Chapitre 7
Owen paniquait, figé devant l'ascenseur. Au-dessus des portes métalliques, un écran indiquait maintenant dix-sept et diminuait encore. Il avait beau savoir que, s'il ne rattrapait pas le robot au plus vite, il allait sérieusement être placé en prison - ou au moins être renvoyé de son poste et devra payé une énorme somme pour l'éviter -, il se savait aussi incapable de descendre dix-sept étages au pas de course. Il n'avait jamais fait de sport de sa vie, il avait même un bedon digne d'une femme enceinte de cinq mois.
Soyons intelligents. C'est la seule carte qu'il me reste.
Les doigts tremblants, il sortit son téléphone de sa poche et appela la réception.
- Bonjour, ici monsieur Buchanan, dit-il sans laisser le temps à la secrétaire de se présenter. Arrêtez l'ascenseur.
- Monsieur, je ne peux pas...
- Il y a un homme armé à l'intérieur, dit-il spontanément. Faites-le !
C'était un mensonge qui n'allait pas durer, mais il allait au moins ralentir son robot. Aussitôt, l'écran au-dessus des portes se figea sur onze.
Plus que dix-neuf étages qui nous séparent, pensa amèrement Owen. Je savais que j'aurais dû me mettre à faire de la marche.
Puis, sans réfléchir une seconde de plus, il se précipita vers les escaliers.
*
Korie, qui avait si naïvement hâte de sortir de l'immeuble, sentit une secousse, puis la cage s'immobilisa complètement. Il leva les yeux vers l'écran et comprit aussitôt que quelqu'un ou quelque chose l'avait arrêté avant d'être arrivé en bas. La réponse était évidente : maitre Owen. Il secoua la tête en soufflant, exaspéré. Ce n'est plus mon maitre.
Il était coincé au onzième étage, mais il savait qu'il avait encore une chance de s'échapper. Il fit glisser ses doigts entre les portes et, de toutes la force de ses bras mécaniques, réussis sans peine à les ouvrir suffisamment pour se faufiler à l'extérieur.
Korie savait que les escaliers seraient dangereux : il était hors de questions de les emprunter. Owen y serait, et surement d'autres en renfort. Alors, tout en gardant son calme - il était plus simple de réfléchir efficacement ainsi -, il s'avança vers la première porte, marqué d'une plaque « 1105 » et frappa de son poing à trois reprises. Une dame vint aussitôt lui ouvrir.
- Oui ? demanda-t-elle innocemment.
Korie ne répondit pas immédiatement, impressionné par le nouveau visage qu'il identifiait. C'était la première femme qu'il rencontrait de sa courte vie - bien sûr, il ne connaissait personne d'autre qu'Owen. Ce que ses cheveux sont longs. Ce doit être tellement difficile de s'en occuper. D'où vient cette couleur surnaturelle sur ses lèvres ?
- Excusez-moi, dit-il en se ressaisissant, j'habite ici, mais j'ai perdu mes clés et mon téléphone. Me permettez-vous d'entrer pour utiliser le vôtre ?
La femme haussa les sourcils, étonnée qu'un ado parle si bien. Ce n'était pas seulement le fait d'être vouvoyé, mais il y avait bien quelque chose qui lui faisait penser à un homme d'affaires concluant un marché. Souriant au phénomène qu'elle avait devant les yeux, elle hocha enfin la tête et se retourna pour aller chercher son téléphone. Korie profita du moment qu'elle lui tournait le dos pour entrer dans l'appartement, se précipitant vers la baie vitrée tout au fond. Cet appart était fait presque à l'identique que celui d'Owen, mais en plus petit. Le salon et la cuisine étaient réunis, réduisant l'espace de presque la moitié.
- Hé ! s'écria la femme en accourant derrière Korie. Où tu vas, comme ça ?! Si tu veux mon téléphone, il est ici !
Korie l'ignora, il avait mieux à faire que de se montrer poli, malgré son programme qui lui murmurait d'au moins dire désolé. Il ouvrit la vitre et sauta dehors, pour atterrir sur l'escalier de secours. La femme se pencha à la fenêtre pour voir ce drôle d'ado qui s'éloignait déjà en dévalant les marches à toute vitesse.
*
Owen, pendant ce temps, s'était arrêté au seizième étage, à bout de souffle. Mais il n'avait pas perdu espoir ; en regardant plus bas, il aperçut les responsables de la sécurité, deux hommes en chemise quelque part entre le brun et le beige et deux fois plus obèses que lui, grimper les escaliers, des tasers et des matraques à la ceinture. La matraque contre un robot serait tout aussi efficace que la gifle qu'il s'était pris un peu plus tôt, mais le taser, cependant, risquerait bien de le court-circuiter.
Avec sa dernière réserve d'énergie, Owen descendit les quelques étages restants alors même que les deux gardes les montaient. Ils se précipitèrent en même temps dans les couloirs du onzième pour arriver devant les portes ouvertes de l'ascenseur.
- Vous l'avez vu, m'sieur ? dit l'un des agents, à bout de souffle. L'homme armé ?
- C'est un ado, précisa Owen à contrecœur. Sweat bleu et jogging noir. Mais il est tout aussi dangereux.
Une exclamation de surprise les fit se retourner. Depuis la porte face à l'ascenseur, une femme se tenait là, les regardant tour à tour avec un rictus amusé.
