Chapitre 11

Ce fut une journée étrange pour Korie. Après les « révélations » du plan diabolique de Bella et Adam, il ne les avait pas recroisés dans les corridors. Cependant, une rumeur avait peut-être été mise en place, car, à chaque fois qu'il voyait Valérie et tentait de lui dire salut, elle ne répondait que d'un vague sourire pour ensuite se tourner vers son amie et papoter. Peut-être était-elle simplement timide ? Il était beaucoup plus facile de lui parler par téléphone. Peut-être devrait-il s'en contenter pour l'instant.

Quand le dernier cours fut enfin terminé, il attendit Levis et Tobias devant les portes de l'école. La pluie de ce matin s'était arrêtée et, malgré les nuages gris qui recouvraient toujours le ciel, le temps était chaud et agréable. Korie n'avait pas envie de rentrer à la maison, plutôt de se promener sur les trottoirs, mais il avait une mission importante à accomplir.

- Korie !

Korie leva la tête, arrachée de force à ses pensées. Levis et Tobias arrivaient enfin, chacun un sac de cours sur le dos. Tobias souriait, sautillant presque d'excitation, alors que Levis grimaçait d'appréhension.

- Alors, t'as survécu à ta journée ? dit Tobias en se postant près de Korie. Avec Adam et Bella ?

- Ils m'ont laissé la paix, répondit Korie dans un haussement d'épaules. Mais je suppose que c'est pour mieux me tomber sur les nerfs demain.

- Te laisse pas faire, l'avertit Levis. Ils en voudront toujours plus.

- Je sais...

Avec un mouvement de tête pour indiquer la direction, Korie quitta les marches devant les portes de l'école pour s'engager sur le chemin en pavés unis, qui rejoignait un peu plus loin le vrai trottoir qui parcourait toute la ville.

- Où il est, ton chauffeur ? demanda Levis.

- Aucune idée, dit Korie, ignorant délibérément le ton de dédain qu'il avait entendu dans le mot « chauffeur ». Je l'appelle seulement quand il fait pas assez beau pour marcher.

- On va faire toute cette route à pied ? dit Tobias dans un gémissement.

- T'inquiète, c'est pas si loin. Dix minutes, environ.

- Dix minutes ? répéta suspicieusement Tobias. On se dirige droit vers le centre-ville. Tu... (Il s'interrompit, poussa un grand soupire en balançant ses bras en l'air, et reprit :) C'est fou, pendant une seconde, j'avais oublié que tu étais un foutu millionnaire. Évidemment que t'habites le centre-ville, tout en haut du plus haut gratte-ciel !

Korie ne répondit rien, presque insulté. Est-ce qu'il fallait toujours que tout revienne à son argent ? Il commençait à trouver la chose plutôt énervante.

Encore heureux qu'ils ne voient pas notre maison de vacances en Colombie-Britannique...

Mais soudain, un rictus étira ses lèvres. Un plan de vengeance était apparu dans son esprit.

- Vous savez, mon père est quelqu'un de très important. II y a peut-être quelques trucs que je devrais vous dire à son sujet, avant de le rencontrer. Premièrement, ne le regardez jamais dans les yeux ! Ensuite, il faudra lui faire une poignée de main très professionnelle, ou vous pouvez aussi vous incliner à la mode japonaise, si vous voulez. Pour l'avoir dans ses bonnes grâces, il faudra le flatter. Lui demander un autographe, par exemple, il aime beaucoup.

Tobias et Levis échangèrent un regard nerveux, sans remarquer Korie qui se mordait les lèvres pour s'empêcher d'éclater de rire.

- Venez, c'est par ici.

Korie les dépassa pour se mettre devant le passage piéton, attendant d'avoir le droit de traverser la rue grouillante de taxis et autres voitures plus ou moins luxueuses. Tobias et Levis se mirent de chaque côté de lui.

- C'est cet immeuble, là ? demanda Tobias en levant le doigt vers celui qui leur faisait face.

- Presque. C'est celui-là.

Korie pointa l'immeuble d'à côté, tout en verre reflétant les nuages gris et faisant plus de trente étages. Levis fit un sifflement impressionné, qu'il tenta sans succès de camoufler en sifflement moqueur.

- Je paris que tu habites le tout dernier étage.

- Bah... ouais, avoua Korie en faisant la moue.

