Chapitre 19

La nuit était tombée depuis un moment quand Owen avait enfin regroupé son courage pour passer à l'action, la vraie action. Pas celle qu'on regarde depuis un écran, mais celle qu'on vit, avec un pistolet entre les mains et un taser à la ceinture.

- T'es sûr de vouloir faire ça, Owen ? demanda Joseph pour la vingtième fois.

Owen serra les poings sur le volant de sa Ferrari, l'exaspération montant contre son ami. Si Joseph ne voulait rien faire, tant pis, mais Owen en avait besoin. Il avait besoin autant de la vérité, de connaitre le fin fond de cette histoire, à la limite l'identité du voleur, et autant besoin, en cas d'échec, de se sentir vivant. Car la mort commençait étrangement à provoquer une certaine attirance envers lui.

Aujourd'hui, il avait tout perdu. Pour ce qu'il lui restait de possibilité, c'était sois se lancer dans la gueule du loup, sois se lancer du haut de son immeuble.

- Arrête, Joe, j'en ai assez de m'expliquer toutes les dix secondes. Je vais le faire, et c'est tout !

Avant de l'entendre répliquer encore une fois, Owen enfonça un bouton de sa radio rageusement, faisant taire la voix de Joseph. Il leva ensuite les yeux vers la route pour se repérer, malgré son GPS qui le guidait. En un temps à la fois trop rapide et trop court, selon le point de vue, il était arrivé à destination. Il roula encore un peu pour se stationner hors de vue, sa Ferrari attirant trop les regards pour les circonstances. Il s'arrêta devant un petit resto, puis, en quelques secondes de plus pour se convaincre que c'était la seule chose à faire, cacha son pistolet et son taser à sa ceinture, sous son blouson, et sortie de sa voiture. Il marcha un moment sur le trottoir, les doigts agités de tic nerveux, et arriva face au fameux immeuble miteux, d'environ cinq étages et entièrement fait de briques quelque part entre le brun et le rouge. La clôture qui l'entourait faisait deux mètres de haut, impossible pour Owen de grimper avec ses piètres talents gymnastiques. Il continua encore un peu jusqu'à être caché par l'ombre d'une ruelle, puis sortie de sa poche un petit instrument qui ressemblait à un simple stylo à bille. Mais autre qu'une lame de bronze céleste, il n'en jaillit qu'une mince lumière rouge. En posant la pointe du bic sur la grille, elle fondit presque instantanément. Owen dessina une ligne verticale avec le laser, ouvrant un passage à travers la clôture, puis le rangea à nouveau dans sa poche. Nouvelle grande inspiration, puis il se pencha pour traverser la brèche.

Ça y est, je suis à l'intérieur. De plus en plus anxieux, Owen lança une oeiade en direction de la rue. N'importe qui ayant le malheur de tourner la tête risquait de le remarquer, et de le reconnaitre, surtout. Parfois, être une célébrité avait plus de mauvais côtés que de bon. Même beaucoup plus.

Pendant qu'Owen cherchait une ouverture derrière le bâtiment, préférant éviter l'entrée principale, toutes ses mésaventures dues à sa popularité lui revenaient en mémoire. Les paparazzis, les journalistes qui déformaient tout ce qu'il disait. Quand il ne faisait qu'un tour à la pharmacie pour acheter du dentifrice et, soudainement, une greluche hyper maquillée et botoxée se mettait à le draguer, alors que sa femme n'était qu'à deux pas de lui. Avec un rictus nostalgique, il se rappela Korie, déboulant dans leur appartement en défonçant presque la porte, le visage figé entre la panique et le fou rire.

- Oh, mon Dieu, papa ! J'ai expérimenté ma première Gold-digger ! C'était trop drôle ! Mais... (son sourire avait diminué de moitié, ses yeux pétillant toujours d'une vive lueur d'amusement) Emma l'avait trouvé un peu moins amusant...

Partagé entre l'envie de rire et de lui expliquer la situation, il n'avait pas remarqué aussitôt que sa joue gauche était étrangement rouge.

