Chapitre 11
Korie avait refait le chemin inverse, incertain de la direction à prendre. Il ne pouvait plus se fier au GPS, les enseignes indiquant le nom des rues ne lui disaient absolument rien, et il ne reconnaissait pas le décor qui, pour lui, était identique depuis n'importe quelle zone de la ville. Il avait lutté pendant un long moment contre l'envie de se reconnecter quand, enfin, il croisa les garçons sur le trottoir, par un pur hasard.
- Hé, mais qui voilà ? s'écria Tobias avec un sourire en coin, levant les bras comme pour faire une accolade.
- Je suis Korie, dit le robot, stoïque. As-tu oublié ? Je me suis déjà présenté.
Levis, un pas derrière son ami, pouffa de rire en se couvrant la bouche de sa main. Korie préféra ignorer le « purée » qu'il marmonna.
- Et maintenant ? Tu avais dit que nous devrions allez chez toi, dit Korie en braquant ses caméras sur Tobias.
- Oui, t'as qu'à nous suivre, dit Tobias en continuant son chemin, entrainant Korie avec lui d'une main sur son épaule. Alors, ça fait quoi d'être déconnecté ?
- Je me sens plus humain que jamais.
- Ouah, c'est trop bien, on devrait réincarner d'autre mort et en faire toute une communauté. Tu crois qu'Owen pourrait me faire un robot à l'effigie de Noisette, mon défunt Schnauzer ?
- Ce serait possible. (Korie plissa les yeux, avant de se retourner pour faire face au brun.) Était-ce du sarcasme ?
- Ouais. Merde, un droïde qui comprend le sarcasme ! Pour un peu, je me foutrais à poil et me mettrais à prier Jésus pour un miracle.
- Pourquoi ferais-tu une chose pareille ?
- Oh, laisse-le, Levis ! s'écria Tobias. Tu vas le faire surchauffer.
Tobias resserra sa poigne sur l'épaule de Korie et accéléra le pas. Mal à l'aise, les garçons ne dirent presque plus rien durant tout le trajet, jusqu'à ce qu'ils furent arrivés devant, sans surprise pour Korie, un immeuble. Tobias l'entraina à l'intérieur, où ils trouvèrent rapidement un ascenseur. En entrant dans la cage, le blond appuya sur le bouton numéro cinq pendant que le brun allait s'adosser dans un coin.
Korie regarda un peu partout autour de lui. Si dans celui de l'appartement d'Owen, tout était d'une jolie couleur grise chromée avec un tapis rouge, le luxe était moins présent ici. L'ascenseur était littéralement une cage : des murs de grilles où l'on pouvait voir de l'autre côté le bois noirci. Le mécanisme produisait un grincement déroutant en montant tant bien que mal les étages.
- Je sais, dit Tobias alors même que Korie ouvrait la bouche. C'est pas très charmant. Mais on peut pas tous être des gosses de riche, dans la vie !
- Je me souviens comment ça t'avait angoissé quand le vrai Korie voulait voir ton appart, dit Levis avec un petit sourire hypocrite.
- Comment avait-il réagi ? demanda le robot, curieux.
L'ascenseur arriva à destination, s'arrêtant avec un bruit de ferraille plutôt inquiétant, et Tobia tira sur la grille qui servait de porte pour en sortir. Les deux autres lui enjambèrent le pas et Tobia la referma en poussant de toutes ses forces. Il souffla, jura à mit-mot, puis tourna les talons pour s'engager dans le couloir en plancher de bois défraichi et au mur beige, sans aucune trace de décoration.
- Il avait regardé partout d'un air étrange. On aurait dit qu'il craignait sérieusement que le toit ne lui tombe sur la tête. Et après une longue minute, il avait éclaté de rire en disant : « ça fait beaucoup plus naturel que chez moi ». Puis il avait pris son appareil photo — qu'il trainait toujours avec lui —, il était allé au bout du couloir et avait prit une photo, un genou à terre et se mordant la langue.
Tobias sortit son téléphone de sa poche et montra la photo en question à Korie. C'était sans aucun doute le même endroit, mais en noir et blanc et quelques retouches : le mur du fond avait été retiré. Maintenant, on ne voyait qu'un couloir s'allongeant à l'infini.
- Pourquoi a-t-il fait ça ? fit Korie en rendant l'appareil à Tobias.
