Chapitre 29
Aussitôt Joseph eu convaincu Owen de venir avec lui qu'ils avaient quitté le bureau, armé de leurs maigres moyens, pour sauter dans la Ferrari d'Owen et d'aller directement au bâtiment désaffecté. Cette fois, pas de cassage de tête à stationner la voiture assez loin pour que ce ne soit pas suspect : elle était arrêtée juste en face, au-dessus du trottoir, à dix centimètres de défoncer la clôture grillagée qui en protégeait l'entrée.
Les deux acolytes sortirent de la Ferrari et claquèrent les portières en même temps. Ils longèrent la propriété pour trouver la cour arrière, où Owen avait découpé une ouverture avec son mini laser, la veille au soir. Owen tira pour l'agrandir et franchit l'ouverture pour se diriger vers l'entrée du bâtiment, suivi d'un Joseph tremblant de peur et d'appréhension. Leurs armes en main, ils passèrent la porte en partie défoncée et s'aventurèrent dans un hall lugubre, au sol défraichi et les murs écaillés. Ils grimpèrent un escalier aux lattes couinantes sous leurs poids, traversèrent un second couloir, toujours aussi glauque.
Soudain, des voix se firent entendre, figeant sur place les deux adultes au milieu de leur mouvement, un pied en l'air et le dos vouté. Ils s'échangèrent un regard nerveux, avant de tendre l'oreille.
- Je croyais que tu avais dit que ce serait prêt ce soir ! s'écria une femme.
- J'ai eu un imprévu, c'est pas ma faute ! Demain, je te jure, ce sera terminé.
Une nouvelle œillade entre Owen et Joseph, le stress se mêlant à l'excitation. Cette fois, pas de doute. La deuxième voix appartenait, sans conteste, à Jordan.
- C'est pas prêt ? répéta Joseph dans un murmure. Eh bien ! C'est notre chance. Pas de Terminator pour se mettre sur notre chemin.
Visiblement. Selon Owen, ça semblait même trop beau pour être vrai. Lui, il était sûr d'arriver à la dernière minute, juste à temps pour la grande finale, avec les coups de feu et les explosions. À côté de lui, Joseph remettait déjà le pistolet qu'il serrait autrefois entre ses mains derrière son dos, coincé par sa ceinture. Mais que faire, sinon ? Les armes étaient pour se défendre contre le robot, pas pour tuer un homme ! En soufflant de nervosité, Owen consentit enfin à ranger son taser dans la poche de son pantalon.
- Il sera peut-être trop tard, demain ! continua la femme d'une voix haute perchée. Je crois qu'il faut laisser tomber, Jordan.
Malgré que son identité fût claire, entendre le nom de son employé fit un choc à Owen, qu'il camoufla avec une grimace. Les chances que ce ne soit qu'un malheureux hasard étaient nulles.
Owen prit une grande inspiration, regroupant son courage. Il n'en avait pas besoin de beaucoup, ce n'était qu'un jeune trentenaire maigrichon, geek et myope, accompagné de sa femme, contre ses deux patrons armés. Tout le monde savait comment ça allait se terminer.
Alors, en soufflant tout l'air de ses poumons, Owen bondit de sa cachette pour s'avancer dans la pièce de trois pas, avant de s'arrêter dans une pose de superhéros, jambes écartées et poings sur les hanches, des flammes de colère brillant dans ses yeux. Prêt pour son grand discours accusateur et d'annoncer, par le fait même, le renvoie immédiat et définitif de son employé, il n'avait pas pensé une seule seconde que le robot était, pendant tout ce temps, prêt de l'entrer à attendre son arrivé. Owen eut tout juste le temps de baragouiner quelques syllabes qu'il fut déjà immobilisé, deux bras mécaniques le tenant solidement, l'un par la taille et l'autre devant sa bouche pour l'empêcher de parler.
Owen écarquilla les deux devant ce retournement de situation. Le robot était derrière moi ? Ils avaient bien dit qu'il n'était pas encore prêt, non ?
