Rabbit Quest - partie VI

Nous suivons donc la rivière pour gagner le bâtiment. Le vacarme des scies et des troncs, accompagnés de quelques exclamations des ouvriers, nous parvient très vite et gagne en puissance à mesure que nous approchons. J'esquisse une légère grimace dubitative. Un lapin, caché ici ? Il ne supporterait pas le bruit. A mon humble avis de non-spécialiste des bestioles domestiques. Mais si j'en crois le moucheron, le moindre son les terrifie. A moins qu'ils ne soient habitués aux ronflements de leur éleveur et les confondent avec le boucan de la scierie.

Sigvard m'entraîne à l'ombre du toit, dans la pièce principale où d'immenses outils tranchants découpent les troncs dans le sens de la longueur. Les lames ont l'air affûtées. Un véritable piège géant pour les dragons, tiens... ou pour un troll. Il suffirait de les attirer ici, le moucheron les repousserait sur la scie avec l'un de ses cris... Il faudra que je lui en parle quand elle sera réveillée. Oh, quelle bonne idée que je viens d'avoir ! Avec ça, les lézards ailés et autres fléaux n'auraient qu'à bien se tenir ! Ma Dovahkiin et moi pourrions n'en faire qu'une bouchée !

Un homme solide, venu nous saluer, me tire de mes pensées.

— Hache-Sanglante, Sigvard. Vous avez besoin de quelque chose ?

— On recherche les lapins d'Oddvar, explique mon compagnon. Ils se sont enfuis.

— Et vous pensez en trouver ici ? s'amuse l'autre. Vous avez de l'espoir. Ils...

— Là ! m'exclamé-je alors.

Je viens en effet d'apercevoir l'un des fuyards, planqué entre les planches de pin. Avant même que les deux hommes n'aient eu le temps de comprendre, je m'élance vers le tas de bois, situé de l'autre côté du système de coupe. J'enjambe le conduit censé accueillir les troncs, mais mon pied s'accroche au bord de celui-ci. Un instant plus tard, ma tête cogne contre le plancher de la scierie. Un petit gémissement de douleur m'échappe.

— Hache-Sanglante... soupire Sigvard.

— Attrapez le lapin, grommelé-je. Il va se barrer, sinon !

L'animal, effrayé par ma chute aussi délicate que le pas d'un géant énervé, s'est replié dans son tas de planches dans l'espoir de passer inaperçu. Le nordique, par chance, le remarque et s'élance vers lui pour le rattraper. Je me remets sur pieds pendant ce temps, puis me place à l'autre bout de l'amoncèlement de bois pour lui couper toute retraite. Sigvard s'agenouille, appelle l'animal avec douceur. Il lui tend même une feuille pour l'encourager à sortir. Sa technique semble marcher, puisque deux minutes plus tard, il se relève avec le mammifère dans les bras. Il m'adresse ensuite un sourire admiratif.

— Vous avez bonne vue, me complimente-t-il.

— Merci, soufflé-je, flattée.

Mon regard se porte sur la boule de poils blottie contre lui.

— On le rapporte au gamin ? demandé-je. Ça en fera encore un de rentré.

Il hoche la tête et nous nous mettons en marche pour quitter la scierie. En chemin, Sigvard récapitule :

— On en a déjà deux sur sept. En à peu près une heure, c'est déjà pas mal.

— Quelque chose me dit que trouver les autres sera un peu plus compliqué... grommelé-je.

— Comment ça ? s'étonne-t-il.

— Ceux-ci étaient déjà en périphérie de la ville. Je doute qu'ils aient traversé la Karth de ce côté, mais si les autres ne sont pas partis dans la même direction, ils peuvent se trouver n'importe où, aussi bien dans la montagne que de l'autre côté du pont...

— Et c'est là que votre humble serviteur intervient ! plaisante-t-il. Je suis certes davantage habitué à traquer des ours que des lapins, mais ça ne m'empêchera pas de chercher leur piste. Il suffirait de quelques crottes...