Les lumières changèrent au rouge et le trafic s'arrêta pour les laisser passer. Les trois ados se précipitèrent pour traverser, suivis d'une petite foule d'autres piétons. Arrivés au trottoir d'en face, ils continuèrent sur une quarantaine de mètres avant de s'arrêter devant les doubles portes vitrées. Korie appuya son téléphone contre la poignée et elle s'ouvrit presque aussitôt.

- Wow... fit Levis en tournant sur lui-même. C'est impressionnant.

Korie hocha la tête. Il avait un peu honte, car il savait que c'était le grand luxe comparé à ce qu'ils avaient. Ici, c'était le sol en marbre, le grand espace, deux ascenseurs de chaque côté, les décorations sur les murs, les plantes vertes et les peintures.

C'était au tour de Korie d'être nerveux. Sans réfléchir, il agrippa le bras de Tobias à côté de lui, l'entraina jusqu'à l'ascenseur le plus proche et appuya sur le bouton pour monter.

- Tu m'as l'air un peu à cran, dit Tobias en retirant les doigts de Korie un après l'autre, bien enfoncé dans sa chair. T'as pas l'habitude de présenter des gens à ton père ?

Plus ou moins : il n'avait pas l'habitude de présenter des gens pauvres à son père. Lui qui s'efforçait de ne pas paraitre arrogant, ou tout autre défaut créé par l'argent, il se sentait nu dans ce hall de marbre. Il attendait à tout instant une pique acerbe de Levis.

Enfin, les portes s'ouvrirent. Korie poussa Tobias à l'intérieur avant d'y entrer lui-même. Levis s'engagea ensuite, tout en évitant de s'approcher de Korie : Il avait peur de se faire pousser à son tour. Il se mit devant la double rangé de bouton, numéroté de deux jusqu'à trente, accompagné de quelques autres symboles.

- J'appuie sur quoi ? Trente ?

Devant la grimace de Korie, qui se refusait de répondre, Levis appuya sur le tout dernier bouton avant de se retourner pour s'adosser au mur.

- Pourquoi tant de nervosité, Koko ? C'est toi qui voulais qu'on vienne.

- M'appelle pas Koko ! Et ça me déplait, mais j'en ai besoin... pour Kingston. J'ai le choix entre un sale quart d'heure et un sale cinq mois, je choisis le quart d'heure.

Levis haussa les épaules, avouant que c'était un bon argument.

- À Kingston, tu serais débarrassé de Bella, dit Tobias.

- Ouais... mais... De Valérie également.

Levis pouffa de rire à la révélation. Tobias continua, toujours aussi sérieux :

- Je t'ai donné son numéro, mais te contente pas de ça, hein. Comment tu peux seulement l'apprécier si tu ne lui as jamais parlé en face à face ?

- J'ai essayé, figure-toi ! Mais à chaque fois, elle se tourne vers son amie pour placoter et elles m'ignorent complètement... et... ça m'obsède. Je veux lui parler, je demande que ça ! Mais je suppose qu'elle est timide, alors, je lui donne du temps... et je me contente de texter par téléphone.

- Ah, quelle triste vie ! s'exclama Levis. Prend-là par surprise et enfonce-lui ta langue dans sa gorge.

Tobias pouffa de rire alors que Korie grimaçait de dégout. Juste au bon moment, l'ascenseur s'ouvrit sur le trentième étage et il se précipita en dehors, vite suivi par Levis et Tobias.

- La moquette rouge... dit Levis en glissant un pied sur le tapi. Même pas besoin de se payer un appart, ici, c'est déjà le luxe dans les corridors.

- Viens, grogna Korie en le poussant sur l'épaule.

Il les entraina cette fois devant une porte grise surmontée d'une plaque « 3031 ». Avec un soupire de nervosité, Korie sorti à nouveau son téléphone pour taper le code qui lui permettra d'entrer. Aussitôt qu'elle fut ouverte, à peine entrebâillée, une voix robotique s'éleva pour s'écrier « identifiez-vous, je vous pris ! »

- Ah, ça, c'est mon Hideux, dit Korie avec un petit sourire en coin.

- Ton robot s'appelle Hideux ? s'étonna Tobias.

Korie poussa la porte, leur laissant enfin voir l'entrée de son appartement et le droïde qui s'y tenait, attendant patiemment de pouvoir identifier les nouveaux arrivants. Il était toujours affublé de son chapeau haut de forme et de l'autocollant de lèvres pulpeuses, mais il avait aussi cette fois une fausse barbe noire et touffue, lui donnant des allures d'Abraham Lincoln. Il eut à peine un regard pour Korie, qu'il reconnut en une seconde, puis se tourna vers les deux autres d'un air presque menaçant.

