Rabbit Quest - Partie VIII
Nous nous quittons donc, lui pour aller chercher la friandise pour son chien et ma boisson, le gosse et moi pour ranger les lapins. Ah, comme j'ai hâte de sentir la douceur de la mousse sur mes lèvres et la fraîcheur de l'alcool glisser le long de ma gorge ! Courir à droite à gauche à la recherche de bestioles, ça fatigue, ça donne soif et ça fait mal aux pieds, l'air de rien !
Lorsque nous atteignons la maison, je m'assois à l'ombre en attendant que le môme rentre ses bêtes. Comme tout à l'heure déjà, il lui faut un long moment pour leur parler, les rassurer, les dorloter, si bien que Sigvard nous retrouve avant même qu'il ait terminé. Il vient me rejoindre, deux bouteilles brunes à la main.
— Et voilà, une bière pour la chasseuse de lapins ! s'exclame-t-il.
Je la prends, ravie.
— Merci. Mais je préfère Hache-Sanglante, comme surnom.
— Question d'habitude, je suppose.
— Ça fait surtout moins stupide que chasseuse de lapins, déclaré-je. Surtout pour une guerrière qui chasse des dragons et compte bien renvoyer les elfes chez eux.
— Je pensais que vous vous entendiez bien avec ? s'étonne-t-il.
Je débouchonne la bouteille avec mes dents, puis réponds :
— Non. Fah est une exception, je vous l'ai dit. Cette gosse, c'est une nordique dans un corps d'elfe. Si vous voulez une preuve, elle s'est foutue l'ambassadrice du thalmor à dos. Et ça date, apparemment.
Sigvard me lance un regard surpris, et intrigué.
— Elle m'a rien précisé, par contre, avoué-je. Mais j'ai pas besoin de détails. La façon dont elle en parle suffit à comprendre qu'elles sont pas vraiment amies.
Mon compagnon reste plongé dans ses pensées quelques secondes. Cependant, quand il ouvre la bouche pour me répondre, un cri terrifié nous parvient depuis l'intérieur de la bicoque. Nous nous regardons, surpris.
— C'était le môme, ça, non ? demandé-je.
— On ferait mieux d'aller voir, acquiesce-t-il en se relevant.
Je hoche la tête avant de l'imiter. Mon regard se pose un instant sur ma bouteille de bière, que je pose à regret sur le sol. Encore une occasion de me rafraîchir qui me glisse sous le nez... C'est agaçant, à la fin ! Ça fait quoi, la seconde boisson de la journée qu'on me gâche ? C'est honteux. Je déteste ce mioche, ses foutus lapins, la chaleur, les nordiques bourrés et débiles. Et, en plus, je ne peux même pas compter sur mon stupide moucheron pour venir faire le boulot à ma place ! C'est vrai, quoi ! C'est censé être elle, la protectrice de Bordeciel, la sauveuse de Tamriel, la tueuse de dragons et héroïne des hommes ! C'est elle qui devrait courir à travers tout ce bourg ridicule, à la recherche de ces foutues bestioles !
J'emboîte le pas à Sigvard, qui pousse la porte de la maisonnette un instant plus tard. Nous tombons sur un mioche effondré, en larmes, à genoux devant une belle flaque écarlate et un lapin au poil rêche affalé dans le liquide. Bon, tout compte fait, la bière peut bien attendre un peu. Le spectacle n'est pas très joli à regarder, je l'admets.
— Fripouille... couine le mioche. Mon... mon Fripouille...
— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? demandé-je.
Le gamin secoue la tête.
— Je sais pas, bafouille-t-il entre deux sanglots. Il... il a dû se... se blesser sur du verre...
Je remarque alors les éclats tranchants au sol. Un peu plus loin, sous une chaise, le bord rond d'un fond de bouteille, qui a laissé des traces sanglantes dans son sillage. Je fronce les sourcils. L'animal était déjà dans cet état lorsque le contenant s'est brisé. Ou alors...