Un aboiement furieux nous fait relever la tête. Sigvard resserre son étreinte autour du lapin pour qu'il ne se sauve pas. Je regarde autour de moi pour essayer d'apercevoir le chien. Un court instant après, une petite tache sombre surgit d'un buisson et nous fonce dessus. Un lapin, terrifié. Sans doute le troisième fuyard. Je me poste en travers de sa route pour le cueillir au vol. Il freine des quatre pattes, tente de changer de direction, se rappelle d l'énorme bête de chasse derrière lui. La panique se lit dans son œil si écarquillé qu'on en aperçoit le blanc. Il s'arrête sur place tétanisé par la peur. J'en profite pour l'attraper et le soulever hors de portée du molosse.

Mon geste n'arrête cependant pas l'animal lancé en pleine poursuite, émoustillé par l'odeur du petit mammifère. Il me saute dessus, crocs sortis, pour essayer d'attraper sa proie. Je tente de reculer, mais il réussit tout de même à poser ses pattes sur mes épaules. Sa force me renverse au sol, et un cri surpris m'échappe. Ses crocs passent à quelques centimètres de mon visage, accompagnés d'une haleine fétide, semblable à celle d'un draugr. Beurk.

Mon poing vole dans la gueule du chien un instant plus tard. Un couinement lui échappe, suivi d'un véritable jappement de douleur lorsque je lui colle un second coup. Mon adversaire bat alors en retraite, la queue entre les pattes. Il m'adresse un regard effrayé avant de se réfugier dans les jambes de Sigvard. Celui-ci me fixe, les lèvres pincées, l'air de ne pas trop savoir s'il doit m'incendier ou me féliciter. Je me demande bien pourquoi. Je viens de survivre à l'attaque d'un chien enragé, hé !

— Un problème ? m'enquis-je.

— Vous auriez pu juste le repousser, Hache-Sanglante... Il ne vous aurait pas fait de mal, et il aurait bien compris que vous ne vouliez pas lui laisser le lapin. Jerall est très intelligent.

— Ah parce qu'il a un nom, ce chien ?

— C'est le mien.

Oups.

— Désolée... bredouillé-je.

Sigvard ne répond pas. Il se contente juste de me donner l'autre lapin, puis s'agenouille devant le chien. Il le gratouille entre les oreilles, palpe avec douceur son museau pour vérifier que je ne lui ai rien cassé.

— Je... heu... vais rendre les lapins au mioche, annoncé-je.

Son silence ne présage rien de bon. Je m'esquive donc, un peu honteuse. Je crois que je viens de perdre une pinte d'hydromel gratuite et un camarade de beuverie. Et un compagnon de galère, aussi. Mais, Talos, quelle idée aussi de laisser une bête pareille se balader seule comme ça ! Surtout avec des lapins en liberté ! D'ailleurs, il aurait au moins pu me remercier, puisque si je n'avais pas été là, il aurait bouffé la bestiole aux longues oreilles. Et puis, comment aurais-je pu deviner que ce machin aux crocs dignes de ceux d'un loup ne me ferait aucun mal ?

— Madame Hache-Sanglante !

Je me retourne. Le gamin me rejoint en courant et s'arrête devant moi, essoufflé. Ses sourcils se froncent.

— Vous allez leur faire mal à les tenir par les oreilles ! s'exclame-t-il.

— Normalement, on dit merci, grommelé-je.

Je lui tends les deux lapins, ravie qu'il vienne les récupérer. Il en attrape un, le cale bien dans son bras, puis me prend l'autre et le serre contre lui. Il me sourit ensuite.

— Merci d'avoir retrouvé Rocky et Choupette, déclare-t-il. Mais c'est pas une raison pour les tenir aussi mal !

— J'ai pas l'habitude des lapins, grommelé-je.

— Ça se voit... Vous voulez venir avec moi pour les rentrer ou vous préférez retourner chercher les autres ?

— Je peux t'accompagner, si tu veux. Je vais en profiter pour voir si tes autres lapins ne traînent pas autour de chez toi.

