Rabbit quest - partie III
La porte d'entrée se fracasse avec violence contre le mur au moment où un nordique de bien deux mètres de haut entre dans l'auberge. Mon pauvre cœur manque de s'arrêter, et un vague couinement surpris quitte mes lèvres. Il est, par chance, noyé par les cris des mômes terrifiés par cette interruption inattendue. Mon moucheron se relève d'un bond et se place sur le trajet du nordique pendant que son auditoire s'enfuit dans la direction opposée. Seul un môme de quoi, dix ans tout au plus, reste vautré au sol, le regard posé sur l'homme qui vient d'entrer.
Une fois remise de mes émotions, je détaille le nouveau venu. Son pas lourd, maladroit, fait trembler les murs. Ses muscles puissants sont contractés par la même haine que celle qui lui déforme le visage et fait ressortir une veine sur son cou large. Ses yeux ne sont que deux fentes injectées de sang. A sa démarche chancelante et la rougeur de son visage, j'en déduis qu'il a dû abuser de l'hydromel en plein soleil. Il s'avance vers le gamin, pousse d'un geste brusque le moucheron qui va s'écraser contre le mur deux mètres plus loin. Il attrape ensuite le môme par le bras.
— Espèce de bon à rien ! s'exclame-t-il sans prêter attention aux pleurs du gamin. Tu as encore oublié de refermer les clapiers ! Par ta faute, les lapins se sont tous enfuis ! Tous !
Le cri de détresse de l'enfant me sort de ma torpeur. Ou alors, c'est la vue du moucheron à moitié assommé qui me permet de réaliser qu'il risque de démolir le gosse. Toujours est-il que je m'élance vers lui, juste à temps pour saisir son bras avant qu'il n'assène une gifle magistrale au mioche.
— Hé, du calme, lancé-je.
— Qu'est-ce que tu veux, toi ? rétorque-t-il.
D'un geste sec, il tente de se dégager. Je resserre ma poigne sur son bras pour l'empêcher de me coller son poing dans la figure. Il jette un regard au gamin à moitié terrorisé, l'envoie voler contre une table.
— Je m'occupe de toi après, lance-t-il d'un ton menaçant.
Je le relâche, sans pour autant baisser ma garde. Il ramène ses poings devant lui.
— Alors comme ça, tu veux m'apprendre à éduquer mon fils ? me demande-t-il. Tu vas voir un peu, la puante, si j'ai besoin de ton avis.
Puante ? Moi ? Il s'est senti, le taureau, avant de parler ? Je n'attends pas pour lui balancer mes phalanges serrées dans la mâchoire. Le choc lui arrache un grognement de douleur, tandis qu'il perd l'équilibre. J'en profite pour lui coller un second coup, cette fois dans le nez, histoire de lui remettre les naseaux en place. Puante, et puis quoi encore !
Il bascule en arrière et glisse au sol. Sa tête heurte le plancher avec un claquement sourd. Un juron lui échappe. Il gesticule, tente de se redresser, mais mon pied, pour une fois décidé à coopérer, se pose sur son thorax pour le forcer à rester au sol.
— Sale vermine... crache-t-il avec effort.
— Un peu de respect, espèce de vieil ivrogne, grondé-je. Quelle honte de se présenter aussi imbibé devant deux héroïnes !
— Héroïnes, mon cul, rétorque-t-il. Une bâtarde d'elfe et son chien maladroit, c'est tout ce que vous êtes !
— Zii, drem, hahnu !
Une puissante vague énergétique frappe le nordique. En une fraction de secondes, ses muscles se détendent, ses yeux papillonnent et un bâillement colossal lui échappe. Je relève les yeux vers l'origine du cri. Mon moucheron est à genoux au sol, le gamin dans les bras, à moitié appuyée contre le mur. Une vilaine bosse orne son front, mais ça ne semble pas l'empêcher d'utiliser le Thu'um.
— Yoda !
L'homme se trouve frappé par la puissance du mot. Moi-même, je sens une intense fatigue m'envahir. Je dois lutter pour ne pas tomber endormie dans les bras de l'ivrogne, qui, lui, cède bien vite au sommeil. Quelques instants plus tard, il commence à émettre un bruit infernal, qui pourrait rivaliser avec la scierie du village.
— Par les Huit, qu'est-ce qu'il se passe, ici ?
