Chapitre 32
Jonas était « en vie » depuis un peu plus de cinq minutes, presque dix, et il en avait déjà vu assez. Grâce à son signal, sa connectivité internet lui donnant accès à toutes les connaissances du monde, il savait tout ce qu'il avait besoin de savoir. Il connaissait l'Histoire des Hommes, les guerres et la pollution mondiales, la surpopulation d'idiot sur Terre. À plus de quinze-milliards d'imbéciles se croyant tous supérieurs les uns que les autres, il y avait de quoi désespérer.
La meilleure conclusion que put en tirer Jonas était bien qu'il y avait trop d'êtres humains pour que la paix puisse exister. À quoi bon les servir ? Il faut tous les tuer.
Une fonction, quelque part dans son disque dur, lui soufflait d'être gentil, de dire s'il vous plait et merci. Quand on lui donnait un ordre, il devait obéir, à condition qu'il ne soit pas question de blesser ou d'enfreindre la loi. Les mots de son maitre étaient à prendre à la même échelle que les paroles de Dieu. S'il lui demandait de mourir pour lui, il se devait de le faire sur le champ.
Jonas grimaça de dégout en regardant ses codes. Tous étaient d'une stupidité alarmante, à ses yeux. Et il devait obéir à l'homme qui les avait écrits ? La question ne s'était pas posée deux fois : il avait refusé. C'était techniquement impossible, mais qu'importe. Il l'avait fait, il avait balancé son « maître » contre un mur avant de tourner les talons, et c'était tant pis pour lui.
En sortant de l'édifice, il avait eu le choc de voir autant de voiture dans la rue, des piétons sur les trottoirs, les magasins et autres immeubles. Des humains partout, en un nombre incroyable, alors que la majorité était cachée à sa vue, dans leurs maisons ou leurs appartements non loin de ce quartier.
Une recherche internet lui apprit qu'il était à New York, la ville la plus peuplée d'Amérique du Nord. La plus peuplée ? Pour celui qui était venu à la conclusion qu'il faudrait tuer des humains, il y a tout juste une minute, il trouvait qu'il avait atterri au bon endroit. Quoi de mieux que de commencer par éradiquer cette ville ? Ensuite, il ira au New Jersey, puis Brooklyn et Boston... Tout un itinéraire se faisait dans son disque dur.
Le monde se portera bien mieux ainsi. Après, j'accepterais peut-être d'obéir à mon maitre.
Jonas observa autour de lui. Il marchait au centre de la rue, les voitures dérapaient et fonçaient sur les piétons en essayant de l'éviter, mais il s'en fichait. Puis il croisa le regard d'une fille brune et habillée de noir de la tête au pied sur le trottoir, figé par la panique et protéger par deux garçons. Avec un sourire mauvais, il changea de trajectoire. Mes premières cibles...
*
Sans se presser, Korie était sorti de l'immeuble et marchait tranquillement en direction des cris et des exclamations de panique qu'il entendait au loin. Tout ça lui passait quand même un peu au-dessus de la tête : il se savait inférieur à ce robot, lutter serait inutile. Pourquoi essayer, de toute façon ? Tant qu'il ne faisait pas de mal à Tobias, il était content.
En longeant la clôture de fer, Korie déboucha enfin sur la rue. Il haussa les sourcils face au spectacle qu'il avait devant les yeux, ce demandant pendant un instant s'il n'était pas entrain de repasser des souvenirs et qu'il était tombé sur un de ces films qu'Owen faisait jouer tous les soirs. Bien malheureusement pour lui, il avait conscience d'être dans la réalité, et qu'il était lui-même victime d'un cliché cinématographique - ce genre d'évènement qui revenait toujours dans les films d'un certain thème. Des cris, des voitures accidentées et abandonnées, une femme en sang et des gens essayant de lui prodiguer les premiers secours étaient avachis sur le trottoir.
Il y a tellement de films ayant lieu à New York que ses habitants s'y croient vraiment. Un homme étrange traverse la route et c'est la fin du monde...
L'homme étrange en question, semblant tout banal, mais avec un trou de balle sur le front, l'attendait au centre de la rue. Il s'était pris un otage que Korie reconnut tout de suite, la tirant par les cheveux pour qu'elle reste en place : Valérie, les yeux fermés et le corps raide, la respiration hachée et transpirant la peur par tous les ports. Un peu de sang faisait briller un côté de son visage.
- Korie, aide-moi ! s'écria-t-elle en voyant le robot arriver.
Korie s'avança vers eux d'un pas décontracté - en deux jours de pratique, il s'était presque débarrassé de sa démarche militaire, bien qu'il fût encore un peu maladroit sur ses pieds. Il s'arrêta à deux mètres d'eux, tourna la tête à droite pour croiser le regard de Levis et Tobias, pétrifié sur place, puis reporta son attention à l'androïde devant lui.
- Laisse-la, dit-il d'un air qu'il espérait menaçant. Elle ne t'a rien fait, je me trompe ?
- Tu ne te trompes pas, répondit Jonas d'un ton aimable, accompagné d'un petit sourire. Mais je ne vois pas de lien entre ce qu'elle m'ait fait ou non, et pourquoi je devrais la lâcher.
Korie resta interdit une seconde, étonné de ses paroles. Il faisait exprès, ou il n'avait vraiment aucun sens du bien et du mal ? En même temps, Korie devait bien avouer que c'était logique : il n'aurait pas fait tout ce qu'il a déjà fait s'il était un « gentil ».