Revenant brutalement à la réalité, Owen se rendit compte qu'il était face à ce qu'il cherchait : une vieille porte défoncée, pendu sur ses gonds, ouvrant sur les ténèbres. Réprimant un frisson, Owen s'avança courageusement. Il repoussa la porte, qui produit un grincement sinistre, et fit un pas de plus pour entrer dans l'immeuble. Il fut aussitôt envahi par l'obscurité ambiante et la sensation qu'il n'avait rien à faire là le prit par les tripes, lui criant sors d'ici tout de suite ! à répétition dans les tympans.

Owen n'avait jamais été du genre téméraire : ce trait de caractère pourtant bien présent chez sa progéniture avait dû être hérité du côté maternel. Même dans sa jeunesse, à l'école, il était étiqueté « le geek qui passera sa vie dans un petit bureau ». Mais tel Superman, il ne fallait jamais sous-estimer le geek et son petit bureau.

Bon sang, le stress me fait penser n'importe quoi.

Owen tapota ses poches à la recherche d'une lampe torche, mais avant qu'il ne put la trouver, une vive lumière provenant d'au-dessus de lui l'éblouit et la conviction que les extraterrestres étaient venus le chercher lui fit lever les yeux vers le plafond, arrêtant de respirer sous la peur. Mais la source de cette lueur n'était qu'un petit drone en forme de boule qui flottait.

- Je ne pouvais pas te laisser pénétrer là-dedans seul, en surgit la voix de Joseph dans un murmure.

Owen poussa un long soupire avant de lancer un regard vers le drone en secouant lassement la tête.

- N'essaie pas de me décourager : je vais entrer, trouver le droïde et le désactiver ! Et le voleur, je vais lui...

- Je t'arrête tout de suite dans tes menaces de mort puériles. Ils sont partis.

Owen grogna, de plus en plus frustré. Encore un échec à ajouter à la longue liste ?

- Le robot, lui, il est encore là ?

- Ouais, dit Joseph à regret. T'as qu'à me suivre.

Le drone fit demi-tour, envoyant un courant d'air tiède dans la nuque d'Owen, et s'engagea dans un long couloir particulièrement lugubre. Les murs en plâtre beige étaient défoncés de partout, la peinture écaillée. De la mousse noire d'humidité tentait de s'approprier les lieux. Owen avançait précautionneusement dans ce qui lui faisait moins penser à un corridor qu'à un tunnel, l'étrange impression qu'il était une blonde dans un film d'horreur lui rongeant les tripes. Il suivit le robot dans des escaliers branlants et grinçants, plusieurs couloirs dans un état toujours pire que le précédent, jusqu'à ce qu'il arrive à l'étage qu'ils avaient vu par les images du drone, un peu plus tôt.

- Il est dans cette pièce, du Joseph en tournant le drone en direction d'une porte.

- En mode veille ou éteint ?

- Je ne saurais le dire...

Owen pinça les lèvres et sortit le taser de sa ceinture.

- Souhaitons qu'il soit éteint.

L'inventeur croisa les doigts, prit une grande inspiration, puis poussa la porte en brandissant son taser devant lui comme une épée. Il figea dans cette position de longue seconde, s'attendant à tout instant à ce qu'un géant de métal ne s'élance sur lui. Mais non : cette pièce était tout aussi inanimée que le reste du bâtiment. Encore heureux que ce ne fût pas la Maison Monstre.

- Je crois qu'il est éteint, dit Joseph.

Le drone alla lentement vers le robot, suspendu par des chaines pendant du plafond, les pieds à cinq centimètres du sol. Owen s'avança à son tour après un moment d'hésitation, le taser toujours bien serré dans son poing, prêt à balancer une charge électrique suffisante pour, non seulement court-circuiter l'androïde, mais pour en faire fondre ses câbles. Il avait préféré ne pas prendre de risque sur le sujet.

- OK... murmura Owen pour se donner un peu de courage. OK, s'il est éteint, c'est que je ne crains rien.

Owen fourra le taser dans la poche de sa ceinture, sortit un tournevis de son autre poche et contourna le robot pour avoir accès à son crâne de métal. Il prit un escabeau qui trainait dans un coin et grimpa dessus pour se mettre à la bonne hauteur.

- Steel, approche-toi pour m'éclairer.

- Comment tu m'as appelé ? répondit Joseph.

Owen leva les yeux vers le drone qui flottait au-dessus de lui, déversant sa lumière sur la tête du droïde. Il sourit avant de reporter son attention sur son travail.

