Chapitre 4
Le cœur lourd, mais déterminé, Owen avait suivi les agents jusqu'à leur département, pendant qu'une autre équipe faisait le tour de son appartement à la recherche d'indice contre le mystérieux voleur. Lui qui avait prévu de passer une bonne nuit de sommeil pour travailler ensuite une journée entière, ses plans s'étaient vus radicalement changés.
En une heure, Owen avait démonté la tête du robot, dans une salle servant d'ordinaire aux interrogatoires, sous la surveillance d'un policier et d'un technicien. En expliquant bien chacun de ses gestes, il avait retiré la balle, coincée entre deux morceaux de métal, et avait enregistré le dernier vingt-quatre heures de sa mémoire interne sur une clé USB. Pour finir, il dut signer toutes sortes de papiers.
Ce fut avec des cernes immenses sous les yeux qu'il put enfin retourner à son appartement, où il prit ses affaires et fila derechef à son lieu de travail, trainant un Korie inanimé avec lui.
Chez M&B Enterprise, l'immeuble où travaillait Owen, il faisait sombre comme dans un cimetière. Pour un modeste vingt-six étages de haut, c'était certainement l'un des édifices le plus sécurisés. Mais heureusement pour Owen, qui était cofondateur et à qui le « B » de M&B appartenait complètement, les robots vigiles, qui ressemblaient plus à des boites sur pattes dotées de bras, de jambes et de têtes, le laissèrent passer sans poser de question. Après tout, il n'y avait que Korie pour en lancer une de temps en temps.
Dans la noirceur, Owen devait avancer lentement. Il connaissait les lieux comme sa poche pour y venir tous les jours sans exception, il avait tout de même peur de se cogner quelque part et d'attirer l'attention des androïdes plus qu'il ne le fallait. Arrivé à l'ascenseur après avoir traversé l'entrée spacieuse, il passa sa carte d'identité dans la fente et appuya en même temps, avec toutes les difficultés du monde puisque sa main gauche essayait tant bien que mal de retenir Korie contre lui, sur le bouton numéro vingt-quatre. Enfin, l'ascenseur se mit en branle et, le bras mort à cause du poids du robot, il échappa Korie au sol, qui tomba sur les fesses avant de s'adosser contre un des murs de la cage, son regard vide fixé droit devant lui. Owen avait bien réinstallé tous les morceaux récupérables en place pour éviter de les perdre, mais l'automate ne ressemblait plus à rien. Sa peau de plastique, sur l'intégralité de son visage, avait dû être retirée, ne laissant plus que des formes vulgaires en métal et en câble. Du liquide jaunâtre goutait toujours du trou au centre de son front, coulant jusqu'à son cou et mouillant son teeshirt, répandant sur lui une odeur amère d'huile chaude.
L'ascenseur s'ouvrit sur l'étage vingt-quatre. Les bras en compote d'avoir trainé Korie aussi loin, il se contenta de le tirer par les pieds pour la distance qu'il lui restait à parcourir. Dans un couloir luxueux, les murs en bois sombre et le tapis rouge, Owen passa devant la porte en vitre de son bureau. Il continua son chemin pour atteindre la salle d'à côté, celle de son labo, où il jouait le mieux aux inventeurs. Cette local était grand, mais si rempli de n'importe quoi qu'elle évoquât plutôt la piaule d'un ado désordonné. Des pièces métalliques trainaient dans tous les coins, des ordinateurs, des moitiés de robots soutenues en l'air par des chaines tels des porcs à des crochets dans une chambre froide.
Owen s'avança vers une table pleine de morceaux de métal de toutes sortes, la balaya d'un revers de bras et posa Korie dessus. Il attira une chaise à lui avant de s'y affaler. Il poussa un long soupir, appréhendant le travail qui l'attendait.
Il ne savait même pas comment il avait fait, la première fois. Il avait raté quelque chose, mais plutôt d'arranger le problème, il l'avait laissé tel quel. C'est ce qui faisait que Korie était Korie, et il ne voulait pas que ça change. Mais comment recréer une erreur, quand on ignorait où elle était ?
Owen enfonça son visage dans ses mains, il était sur le point de craquer.
Pourquoi ? pensa-t-il en désespoir. Pourquoi faut-il toujours que je perde mon Korie ?
Et pourquoi fallait-il que cet homme s'infiltre chez moi ? Comment pouvait-il être au courant ? Est-ce que je le connais ? Est-ce qu'il va revenir pour me tuer, aussi ? Il avait bien un pistolet sur lui, pour s'en être servi contre Korie. Et si j'avais été à sa place ?
Avec la police et la « mort » de Korie, Owen n'avait même pas pensé à vérifier si ça était toujours dans sa cachette. En même temps, comment aurait-il pu, avec les agents de la paix à côté de lui ? Il devra attendre à ce soir pour en avoir le cœur net. Pour l'instant, Korie était plus important.
Un dernier soupir de frustration, puis l'inventeur s'attaqua à son travail.
*
Il était plus de vingt heures quand, enfin, Owen refermait le crâne du robot. Tout ce qu'il lui restait était de lui refaire un visage, un peu de peinture, et un long redémarrage. Ça faisait depuis ce matin, cinq heures, qu'il se tuait à la tâche dans son labo. Il décida de prendre une pose et alla à l'étage d'en dessous, qui servait de cafétéria. Il s'acheta deux sandwichs, puis remonta à son bureau pour les manger. Il les avait à peine entamés que quelqu'un frappait doucement contre la porte en vitre.
