Chapitre 13
Korie avait supporté le moment aussi longtemps qu'il avait pu, mais après une heure, il en avait marre. Assis sur un banc d'un centre commercial à observer Bella essayer toute sorte de robe et autres vêtements, il s'ennuyait comme il ne s'était jamais ennuyé avant. Même les réunions d'affaires de son père — il avait parfois droit d'y assister, à condition d'être silencieux dans son coin — étaient plus palpitants que ça.
À quoi bon avoir une petite amie si ce n'est que pour les regarder dépenser ? Il vaut peut-être mieux fuir les femmes et se tourner vers les hommes. Ils sont moins compliqués. Enfin, sauf Levis...
- Et qu'est-ce que tu penses de celle-là ? s'exclama Bella en apparaissant devant lui.
Elle portait une robe noire et courte, moulant son corps avec une étrange perfection. Elle était surmontée de petits diamants lançant des reflets argentés et le décolleté ne laissait place à aucune imagination. Korie baissa la tête, ayant peur de provoquer ses hormones, et remarqua cette fois les talons hauts assortis au motif de la robe, devant faire près de dix centimètres. Il avait le vertige rien qu'à les regarder.
- Sans vouloir t'offenser, dit Korie en trouvant le courage de remonter les yeux vers ceux de Bella, mais t'as l'air d'une pute là-dedans.
- Mais moi, je l'aime ! s'offusqua Bella.
- Ouais, bah les vieux pervers aussi, ils vont l'aimer.
- M'en fiche ! Je l'aime et je la veux !
Bella tourna les talons et les faisant claquer bien fort sur le carrelage blanc du magasin et se cacha derrière le rideau de la salle d'essayage. Korie soupira en s'évachant un peu plus sur son banc, regardant partout à la recherche d'une porte de sortie. Tout ce qu'il voyait, c'étaient des vêtements de toutes les couleurs, des femmes parcourant les rangées et les hommes soumis les suivant à la trace avec un visible air d'ennuis.
D'habitude, il aimait bien faire les magasins. Pour lui-même, à petite dose. Pas une journée entière pour quelqu'un d'autre. Ça, c'était une autre paire de manches.
Il sortit son téléphone de la poche de son pantalon et envoya un message à Owen : « j'ai envie de bricoler. Je vais chez M&B ».
Bella ressortit enfin de sa cabine, la robe soigneusement pliée sur son bras et les talons dans la même main.
- Viens, on va payer, dit Korie en sautant sur ses pieds sans lui laisser le temps de parler. Je peux pas t'accorder une minute de plus, mon père m'attend !
- Oh, d'accord, soupira Bella. (Elle se pencha pour attraper les quelques sacs de ses précédents achats.) Au moins, on s'est bien amusé !
- Heum... ouais, marmonna Korie. Comme des petits fous.
Il posa une main sur son dos pour qu'elle avance plus vite, ne pouvant supporter de rester dans ce magasin une seconde de plus. À la caisse, le prix pour la robe, les talons et le sac à main assorti monta au-dessus de sept-cents dollars. Korie paya en rageant silencieusement — c'étaient tout sont argent de poche de la semaine ! — et pressa Bella vers les trottoirs, l'aidant à porter ses achats.
En sortant enfin à l'air frais de la fin de l'été, son téléphone vibra doucement. C'était la réponse au texto de son père : « J'y suis déjà, rejoins-moi à mon bureau. » Korie grimaça : il avait trop peu de liberté quand Owen était derrière lui à observer tout ce qu'il faisait, lui proposant de faire ceci à la place de cela pour que sa création du moment soit à son meilleur. Il appréciait, ça l'aidait et il apprenait, mais aujourd'hui, il aurait préféré avoir la paix.
- Alors, on fait quoi, maintenant ? On va chez toi ?
- Non ! dit Korie d'un ton un peu trop sec.
Il secoua le bras vers un taxi, qui continua son chemin sans le remarquer. Il grogna et se mit à marcher sur les trottoirs, en direction de l'immeuble de son père. Bella se précipita à sa suite.
- T'es contente de tes achats ? dit-il tout en guettant les taxis du coin de l'œil.
- Oh, oui ! dit Bella en s'accrochant à son cou pour déposer un baiser sur sa joue.
- Tant mieux, parce que ce sera la dernière fois !
Un autre taxi passa près d'eux. Il s'arrêta enfin aux signaux de Korie, qui s'avança pour ouvrir la portière. Bella sourit au geste de galanterie avant de s'assoir sur la banquette arrière, se tassant au fond pour laisser une place à Korie. Celui-ci eut un rictus, restant toujours debout à tenir la porte. Il sortit un billet de vingt et le tendit à Bella, qui fronça les sourcils.
- Tu viens pas avec moi ?
- Non, j'ai à faire ailleurs. T'as qu'à retourner chez toi.
- Oh, OK, dit-elle, déçue. On se reprendra demain, alors ?
- Compte pas sur moi !