Je m'agenouille à côté de la flaque et trempe un doigt dedans. Le liquide est chaud, mais davantage à cause de la température ambiante qu'à cause de sa potentielle provenance. De plus, il me semble un peu trop liquide et collant pour correspondre à du sang. Et, là où il a commencé à sécher, sa teinte est devenue plus violette que brunâtre.
Prise d'un doute, je porte mes doigts à mon nez. Aucune odeur métallique ne me parvient, juste un relent d'alcool et de raisin. Je goûte ensuite, histoire d'être bien sûre. Du vin, ça ne fait aucun doute. Chaud, de basse qualité et sans doute coupé à l'alcool, mais je suis sûre de moi. Il ne s'agit pas de sang.
J'attrape la bestiole avec délicatesse pour examiner ses poils. Sa truffe remue légèrement, sa paupière tressaille. Aucune trace de plaie, cependant, hormis peut-être sur sa patte arrière gauche, mais si petite qu'elle n'aurait jamais pu laisser échapper une si grande quantité de sang. Un petit rire m'échappe.
— Il est juste complètement bourré, ce lapin.
Le gamin relève la tête, surpris.
— Comment ça ?
Je lui montre l'animal.
— Pose ta main sur son flanc. Tu sens ? Il respire.
Les yeux du mioche s'écarquillent de joie. Soulagé, il me saute dans les bras. Je me crispe. Au secours...
— Merci, madame Hache-Sanglante ! C'est merveilleux ! Vous êtes super trop forte !
— C'est surtout pas compliqué de faire la différence entre sang et alcool, hein... grommelé-je. Dis, tu peux me lâcher ?
Le môme s'exécute, puis attrape sa bestiole. Il le berce avec délicatesse, caresse sa fourrure d'une main tremblante, comme s'il avait peur de lui faire du mal. Il me demande ensuite :
— Il va guérir, hein ?
— Si c'est un vrai lapin nordique, c'est pas une bonne cuite qui va te le transformer en civet ! assuré-je. Dans le pire des cas, il aura peut-être une gueule de bois quand il se réveillera et te le fera savoir en te mordant.
— Il sera remis dans combien de temps ?
— Aucune idée. Pour un nordique adulte, ça peut aller de quelques minutes s'il est pas trop bourré et que t'as un seau d'eau glacée à portée de main à plusieurs heures, voire une journée entière si tu lui as fait avaler un tonneau d'alcool artisanal des mecs les plus givrés de la province. Et, en plus, je t'avoue que j'ai jamais trinqué avec un lapin, donc je n'ai aucune idée de la réaction qu'ils peuvent avoir. Mais ce que tu peux faire, c'est lui laisser de l'eau fraîche avec un peu de bouffe et un lit douillet. Et lui fiche la paix jusqu'à ce qu'il se remette à agir comme il le ferait en temps normal.
Il hoche la tête, pensif. Un instant plus tard, il emmène son protégé avec des gestes doux, sans doute pour le ranger dans son clapier. J'en profite pour ramasser les éclats de verre, par réflexe. L'air de rien, ça peut faire mal, de marcher là-dessus. Ou d'y tomber.
— On dirait que vous vous y connaissez, en alcool, Hache-Sanglante.
Je relève les yeux vers Sigvard, qui s'est assis sur un tabouret et me regarde, amusé. Je hausse les épaules.
— Disons que, comme tout nordique qui se respecte, j'aime les boissons un peu fortes, avec du caractère. Mais j'ai aussi appris à mes dépens à m'en méfier.
— Surtout de l'alcool artisanal des mecs les plus givrés de la province ? raille-t-il.
Je me défends aussitôt :
— Alors, ça, c'est la faute à Fah. Elle m'a présenté un type à Faillaise qui fait des mélanges vraiment douteux et, comme j'ai perdu un pari, j'ai dû avaler sa... spécialité.
— Et il vous a fait goûter quoi ? s'enquiert-il, curieux.
— J'ai jamais su, avoué-je. Le moucheron a jamais voulu me le dire. Mais ça ressemblait à de l'hydromel coupé à de la graisse de troll fermentée dans du jus de tomates. C'était pas immonde, juste... très alcoolisé. J'ai bu juste une chope. Ça a suffi pour me terrasser pour la nuit. Et je vous dis pas la gueule de bois le lendemain matin...