- Visages inconnus. Identifiez-vous.

- C'est bon, Hideux, ce sont mes invités. Levis Chandler et Tobias... t'as un nom de famille, je suppose ?

- Conner, dit-il dans un souffle. Tobias Conner... bon sang, il est vraiment hideux.

Korie éclata de rire, la pression redescendant d'un cran. Hideux retourna en cuisine, pas le moins du monde ébranlée par l'insulte.

- Je les fais moi-même, dit Korie avec un sourire fier.

- Toi-même, de A à Z ? s'étonna Levis.

- Enfin, de A à Y, disons. C'est quand même mon père qui a fait l'IA. Il y a que les vrais professionnels qui peuvent en faire, sinon, c'est trop dangereux. C'est même illégal.

- Donc, tu sais tout faire, sauf une IA. Mais ce sera pas ton job, plus tard ?

- Je sais comment en faire, mais j'ai pas le droit de les mettre dans des robots domestiques. De toute façon, je me plante un peu trop souvent. J'ai encore beaucoup de pratique à faire, là-dessus. Une fois, je te jure, le robot test n'arrêtait pas de poser des questions intelligentes, c'était flippant !

- Je te crois ! dit Tobias en pouffant.

Enfin détendu, Korie s'avança de quelques pas dans l'appartement pour leur faire visiter. Le hall d'entrée, puis la cuisine en tournant à gauche, le salon au fond à droite.

- C'est beaucoup plus petit que ce que je m'étais imaginé, avoua Levis. Ça a presque l'air... normal. Chic, mais normal. C'est pas too much comme je n'y étais attendu.

- Et tu t'attendais à quoi ? Cent mètres carrés pour chaque pièce ? Un escalier en colimaçon, un piano dans un coin ? Personne ne sait jouer de piano, de toute façon. Enfin, ma mère sait faire Frère Jacque, mais c'est tout.

Arrivé au salon, une pièce tout autant banale que les autres au point de vue de Korie, ils trouvèrent Owen affalé dans son fauteuil, un ordinateur portable sur les genoux. Absorbé dans son travail, il n'avait prêté aucune attention aux voix qui s'élevait dans l'appart depuis déjà un moment. Korie eut un petit sourire en coin, reconnaissant bien son père, avant de frapper dans ses mains bien fort, le faisant sursauter.

- Yo, papa ! Dis bonjour, j'ai emmené de la visite.

- Oh ? Bonjour ? dit Owen en refermant lentement l'écran de son ordi. (Il le posa sur la table basse, lissa sa chemise, puis se leva pour faire face à Levis et Tobias, qui tremblait de nervosité. Il prit un air un peu plus professionnel, avant de répéter :) Bien le bonjour. Vous êtes de nouveaux amis de Korie ?

Levis, rassemblant tout son courage, s'avança d'un pas pour s'incliner aussi bas que sa souplesse le lui permit. Il se redressa aussi sec et tendit sa main à Owen.

- Heureux de vous rencontrer, monsieur ! Je m'appelle Levis. Je suis un grand fan ! Puis-je avoir un autographe ?

Tobias imita les mouvements de Levis. Korie, resté derrière, plaqua une main sur sa bouche et une autre autour de son ventre pour réprimer son envie d'éclater de rire. Owen, qui regardait tout le monde à tour de rôle, avait tout compris de ce petit jeu. Il pinça les lèvres, s'empêchant de trahir son hilarité, et serra les mains de Levis et Tobias en même temps.

- Enchanté. Tu veux un autographe, Levis ? Laisse-moi une seconde...

Owen se retourna vers la table basse, prit un calepin et une plume qui y trainait, y écrivit un mot et le donna à Levis. Celui-ci prit le papier avec délicatesse, comme s'il s'agissait du Graal, avant de lire le message « Korie se fout de votre gueule. Cordialement — O. B. ».

- KORIE ! s'indigna Levis en ce tournant d'un bon vers lui.

Incapable de se retenir une seconde de plus, Korie éclata de rire, vite rejoint par son père. Levis était rouge de colère, Tobias rouge de honte, mais ça en avait valu la peine. Ils n'avaient qu'à pas se moquer de moi !

- Allez, venez, souffla Korie, encore tremblant sous l'effort de refouler son fou rire. Je vous montre ma chambre.

