- Oui, j'ai bien vu, dit lentement le directeur. J'ai vu que vous étiez en possession d'un rayon laser dans mon école. Je ne vois pas où est la preuve qu'il appartenait à Korie.

Korie sourit de toutes ses dents au revirement de situation. Adam, pour sa part, demeura figé dans son fauteuil.

- C'est Korie qui l'a fait ! s'énerva-t-il en serrant les poings. Et il me l'a prêté !

- Si j'avais vraiment fait ce laser, je l'aurais gardé pour moi.

- Mais forcément que c'est toi qui l'a fait ! T'es un Buchanan ! dit-il comme si ça expliquait tout.

- Et alors ? J'avoue savoir comment faire des lasers, mais c'est pas pour autant que celui-là est de moi.

Adam leva les bras au ciel en capitulant, s'enfonçant dans sa chaise et poussant un long soupire de désespoir. Korie s'efforça de rester sérieux, comme s'il ne comprenait pas d'où venait cette histoire de laser, mais c'était difficile.

- Voici ce que j'ai compris, dit le directeur en les regardant tour à tour. Korie — ou Adam — aurait créé un laser. Ensuite, un drone a explosé ta fenêtre, et tu dis que c'est la faute de Korie ?

- C'est Korie qui a créé le laser, dit Adam dans un grognement. Il me l'a prêté, puis il est venu le chercher de force dans ma chambre.

- Alors, si je te l'avais prêté, pourquoi aurait-il fallu que j'aille le chercher de force ? fit Korie d'un air faussement intrigué.

Adam ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à répliquer. Un silence embarrassant se prolongea dans la pièce.

- Mes conclusions sont donc que toi, Adam, tu étais en possession d'un laser dans mon école, résuma le directeur. Peut-être que Korie également, mais pour lui, j'en ai aucune preuve. Et je sais aussi que tu t'es attaqué à lui, un peu plus tôt aujourd'hui. (Il nota quelque chose sur deux bouts de papier, puis en tendit un à Korie et l'autre à Adam.) Adam, tu seras en retenue ce soir et demain après les cours.

- Quoi ?! s'indigna-t-il en se levant d'un bon de son fauteuil.

- Tu m'as bien entendu.

- C'est pas juste ! Et Korie, il n'a rien ?!

- Peut-être que c'est injuste... préfèrerais-tu que j'ajoute toute la semaine prochaine à la punition ?

Adam n'osa pas répondre, de peur d'empirer encore plus les choses. Il secoua la tête de gauche à droite, les yeux rivés à ses pieds.

- C'est bien clair ? Alors tu peux partir.

Adam s'exécuta aussitôt, non sans prendre le temps de lancer un regard noir à Korie, qui l'ignora royalement. Quand la porte se fut refermée, il souffla de soulagement et se leva à son tour, mais le chauve l'arrêta dans son mouvement d'un doigt en l'air.

- Je peux avoir ton attention pour dix secondes de plus, Korie ?

Korie hocha la tête et se laissa retomber dans le fauteuil, nerveux. Tout ce qu'il voulait, c'était que le directeur n'appelle pas ses parents pour leur parler de ça.

- Je ne suis pas stupide, contrairement à ce que certains élèves semblent croire. Je me doute bien que c'est toi qui as fait le laser et qui l'a apporté à l'école. Mais tant que j'ai pas de preuve, je te laisse tranquille, OK ? En revanche, je ne crois pas aux coïncidences. Si ce genre de problème se reproduit, tu seras puni. C'est clair ?

- Oui, monsieur, fit Korie, sérieux. (Il se leva à nouveau, fit un pas vers la porte, puis se retourna vers le directeur, une question lui brulant les lèvres.) C'est à cause de mon nom de famille, hein ? S'il est question de technologie, forcément que c'est la faute d'un Buchanan...

- Eh bien, avouons que tu fais honneur à ton nom, répondit l'homme avec un petit sourire amusé. Tu as terminé ton cours de techno, l'an dernier à ta middle school¸ avec une note de A+. Adam, lui, avec un C.

- Ah... mouais, je vois, marmonna Korie, incapable de s'empêcher de rire. Alors... je suis grillé ?

- La prochaine fois, tu le seras.

Korie hocha la tête, sans rien ajouter. C'était pratiquement un traitement de faveur auquel il n'y comprenait rien, mais à quoi bon se plaindre si ce n'était que pour récolter une retenue ? De toute façon, il avait raison : il n'y avait pas de preuve. Même si le directeur savait pertinemment que c'était lui qui l'avait fait, rien ne disait que c'était lui qui l'avait apporté ici, et c'était la seule chose qui importait à un directeur d'école. Tout ce qui se passait en dehors de sa propriété, il n'en avait rien à foutre, et au point de vue de Korie, c'était parfait comme ça.

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