Owen appuya sur un bouton ; elle coulissa d'elle-même, laissant entrer un homme petit et chauve, arborant un fier costume bleu-gris. Owen figea en avisant les vêtements de son collègue ; il avait complètement oublié de s'habiller. Joseph Meyers haussa les sourcils en voyant le simple teeshirt que portait son ami, avant de s'assoir dans le fauteuil devant le bureau. Il eut envie de faire son commentaire, comme il ne manquait jamais de le faire, mais la mine décomposée d'Owen l'en dissuada. Clairement, il n'avait pas la tête à jouer.
- Alors, Owen ? Tout va bien, chez toi ? J'ai remarqué que tu serais entré à moins de cinq heures, ce matin ! Je sais que tu aimes travailler, mais à ce point-là ?
- J'arrivais pas à dormir.
Owen haussa les épaules et prit une bouchée de son sandwich, les coudes appuyés de part et d'autre de son ordinateur portable. Il valait mieux ne pas mentionner Korie ; très peu de gens étaient au courant que son robot était si particulier. Déjà qu'il l'avait baptisé en l'honneur de son défunt fils, encore qu'il lui eût donné son visage et sa chambre, il avait, en plus du reste, eu le culot de lui insérer un modèle d'IA défectueux, et donc, illégal et dangereux.
En revanche, s'il ne pouvait se résigner à parler de son droïde, rien ne l'empêchait de parler du vol. Avec un grand soupir de tristesse, l'inventeur posa son sandwich à même son ordinateur et s'enfonça dans son fauteuil, regardant par la vitre derrière lui le paysage urbain de New York.
- Dison que je me suis fait réveiller assez brutalement. J'ai eu un cambrioleur, cette nuit. Il ne m'a fait aucun mal, ajouta-t-il en devinant la mine alarmée de Joseph. C'est plutôt l'arrivée de la police qui m'a tiré de mon sommeil.
- Le voleur n'a rien pris, j'espère ? Il s'est fait arrêter ?
- Il court toujours... et j'en sais rien... j'ai dû suivre la police jusqu'à leur département pour la paperasse et après, je suis venu directement ici.
Owen fit un tour complet sur sa chaise à roulette avant de se remettre droit devant son bureau et son ami. Il avait envie d'approfondir ses pensées, comment il avait trouvé son robot, agonisant dans la cuisine et défiguré, qu'il avait été obligé lui-même de l'éteindre. Mais Joseph aurait simplement pouffé de rire à ses airs si dramatiques pour un androïde.
- Et... pour ce qu'il en est de notre petit secret...
- Je sais pas, dit Owen en secouant la tête. Je t'ai déjà dit ; j'ai pas eu le temps de voir s'il était là ou non. Je pouvais pas vraiment quand la police était derrière moi.
- C'est vrai... eh bien... tu devrais retourner chez toi, maintenant. Ça fait plus de quinze heures que tu es ici ! Et tu me diras si la chose est toujours où elle devrait être.
- T'en fais pas pour moi, Joe, j'ai passé la moitié de la journée à ronfler sur le canapé. Il est temps pour moi d'être un peu productif !
Owen lui lança un sourire auquel Joseph répondit à contrecœur. Il jouait les gentils, mais si ce n'était plus chez lui, il allait certainement faire une crise. Owen, pour sa part, avait déjà toute son attention sur Korie ; il s'inquiètera du reste plus tard.
Quand Joseph quitta le bureau, Owen alla continuer son boulot, soit mettre un visage au robot, puis faire un redémarrage du système, ce qui pouvait prendre plusieurs heures. Il en profita pour enfin travailler sur son nouveau modèle d'IA.
*
Affalé sur une chaise, penché sur une table à observer des circuits imprimés à la loupe, Owen n'avait pas remarqué l'androïde qui s'agitait derrière lui. Il n'entendit qu'une petite sonnerie depuis son portable, indiquant le redémarrage terminé. Owen sursauta en se retournant vers Korie ; il était assis sur le bureau, regardant d'un air presque intrigué les câbles qui reliaient sa poitrine à l'ordinateur posé à côté de lui.
- Korie ! s'écria Owen en enlaçant le robot, qui resta indifférent à la marque d'affection. Mon Dieu, tu m'as tellement manqué. Parle-moi ! Dis-moi que tout est bien connecté, dans ta tête, j'ai si peur d'avoir fait une erreur !
Korie ne répondit rien, regardant toujours Owen de ses yeux bleus électriques. Sa question était trop drôlement formulée pour qu'il ait pu la comprendre.
- Ai-je été déconnecté, monsieur ? Je perçois un décalage temporel important.
- Oui, Korie... j'ai dû te débrancher, mais c'est fini, maintenant. Viens, on retourne à la maison !
- Nous n'y sommes pas déjà ?
C'était une première pour Korie qui n'était jamais sorti de l'appartement. Même s'il avait été conçu ici, Owen ne l'avait activé qu'une fois chez lui. Cette fois, il avait été trop impatient pour attendre.
Korie leva la tête et regarda dans chaque recoin de la salle. Les pièces de métal, les squelettes de robots...
- C'est votre labo, monsieur ? Votre robot test avait raison. Il fait sombre.
Owen éclata de rire, comme si c'était la meilleure blague de l'année, et s'élança pour prendre l'androïde à l'effigie de son fils dans ses bras. Il avait eu tellement peur de le perdre, encore une fois... Mais maintenant qu'il était fixé sur ce point, un autre problème apparut à lui, avec la puissance d'une claque. Le voleur. Est-ce qu'il a trouvé ce qu'il cherchait ?
- Viens, Korie, on rentre, répéta Owen en retirant les câbles qui reliait toujours le robot à l'ordinateur.
Owen regarda rapidement sa montre ; vingt-trois heures. Il était arrivé le premier et maintenant il partait après tout le monde. C'était parfait ainsi ; personne ne risquera de voir Korie.
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