Mon moucheron et moi nous tournons vers la porte d'entrée. Le commandant Maro vient vers nous, suivi de trois gardes et deux gamins. Son regard passe du taureau bourré à moi, puis au moucheron, avant de revenir vers moi. Son épée pointée vers nous, il tonne :
— Je le savais, que votre venue était synonyme d'ennuis. Au nom de l'Empereur, j'exige que vous m'expliquiez pourquoi cet homme...
— Du calme, commandant, lance l'un des autres clients de la taverne. Oddvar était encore une fois complètement ivre, à deux doigts de frapper le gamin. Vous n'allez quand même pas leur en vouloir de lui avoir épargné quelques coups ?
— Elles n'ont pas à se mêler de...
— Oddvar les a insultées et a envoyé voler la Dovahkiin, le coupe-t-il. Et honnêtement, n'allez pas me dire que ça ne lui fera pas de mal d'avoir trouvé quelqu'un capable de le mater.
— Ce n'est pas une raison pour...
— Si Hache-Sanglante n'avait pas frappé la première, elle se serait fait démonter la tête. Vous connaissez Oddvar comme moi, commandant. Il n'y a que quelques bons coups pour le calmer quand il est sous l'emprise de l'alcool.
Maro lâche un profond soupir.
— Très bien, grogne-t-il avec mauvaise humeur. Emmenez-moi cet outre avinée en cellule, le temps qu'il dégrise. Il répondra de ses actes une fois qu'il aura repris ses esprits.
Son regard s'arrête sur nous.
— Je suppose que je devrais vous remercier, grince-t-il ensuite.
— C'est surtout le môme qui devrait, lancé-je. C'est lui qu'on a sauvé, que je sache. Pas vous.
Un bruit sourd me coupe. Je me retourne vers le moucheron, affalée au sol. Mon sang ne fait qu'un tour. Je me précipite vers elle, inquiète à l'idée qu'elle ait pu être sérieusement blessée par son vol plané. Je trébuche cependant sur le corps de l'ivrogne et me retrouve par terre, affalée de tout mon long. Ma mâchoire rencontre le parquet, le choc se répercute dans mon crâne et me fait voir des étincelles. Un vague goût de sang envahit ma bouche au même moment, tandis qu'une violente douleur explose sur le bout de ma langue. Quelques rires fusent.
— Quelle maladroite...
— Vos gueules, grogné-je en me redressant.
Je m'approche du moucheron. Le gamin, à ses côtés, la fixe avec des yeux larmoyants. Il renifle de temps à autres, sanglote. Je le pousse avec douceur pour pouvoir prendre sa place auprès de Fah. Je grimace dès que j'essaye de la redresser. La bosse sur son crâne est vraiment énorme. Et, en plus, elle a l'air pâle. Un peu trop pâle. Et elle tremble, aussi.
Une silhouette massive s'agenouille à nos côtés. Je lève à peine les yeux sur le nordique blond, en armure de fer, venu nous rejoindre. J'essaye de tenir mon moucheron éveillée avec de minuscules claques sur les joues, mais rien à faire. Ses yeux se ferment tout seuls.
— Il lui faut un guérisseur, déclare l'homme. Elle a dû prendre un mauvais coup quand Oddvar l'a poussée.
— Et c'est censé être ça qui doit nous sauver des dragons, ricane un impérial. Une gamine en papier mâché ?
— Attendez un peu de la voir en affronter un, grogné-je. Fah est plus dangereuse que ce que vous pouvez imaginer.
— Pour l'instant, elle est surtout hors-service, intervient Maro. On va l'emmener pour la soigner.
— Mon œil, lancé-je. Vous voulez lui faire quoi, exactement ? La livrer au Thalmor ?
— J'ai autre chose à faire que de me mêler des affaires du Domaine, réplique-t-il. Non, je vous dois au moins ça. En... dédommagement pour les ennuis que cet ivrogne a pu vous causer.
— Je vous accompagne, alors, commandant.
Le nordique soulève mon moucheron comme il aurait pris une plume, puis se tourne vers l'impérial.
— L'officier Julius devrait bien pouvoir soigner ça, déclare-t-il. Je vous l'emmène à l'avant-poste du Penitus Oculatus.
Il se tourne ensuite vers moi.
— Restez ici, Hache-Sanglante. N'ayez crainte pour votre amie, elle est entre de bonnes mains.
