Épilogue
Le verdict était tombé rapidement. Owen avait eu droit de garder son job, mais avait préféré le quitter. Il avait dû payer une somme assez impressionnante pour la ville, mais presque insignifiante pour lui. Joseph aussi avait dû payer, presque moitié moins qu'Owen, mais ça lui avait quand même pincé dans le portefeuille. Il avait également pu conserver son poste, et la première chose qu'il comptait faire était de former sa fille à devenir PDG, peu importe qu'elle n'en fût pas encore prête. Lui se sentait bien de prendre l'avenir de son enfant en main, elle se sentait un peu obligée.
Tobias n'avait pas eu de casier judiciaire, tout juste un lourd sermon par le juge qui avait bouclé l'affaire en moins de cinq minutes. Son avocat avait été à la hauteur des plus grands, tel qu'on en voyait dans les feuilletons : sans jamais lever le ton, ne faisant qu'énumérer quelques faits, il avait remis le juge à sa place en un rien de temps. Le meilleur argument — le robot avait fait un meurtre, il avait simplement peur d'être le prochain — avait non seulement indemniser Tobias, mais aussi Levis, Emma et Valérie, qui s'en étaient sortie sans aucun problème.
Puisque ça n'avait été qu'une formalité, Levis était resté chez lui plutôt que d'accompagner ses amis au procès. Une côte cassée, on ne s'en remettait pas en deux jours, et chaque mouvement un peu brusque lui arrachait des grimaces et des jurons. Heureusement pour lui, ses parents comprenaient sa douleur. Ils n'avaient pas tenté de lui laver la bouche avec du savon à vaisselle, encore une fois.
*
Une semaine exactement avait passé depuis cette soirée-là. Tobias et Valérie se voyaient de plus en plus : si, avant, ils se disaient simplement bonjour quand ils se croisaient par hasard dans les corridors de l'école, maintenant ils étaient toujours ensemble. Levis en congé de maladie et Emma ayant prit plus de temps qu'eux à s'en remettre, ils avaient eu une journée entière sans subir les piques de leurs amis. Et à la fin de la journée, après s'être tournés autour pendant huit longues heures sans discontinuer, ils avaient enfin partagé un baiser. Un chaste et timide baiser, comme pour faire un test, puis un second, un peu plus vrai. Au troisième, qui avait duré toute une minute en apnée, ils étaient fixés : Valérie était amoureuse de Tobias. Et vice versa.
*
Emma avait pris un jour de plus à s'en remettre. À son retour en classe, elle n'avait même pas été étonnée de remarquer que ses amis se tenaient par la main, s'appuyaient l'un contre l'autre quand ils étaient assis, s'embrassaient doucement à chaque occasion. Emma était heureuse... et un peu jalouse. Il y a moins de deux ans, c'était elle qui vivait ainsi le parfait bonheur. Bien sûr, elle souhaitait du bonheur pour eux également, mais ça lui faisait un peu de peine de se rendre compte qu'elle-même n'avait pas une vie aussi merveilleuse que ce qu'elle aurait pu avoir.
Encore une fois, elle pensa à Korie. Pas à son ex, tragiquement mort dans un accident de voiture, mais le robot. Maintenant, c'était toujours son image à lui qui prenait le dessus. Comme si l'autre avait cessé d'exister. Ce qui était le cas, en somme. Le vrai Korie n'existait plus depuis février 2049, et Emma avait arrêté de vivre depuis la même date : elle ne faisait que survivre. Cette vérité lui sauta soudain à la face, lui faisant presque perdre le souffle, alors que Valérie et Tobias échangeaient un énième doux baiser.
Je ne vis pas. Je survis.
Là était-il la raison de son malheur ? Peut-être pas. Mais il était, indéniablement, la raison de son absence de bonheur.
Cette fois, c'est fini. Il est temps de vivre à nouveau.
- Tobias, je peux t'emprunter tes livres ?