- Oh, j'en sais rien, parce qu'il avait envie de prendre le couloir en photo, peut-être ? dit Levis en roulant des yeux.
- Mais pourquoi avait-il cette envie ?
- Purée, tu poses encore plus de questions qu'un gosse de cinq ans ! Qu'est-ce que j'en sais, moi, va demander à son fantôme !
- Levis, dit Tobias en lui envoyant un regard menaçant. Laisse-le tranquille, avant qu'il ne sorte le Terminator qui est en lui.
Korie voulut lancer une recherche sur « Terminator » dans l'espoir de saisir la référence, mais fut bloqué par le signal. Il fallait l'activer pour avoir accès à l'internet, ce qui lui était impossible. Korie détestait ne pas comprendre — c'était bien pourquoi il posait si souvent des questions à Owen, quand il était encore son maitre —, mais c'était une époque résolue. Après tout, qui dit humain dit ignorance.
Arrivé devant la porte cinquante-deux, Tobias fouilla quelques secondes dans ses poches pour ensuite en sortir une clé qu'il inséra dans la serrure. Il la tourna dans tous les sens en jurant pendant une vingtaine de secondes avant d'enfin gagner le combat. Il ouvrit, présenta l'intérieur à Korie qui y pénétra lentement, regardant dans chaque recoin. Il entra directement dans une cuisine. Au-delà, à peine un mètre plus loin, il y avait une petite table à manger en bois, qu'il fallait contourner pour avoir accès au salon. Un couloir de côté menait à trois portes, toutes du même côté.
- Trois êtres humains habitent ici ? demanda Korie, suspicieux. C'est minuscule.
- L'autre Korie avait plus de tact, pouffa Levis à l'oreille de Tobias.
Tobias hocha la tête en soupirant. Ça, c'est sûr.
- Monsieur Tobias ! s'écria une voix mécanique.
Korie se tourna vers la voix et eut la surprise de rencontrer un robot. En dehors de lui-même, c'était la première fois qu'il en voyait un. Il se sentit chanceux d'avoir l'apparence d'un garçon ordinaire ou presque en aperçevant la boite de conserve sur patte qui lui faisait face. Un tronc cylindrique, sans aucune forme et de couleur grise, des jambes et des bras qui ressemblaient un peu trop à des lampes de chevet articulé. Une tête bien ronde avec des yeux globuleux, sans paupière, sans iris. Il n'y avait que plusieurs cercles formant les lentilles des caméras. Enfin, une perruque de cheveux courts et noirs était attachée sur son crâne avec un élastique passant sous ce qui lui servait de menton, accompagné d'une fausse moustache bien garnie. Korie eut presque envie d'éclater de rire en voyant cette chose.
- Yo, Steward ! s'écria Tobias en lui donnant un coup de poing amical dans l'épaule. Fais-moi un smoothie aux bananes.
- Deux smoothies, spécifia Levis.
- Bien sûr, tout de suite ! dit Steward le robot. Et vous, jeune homme ?
Korie resta interdit, continuant de le dévisager. Il ne se rendait même compte qu'il était lui-même un robot ?
- Rien pour moi, dit-il enfin.
Steward les contourna difficilement d'une démarche encore plus gauche que celle de Korie : il semblait à peine tenir debout. On l'aurait dit sortie tout droit d'un film de Star Wars.
- C'en est presque drôle, dit Tobias, l'observant s'activer dans la cuisine. Il ne s'est pas rendu compte que tu es un robot. Mais il ne t'a pas reconnu comme étant Korie.
Tobias les entraina aux salons, où les deux garçons se laissèrent tomber dans le canapé. Korie s'assied entre les deux, bien droit, les mains sur les genoux.
- Je ne suis ni l'un ni l'autre. Il semble provenir d'un modèle très ancien !
- Oh, pas tant que ça ! s'empourpra Tobias. C'est toi qui es tout jeune. Dis, t'es en fonction depuis combien de temps ?
- Cinq mois, deux semaines, trois...
- C'est bon, pas besoin d'être aussi précis ! T'as un numéro de série, au moins ?
- Pourquoi veux-tu savoir ça ?
- Je suis curieux.