Devant lui, Jordan était là, accoutré d'une chemise mauve souillée de sueur et de l'huile à moteur jusqu'au coude. Il était simplement appuyé sur une table de travail, seul meuble de la vaste pièce. Une femme se tenait près de lui, de longs cheveux noirs contrastant avec sa peau de porcelaine. Elle portait un jean et un débardeur gris, quelques bijoux autour du cou et des poignets, comme si tout ceci était parfaitement normal.
Malgré la peur qui contractait le cœur d'Owen, Jordan et Megan, sa femme, pouffèrent de rire en le voyant si rapidement mis hors d'état de nuire.
- Bonsoir, patron, dit Jordan avec un petit sourire contrit. Heum... désolé de te coincer comme ça, enfin... on savait que tu étais là, on peut voir ta voiture par la fenêtre, alors... c'était simple de te faire croire que le robot n'était pas prêt pour que tu entres sans précaution.
Joseph choisit ce moment pour entrer à son tour dans la pièce. Le droïde occupé à retenir Owen immobile, rien ne se mit en travers de son chemin. Il observa le couple d'un drôle d'œil, puis Owen, avant de revenir à Jordan :
- Tu m'expliques, peut-être ?
Jordan haussa les épaules en même temps que ses lunettes, résignées, avant de soupirer et d'enfin dire ce qu'Owen et Joseph savaient déjà :
- Mon frère Jonas est mort dans le même accident que ta famille, dit-il en braquant son regard dans celui d'Owen. Il était très proche de mon père, beaucoup plus que je ne le suis moi-même. Et depuis qu'il n'est plus là, mon père souffre énormément de solitude. Alors, j'ai voulu faire comme vous, c'est tout ! J'ai créé un robot comme votre Korie. Je vois pas où est le mal : vous avez fait pareil !
Owen grogna en essayant de retirer la main de l'androïde sur sa bouche, mais il tenait bon. Mais Joseph dû comprendre la question qui lui brulait aux lèvres.
- Comment as-tu su, pour Korie ?
Jordan roula des yeux, comme si la question sous-entendait qu'il n'était qu'un imbécile.
- Je travaille pour vous ! dit-il comme une évidence. Vous connaissez le protocole, ou pas ? C'est vous-même qui l'avez écrit !
Joseph soupira : il avait enfin compris.
- Il faut noter tout ce qu'on fait : tout le matériel utilisé et pourquoi. Ça a dû être noté quelque part qu'Owen avait créé Korie... et l'IA que tu as volée.
- Ce n'était pas clairement noté, mais j'ai fait le lien avec le matériel utilisé. Je sais comment construire un robot et une IA, vous savez ? Ensuite, j'ai fait mes recherches, et j'ai supposé que l'IA fût chez toi. Pendant longtemps, j'ai cherché avec un petit drone, jusqu'à ce que je trouve où tu l'avais mis et que j'aille le prendre moi-même. C'est pas contre vous, m'sieur Buchanan, c'est simplement que je voulais une IA performante, et les vôtres sont bien mieux développés que les miennes. Je veux dire : je vous l'aurais demandé poliment si seulement il y avait eu des chances que vous disiez oui !
Owen grogna à nouveau, essayant de parler. Le robot fit enfin glisser sa main jusqu'à son menton, lui permettant de s'expliquer :
- Cette IA est dangereuse, c'est pourquoi je l'avais caché. Tu ne crois pas que, si elle avait fonctionné correctement, je ne l'aurais pas donné à Korie ?
- Vous rigolez ? s'écria Jordan en se redressant. C'est l'IA la plus parfaite que j'ai jamais vue. Essayer donc d'avoir une conversation avec lui, dit-il en désignant le robot d'un coup de menton. Je vous jure, on a l'impression que c'est un humain. Et pas besoin de parler clairement : il comprend même les sous-entendus et les blagues. Il comprend quand je ne termine pas ma phrase ou quand je me trompe de verbe... il comprend le langage texto !
- Il comprend quand vous parlez de lui, gronda une voix derrière l'inventeur.
Owen sentit tous ses poils se hérisser en entendant le droïde s'exprimer pour la première fois. Joseph s'éloigna de quelques pas, nerveux. Jordan, lui, se fendit d'un énorme sourire.
- Sa voix est trop grave, je dois faire quelques réglages. Mais sinon ; il est parfait ! Pas vrai, petit frère ?