Tobias retira sa langue de la gorge de Valérie avant de se retourner vers elle, étonné de se rendre compte qu'il existait d'autres gens autour de lui que sa bien-aimée.
- Quoi ? Tu veux quoi ? demanda-t-il, perplexe.
- Tes livres. Je te les rendrais demain.
- Eh... tu veux en faire quoi ?
- Quelque chose de très important.
Tobias haussa les épaules, marmonna un « fait comme tu le souhaites », puis replongea vers les amygdales de sa petite amie.
Satisfaite, Emma prit les livres et partie comme une voleuse. Elle sortit de la cafétéria, passa par le gymnase et emprunta la porte qui le reliait au terrain extérieur. Elle grimpa sur une benne à ordure qui longeait la clôture de l'école, l'enjamba et tomba à quatre pattes de l'autre côté sous le regard surpris de quelques piétons. Elle grimaça, se frotta les genoux, puis se redressa et quitta l'établissement scolaire ni vu ni connu.
Elle n'était jamais allée chez Levis avant, mais elle connaissait l'adresse, qui était tout près de la sienne. C'était la rue d'à côté, à tout juste cinq minutes à pieds de distance. Il lui fallut peu de temps pour trouver l'endroit : une maison banale, pratiquement identique aux voisins par sa forme de rectangle toute simple et son perron de bois brun. Elle le grimpa quatre à quatre et frappa énergiquement à la porte, puis pris une grande inspiration pour se donner un peu de courage. Elle en avait, du courage, mais il lui arrivait souvent de se cacher dans les pires moments.
Une femme ouvrit la porte, l'air un peu sévère et des bigoudis plein les cheveux. Elle reluqua Emma de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête, avant d'enfin croiser son regard.
- C'est pourquoi ? demanda-t-elle d'un ton rude.
- Euh... je suis à la bonne adresse ? dit Emma, de plus en plus nerveuse. Levis habite ici ?
- Ouais, tu lui veux quoi ?
Ouah... pensa Emma, réprimant une forte envie de rire. Finalement, Levis s'en est bien sortie, avec une mère aussi bête.
Maintenant, elle y croyait, que ses parents avaient essayé de lui laver la bouche avec du savon à vaisselle et une brosse à patate !
- Je lui ai apporté ces devoirs, dit Emma avec son meilleur sourire.
Elle leva les livres de Tobias comme preuve. La femme plissa les yeux.
- C'est pas Tobi qui les apporte, d'habitude ?
- Il était trop occupé, aujourd'hui.
Et c'était probablement vrai. Trop occuper à explorer la bouche de Valérie...
La mère de Levis ne se laissa pas faire pour autant.
- Il est quelle heure, là ? Quatorze heures ? Les cours ne sont pas encore terminés.
- J'ai des cours particuliers, inventa Emma, qui commençait à s'énerver devant l'interrogatoire. Les miens sont déjà finis pour la journée.
- Alors, tu n'as pas les mêmes cours que Levis. Comment se fait-il que ce soit toi qui apportes ces devoirs ?
Emma resserra sa poigne sur les livres et prit une grande inspiration pour tenter de se calmer. Elle doutait que Levis lui pardonne de gifler sa mère, et elle commençait bien à en ressentir l'envie.
- Maman ? C'est qui ? s'écria une voix qu'elle reconnut aussitôt.
La femme lorgna Emma une longue seconde, en quête d'une réponse.
- Je suis Emma.
- C'est Emma ! hurla-t-elle en retour, si fort qu'elle la fit sursauter.
- Laisse-là venir !