Korie essaya de déterminer si c'était insultant ou non, mais ne trouvant rien de méchant dans la question, décida de remonter la manche gauche de son sweat et de présenter son avant-bras au blond. Il lui prit la main pour regarder de plus près le tatouage qui y figurait : « PRTTP KORIE – v. 1.2-993.23.85 »
- Ça veut dire quoi prttp ? demanda Levis, qui s'était penché au-dessus de l'épaule de Korie.
- Prototype.
- Version 1.2 ? dit Tobias en tapotant les chiffres. Y'a eu d'autres versions avant toi ?
- D'autre prototype non concluant de mon IA.
- Oh.
Tobias sortit son téléphone de sa poche et y recopia le numéro de série, puis lança une recherche sur Google. Il se mordit la lèvre un long moment, avant d'abandonner en soupirant.
- Ça me donne rien du tout. Pour sûr, tu es unique en ton genre !
- Je sais.
Levis pouffa de rire en secouant la tête, impressionné par tant de modestie.
- Mon modèle d'IA est unique, spécifia Korie, mais il existe d'autres robots conçus pour ressembler aussi fidèlement que possible à des êtres humains.
- Pas d'autre Korie, j'espère ?!
- De cette apparence particulière, je suis le seul.
Levis et Tobias laissèrent échapper un soupir de soulagement à peine subtil. Steward l'androïde arriva ensuite devant eux, un plateau entre les pinces lui servant de mains contenants trois smoothies.
- Voilà pour vous, jeunes gens !
- Pourquoi trois smoothies ? s'énerva Tobias. On en voulait que deux.
- Vous en vouliez un, et monsieur Levis en avait demandé deux, répondit doucement le robot.
Levis se donna une grande claque sur le front en grognant, comprenant la bourde qu'il avait faite.
- J'avais pas dit que j'en voulais deux. Je t'avais dit d'en faire deux en tout !
- Ce n'était pas clair, monsieur.
Levis voulut insulter la boite de conserve sur patte, mais se ravisa en se rappelant qu'un modèle bien plus performant et rebelle était assis juste à côté de lui. Qui sait s'il aurait envie de le protéger, ou tiens, de le venger ? Korie, pourtant, observait simplement la scène.
- C'est bon, Stew, va en cuisine, dit Tobias en prenant son frappé aux bananes. Et restes-y.
- D'accord, monsieur Tobias.
Sans rechigner, le robot tourna les talons et retourna se cacher. Tobias s'enfonça un peu plus profondément dans son coin tout en portant la paille de son verre entre ses lèvres. Lui aussi avait envie de dire plusieurs insultes, mais se ravisa pour les mêmes raisons que Levis. Il n'y avait plus qu'un grand silence flottant entre les garçons et Korie.
- Quand vais-je pouvoir retrouver Emma ? demanda Korie au bout de quelques secondes.
- Pas aujourd'hui, c'est certain ! s'écria Levis. Chaque chose en son temps. Laisse-moi lui parler d'abord.
- Pourquoi te laisserais-je parler pour moi ? Tu ne m'apprécies pas.
- Bon, t'es un robot ! t'es pas censés remarqué ça !
- Et pourtant, je l'ai remarqué, dit Korie en lui lançant un regard noir. Peut-être est-ce parce que je ne suis pas qu'un robot ?
- OK, on se calme ! dit cette fois Tobias, qui avait déjà bu la moitié de son jus. Levis, arrête de le provoquer. Mais, Korie, il a raison ! Tu ne peux pas te pointer devant Emma, juste comme ça. Il faut lui laisser un peu de temps.
- Pourquoi tu ne lui parlerais pas, toi ? Tu me sembles plus poli.
Levis pouffa à nouveau de rire, mais Tobias l'ignora.
- Levis est plus proche d'Emma que moi. On est pas trop compatible, surtout depuis la mort de l'autre Korie. J'étais son meilleur ami, on était toujours ensemble... et apparemment, je le lui rappelle trop. Ou je sais pas trop, mais depuis, elle veut même plus m'entendre parler. Enfin : la logique des filles !
- Les filles ont une logique différente des garçons ?
- Bien sûr, dit Tobias en roulant les yeux, comme si c'était une question particulièrement idiote.
- Je m'occupe d'Emma, dit Levis. Et toi, tu t'occupes de Korie ! (Il but une grande gorgée de smoothie, vidant presque tout le verre, avant de reprendre :) Ne laisse surtout pas tes parents le voir... ou ça risque de barder.
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