Et sur cette note joyeuse, il claqua la portière bien fort et continua son chemin sur les trottoirs. Il souffla un bon coup alors que le taxi démarrait derrière son dos, se sentant soulagé d'un énorme poids. Autant sur les épaules que dans le portefeuille. Mais au moins, il l'avait satisfaite et il en était débarrassé. Korie aurait volontiers dépensé deux fois plus pour arriver au même résultat.
Après quelques dizaines de minutes de marche, il trouva un autre taxi pour l'emmener devant l'immeuble de son père. La tour de verre faisait vingt-six étages, reflétait le ciel bleu parsemé de quelques nuages et était surmontée, près du sommet, d'une plaque inscrite « M&B Entreprise », accompagné d'une tête de robot avec des antennes en guise de logo. Les gens qui entraient et sortaient par les portes vitrées avaient pour certain un costar cravate, d'autres semblants beaucoup plus négligés étaient en simple teeshirt et avaient des taches d'huile jusqu'au coude. Ici, il y avait deux types de personnes : ceux qui construisaient les androïdes, les manuelles, et ceux qui faisaient le classique « travail de bureau ».
Sans s'inquiéter de l'aura de magnifiscience dont émanaient les lieux, Korie entra comme s'il était chez lui. Le grand hall grouillait de gens qui, pour la plupart, quittaient l'endroit après une journée de travail. Lui se dirigea droit vers l'ascenseur en saluant quelques connaissances sur son chemin. Ici, il était un peu comme une mascotte. Ou même presque un prince. Techniquement parlant, si cet immeuble était un royaume, c'est ce qu'il était. Et Madison était une princesse.
Korie pouffa de rire à ses dernières pensées et s'appuya contre le mur du fond de la cage pendant qu'elle grimpait à bonne vitesse vers le vingt-quatrième étage. La route ne dura que quelques dizaines de secondes et quand elle s'ouvrit à nouveau, il était maintenant dans un long corridor à la moquette rouge, au mur de bois foncés et aux jolis tableaux. Son père avait beau ne pas être extravagant à la maison, il se permettait parfois quelques écarts sur son lieu de travail, visiblement.
Korie s'engagea dans le couloir sur quelques mètres avant de s'arrêter devant une porte en vitre floutée. Il frappa trois coups et la poussa après avoir entendu le « entrez ! » que lui avait lancé son père.
- Salut, mon grand ! fit Owen, les yeux toujours scotchés à l'écran de son ordinateur, les doigts pianotant frénétiquement sur le clavier. Passé une bonne journée ?
- Ouais, répondit Korie sans trop de convictions, préférant ne pas balancer de sujet fâcheux sur le tapis. Et toi ? Tu travailles tard, aujourd'hui. Il est déjà plus de dix-huit heures.
Son père posa son regard sur Korie, intrigué, puis vers l'horloge au mur.
- Eh bien, le temps passe vite, fit Owen sur un ton d'excuse. En fait, j'avais prévu partir il y a une demi-heure, mais il y a un bogue chez un certain modèle de 2044.
- Tu t'occupes pas des bogues, d'habitude.
- Non, mais celui-là est assez bizarre pour que mes employés n'arrivent pas à l'éliminer. Ça fait plusieurs jours que ça dure, on a déjà eu plusieurs appels de clients énervés... alors, je donne un coup de main. Mais ce sont de vieux modèles, de toute façon, c'est normal qu'avec le temps, ça ne fonctionne plus aussi bien qu'au début !
- Si ce sont de vieux modèles, t'as pas vraiment à t'inquiéter, fit Korie qui n'arrivait pas à comprendre. Leur garantie est terminée.
- En général, oui. Mais ce modèle, dit Owen en frappant son ordinateur du bout de l'index, est utilisé dans plusieurs commerces. Si leurs clients s'en rendent compte — et si c'est pas déjà fait ! — les gens auraient pu en profiter pour voler les magasins.
Korie haussa les sourcils, comprenant enfin le problème. Et, un peu malgré lui, l'opportunité.
- Bon, bah bonne chance ! dit Korie en se levant de son fauteuil. Je vais à côté.
- D'accord, amuse-toi bien, répondit Owen en reportant son attention à l'écran de son ordi. Si tu repars, tu me le dis d'abord. Oh, et ne touche pas à ce qui est sur la table près de la porte ! C'est un petit projet que j'avais commencé tout à l'heure, je l'ai pas fini.
- Oui, oui !
Sans s'éterniser, Korie quitta le bureau de son père et alla dans la salle d'à côté. Large comme un gymnase, le « labo » d'Owen, comme il l'appelait parfois, portait assez bien son nom. Partout où Korie posait son regard, ce n'était que des pièces de métal et des ordinateurs. Sur l'une des nombreuses tables de travail, celle qui était le plus près de la porte, une demi-carcasse de robot gisait tristement, tel le cadavre d'un animal. Korie s'approcha, intrigué : il semblait vraiment avoir été créé sur le modèle d'un petit chien, ou quelque chose de ressemblant.
Korie haussa les épaules, n'essayant même pas de comprendre, et s'aventura entre les grandes rangées bourrées de métal et d'outils, à la recherche du matériel nécessaire. Il était temps de commencer la phase un de son plan contre Adam.
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