Il les poussa gentiment vers le corridor, avant de revenir vers son père, qui regardait la scène en souriant et secouant la tête de gauche à droite.

- Tu sais que je suis pas méchant comme ça, d'habitude. C'est qu'une vengeance méritée ! Ils s'étaient moqués de moi, alors...

- Fais attention : moi aussi, je vais me venger de ce coup, dit Owen avec un clin d'œil. Même si c'était drôle.

Korie sourit pour toute réponse : il savait son père incapable de se faire des plans de vengeance. Ce n'était que des menaces en l'air. Enfin, il tourna les talons et rejoignit ses amis qui attendaient dans le corridor pour les entrainer vers sa chambre. Il ouvrit la porte et leur présenta l'intérieur, sans se départir de son sourire espiègle.

- La prochaine fois, vous y réfléchirez un peu plus avant de vous moquer de moi.

- J'arrive pas à croire que j'ai été aussi con devant Owen Buchanan, souffla Tobias en secouant tristement la tête.

- Si ça peut te rassurer, dis-toi que j'ai toujours l'air con devant lui.

- Oui, mais à plus petite échelle, dit cette fois Levis en se laissant tomber sur le lit. Tu t'es déjà incliné comme un Japonais devant une célébrité ?

- Oui, dit Korie, sérieux. Mais c'était un Japonais, justement.

Levis prit un oreiller et le lança à la figure de Korie, qui l'attrapa de justesse. Il s'assit sur la chaise à roulette de son bureau et posa son sac à dos sur ses genoux tout en fouillant dedans.

- Alors, Tobias ? Chimie ?

- Là, tout de suite ? dit Tobias dans un grognement. Je suis dans la demeure des Buchanan, je veux pas faire de chimie !

- Technologie, dans ce cas ? dit Korie avec un sourire en coin. C'est ce que tu veux ! Mais pas les langues. Je me débrouille à l'oral, mais pour ce qui est du reste... c'est désolant.

- J'en doute un peu, que tu te débrouilles à l'oral, dit cette fois Levis, qui faisait l'étoile dans le lit. Vu ton succès avec Valérie.

- Où est le sous-entendu ? dit Korie en plissant les yeux.

- Eh bien... Valérie, quoi.

- Ça viendra ! s'énerva Korie. Un jour ou l'autre.

Il poussa un grand soupire, avant d'enchainer :

- J'ai essayé de me convaincre tout le weekend que c'était une mauvaise idée, mais... je vous ai déjà dit que mon père va à D.C. de jeudi à samedi ? Je veux en profiter pour faire une fête ici, vendredi soir. Je vais pas inviter tout le monde, hein ! Mais Valérie le sera.

Levis et Tobias échangèrent un regard, qui passa inaperçu à Korie qui fouillait toujours dans son sac.

- Et Kingston ? demanda Tobias.

- On croisera les doigts.

- Mais c'est super dangereux, ce que tu veux faire.

- Et alors ? Ça fait une semaine entière que j'ai rien fait de dangereux ! Mon père n'aura pas le choix de respecter mes efforts.

- C'est à ce point ? s'étonna Levis.

Korie hocha tristement la tête. Il avait fini de sortir tous les livres de son sac, qu'il avait posé sur son bureau. Il avait maintenant mon appareil photo en main, s'amusant à regarder partout avec la lentille.

- Donc, tu nous as fait venir pour donner une bonne impression à ton père... que tu vas gâcher dans la même semaine, résuma Tobias.

- Je vais rien gâcher. Je me ferais pas avoir, puisqu'avec vous, il aura baissé sa garde.

Levis fit une grimace à son raisonnement un peu bancale. Korie en profita pour le prendre en photo, l'éblouissant avec le flash.

- Tout va bien aller, je te dis. J'ai peut-être ma liberté à risquer, mais j'ai surtout Valérie à gagner, fit Korie avec un sourire malicieux. J'ai pas l'intention de laisser passer ma chance.

- Tu oublies encore Bella, dit Tobias. Elle va faire en sorte que tout le monde sache que tu es avec elle. Tu peux pas chercher à te rapprocher de Valérie avec Bella dans le décor.

Korie baissa les yeux vers son appareil, faisant défiler les choix de filtre sur le minuscule écran.

- Je crois que j'ai une idée, concernant Adam et Bella.

- Et je suppose que tu auras encore besoin de nous ?

- Probablement pas... mais tout aide serait la bienvenue.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top