Le robot ne répondit rien. Megan, sa femme qui était restée silencieuse depuis le début, eut un rictus, mal à l'aise.
- Il est un peu tête de mule, s'excusa Jordan. Il faut encore lui apprendre plein de trucs, vous comprenez. Il ne réalise pas qu'il est censé être mon frère.
- Ce n'est pas ton frère, grogna Owen.
- Et Korie n'est pas ton fils ?
Owen ne répliqua rien, à court d'arguments. Bien sûr, il avait fait pareil, alors comment le blâmer ? Mais il ne voulait pas comprendre que l'IA était dangereuse. Qu'il y avait un problème à ce qu'elle soit trop performante. L'inventeur se rappelait parfaitement le jour où il avait failli le tuer, pour aucune raison. Il l'avait étranglé. Si ce n'était pas de Joseph qui passait par là pour l'entendre, il serait mort depuis.
- Jordan, s'essaya cette fois Joseph en faisant un pas dans sa direction. On comprend la cause – on est bien placé pour ça, en fait – mais c'est une mauvaise idée. Tu fais comme son Korie, mais il s'est enfui, tu sais ? dit-il avec un petit rire nerveux. La police le cherche depuis hier matin. Ton robot – ton frère -, tout porte à croire qu'il va faire pareil, s'il ne fait pas quelque chose de pire.
- Je vois pas pourquoi celui-là ferait pareil si je le traite bien. Ce n'est pas un serviteur, mais un membre à part entière de la famille ! Il sera parfaitement à son aise, chez papa. Pas vrai, Jonas ?
Aucune réponse. Le sourire de Jordan fondit légèrement, avant de revenir en force.
- Allez, apprends-le ! Tu t'appelles Jonas, dit-il avec patience. Excusez-le : ça aussi, je l'ai pas encore noté dans sa mémoire interne. Vous êtes arrivé plus tôt que prévu.
Megan, sa femme qui était restée silencieuse, se pencha à l'oreille de son mari pour chuchoter quelque chose. Jordan répondit par un froncement de sourcils, puis d'un soupir résigné.
- Il s'emporte, mais il est comme un enfant de deux ans qui teste ses parents, à savoir jusqu'où il peut aller avant de se faire gronder, dit Megan d'un air las. Je comprends votre point de vue, contrairement à lui, je serais presque porté à croire que vous avez raison... sauf que nah, en fait. Vous ne faites que radoter les mêmes arguments, comme quoi il est dangereux, alors que vous avez fait pareil. C'est bon, on a saisi. Mais vous ne pouvez pas nous en vouloir, parce que ce serait vraiment hypocrite de votre part. Alors, vous allez simplement partir d'ici et nous laisser assumer notre décision, d'accord ? Vous n'êtes pas concerné : dans l'histoire, vous êtes les victimes. Il y a donc aucun mal à ce que vous nous laissiez tranquille.
Owen et Joseph échangèrent un regard. Qu'est-ce qu'ils pouvaient faire ? Ces deux-là semblaient bien impossibles à raisonner. Tout ce qu'ils leur restaient, c'était d'agir par la force. Si seulement je pouvais atteindre mon taser, dans ma poche, pensa Owen en tentant de se dégager de la poigne du robot.
- Très bien, fit Owen d'une voix adoucie. Vous avez raison... alors, laissez-nous partir.
- C'est ce que j'attends depuis le début, figure-toi ! dit Jordan en riant. Je ne veux de mal à personne : je veux pas vous tuer ni vous blesser. Je suis pas un malade ! Tout ce que je voulais, c'était vous faire comprendre que ça servait à rien de se mettre en travers de mon chemin – ou de son chemin, dit-il avec un mouvement de menton vers le robot. Vous êtes dans le même bateau, avec Korie, alors vous n'êtes vraiment pas bien placé pour les leçons de morale. Jonas, lâche-le. Vous pouvez partir ! Mais si j'entends que vous en avez parlé à la police, je lance mon chien de garde contre vous, dit-il avec un air menaçant.
- Très bien, grogna Owen.
Puis tout le monde garda le silence, attendant que le robot retire son emprise sur Owen. Mais l'inventeur ne ressentit qu'une plus grande pression sur ses épaules, qui le fit grimacer de douleur.
