Toujours accompagné de Levis, qui ne semblait plus vouloir le lâcher, Korie avait trouvé le chemin de l'infirmerie de peine et de misère. Après la longue marche pour s'y rendre, il se sentait étourdi par tout le sang qui lui avait coulé du nez. Il avait la désagréable impression que son cœur battait dans son visage et qu'il n'avait plus qu'un creux dans la poitrine. Aussitôt arrivés à destination, l'infirmière de service s'était occupée de lui donner des cachetons et un sac de glaces pour supporter la douleur.

- Est-ce qu'il est cassé ? demanda Korie alors que la femme frottait sa peau souillée avec un linge mouillé.

- Non, c'est moins grave que ça en a l'air. C'est bien enflé, mais tu ne sentiras plus rien d'ici la fin de la journée.

Levis poussa un long soupir de soulagement, attirant sur lui le regard de Korie et l'infirmière.

- Je suis content ! Sérieux, j'avais peur d'avoir amoché un visage qui paraitra un jour à la une d'un magasine pour préados. Tu ressemblerais moins à ton papa Owen Buchanan qu'à l'acteur Owen Wilson !

Korie resta bête à la comparaison, alors qu'il essayait de se souvenir de l'acteur en question. Levis, sans se décourager du manque de réaction de Korie, continuait de glousser.

- Je croyais que tu voulais qu'on fasse une trêve pour aujourd'hui.

- Oui, enfin, c'était pas méchant, ce que j'ai dit !

- Eh bien... un peu.

Cette fois, Levis garda le silence, embarrassé. Ce fut Korie qui relança, le sourire aux lèvres :

- Ce sera pas un magasine pour préados que je ferais la une. Ce sera le Time !

- Ah... je l'attendais depuis longtemps, celle-là. L'arrogance !

- Satisfait ?

- T'as pas idée.

L'infirmière ayant terminé son travail, elle quitta la pièce, abandonnant les deux garçons à eux-mêmes. Levis observa un moment la porte qu'elle venait de fermer, puis se pencha vers Korie, qui était assis près de lui.

- Je le dis encore. Je suis désolé. Tu peux me foutre un coup de poing dans le nez en retour, je t'en voudrais pas. J'aime pas avoir des dettes.

- J'ai pas envie de te frapper, souffla Korie. Enfin, l'envie, oui, je dois l'avouer... mais le courage, nah. Je suis pas quelqu'un de physique, comme tu as surement dû le remarquer. Juste un intello...

Korie s'interrompit, une idée venant de germer dans sa tête. En se ressassant une liste de ce qu'il était, il avait, un peu malgré lui, pensé à « alcoolique ». Par conséquent, la menace de ses parents de l'envoyer à Kingston était bien présente dans son esprit.

- Tu tiens vraiment à payer ta dette ? dit Korie, cachant son sourire en coin derrière son sac de glace.

- Je sais pas trop...

- Viens chez moi, ce soir.

- Pourquoi ? s'étonna Levis en écarquillant les yeux.

- Pour que tu montres à mon père comment tu as une bonne influence sur moi ! Comment je suis quelqu'un de calme, tranquille, qui préfère le jus d'orange au Screwdriver !

Levis se mordit nerveusement la lèvre, indécis. D'un côté, rien ne l'empêchait de visiter une maison de riche, il en avait même toujours rêvé. Mais il angoissait à l'idée de parler en face à face avec Owen Buchanan. Il faisait le malin devant le fils, mais pour le père, c'était une autre paire de manche.

Dans le blanc qui s'installait, l'infirmière réapparut avec un nouveau teeshirt pour Korie. Le sien étant toujours taché de sang, il était bienvenu.

- Tobias pourra venir aussi, s'il veut, continua Korie tout en acceptant le vêtement avec un sourire pour l'infirmière. Et vous apporterez vos devoirs, je vous aiderais. Je sais que Tobias veut que je l'aide avec la chimie.

- Laisse-moi y penser...

- Après, ta dette sera payée et tu pourras recommencer à me détester pour aucune raison apparente.

- Laisse-moi y penser, répéta Levis.

Korie haussa les épaules, mais il savait le combat gagné d'avance. Levis ne s'amusait qu'à faire durer le suspense.

L'infirmière les laissa sortir et retourner à leurs cours. Korie se leva et ils quittèrent la pièce, marchant lentement dans les corridors complètement vides. Le silence s'installa, alors que Korie tenait toujours son sac de glace sur son nez, qui commençait à lui faire un peu moins mal qu'au début.

De retour au gymnase, Levis alla sur le terrain pendant que Korie allait s'enfermer dans les vestiaires pour changer de teeshirt. Il ne restait déjà plus que cinq minutes avant la fin, il ne lui servait à rien de retourner jouer au ballon-chasseur — avec la chance qu'il avait, Levis risquerait de le viser à nouveau et de lui casser le nez pour vrai, cette fois. Il prit son téléphone et passa le temps à regarder ses messages manqués. Quelques amis du middle school qui disaient bonjour, et Madison. Avec un petit sourire, il lui raconta ses péripéties de la dernière heure, auxquelles elle répondit avec des « haha » et des émojis qui pleurent de rire. Elle avait tendance à s'amuser de ses malheurs.

