Chapitre 3
Owen fut tiré de son sommeil par des coups frappés à la porte. Il grogna en se tournant de côté sur le lit ; il était à peine plus de trois heures, d'après son réveil sur la table de nuit.
- Quoi, Korie ? marmonna-t-il en se frottant les yeux.
Aucune réponse. L'inventeur fronça les sourcils ; le robot avait des oreilles suffisamment affutées pour l'entendre marmonner depuis la pièce d'à côté. Enfin réveillé, il sortit de son lit, enfila sa robe de chambre en soie bleue et ses pantoufles assorties, puis sortit dans le couloir.
Il s'attendait à voir l'androïde, prêt à lui poser l'une de ses fameuses questions intelligentes comme ça lui prenait parfois, à toute heure de la journée. Ce qu'il vit fut tout autre ; dans la faible lumière qui passait difficilement à travers les rideaux, deux policiers entraient, regardant dans toutes les directions, armes en main.
- Mais... que... Vous faites quoi, là ?! s'écria Owen.
- Monsieur Buchanan ? Nous avons reçu un message d'alerte indiquant qu'un homme se serait infiltré ici.
- Je n'ai pas... bredouilla Owen. Ce n'était pas moi. Korie ?!
Les deux gardiens de la paix dépassèrent Owen et firent leur ronde dans l'appartement, à la recherche d'intrus, alors que l'inventeur restait planté près de la porte, appelant son automate à répétition. Pourquoi ne répondait-il pas ? Ce n'était pas logique !
- Monsieur Buchanan, dit à nouveau le policier. Je crois que j'ai retrouvé votre robot.
La peur au ventre, Owen se précipita vers la cuisine, suivant la voix de l'agent. Il se figea net quand il le vit enfin ; étendu sur le dos, les membres bien raides, il avait un énorme trou sur le front, d'où s'échappaient des morceaux métalliques et un liquide jaunâtre. Ses yeux papillonnaient, essayant de focaliser son regard sur les trois hommes réunis autour de lui.
Owen dut s'accrocher au plan de travail derrière lui pour ne pas s'effondrer. Il prit plusieurs grandes inspirations, s'efforçant de faire passer la panique. Pas encore, pensa-t-il désespérément. Pas encore...
- Monsieur, dit le robot d'une voix faible, à peine perceptible. Il y a un homme dans l'appartement. J'ai prévenu la police. Elle devrait bientôt arriver.
- Elle... elle est déjà là, Korie, dit Owen, le cœur lourd tout en essayant de faire bonne figure.
- Vous pouvez me dire à quoi il ressemblait ? demanda l'un des agents en s'agenouillant près de Korie, un bloc-notes en main.
Korie garda le silence, ses yeux filant toujours de droite à gauche. Les deux policiers échangèrent un regard en secouant la tête ; la balle avait touché l'ordinateur. Il déraillait, pour l'instant qu'il était encore en vie - autant que pouvait l'être un robot.
- Réponds à la question, Korie. Dis-nous ce que tu as vu.
- Je ne comprends pas votre question, monsieur. Veuillez reformuler.
- As-tu vu un homme s'infiltrer dans l'appartement ?
- Je ne comprends pas votre question, monsieur.
- Qui t'a tiré dessus ? s'impatienta Owen.
- Je ne comprends pas votre question, monsieur.
- Bon, il ne peux rien nous dire, soupira l'agent en se relevant. Il faudra le démonter pour avoir accès à sa mémoire et...
- NON ! s'écria Owen. Non, non, non... laissez-moi faire, je vous en prie. Vos techniciens ne sauront que le mettre en pièce ! Je peux avoir accès facilement à ses souvenirs. S'il vous plait !
Les policiers gardèrent le silence, pensant tous les deux à la même chose. Ce n'était qu'un robot - à l'apparence étrangement humaine, certes - mais un robot quand même. Mais pour ce pauvre homme, qui semblait sur le point de tomber dans les pommes tellement il haletait, c'était à croire qu'il voyait la machine comme son propre fils. C'était peut-être le cas, d'ailleurs.
- Monsieur, nous avons des procédures à suivre. Vous risqueriez de contaminer une pièce à conviction.
- Ce n'est pas une pièce à conviction ! hurla Owen, menaçant le policier de l'index. C'est mon... mon robot. Je l'ai conçu moi-même, de A à Z ! Il est mon bien et j'ai le droit d'en faire ce que je veux ! Vous n'avez pas besoin de grand-chose, non, seulement sa mémoire et la balle qu'il a encore de coincée dans le cerveau. Je vous les donne, mais je garde mon Korie !
Le policier se pinça le nez en soupirant. Pourquoi faire autant de grabuge pour un stupide robot ? Il avait beau avoir le grand Owen Buchanan en face de lui, qui équivalait presque à Steve Jobs, il avait clairement une case en moins. Puis, il se souvint ce qu'il avait un jour lu dans les journaux, qu'il avait perdu sa femme et son fils dans un accident de voiture. Comment s'appelait-il, déjà, le fils ? Il ne lui suffit que d'un regard au sol pour que la mémoire lui revienne.
- Monsieur ! s'écria soudain Korie, le bras droit agité de spasmes nerveux. Il y a un homme dans l'appartement. J'ai prévenu la police. Elle devrait bientôt arriver.
Owen détourna les yeux, retint sa respiration pour s'empêcher de chialer, puis s'agenouilla près du robot. Il retourna doucement sa tête pour avoir accès à sa nuque où, sous ses cheveux, était caché un bouton minuscule. Il appuya dessus à plusieurs reprises pour envoyer le message « STOP » en morse. Aussitôt, Korie arrêta de s'agiter, ses yeux perdirent de leurs éclats. L'œil droit, auparavant plus clair que le gauche, devint aussi terne que l'autre.
- Nous devons l'apporter, insista le policier.
- Alors, je viens également, dit Owen en lui lançant un regard noir.
- Nous aurons besoin de vous poser des questions, de toute façon. Pourquoi croyez-vous qu'un homme se serait infiltré dans votre appartement ?
- J'en sais rien, moi, parce que je suis riche ! s'énerva Owen en levant les bras au ciel, toujours agenouillé près de Korie. Il cherchait de l'argent !
- Il aurait piraté votre compte en banque, si c'était le cas. Avez-vous quelque chose, ici, ayant une grande valeur ?
- Regarde autour de toi, pauvre con, tout a de la valeur !
Le policier ne sut quoi ajouter à ça. Pas que l'insulte l'avait ébranlé - dans son métier, il fallait être prêt à se faire insulté par n'importe qui et même n'importe quoi - mais bien parce que l'inventeur avait raison. Rien qu'un coup d'oeil circulaire autour de lui pouvait le confirmer. Allant de la radio démesurément grosse sur le plan de travail, le lustre en cristal qui pendait au-dessus de la salle à manger...
De son côté, Owen avait compris quelque chose, une seconde après sa réponse un peu brusque. S'il y avait bien quelque chose de valeur, chez lui, c'était là, caché dans la cuisine. À deux pas où était allongé Korie. L'inventeur retint son souffle, essayant de ne rien laisser paraitre. Ils ne doivent pas savoir ce qu'il y avait ici.
- Bon, on embarque le robot. Vous n'avez qu'à venir aussi, si vous y tenez tellement.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top