À regret, la dame se décala légèrement, permettant Emma d'entrer dans la petite maison. Aussitôt passé le seuil, elle était déjà dans un salon, et ce qu'elle vit la fit pouffer d'un rire nerveux. Contre le mur du fond, sur un vieux canapé d'une repoussante couleur olive, Levis était étendu de tout son long, les deux mains sur sa poitrine, la télécommande sur son ventre. Un robot domestique était posté près de lui, déposant régulièrement des raisins directement dans son bec. Tout en mastiquant le fruit, il tourna la tête pour croiser le regard d'Emma. Il y eut un petit silence embarrassant, même s'il était évident qu'il voulait simplement éviter de parler la bouche pleine. Emma combla le vide en faisant un coucou de la main.
- Salut, dit-il enfin en se redressant lentement sur le sofa, accompagné d'une grimace de douleur. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je t'apporte tes devoirs.
- À cette heure ?
On veut vraiment pas de moi ici, ma parole !
- Oui, dit-elle simplement, commençant à regretter d'être venue. À cette heure. (Emma tourna la tête vers la mère de Levis, qui observait la scène d'un œil dédaigneux, les bras croisés sur la poitrine.) Et si on allait dans ta chambre ? Pour parler du devoir, s'empressa-t-elle d'ajouter.
- Si tu veux, répondit Levis qui se doutait de quelque chose.
Levis se leva de son canapé, lentement, évitant de justesse de jurer devant Emma, puis s'avança vers sa chambre. Emma le suivit, serrant toujours les livres de Tobias contre elle, à travers le salon, puis dans un petit corridor. Tout au fond, sa chambre était là. Elle était simple, mais assez bien décorée. Quelques photographies étaient épinglées au mur près de la fenêtre, où figurait un Korie souriant et plein de vie, accompagné de Tobias, Levis et plusieurs autres amis.
Devinant ce qui attirait l'attention d'Emma, Levis se posta devant les photos, les cachant à sa vue. Il avait peur qu'elle se mette à pleurer pour lui, ou pire, qu'elle le gifle. Il se savait trop faible pour rester sur ses pieds s'il se faisait attaquer par cette tigresse en ce moment.
- Pourquoi t'es ici ? demanda Levis en inclinant légèrement la tête. Et ne me fais pas croire que c'était pour m'apporter mes devoirs. Tobias m'aurait averti s'il n'avait pas pu passer aujourd'hui.
- Tobias est avec Valérie, avoua Emma dans un timide haussement d'épaules.
- Je sais. T'es venu jusqu'ici pour me dire ça ? C'est quoi, t'es jalouse de Valérie ? dit-il avec un sourire en coin. Ou alors t'es jalouse de Tobias ?
- Je suis jalouse de personne ! s'offusqua Emma. Seulement... (Elle prit une grande inspiration pour se donner du courage, avant d'enchainer :) Ils me rappellent moi, avant... quand j'étais avec Korie. Le parfait bonheur... et je me suis rendu compte que, depuis qu'il n'est plus là, je ne pense plus du tout à mon propre bonheur. J'ai négligé ce que j'aime... et ceux que j'aime... j'avais complètement arrêté de vivre.
Levis hocha la tête, ne sachant quoi ajouter à ça. Bien sûr, il avait remarqué qu'avec le temps, Emma allait de mieux en mieux. Mais malgré ses efforts, elle était encore loin de la jeune femme pleine d'entrain qu'il avait connu au départ. Il avait longtemps essayé de lui redonner le sourire, mais il avait fini par abandonner, c'était peine perdue.
- Qu'est-ce que tu comptes faire, alors ? Faire un road-trip, voir le monde ? Démarrer un œuvre de charité ?
- Arrête, tu sais très bien à quoi je pense...
- Je m'en doute. Autant que je sois content que tu veuilles enfin sortir la tête de ton trou, autant je suis un peu frustré que tu penses à moi comme une « solution ».