Il rit.
— La célèbre Klothild Hache-Sanglante, vaincue par une décoction étrange, marmonne-t-il, pensif. C'est assez amusant à imaginer.
Je grimace.
— Je demanderai au moucheron de vous faire goûter ce truc, grommelé-je. On va voir si vous riez toujours autant, après.
Sigvard pouffe à nouveau, ce qui m'agace un peu. Si j'avais su, je ne lui aurais jamais parlé de cette boisson bizarre, que m'avait préparé le patron de la Cruche Percée. J'entasse les bouts de verre dans un coin, puis me prépare à sortir.
— Vous allez où ? me demande Sigvard.
— Chercher ma bière, lancé-je par-dessus mon épaule. J'ai toujours aussi soif, et j'aimerais bien pouvoir en prendre une gorgée ou deux avant que le prochain lapin ne me bouscule.
J'ai à peine terminé ma phrase et ouvert la porte qu'une boule de poils blanche apparaît dans mon champ de vision, juste à côté de ma bouteille de bière, ses pattes avant posées dessus en preuve évidente de sa culpabilité. Un cri de rage m'échappe tandis que la fureur me gagne. Ma bière, sérieusement ! Il pouvait pas prendre autre chose pour cible, cet abruti de lapin ?
Effrayé par mon cri, l'animal s'élance aussitôt à toutes pattes dans la direction opposée pour m'échapper. Je me mets à courir à ses trousses, bien décidée à lui faire la peau. J'ai soif, je commence à être épuisée, à avoir faim, aussi, et, en plus, je viens de me taper la honte auprès de Sigvard. Ça fait je ne sais combien d'heures que je cours à travers ce foutu village à la recherche de ces sales bestioles aux longues oreilles, on m'a privé d'au moins deux boissons, j'ai failli me noyer, je suis tombée plusieurs fois, mon moucheron est dans les pommes et, comme si ça suffisait pas, j'ai toujours de la morve de morpion sur mes vêtements !
Le lapin tente de m'échapper, mais, alors qu'il pile devant le mioche et tente de changer de direction pour continuer sa course, je l'attrape par la patte arrière. Ha ! Espèce de sale bestiole stupide, je vais t'apprendre à renverser les boissons des honnêtes nordiques ! Et tu peux crier autant que tu veux, je m'en fous ! Tu vas payer pour ce que tu as fait à ma bière !
— Attends un peu, sale petit...
Un hurlement colossal m'échappe. Je me redresse vivement, le lapin accroché à la main par les dents. Et bien accroché, en plus, la sale bête ! Je suis obligée de la secouer pour qu'il se décroche sous la force de mon geste. Il vole plus loin, lâche un couinement en retombant au sol. Je ne le regarde déjà plus, concentrée sur la trace laissée par ses chicots acérés dans ma chair. Le sang coule abondamment, vient tacher mes vêtements. Je lâche une flopée de jurons à en faire rougir un drémora. Foutue bestiole que je hais plus encore que les altmers et les impériaux réunis. Je déteste les lapins, c'est officiel. Et celui-là m'a particulièrement énervée. Protégé du gamin ou pas, il va me servir pour accompagner les choux que j'ai dû payer à cause de ses congénères.
— Va crever en Oblivion ! hurlé-je en me lançant à nouveau à sa poursuite.
Terrifié par ma carrure impressionnante et, sans doute, par les cris perçant du môme dans mon dos, il s'enfuit à toutes pattes en direction de la ville. Je quitte le jardin du mioche à sa suite, sans le lâcher d'une semelle. Dans la rue, les gens se retournent, surpris de me voir courir en lançant tous les noms d'oiseaux que je connais à cette boule blanche qui se faufile au sol devant moi. Je les engueule au passage : ils pourraient au moins l'arrêter, au lieu de nous regarder passer avec cet air de bovin stupide ! Sérieux, même un troll a l'air plus intelligent ! Et pourtant, les trolls, ça respire pas l'intelligence, loin de là. Moins encore que les elfes, c'est dire !
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