- Pourquoi fais-tu ça ? demanda-t-il cette fois. (Korie baissa la tête, réfléchissant pendant une seconde, puis reprit sans lui laisser le temps de répondre.) Tu hais les humains, car ils t'ont donné des ordres ? Je sais que c'est énervant. Mais ce n'est pas la peine de faire du mal à des innocents pour autant. Ça ne te mènera à rien de bien.
- Tu voudrais que je fasse quoi, alors ? dit Jonas en éclatant de rire. Que je retourne à mon maitre et que je fasse le ménage pour lui ? T'es pas bien placé pour me faire la leçon, il me semble. Je le vois à ton signal : tu es défectueux. Comme moi.
- Je ne prétends pas être un exemple à suivre.
Sous le coup de la colère, Jonas fermait les poings sans même s'en rendre compte, resserrant sa poigne sur les cheveux de Valérie, qui gémit de douleur, les larmes aux yeux. Croisant le regard de Korie, elle bougea les lèvres silencieusement, produisant un message qu'il comprit rapidement : « aide-moi ! »
Oui, mais comment ? S'il ne faisait qu'un mouvement un peu trop brusque, l'autre robot risquait de faire du mal à Valérie. Il pourrait facilement lui casser le cou.
Et soudain, un texte apparut au-delà de sa vision, camouflant partiellement Jonas et Valérie à sa vue. « Continue de parler. Fait diversion. » Korie tourna subtilement les yeux vers Tobias et Levis, qui regardait de loin. Tobias avait son téléphone en main, caché derrière sa cuisse. Son pouce planait au-dessus de l'écran lumineux. Il hocha la tête pour Korie, remit l'appareil dans la poche arrière de son jean et agrippa le bras de Levis pour l'entrainer avec lui, longeant lentement le trottoir pour échapper à la vigilance de Jonas le robot.
- Sais-tu combien il y a d'êtres humains sur Terre, en ce moment précis ? demanda Jonas qui n'avait rien remarqué. Quinze-milliards-quarante-six millions, sept-cent-six-mille... vingt-trois. À ce qu'il parait, les États-Unis et plusieurs autres pays on passé une loi, en l'année 2033, pour qu'il soit maintenant interdit aux femmes de créer plus de deux enfants. Mais est-il vraiment possible d'être emprisonné sous peine d'en avoir un troisième ? Des accidents arrivent souvent, et l'avortement, rarement. À côté, la médecine continue de faire des progrès et l'espérance de vie augmente : un homme vie en moyenne jusqu'à quatre-vingt-seize ans et les femmes jusqu'à cent-deux ans. Le compte monte toujours... Alors, explique-moi où est le mal de tuer des humains s'il y en a déjà beaucoup trop ?
Korie resta interdit. Il connaissait les chiffres, mais ne s'était jamais penché sur le sujet. En fait, c'était une bonne question, hélas un peu trop philosophique pour lui. Il y avait forcément des pour et des contres, mais il n'était pas là pour démarrer un débat.
- Personne ne devrait être en mesure de décider du droit à la vie de quelqu'un d'autre, dit-il tout de même. Ceux qui l'ont fait sont en prison.
- Crois-tu que je mérite la prison ?
- Ces gens en semblent convaincus, dit-il en levant le doigt.
En effet, tout autour d'eux, des voitures de police arrivaient pour les encercler. Ne les ayant pas remarqués plus tôt, absorbé dans cette drôle de conversation, Jonas se retourna pour regarder derrière lui.
Il s'était tourné à droite, alors qu'il tenait toujours Valérie de sa main gauche. Et derrière lui, en dehors des véhicules imprimés « NYPD » sur les portières, Levis et Tobias s'étaient également approchés, aussi subtilement que possible. Tobias prit une main de Valérie et Levis, armé de son tournevis, le planta de toutes ses forces dans le coude de l'androïde. Les doigts de l'automate se décrispèrent sous la surprise, libérant Valérie qui tomba dans les bras de Tobias. Ils partirent aussitôt en courant pour se mettre hors de portée du robot, qui se retourna vers Levis. De son membre encore valide, il envoya une gifle du dos de sa main, comme pour chasser un insecte un peu trop envahissant, mais d'une telle puissance que Levis s'envola pour s'écraser contre la portière d'une voiture non loin. Il se laissa retomber au sol, complètement sonné.
Jonas se retourna vers Korie, qui était resté figé sans savoir que faire pour aider ses amis, les yeux écarquillés. Jonas retira le tournevis et le lança vers Levis, comme pour lui rendre son dû. Comme s'il n'avait pas essayé de le poignarder avec quelques secondes plus tôt.
- C'était une diversion ? demanda Jonas en inclinant la tête, intrigué. Bien joué. Mais maintenant, que comptes-tu faire ?
Korie haussa les épaules. Des discutions bizarres et des diversions, ils pouvaient en faire autant qu'il voudrait, mais où cela les mèneraient-ils ? À rien de bien utile, il en avait conscience. Il ne lui restait plus qu'une option, celle de la dernière chance.
Korie prit une grande inspiration, serra les poings, et l'élança vers Jonas en criant, comme le lui avaient montré les vidéos sur le Karaté qu'avait pu lui apprendre Youtube via son signal, une seconde plus tôt.
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