Chapitre 2

Malgré ce sentiment de nostalgie qui lui plombait le cœur dès qu'il croisait les yeux de Korie, Owen avait eu une belle soirée, tranquille à souhait. Comme il avait l'habitude de le faire, l'inventeur mit un film, affalé sur le divan de son salon. À l'autre extrémité du canapé, Korie regardait également, assis droit comme un i, remplissant ses dossiers internes autant par la culture générale que par le comportement humain que lui apprenait l'écran. Certes, c'était de la science-fiction, mais le robot savait faire la différence entre le réaliste et ce qui ne l'était pas... la plupart du temps.

À la fin du visionnement, il était plus de vingt-trois heures. Une longue journée de travail attendait Owen le lendemain, qui avait prévu revoir tous les codes de son nouveau système d'IA pour trouver où était le problème. Une date de sortie avait déjà été annoncée pour cet automne. Il n'avait pas une seconde à perdre.

- Bon, Korie, je vais me coucher. Tu sais ce que tu as à faire...

- Oui, monsieur.

Le robot sauta sur ses pieds pour s'emparer de la télécommande alors que l'inventeur partait déjà s'enfermer à la salle de bain.

En moins de dix minutes, Korie avait terminé son rituel de tous les soirs ; arrêter le film qui ne montrait plus que les crédits, éteindre la télé, fermer les rideaux devant les longues fenêtres qui faisaient tout le mur du salon, verrouiller l'entrée, s'assurer que le système de sécurité était en place. Mettre la viande refroidie au frigo.

Ensuite, seulement, il alla dans sa chambre. Owen ne se serait pas donné la peine de faire une pour un androïde s'il n'y avait pas déjà eu une pièce en trop dans l'appartement, qui appartenait jadis à l'autre Korie. Mais ça, il l'ignorait. L'inventeur ne lui en avait jamais dit un mot et le robot ne l'avait jamais questionné sur cette pièce, qui avait pourtant déjà un lit, un garde-robe bien rempli, des jouets électroniques, des photos et des affiches. S'il lui arrivait parfois de lancer des interrogations intelligentes, Korie n'était pas le moins du monde curieux. Il n'y avait que des êtres vivants pour faire preuve d'émotion.

Korie s'allongea sur le lit, posa sa boite ronde et métallique lui servant de tête sur l'oreiller. Il rabattit ses morceaux de peau en plastique au-dessus de ses caméras.

Les robots ne dorment pas. Ils se mettent simplement en veille.

*

2 h 57. Korie ouvrit les yeux et se redressa. Un signal d'alerte reçu par l'ordinateur qu'il avait à la place du cerveau l'avait extirpé de son mode « économie de batterie ». Il regarda partout alors qu'il recueillait les informations. Et quand il comprit enfin ce que cela signifiait, il sauta sur ses pieds et sortit précipitamment de la pièce.

La porte d'entrée était entrouverte. Quelqu'un avait pénétré dans l'appartement, et ce n'était bien sûr pas maitre Owen, qui dormait toujours à poings fermés dans sa chambre.

- Qui est là ? demanda Korie d'une voix neutre. Identifiez-vous.

Il s'avança lentement dans le logis, ses pieds nus claquant sur le carrelage froid. Il faisait sombre et le robot n'y voyait presque rien ; son œil gauche, inutile, projeta une lumière captée par le droit.

- Qui est là ? Identifiez-vous, ou la police sera avertie.

Toujours aucune réponse. Korie lança un signal d'alerte via son système Bluetooth sur le téléphone fixe, qui envoya automatiquement le message au 911.

Arrivé à l'entrée, il vit que la porte avait effectivement été ouverte. Korie la poussa doucement pour la refermer, mais ne tourna pas le verrou. Il se retourna pour avoir une vue d'ensemble sur l'appartement ; d'où il était, il apercevait tout. La cuisine et salle à manger sur sa gauche, le salon droit devant. Tout au fond, le mur en vitre voilée de longs rideaux gris. À droite, trois pièces ; la chambre de maitre Owen, une salle de bain, puis la chambre de Korie. Ce n'était qu'une modeste habitation, il savait son maitre capable de bien plus extravagant avec son salaire, mais il était satisfait de ce qu'il avait.