- Laisse tomber. Je dis n'importe quoi quand je suis sur les nerfs.

- J'avais cru remarquer.

Tel le brillant inventeur qu'il était, il ne lui fallut pas deux secondes pour trouver le bouton qui lui permit d'ouvrir le crâne de l'automate. Le drone s'approcha un peu plus pour l'éclairer. Parmi tous les câbles et les bouts de métal qui donnait plus ou moins la forme d'un cerveau humain, Owen avisa qu'il était différent. Il grogna de mécontentement : le voleur avait non seulement travaillé sur le robot, il avait aussi touché à son cerveau. Et à voir le résultat, c'était tout sauf professionnel.

- Ce mystérieux inconnu a vraiment fait n'importe quoi, là-dedans. Il s'est pris pour Frankenstein, je te jure !

Owen haussa les épaules, résignées. Peu importe : je suis ici pour le détruire, de toute façon ! Il leva son ciseau/tournevis tel un scalpel, puis l'enfonça dans le cerveau mécanique, dans le but de couper autant de fil que possible. Mais il eut à peine effleuré le premier que le robot prit soudainement vie, comme s'il avait actionné le mauvais système nerveux. Toujours suspendu à ses chaines, l'androïde se retourna vers Owen, qui glapit de surprise et tomba de son escabeau, s'affalant de tout son long sur le sol crasseux.

- Mon Dieu ! s'écria Owen, le cœur pompant à toute vitesse.

- Sort de là ! dit Joseph.

- Non... c'est bon, il est encore attaché.

Allongé sur le plancher, Owen se releva sur un coude et observa avec une curiosité morbide le robot qui tendait ses bras vers lui, essayant vainement de l'attraper. Ses yeux bruns, à l'apparence parfaitement humaine, étaient braqués sur lui avec une visible envie de meurtre.

- Vous n'êtes pas autorisé à être ici, dit Cyborg d'un ton neutre.

- Qui est ton propriétaire ?

- Un mot de passe est requis pour avoir accès à cette information.

- Mot de passe : 934 -BI-54.

- Incorrecte.

Owen fronça les sourcils en se relevant enfin, époussetant ses vêtements chics et poussiéreux. Oui, les propriétaires pouvaient choisir un mot de passe personnel pour leur robot, mais Owen en avait aussi installé un que seuls lui et Joseph connaissaient, pour avoir accès aux renseignements basiques tels que le nom d'un titulaire. Si le robot ne voulait pas parler, il ne répondra à rien du tout.

- Y a-t-il quelque chose dont tu as la permission de me dire ?

L'androïde se détendit enfin, comme résigné qu'Owen était trop loin pour qu'il puisse l'attraper, puis empoigna les chaines qui le retenait. Une lumière bleutée sortie de l'œil gauche du droïde, éblouissant Owen pendant une seconde avant qu'elle ne disparaisse à nouveau.

- Vous êtes Owen Buchanan. J'ai autorité de vous tuer si vous m'apparaissez entre ce soir, vingt heures, et demain matin, huit heures.

Owen déglutit nerveusement, puis baissa son regard vers sa Rolex. Vingt-et-une heures. En reportant son attention au robot, il le vit tirer sur les chaines, qui se décrochèrent avec un atroce bruit de ferraille. L'androïde tomba sur ses pieds, accroupi, avant de se relever lentement de toute sa hauteur, dominant Owen de trente centimètres.

- Et maintenant, tu vas sortir de là ? s'écria la voix de la raison — ou de Joseph, plus vraisemblablement — au-dessus de sa tête.

- Oui... bonne idée ! couina Owen.

Et il prit ses jambes à son cou, courant aussi vite que sa piètre condition physique lui permettait, Robocop sur les talons. Tout en détalant comme un lièvre pourchassé par un renard, l'inventeur fouilla fébrilement à sa ceinture à la recherche du taser, sans le trouver. Merde ! pesta-t-il, alors qu'il avait déjà dévalé un étage et que des pas lourds le suivait de près, l'empêchant de faire demi-tour. Le taser est sorti de ma poche quand je suis tombé ! Il ne lui restait plus que le pistolet, qui ne saurait pas compter grand-chose contre un robot. Mais puisque c'était sa seule option, il risqua le tout pour le tout. Il prit l'arme à feu, retira le cran de sureté et tira à l'aveuglette au-dessus de son épaule, à plusieurs reprises. Les balles rebondissaient contre son épais corps de métal et se fichaient dans les murs, comme s'il n'y avait pas déjà assez de trous.

