Chapitre V

Pauline restait silencieuse. Elle réfléchissait, ordonnant tant bien que mal les questions qui martelaient son crâne.

Elle finit par relever brusquement la tête, plantant un regard déterminé et féroce dans les yeux de glace de Maïssa.

Le désordre de ce jeune esprit quelques secondes auparavant ne lui avait pas permis d'anticiper cette réaction ; il éclata de rire, barricadant ses pensées devant ce regard trop perçant.

Finalement la voix de Pauline emplit l'habitacle:

- Qui es-tu ?

La question était simple, prévisible tranchante, le ton sec et soupçonneux.

Il prit quelques instants pour choisir ses mots et soigner son expression ; l'émotion ne devait pas immerger ses pensées déjà troubles. Il répondit prudemment.

- Je m'appelle Maïssa. Nous avons quatre ans d'écart, et il semblerait que je sois ton frère."

L'air de la supposition était ironique, pourtant voix avait chancelé sur le dernier mot. Mais dans l'espace confiné de la voiture, la révélation ne put échapper à la jeune fille attentive.

Elle ne sembla pas s'émouvoir. Elle toisait le vide, devant elle, analysant visiblement les fragments de vérité qu'elle rassemblait peu à peu.

Deux heures plus tôt, elle imaginait encore être la fille unique d'un Russe grisonnant et d'un minuscule et adorable bout de femme. A présent, elle se dirigeait Dieu sait où, dans la voiture d'un inconnu qui se présentait comme son frère ; son nouveau tuteur, qui s'était montré excellent dans l'art de l'invisibilité. Pourquoi ne l'avait-il jamais contactée ? Ne connaissait-il pas Internet, le téléphone ? Et plus important encore, pourquoi ses parents, adoptifs apparemment, ne lui avaient-ils jamais parlé de rien ? Savaient-ils, connaissaient-ils Maïssa ?

- Non, trancha-t-il.

Elle lui jeta un regard étonné. Elle n'avait pas parlé. Il lui jeta un regard impatient et inquiet. Elle le lui rendit, les yeux interrogateurs. Il n'aurait pas dû intervenir dans le cour de ses pensées, il le savait. Il devait se maîtriser. Ils seraient furieux.

Il reprit :

- Non. Ils ne savaient pas. Pas plus que toi. Ils ignoraient même que tu n'étais pas le fruit de leur conception.

Son regard se fit assuré et amusé.

- Nous avons... Peu importe. Que veux-tu savoir de plus ?

Elle le regarda quelques secondes, sceptique quant à son changement de sujet. Puis, d'une voix à la fois douce et froide :

- Allons-nous réellement dans une école dont tu es directeur?

- Oui... et non, répondit-il, à la fois soulagé et étonné qu'elle ait consenti à changer de sujet.

Pauline leva un sourcil, attendant la suite.

- Eh bien je dirige une école avec une... une spécialité particulière. Que tu n'as pas choisie.

Il laissa ses mots flotter quelques instants.

-Donc tu vivras là-bas avec moi, et tu prendra des cours par correspondance, ce qui t'obligera à travailler et à donner le maximum de tes capacités. Ainsi tu pourras aller à ton rythme qui, me semble-t-il, a toujours été plus rapide que celui de tes congénères.

Elle lui lança un regard noir. Il avait vu juste. Elle fronça les sourcils, et demanda après quelques secindes :

- Comment étaient-ils ? Nos parents. Et comment ont-ils...disparu ?

Toute assurance avait quitté sa voix, qui tremblait doucement. elle ne les avait pas connus, mais l'étrange proximité qu'elle se découvrait avec ce frère retrouvé suscitait en elle une curiosité et un amour certain pour ses parents. Un instant, elle eut même l'impression d'avoir vécu avec eux des années durant.

Maïssa prit une profonde inspiration ; il savait que ce moment viendrait, mais il n'imaginait pas en cette enfant la tranquillité d'esprit nécessaire pour ce poser cette question si tôt. Posant sa voix au maximum, il commença :

- Nous vivions dans un hameau aux tréfonds de l'Amazonie brésilienne, dans la seule maison en dur de la tribu. Les villageois était attaché à leurs croyances, et une certaine prophétie aurait mis Père et Mère au centre d'un événement important. Quoi qu'il en soit, il s'agissait de personnes aussi simples qu'on puisse l'être, quoique braves et forts comme des loups.

Un jour, Père m'a emmené chercher des fruits dans la forêt. Toi tu es restée avec notre mère à la maison. Je récoltais sur les arbres les plus proches de la maison ; Père s'était éloigné, à la recherche des meilleurs fruits qui poussaient loin hors des frontières du village.