- La police est en route. Elle sera là dans approximativement six minutes. Identifiez-vous, je vous prie.

Korie commençait à croire que le voleur – parce qu'il y en avait forcément un – avait peut-être changé d'avis au dernier moment. Il aurait ouvert la porte, mais serait reparti aussitôt. Il ne serait pas dans l'appartement, il serait déjà ailleurs dans l'immeuble, à s'enfuir à toute jambe.

Ou peut-être également qu'il avait pris l'escalier de secours.

Korie s'approcha des vitres et repoussa un rideau pour regarder, de l'autre côté, l'escalier de métal, qui parcourrait la tour de haut en bas. Mais la fenêtre pour y accéder était verrouillée, ce qu'on ne pouvait faire de l'extérieur.

- Identifiez-vous, dit à nouveau le robot, sans plus y croire.

Il n'y a personne ici.

Korie retourna vers la porte d'entrée, dans l'idée d'y attendre la police et leur faire son rapport. Il s'excusera de les avoir dérangés avant de revenir s'allonger sur le lit, à patienter jusqu'au matin.

Le voleur s'est enfui quand il m'a vu arrivé. Je lui ai fait peur. Maitre Owen avait bien dit la veille que je fais peur.

Korie figea à moitié chemin ; ses hautparleurs avaient entendu quelque chose, provenant de la cuisine. Il alla aussitôt dans cette direction, faisant le moins de bruit possible, mais sa démarche maladroite le trahissait. Quand il trouva enfin le voleur, accroupi devant les armoires bas, l'homme l'avait vu aussi.

Il était habillé de noir dans son entièreté ; les souliers, les jeans, le sweat relevé au-dessus de sa tête. S'il y avait bien une chose que Korie détestait, c'était quand il était incapable de voir un visage. Évidemment que c'était son but, à ce voleur, de ne pas être reconnu. Mais pour le robot, qui ressentait le besoin d'analyser chaque figure, c'était un geste inutile qu'il fallait corriger.

- Identifiez-vous, dit Korie d'un ton presque menaçant. La police est en chemin. Elle sera là dans approximativement trois minutes.

L'homme l'ignora ; il avait compris, sans même lui lancer un regard, qu'il avait affaire à un simple androïde. Tout ce qu'il avait appris était qu'il n'avait plus que trois minutes pour trouver ce qu'il était venu chercher.

- Identifiez-vous ! Ou je me verrai dans l'obligation de vous arrêter.

L'homme figea, intrigué, avant d'enfin lever la tête vers Korie. Un robot voulait l'arrêter ? Ou n'était-ce qu'un gamin avec une drôle de façon de s'exprimer ?

Tous les droïdes, sans exception, étaient incapables de faire du mal à un humain. C'était dans leurs programmations, tout autant qu'ils leur étaient impossibles de mentir et de ressentir.

Mais Korie, avec ses quelques ratés dans ses systèmes, arrivait parfois à passer au-dessus des lois. C'était bien la raison pourquoi Owen le gardait ici, dans son appartement, et non ailleurs, en contact avec d'autres gens.

- Identifiez-vous, répéta Korie. C'est mon dernier avertissement.

Le voleur, qui ne comprenait rien à son drôle de comportement, commençait à avoir peur. Il n'en avait que faire de la police, il était doué pour leur échapper. Mais si un robot décidait qu'il devait le tuer, il n'avait plus qu'à faire ses prières.

Alors, sans laisser le temps à cette machine de l'attaquer, il se leva pour lui faire face, sortit un pistolet surmonté d'un silencieux, brandit la tête et tira.

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