- Je ne pense pas à toi comme une solution, soupira Emma en s'asseyant sur le lit. Je ne suis pas venu ici par jalousie au bonheur de Tobias et Valérie ; encore moins pour me servir de toi ; certainement pas pour remplacer Korie. Je suis venu parce que... oui, je veux vivre, j'en ai marre de tout ça. Je veux faire un pas en avant. Et si j'ai pensé à toi, ce n'est pas parce que tu étais le plus facile à avoir... même si c'est le cas, ajouta-t-elle dans un rire. Mais parce que c'est toi que je veux.
Levis garda le silence un petit moment, réfléchissant au discours qu'il venait de se prendre. Il était bancal, selon lui : malgré les arguments d'Emma, elle semblait bien, en fin de compte, se servir de lui. Mais juste un peu.
- En gros, tu es entrain de me dire que tu m'aimes ?
- Je te supporte, c'est déjà beaucoup.
- Venant de toi, c'est l'équivalent d'une demande en mariage.
Malgré le ton légèrement rude, ses yeux trahissaient le rire qu'il tentait de camoufler. Emma sourit de toutes ses dents : c'était la déclaration la plus bizarre qu'elle n'avait jamais vécu, mais ça ferait l'affaire. Tout ce qui importait, c'est qu'elle avait sous-entendu qu'elle aimait Levis. C'était déjà un grand pas en avant. D'ici une semaine ou deux, les mots sortiront peut-être enfin de sa bouche.
- Alors, tu vas m'embrasser ? dit-elle avec un petit sourire espiègle.
- Je voudrais bien, mais je peux pas me pencher.
Emma pouffa de rire, puis se leva sur le lit pour se mettre à la hauteur de Levis. Elle se plia légèrement, s'appuyant sur ses genoux, et leurs yeux se croisèrent. Ceux de Levis étincelaient, il n'arrivait pas à croire que ça se passait réellement.
- Ou si tu veux vraiment pas, tu le dis, et j'irais voir ailleurs. Y'a plein de mecs plutôt pas mal à l'école.
Emma fit mine de s'en aller, mais elle avait à peine tourné la tête que Levis avait posé ses mains sur ses joues pour l'empêcher de partir. Après une seconde de plus à se dévisager, il embrassa Emma. Comme balayé par la déflagration d'une bombe, toutes ses idées noires, ses tracas et ses peurs s'envolèrent aussitôt. Elle passa ses bras autour de son cou, l'approchant un peu plus.
Elle avait enfin retrouvé le bonheur.
Levis s'éloigna, à bout de souffle, puis leva ses yeux bruns vers ceux, gris et lumineux, d'Emma. Il souriait comme un débile, ajoutant encore un peu de charme à la scène. Mais il devait en avoir le cœur net, au risque de briser ce moment magique.
- Korie.
Emma fronça les sourcils, intriguée, et recula légèrement son visage pour mieux focaliser son regard sur lui.
- Quoi, Korie ?
- Je voulais juste voir si tu allais me gifler.
Emma pouffa de rire, l'embrassa à nouveau, et le serra dans ses bras. Pas trop pour épargner ses côtes, mais assez pour lui faire comprendre qu'elle ne voulait pas qu'il parte.
- Korie, c'est de l'histoire ancienne.
Fin
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Voilà, c'est la fin. C'était pas un peu trop brusque, le rapprochement de Levis et Emma ? Je voulais pas trop le faire durer non plus, ça m'aurait fait un chapitre de quinze pages...et moi, les histoires d'amour, c'est pas mon fort. Donc, justement, il faut que je m'entraîne là-dessus.
Cette histoire m'a permi de développer un nouveau style, le point de vue omniscient. C'est un flop ou une réussite ? (Répondez-pas, je suis bien dans le déni) alors tant qu'à faire des nouvelles expérience, voici ma prochaine : l'histoire d'amour (mais pas trop, sinon c'est chiant) entre Emma et... Levis ? Nah.
Emma et Korie 😎 venez avec moi, back in time vers la fin des année 2048, pour découvrir Korie de son vivant...
Maintenant disponible : Korie - l'être humain. Allez lui dire bonjour 😉
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