- Un gamin avec un parler de la haute royauté ? Il vient juste de sauter par ma fenêtre !
La madame lança pour Owen un grand sourire charmant, accentué d'un rouge à lèvres rose brillant. Une jolie blonde aux allures de cougar, ou même à l'occasion, de gold digger. Owen avait vu ce regard sur bon nombre de femmes et n'en fut pas impressionné plus d'une seconde. Il la repoussa du bras et entra en trombe dans son appartement pour se précipiter vers la fenêtre, puis sur l'escalier de secours. En se penchant au-dessus, il eut le temps d'apercevoir une silhouette aux cheveux châtains les dévaler à toute vitesse.
- Korie ! Je t'en prie, reviens !
L'androïde ne ralentit pas sa course pour autant. En sautant le dernier étage pour atterrir avec souplesse dans la ruelle, il plongea dans la rue d'à côté et disparut sous la vague de piétons.
Owen frappa la rambarde du plat de sa main, tête baissée et visage contracté. Ne pleure pas pour lui, ne pleure pas pour un robot... Il prit une grande inspiration puis releva enfin les yeux vers les deux hommes de la sécurité et la femme, qui le regardaient avec curiosité.
- Il est parti.
Ces trois mots lui coutaient cher. Le cœur lourd, il faisait de son mieux pour avoir bonne figure devant le trio, mais c'était difficile.
- Maintenant, c'est du ressort de la police, dit l'un des agents. On ne peut plus rien pour vous, monsieur Buchanan.
- Je sais...
Oh, je suis dans la merde, et d'une telle profondeur...
*
Korie cavalait dans la rue, slalomant entre les piétons. Il suivait le chemin que lui indiquait son GPS intérieur, en direction de Stuyvesant High School, mais il gardait les yeux baissée, son sweat au-dessus de la tête. Pour l'instant, l'objexctif était de s'éloigner. Quand il sera assez loin, disons un kilomètre, il arrêtera de courir pour mieux se fondre dans la masse. Mais quelle était l'importance de se fondre dans la masse, quand on est en plein cœur de New York ? Korie aurait pu se déguiser en T-rex avec un sombréro que les passants lui auraient à peine accordé à peine plus d'attention.
Là, un kilomètre exactement. Korie fit une pause à un croisement, où d'autres gens attendaient le feu rouge pour traverser. Le robot leva les yeux en abaissant sa capuche pour regarder autour de lui les immeubles qu'il avait déjà vu hier, depuis la voiture d'Owen. Ils étaient si immenses ! Korie avait l'impression d'être une fourmi au centre d'un vaste univers. Et tous ces gens, habillés chics et professionnels, des mallettes aux poings, des sacs à main au coude. Des chaussures de cuirs noirs, des talons à aiguilles, et Korie qui était simplement nu-pied, perdu dans la foule.
Korie éclata de rire, au comble de la joie. Tous ces nouveaux visages à identifier, et aucun ne correspondait à ce qu'il connaissait déjà. Il y avait des Blancs et des Noirs, des petits et des grands, maigres et obèses, il y avait de tout, et il adorait ça, lui qui avait passé sa vie avec Owen pour seule compagnie. Enfin, un peu de variété.
Je ne suis encore que sur la plage d'un vaste océan de diversité.
Se ressaisissant, Korie traversa la rue en compagnie de tous ces adultes, puis il continua son chemin sur le trottoir, faisant de son mieux pour cacher sa démarche maladroite de robot. Il avançait lentement et il se faisait bousculer par les passants, mais ça lui importait peu. Il observait partout, un sourire idiot aux lèvres, lisant chaque affiche qu'il voyait. Il s'arrêtait pour regarder derrière chaque vitrine, les magasins de vêtements, les librairies, les restaurants. Korie regrettait de ne pas avoir d'odorat, car il en était sûr, même l'odeur aurait été particulière.
Korie s'arrêta soudain de marcher. Il leva les yeux pour dévisager, un peu plus haut, les tours autour de lui. Il pressentait qu'il était arrivé à destination, mais à New York, le paysage était toujours pareil ; des immeubles, et un autre immeuble, et encore un autre, tous identiques. Mais celui qui lui faisait face semblait différent. Il n'était pas fait en verre, mais en brique. Korie n'en voyait qu'une partie, mais il avait l'air énorme.
C'est ici. L'entrée est tout près.
Korie continua d'avancer sur le trottoir, jusqu'à trouver un passage piéton pour traverser. De l'autre côté de la rue, il se retrouva rapidement sur un chemin en pavés unis exclusivement réservé aux marcheurs. D'un côté ; la fameuse Stuyvesant High School, dans toute sa splendeur. Ça ressemblait autant à une école qu'à un château miniature en forme de cube. S'il était large, il était encore plus haut.
Une école spécialisée en science, pensa Korie en même temps d'en faire une petite recherche sur internet, directement dans sa tête. L'autre Korie était vraiment le digne fils de son père.
L'école longeait le fleuve Hudson, où il y avait des bancs tout le long. Sachant qu'il lui serait tout bonnement impossible d'y entrer, autant parce qu'il faudrait probablement une carte étudiante ou autre, autant parce qu'un détecteur de métal deviendrait fou s'il s'en approchait, Korie jugea plus sage d'aller simplement s'assoir sur un banc et d'y attendre la venue de la mystérieuse fille.
Il allait attendre longtemps.
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