Soudain, un nouveau message apparut à l'écran, faisant vibrer l'appareil dans sa main. « Tu vas bien ? », de Valérie. Malgré la douleur, Korie souriait maintenant de toutes ses dents. Les moqueries de Mady lui passaient loin au-dessus de la tête. Oubliant de répondre à son dernier texte, il passa à Valérie pour discuter avec la jolie petite brunette. Il avait envie de l'inviter quelque part — et certainement pas un Burger King pour elle —, mais il avait un plan pour ce weekend et il n'était pas encore sûr que ça allait marcher. Malgré lui, il fit durer un peu le suspense.

Le vestiaire commençait à se remplir à nouveau. Alors que Korie était toujours assis sur le banc en bois au milieu de la pièce, tous les garçons de son cours se foutaient à poils autour de lui pour une douche rapide et changer de vêtement. Il ne leur accorda pas un seul coup d'œil, mais son sourire démesuré prêtait à confusion.

- Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?

Korie leva les yeux vers son interlocuteur, un mec qui ne lui disait absolument rien et qui était pourtant avec lui dans la plupart de ses cours.

- Je parle avec une fille, dit-il assez fort pour que le message soit clair.

Le garçon hocha la tête, fit la moue d'un air déçu et retourna dans son coin. Korie fronça les sourcils, intrigué par son comportement, puis reporta son attention à son téléphone, qui fut vite attirée ailleurs quand Tobias lui tapota l'épaule avant de se pencher vers lui. Heureusement, il était déjà habillé.

- Je crois que tu es passé près de te faire draguer par un mec, murmura-t-il avec autant de subtilité que possible.

- Ah bon ? s'étonna Korie. Cool ! Ça m'était jamais arrivé avant.

Tobias pouffa de rire en se redressant.

- C'est vrai ce qu'a dit Levis ? Tu nous invites chez toi, ce soir ?

- Ouais, si vous voulez. On en reparle à midi, OK ? Faut que j'y aille.

- Faut que t'ailles où ? s'étonna Tobias. Le prochain cours est dans quinze minutes.

Sans répondre, Korie avait déjà repris ses affaires et quittait la pièce en coup de vent. Tout ce qu'il voulait, c'était continuer d'envoyer des messages à Valérie en paix.

*

Deux heures plus tard, à midi, son nez ressemblait étrangement à une patate douce tant il était enflé. Si ça faisait rigoler certains, Korie riait avec eux. Ça décourageait rapidement ceux qui voulaient se moquer de lui.

Fidèle à sa trêve, Levis l'avait invité à s'assoir avec eux pour manger, et Korie, tout content de s'approcher de son but, avait sauté sur l'occasion. Pour lui, Adam et Bella avaient subitement arrêté d'exister.

- Donc, tu vas enfin nous dire ce qu'on va faire chez toi ? dit Levis en prenant une bouchée de sa purée.

- Rien, juste parler à mon père. Lui faire comprendre que vous avez une bonne influence sur moi, que vous êtes des gens bien et que, par conséquent, en trainant avec vous, je serais quelqu'un de bien aussi !

- Pourquoi il en doute ? demanda Tobias. Moi, je te trouve gentil.

- Eh bien... vous vous rappelez ma gueule de bois, le jour de la rentrée ? Disons que ce n'était pas la première fois.

- Mais t'as quinze ans, dit Levis en levant les sourcils.

- Et... ?

Levis secoua la tête, sans insister. Pour lui, malgré la mission que lui avait donnée Korie, il n'était pas vraiment sûr que Korie soit une bonne personne. S'il commençait à douter qu'il soit arrogant, il était tout de même certain qu'il soit alcoolique. Et ça, c'était un gros défaut. Il tenait cette connaissance de sa mère.

- Écoutez, y' a pas de mal à vouloir s'amuser, de temps en temps ! se défendit Korie en même temps de manger ce qu'il avait dans son assiette. En fait, je suis sûr que vous êtes jaloux. Vous n'êtes jamais allés dans une fête, pas vrai ? Du moins, pas du genre où y' a pas de parents pour surveiller leurs enfants, celles où y' a des ballons, des gâteaux et des pinatas.

- Il n'y avait pas de piñatas, se défendit aussitôt Levis. Et un seul gâteau.

- Il y avait de la Téquila ?

- Les parents buvaient du vin, dit cette fois Tobias. Ils m'ont laissé gouter.

- Je veux pas être méchant, mais... c'est vraiment triste, tout ça, dit Korie en secouant la tête. Je vais changer ça. J'ai eu une idée, dernièrement...

Korie n'eut pas le temps de développer ses pensées que de nouveaux arrivants s'asseyaient autour de lui. Bella d'un côté, Adam de l'autre, si près qu'ils étaient presque embarqués sur ses cuisses. Levis et Tobias froncèrent les sourcils de concert, et Korie resta interdit, surpris de les voir ici.

- Alors, Koko, tu nous abandonnes ? dit Adam en passant un bras autour de ses épaules et le serrant contre lui, à la limite de l'étranglement. On se demandait où tu étais passé !