Au bout de quelques minutes, des cris étouffés me sont parvenus, comme une dispute. J'ai reconnu la voix de Père au loin ; je devais défendre ma famille, même au prix de ma vie, alors j'ai couru. J'ai couru, et je t'en fais le serment, et je l'aurais sauvé si je l'avait pu. Mais, lorsque je suis arrivé sur place, essoufflé, une haute silhouette encapuchonnée m'empêchait de voir quoi que ce soit. 

De toute façon, je ne pouvais rien. Je n'étais qu'un enfant avec un honneur et une morale d'homme. C'est pourquoi j'ai doublement souffert de la suite, à la fois moralement et dans ma fierté.

J'ai entendu des chocs brutaux, puis un craquement sinistre. L'homme en cape à semblé me remarquer et m'a chassé d'un mouvement impatient de la main. Je suis resté immobile, l'air sûrement menaçant et ridicule. Il s'est retourné vers moi ; un tissu noir dérobait son visage à ma vue. Il a commencé à le soulever, mais à l'instant où j'ai commencé à distinguer ses traits, tout est devenu noir.

A mon réveil, notre maison était redevenue la salle commune de la tribu. A mes questions, l'homme qui pansait mon crâne ensanglanté a répondu que notre père avait été tué par un jaguar, et que le détachement dépêché sur place n'était pas arrivé à temps pour le sauver.

J'ai bien tenté d'objecter ; mais tu n'es pas sans savoir que les propos d'un jeune, qui a subi un choc de surcroît, ne sont pas vus comme une source sûre. Pourtant, lui-même semblait douter. En tout cas, il n'a rien ajouté.

- Et pour Mère?

- C'est différent. Je n'aurais rien pu faire de toute façon.

- Explique moi.

- C'est ce qui a accentué mes doutes à propos de la mort de Père. Lorsque je suis revenu à moi, donc, la maison était redevenue comme avant. Pas avant le décès de Père, mais avant qu'elle ne nous soit assignée comme demeure. Les aménagements ont été faits très vite, comme si le village avait prévu qu'à tout moment, nos parents reviendraient à la terre. Lorsque je posais des questions sur Mère, on ne me répondait pas. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais toi, je ne t'ai pas revue. C'est la première fois que je me trouve en ta présence depuis ce jour-là.

Il y eut un long silence. Pauline pesait ces paroles ; un détail lui échappait. Cependant, elle demanda :

- Et ensuite ?

- J'ai passé la nuit dans le brancard. Le lendemain matin, ils mettaient la ville à feu et à sang. La grande cape noire et ses hommes, précisa-t-il devant son air sceptique.

- Mais... Maïssa, quel âge avais-tu?

- J'avais... J'ai quatre ans de plus que toi. Tu n'as qu'à faire le calcul, ajouta-t-il avec un clin d'œil qui, devina-t-elle devait cacher une gêne certaine."

En effet, quelque chose restait louche. Maïssa affabulait, oui, lui cachait volontairement quelque chose. Elle décida de continuer ; puisqu'ils étaient en si bonne voie sur les révélations, elle souhaitait en profiter.

- Et toi ? Après ?

- Trois jours plus tard, un homme est venu à moi. Il s'est présenté comme Reslei. Je n'avais jamais entendu ce nom, mais son air m'était familier. Il devait faire partie des mages que Père et Mère ont rencontré pour la prophétie. En tout cas, il m'a pris sous sa tutelle. Il avait l'air de me connaître et de me comprendre comme personne ; lui me croyait à propos des hommes en cape et du meurtre de Père. Alors, au fil du temps, je lui ai fait confiance, même quand il m'a dit de ne pas m'inquiéter pour toi. Et il m'a gardé avec lui. Alors j'ai appris le français et t'ai écrit une lettre toutes les semaines. Même si je savais que tu ne les lirais pas, puisque tes parents croyaient à un canular ; qui aurait écrit aussi souvent à une enfant en se faisant passer pour son frère, frère dont les parents de l'enfant ne connaîtraient pas l'existence ? De guerre lasse, ma correspondance a décliné, jusqu'à cesser. Mais Reslei était un homme sage. J'aurais aimé que tu le rencontres. Il a tant fait pour moi.

-----------------

Salut tout le monde! 

Je suis sincèrement désolée pour le retard, mais avec la rentrée en internat, il a fallu que je trouve un rythme de vie qui me permettent de publier...

Je suis vraiment désolée pour l'attente, mais j'espère que le prochain chapitre vous plaira ! ^^

N'hésitez pas à commenter pour me dire ce que vous en pensez, que vous aimiez ou pas !

A bientôt

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top