Le gamin hoche la tête, puis repart en sautillant, ses deux boules de poils dans les bras. Je le suis tranquillement, aux aguets, des fois qu'un autre fuyard ne pointe le bout de son nez. J'espère aussi voir revenir Sigvard, même si je me doute qu'après l'incident avec son chien, il doit me considérer comme une brute sans cœur. Alors que, pourtant, je me contentais de me défendre !

Nous arrivons chez lui quelques minutes plus tard. Il m'entraîne dans le petit jardin, qui jouxte un potager, et contourne le bâtiment jusqu'à atteindre quatre larges cages grillagées. Le premier lapin grignote une carotte dans l'une d'elle, sans doute rassuré d'avoir retrouvé sa maison. Le gamin ouvre la cage voisine pour y déposer ses deux protégés. Sa voix fluette s'élève par instants, tandis qu'il leur parle pour les calmer. Je reste un peu en retrait, pour ne pas effrayer davantage les animaux.

A la place, mon regard se promène sur le potager : quelques épis de blé sortent de terre, aussi dorés que les cheveux du moucheron. Plus proche des clapiers, quelques choux aux feuilles desséchées luttent contre la chaleur. Je repère aussi deux plants de tomates bien mûres, ainsi que quelques plants de courges. Elles sont encore vertes, mais leur taille promet de donner de beaux légumes une fois leur croissance terminée. De quoi faire de délicieux ragoûts et des soupes parfumées. C'est malin, j'ai faim, maintenant.

J'attends que le môme ait terminé de faire des câlins à ses boules de poils un long moment. Il semble ravi de les retrouver, mais j'aimerais bien qu'il m'aide à récupérer les autres, quand même. Après tout, je ne connais pas la bourgade, j'ignore s'il existe des coins qui pourraient plaire à des lapins. Et, en plus, j'ai accepté de l'aider, pas de tout faire !

Au bout de ce qui me semble être une éternité, il se décide enfin à laisser ses protégés en cage. Il revient vers moi, tout content.

— Vous voulez aller où, maintenant ? demande-t-il.

— On pourrait chercher dans les champs, proposé-je. Les lapins aiment grignoter des plantes, non ?

Il hoche la tête et m'attrape par la main.

— Titoune et Bella adorent le chou et les carottes, m'explique-t-il. Elles ont peut-être trouvé les cultures de Jonna !

Je n'ai pas le temps de lui demander qui est Jonna qu'il m'entraîne à sa suite dans le village, en courant à toutes jambes. Je n'ai pas besoin de me hâter pour le suivre, mais j'aimerais quand même qu'il me lâche. Je l'ai déjà dit, que je déteste les gosses ?

Mon calvaire dure quelques minutes, le temps pour lui de m'emmener jusqu'à une large parcelle plantée de toutes sortes de plantes. A l'intérieur, une rougegarde aussi rouge qu'une tomate mûre arrose des épis de blé. Je me demande comment elle fait pour supporter la chaleur. Son seau semble lourd, et aller le remplir à la rivière doit lui prendre du temps.

Quelque chose me dit que je vais en avoir le cœur net, car le mioche m'emmène vers elle. Elle pose le récipient lorsqu'elle nous voit approcher, et s'essuie le front de son bras. Bon. Je suis rassurée, elle aussi semble gênée par la température excessive.

— Jonna, s'exclame le môme, tu aurais vu des lapins, dis ?

— Et comment que j'en ai vu, grommelle-t-elle, ils étaient deux et me grignotaient mes choux ! Lucien en a attrapé un pour en faire du pâté. L'autre s'est échappé et doit être encore quelque part à tout me grignoter. Si je le retrouve, je lui fais sa fête, tu peux en être certain !

Un cri paniqué échappe au gamin. La rougegarde pose ses mains sur ses hanches et hausse un sourcil.

— Un problème ? demande-t-elle.

— C'est les miens... sanglote-t-il. Faut pas les tuer, sinon papa sera furieux...

Elle semble comprendre la situation, car son visage se fait plutôt soucieux. D'un geste de la main, elle nous indique sa maison.

— Lucien doit être à l'intérieur. Dépêchez-vous, il ne l'a peut-être pas encore découpé.

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