- Tu m'as manqué, dit cette fois Bella en l'embrassant sur la joue.

Korie écarquilla les yeux à la marque d'affection. Bella sourit de plus belle, heureuse de l'effet qu'elle croyait lui procurer.

- Et si on sortait, ce soir ? Rien que toi et moi !

- Heu... marmonna Korie, qui n'y comprenait plus rien. (Il échangea un regard avec Levis et Tobias, espérant un peu d'aide, mais les deux se contentaient d'observer, tout aussi perdus que lui.) Heu, je... j'ai quelque chose de prévu, aujourd'hui.

À la moue déçue de Bella, Korie sentit son cœur rater un battement. Il se souvenait de la conversation de ce matin entre Adam et lui, entre autres quand il avait dit qu'il dirait à Bella qu'elle était de son gout. Pourquoi et comment avait-il fait pour qu'elle y croie ? Korie se rappelait bien avoir affirmé le contraire à Bella, au souper qu'ils avaient partagé quelques jours plus tôt. Décidément, cette fille n'écoutait que ce qu'elle avait envie d'entendre.

Sentant la colère reprendre le dessus, Korie tourna la tête vers Adam, qui le coinçait toujours sous son bras.

- Qu'est-ce que tu lui as dit, exactement ?

- Rien que la vérité, dit Adam avec un grand sourire. Tout ce que tu m'as dit ce matin.

- Ce n'était même pas de Bella que je parlais, ce matin !

Encore une fois, Bella avait tout entendu. Elle était juste à côté de lui, c'était impossible qu'elle n'ait rien compris. Mais elle faisait comme si, parce que ça ne l'a satisfaisait pas. Korie, qui s'attendait à une crise de colère, fut étonné de la voir manger tranquillement le contenu de son plateau.

- Pourquoi tu t'es assis avec ces loosers ? demanda Adam en le libérant enfin de son emprise.

- Parce que j'en avais envie, dit Korie dans un grognement. D'ailleurs, ajouta-t-il en se tournant vers Bella, désolé, mais j'espère que t'es consciente qu'on n'est pas ensemble. Juste amie, OK ?

- Je suis pas assez bonne pour toi ? dit-elle d'un ton détaché tout en continuant de manger.

- Exactement.

Il aurait peut-être pu dire la chose avec un peu plus de délicatesse, mais il n'en avait pas envie. Adam et Bella, en ce moment, leur tombaient sur les nerfs. Tout ce qu'il voulait, c'était discuter avec Levis et Tobias sans être interrompu par une histoire de malentendu. Et ce n'était peut-être pas tellement un malentendu, si justement, ils n'entendaient que ce qu'ils voulaient.

Car, encore une fois, Bella n'avait pas réagi au commentaire rude de Korie. Elle continuait de manger, imperturbable.

Et Levis et Tobias se contentaient de regarder le spectacle comme s'il s'agissait d'un épisode de leur série préférée.

Adam, enfin, se pencha à l'oreille de Korie pour chuchoter :

- Tu le veux, ton laser ? Alors soit gentil avec Bella.

- Je vais m'en faire un autre, dit Korie en serrant les poings.

- Si t'es méchant avec elle, continua-t-il d'un air satisfait, je vais le donner au directeur en disant que tu as apporté une « arme » à l'école. Viens, Bella ! dit-il cette fois en s'adressant à la blonde. On va laisser Korie réfléchir un peu.

- À plus tard, mon amour, dit Bella avec un grand sourire.

Korie se tourna vers elle pour la dévisager, étonner de son culot autant que celui d'Adam, et elle profita de l'occasion pour l'embrasser directement sur la bouche. Korie cligna bêtement des yeux en reculant la tête, Bella fit un second sourire encore plus gros que le premier, puis se leva de sa chaise et quitta la table, emportant son plateau avec elle.

- Il s'est passé quoi ? demanda Tobias.

- Je crois que je me suis fait piéger... et royalement.

Korie éloigna son assiette, n'ayant plus du tout faim, et croisa ses bras devant lui pour y appuyer le menton.

- Je t'avais dit de faire attention, tu te souviens ?

- C'est pas pour la ramener, continua Levis, mais c'était prévisible. L'argent de ton père, ça attire les vautours comme eux. Tu vas voir, ensuite, elle voudra que tu lui achètes plein de trucs bien chers.

- Pourquoi ils ferraient ça ? Ils sont déjà riches, eux aussi ! Ils me l'ont dit !

Levis et Tobias éclatèrent de rire, rendant Korie encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était.

- Que les choses soient claires : tu es le seul millionnaire de l'école. Y' en a peut-être qui sont aisés, mais pas à ton niveau. Alors, la prochaine fois, je te conseil de faire attention où tu mets ton amitié.

- Vous ? répliqua Korie en haussant un sourcil. Je dois vous craindre aussi ?

- Je te rappelle qu'on voulait pas de toi, au départ. Et quand la trêve sera finie, ce sera de retour comme avant. T'as pas à nous craindre.

- Bon à savoir... Finalement, on a un truc de plus à faire, ce soir. Faut que je me trouve un plan d'action.