- Allez, ton maitre t'a dit de me lâcher.
La pression se fit encore plus forte, broyant presque ses os. Owen hurla, se tortillant pour essayer de lui échapper.
- J'ai pas de maitre, gronda Jonas le robot. Je veux pas qu'on me donne d'ordre !
Eh bien, c'est qu'il avait raison, Jordan, pensa Owen tout en faisant de son mieux pour ne pas paniquer. Un droïde qui ne fait même pas les négations, c'est sur qu'il doit comprend le langage texto.
Devant lui, Jordan écarquillait les yeux, surpris de la réaction de son robot, malgré qu'Owen avait essayé de le prévenir une vingtaine de fois au cours de la conversation. Megan haussait les sourcils, plus intrigué qu'autre chose. Et Joseph, enfin, avait ressorti son pistolet, tremblant entre ses mains.
- Vas-y, Joseph ! s'écria Owen. Vise le front. N'aie pas peur pour moi : si tu ne le fais pas, c'est lui qui va me tuer.
- Non ! s'indigna Jordan en s'avançant d'un pas. Ne faites pas ça, vous allez abimer sa peau !
Il n'avait pas peur pour son robot, uniquement pour sa peau. Ce ridicule suffit à le convaincre d'appuyer sur la gâchette : la balle partit dans une petite explosion pour se loger dans la peau du robot... sans aller plus loin. Elle se délogea quelques secondes plus tard pour tomber au sol avec un bruit métallique. Jordan grogna en tapant du pied.
- Ah, bravo ! Maintenant, il a un trou dans le front. C'est pas trop joli !
- Mais... marmonna Joseph, qui ne comprenait plus rien.
- Faut vraiment tout vous expliquer ? Bon sang, j'ai pas que ça à faire...
Alors que le droïde serrait toujours plus fort sur les épaules d'Owen, lui avait tout saisi à ce qui venait de se passer. C'était même simple : les modifications que Jordan avait faites sur le robot l'avaient rendu plus solide. En général, le métal utilisé est très mince pour que le robot soit le plus léger et souple possible. Lui avait, au contraire, ajouté plusieurs couches pour qu'il soit plus résistant.
La douleur en devenant trop forte, Owen laissa échapper une plainte entre ses lèvres étroitement close. Ne supportant plus de voir son ami en d'aussi mauvaises postures, Joseph s'avança vers l'inventeur, profitant que l'androïde était déjà occuper à le tenir pour fouiller ses poches et en sortir le taser. Il recula à nouveau et chargea la machine sous les regards attentifs de Jordan et Megan.
- Désolé, Owen...
- Fais-le !
Joseph souffla un bon coup, puis tira sur le bras du robot. Owen en ressentis la décharge, aussi douloureuse soit-elle, le faisant presque convulser tout en hurlant de surprise et de souffrance. Le droïde, encore une fois, lui accorda à peine une oeillade ennuyée.
- C'est le tellure, signala Jordan. Vous vous souvenez ? Il ne conduit pas l'électricité. Du coup, ça lui fait rien du tout. Vous ne pourrez pas l'arrêter, dit-il avec un petit sourire en coin.
- Il va tuer Owen ! s'écria Joseph en se retournant vers son employé. Faites donc quelque chose !
- Jonas ! dit Jordan d'un air peu convaincu, mais sérieux. Lâche-le, maintenant !
Enfin, il obéi. Il laissa tomber Owen qui s'écroula dans un gémissement. Reprenant son souffle, l'inventeur leva la tête vers le robot qui venait de l'enjamber pour rejoindre son créateur. Il put enfin le détailler : la peau beige, les vêtements simples, mais élégants, même les souliers noirs qu'il avait au pied : tout laissait croire que ce n'était qu'un humain tout ce qu'il y a de plus normal. Évidemment, c'était tout le contraire. Il en fut brutalement remis à la réalité lors qu'il vit le dénommé Jonas empoigner son « frère » par la gorge et l'envoyer à l'autre bout de la salle sous les hurlements de sa femme.
- Vous avez pas fini de me donner des ordres ?! s'écria-t-il de sa voix trop grave. Foutez-moi la paix !
Puis le robot quitta la pièce sous quatre paires d'yeux écarquillés.
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