Chapitre 14

- Tobi, tu vas bien ? Tu as l'air étrangement sur les nerfs.

Tobias, la bouche pleine, leva les yeux vers sa mère Mélissa, une femme minuscule aux cheveux grisonnants. Enfin, maman, y'a pas de raison de stresser. Y'a que le robot de mon meilleur ami décédé qui glande dans ma chambre. Il se pencha un peu plus au-dessus de son assiette de poulet, patate pilée et quelques légumes, préparés par Steward.

- J'ai un gros examen de chimie qui arrive, dit Tobias en essayant d'avoir l'air décontracté. C'est ma matière la plus faible.

- J'ai bien remarqué que tes notes n'étaient pas aussi hautes que l'année dernière, dit cette fois son père, Arthur Conner, un homme de quarante ans qui en faisait cinquante avec son crâne dégarni.

- Tu comprends le principe que, chaque année, ça devient plus difficile ? dit Tobias en grognant d'ennuis. Ce serait suspect si j'avais de meilleures notes que l'an dernier ! Et tout ce qui concerne la science, surtout, alors que Stuyvesant ne fait pratiquement que de la science...

Tobias préféra s'arrêter de parler. Oui, l'an dernier, il avait de bien meilleures notes, mais ça, c'était parce qu'il avait l'aide de Korie qui, tel père tel fils, était excellent dans toutes les matières. S'il ne faisait plus de quatre-vingt-dix pour cent, il ne faisait jamais en dessous de soixante-quinze. C'était satisfaisant pour lui, mais faible pour ses parents qui s'étaient habitués à plus.

- Je sais que tu peux faire mieux, dit Arthur. Si je disais... si tu fais au-dessus de quatre-vingt-cinq, je t'emmène à Central Park !

Son père sourit fièrement à la proposition. Tobias demeura stoïque, le regardant d'un œil mort.

- Dix dollars en taxi et j'y suis, à Central Park. Avec un peu de volonté, je pourrais y aller à pied.

- Oh, j'essaie seulement de te trouver des récompenses !

- Mais ça va, j'ai pas cinq ans ! J'ai pas besoin d'une balade au parc pour me booster !

Surtout que ce test de chimie n'était qu'un mensonge inventé sur le tas. Il n'avait pas besoin que ses parents s'investissent à ce point...

Soudain, un bruit le fit sursauter sur sa chaise. Toute la petite famille se redressa pour regarder en direction de la chambre de Tobias : une musique rock venait de démarrer, crachant le son à plein volume. Tobias sentit tout le sang quitter son visage. Il joue à quoi, l'automate ?! Il veut ma mort !

- C'est... mon hautparleur, il bogue depuis un temps... ouais, papa, si j'ai au-dessus de quatre-vingt-cinq, j'en veux un nouveau !

Sans attendre la réponse de son père, Tobias se leva d'un bon et se précipita vers sa chambre, le cœur au bord des dents. Il ouvrit la porte pour la refermer dans un claquement derrière lui. À l'intérieur, il trouva Korie penché à la fenêtre, son téléphone portable à la main.

- Qu'est-ce que tu fous ?! murmura Tobias d'une voix étrangement aigüe. Je t'avais dit de pas faire de bruit !

Korie leva lentement les yeux vers lui, avant de les abaisser à nouveau vers la vitre. Il lui fit signe du doigt de s'approcher et, d'un autre, pointa la rue visible d'ici.

Tobias fit un pas, appréhendant ce qu'il allait y découvrir. Le NYPD ? La CIA ? Le SWAT ? Malheureusement pour lui, il avait deviné juste. Trois bagnoles de police étaient stationnées n'importe comment devant l'immeuble, empêchant les piétons de passer et forçant les voitures à les contourner. Il vit les hommes sortir par groupe de deux avant d'entrer au pas de course dans l'appartement.

- Oh non, oh merde... Je veux pas aller en prison. Pas pour toi.

Korie pressa son pouce contre l'écran tactile du téléphone, arrêtant la musique qui jouait toujours, avant de le rendre à son propriétaire.

- Je vais attendre qu'ils ne soient plus devant la fenêtre pour qu'ils ne puissent voir à quel étage je suis. Ensuite, je saute...

- Nah, tu sautes pas ! On est au cinquième !

Korie lui lança un regard en coin, l'air de se demander si la hauteur était vraiment un facteur à prendre en considération.

- OK, peu importe, fait comme tu veux... mais tu fous le camp d'ici ! Je vais prévenir Levis, et... on verra après. (Il observa l'écran du téléphone, avant de lever les yeux vers le robot.) À vingt heures précises, allume le signal. Je t'enverrais un message. On décidera de la suite...

- D'accord. Merci pour ton aide, Tobias.

Korie baissa à nouveau ses caméras vers la fenêtre : tous les policiers étaient entrés dans l'immeuble.

- Pas de quoi. T'as quand même le visage de mon meilleur ami, c'est difficile de passer à côté ! Pars, maintenant...

Tobias lui fit un petit mouvement de la main vers la vitre, comme pour dire « dépêche-toi ! » Korie hocha la tête, lui fit même un sourire en coin, puis ouvrit la fenêtre avant de sauter. Tobias se précipita pour regarder, assuré qu'il ne verrait en bas qu'un tas de métal écrabouillé, mais trouva Korie accroupi avec une réception de superhéros. Il se redressa, donna un coup de pied dans l'une des voitures de police, qui se mit aussitôt à hurler. Les policiers sortirent de l'immeuble et, enfin, Korie couru à pleine vitesse de sa démarche maladroite qui, aux yeux de Tobias, semblait s'être un peu améliorée au cours de la journée.

Tobias ferma la fenêtre avant de s'en éloigner. Il souffla, rejeta la tête par en arrière et d'éclata d'un rire débile. Bon sang, dans quoi je me suis foutu ? En un moment de nostalgie, tous les paris idiots et dangereux qu'ils avaient faits tous les trois, Korie, Levis et lui l'an dernier lui revinrent en mémoire. Quand, au zoo de central park, Korie avait sauté dans l'enclos des otaries pour nager avec eux. Quand, au sommet de l'Empire State, lui-même avait tenté de recréer la fameuse scène de King Kong. Quand Levis avait lourdement dragué - avec succès ! - une professeure-remplaçante.

Finalement, on n'est pas plus idiot maintenant que l'an dernier.

Le sourire aux lèvres, Tobias sortit de sa chambre et retourna à table avec ses parents qui ne se doutaient de rien. En prenant nonchalamment une bouchée de poulet, il tapa un message pour Levis sur son téléphone.

- Pourquoi tu souris comme ça ?

Tobias leva les yeux vers sa mère, s'efforça d'arrêter de rire, mais la pression était trop forte. Pourquoi je suis joyeux alors que Korie numéro deux est en train de se faire poursuivre par la police ?

- Juste des souvenirs qui me reviennent en tête.

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