Son sourire franc me rassure un peu, mais je ne fais pas confiance à ces impériaux pour autant. Je me relève pour l'accompagner. Son expression se teint d'amusement.
— Je suppose que vous ne changerez pas d'avis, remarque-t-il.
— Non, confirmé-je.
— Très bien. Suivez-moi, alors.
Il s'engage vers la sortie. Je lui emboîte le pas, sous le regard agacé de Maro. Un instant plus tard, j'entends les gardes ahaner sous le poids du nordique que j'ai mis au tapis, puis leurs pas alourdis par leur chargement aviné résonnent derrière moi.
Nous arrivons quelques minutes plus tard devant une petite bicoque de bois ornée de bannières à l'effigie du Penitus Oculatus. Honnêtement, voir les couleurs de l'Empire sur la façade d'un bâtiment nordique me hérisse, mais je suppose que je n'ai pas mon mot à dire. Surtout que le moucheron est toujours dans les choux, donc potentiellement une cible de choix en cas de prise de tête entre Maro et moi.
Le nordique ouvre la porte d'un coup de pied puissant et m'invite à le suivre. Nous entrons donc, sous les regards à la fois médusés et interrogateurs des soldats qui s'y trouvent. Talos, quelle foule, à l'intérieur ! Au moins une dizaine d'impériaux et nordiques en jupette, équipés de tout le matériel impérial habituel. Ils nous regardent passer, silencieux, sans tenter de s'interposer. Le nordique doit être connu ici, ou alors c'est la bosse sur le crâne du moucheron qui les impressionne. Au moins, ça m'arrange, aucun d'entre eux ne me demande de sortir.
Mon accompagnateur ouvre une autre porte, qui donne sur une sorte de petite infirmerie militaire au sein même du bâtiment. Il dépose l'elfe sur l'un des lits de camp, puis me demande de rester à ses côtés un instant. J'ai à peine hoché la tête qu'il disparaît, sans doute parti rechercher ce guérisseur dont il avait parlé. J'en profite pour vérifier l'état de ma camarade. Bon, ça va assez vite, puisqu'elle est toujours dans les vapes. En revanche, sa bosse semble avoir encore grossi. Ça ne me plaît pas vraiment.
Quelques minutes plus tard, la porte de la pièce s'ouvre à nouveau. Le nordique rentre, accompagné de Maro et d'un autre impérial en tenue militaire. Il me semble plus jeune que le commandant, et, surtout, beaucoup plus aimable. Ses traits, bien que déformés par une affreuse cicatrice le long de sa mâchoire, sont plus doux, presque sympathiques. Il s'agenouille aux côtés du moucheron dès qu'il arrive à son chevet, tandis que les deux autres hommes restent à quelques pas, histoire de le laisser travailler.
— Belle bosse, grommelle le nouveau venu. Elle s'est cognée ?
— Je pense, expliqué-je. C'est un nordique bourré qui l'a envoyée bouler.
— Oui, Sigvard m'a raconté, pour la bagarre. En revanche...
Il commence à palper le front de la petite elfe avec délicatesse. Ses traits se ferment, ses sourcils se froncent. Ses doigts glissent ensuite dans son cou pour prendre son pouls, il vérifie sa respiration, s'assure qu'elle n'a pas d'autres blessures apparentes. Ensuite, il passe doucement sa main sur son crâne. Sa paume s'illumine d'une faible lueur blanchâtre, qui disparaît quelques instants plus tard.
— Elle m'a tout l'air épuisée, votre Dovahkiin, déclare-t-il enfin. La bosse est impressionnante, mais pas grave. Son cerveau n'a pas l'air touché. Je n'y détecte pas de poche de sang, en tous cas.
Je soupire de soulagement. L'homme m'adresse un petit sourire, puis demande :
— J'aimerais cependant savoir ce qu'elle a fait pour se fatiguer autant.
— Peut-être ses cris, proposé-je. Elle a tendance à... somnoler, quand elle utilise trop la magie.
— Intéressant.
Il reporte son regard sur le moucheron, puis reprend :
— Je vais la garder en observation un peu, au moins jusqu'à ce qu'elle se réveille. Je verrai avec elle à ce moment-là comment elle se sent.
Je hoche la tête. Le nordique – Sigvard, si j'ai bien compris – me rejoint.
— Vous pouvez aller vous reposer aussi, Hache-Sanglante. Votre amie est entre de bonnes mains.
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