Au loin, Owen voyait le bout du tunnel. Peut-être réussira-t-il à sortir de ce vieil immeuble... mais dans ce cas, le robot le suivra tout de même et attaquera les piétons dans la rue. Quelle était la chose à faire, maintenant ? Sauver sa vie et mettre celle des autres en péril ? Ou arrêter de se battre pour cette vie qui, depuis un temps, ne faisait que devenir de plus en plus merdique ? Le choix était difficile, mais il penchait progressivement vers la seconde option.

À moins de cinq mètres de l'entrée, une poigne puissante lui compressa douloureusement l'épaule, le forçant à stopper sa course. Une deuxième l'agrippa par la nuque, les doigts de métal froid lui donnèrent des frissons le long de l'échine.

Ça y est, je suis à mes cinq dernières secondes d'existence.

Puis une sensation atroce lui parcourra le corps, en provenance des mains du robot. Owen s'écroula et se replia en position fœtus, secoué de spasme et de convulsion. La bile lui remonta à la gorge, l'étouffant presque, coulant entre ses lèvres en une flaque sur le plancher de bois moisie.

- Owen... Je suis désolé.

Difficilement, l'inventeur leva les yeux vers le drone qui flottait à vingt centimètres au-dessus du sol. Par deux petites ouvertures sous son ventre, de courts bras de T-rex étaient tendus devant lui, un taser entre ses six doigts.

- C'est plutôt compliqué de tenir des choses avec ces pinces, s'excusa Joseph. Et encore plus d'appuyer sur un bouton pour envoyer la décharge. Je ne savais pas qu'il te touchait quand j'ai enfin compris comment faire...

- C'est bon... tu as... bien fait... marmonna Owen. Une... une sec... onde de plus et... il me tuait...

- Tu vas bien ?

- Je me sens... comme un spaghetti trop cuit.

Owen éclata d'un rire débile avant de grimacer au gout acide qui lui était resté dans la bouche. En petit mouvement douloureux, comme s'il était lui-même un robot rouillé, il se mit assis pour regarder, à ses côtés, le Terminator déchu. Il était allongé de tout son long, face contre terre, les membres encore raidis dans une position de Superman en plein vol.

- Au moins... maintenant, il... ne pourra plus se défendre, haleta Owen, une main pressée contre son cœur. Bon sang... je suis... trop vieux pour ça...

- Tu as mérité ton congé, Owen. Mais prends quand même l'IA, OK ?

Owen hocha la tête, malgré qu'il aurait préféré s'étendre là et dormir pour la nuit. Il se traina jusqu'au droïde à quatre pattes et, précautionneusement, donna plusieurs coups de jointures sur son crâne, pour s'assurer qu'il était vraiment mort. Mais le robot frémit, une lueur bien vivante illumina ses yeux, ses mains à plat contre le sol se refermèrent soudainement en éraflant les lattes de bois. Owen hurla comme une petite fille sous le coup de la panique, se releva d'un bon et s'enfuit hors du bâtiment.

- Owen ! s'écria le drone derrière lui. Il ne peut pas être encore fonctionnel, avec la décharge qu'il a reçue.

- Qui sait quel genre de modification le voleur lui a faite. Il connait peut-être un moyen de les rendre résistants au taser !

Saisi de doute, Owen s'arrêta tout de même de courir pour risquer une oeillade au-dessus de son épaule. Il était arrivé dehors, dans la cour bétonnée, craquelée et parsemée de touffe d'herbe, à peine éclairée par la pollution de lumière qui semblait faire luire la mince couche de brume autour de lui. À une dizaine de mètres devant lui, le robot se tenait là, bien fonctionnel, debout dans l'encadrement de la porte défoncée, lui lançant un regard meurtrier.

- Nope !

Le brillant inventeur tourna les talons, les bras au-dessus de la tête et prit ses jambes à son cou.

------

Qui a compté le nombre de référence stoqué là-dedans ? 😅

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top