Chapitre II

Elle se trouvait derrière la maison délabrée en face du portail de son lycée. Ayant toujours été timide et peu apte à tourmenter ou dominer les autres, elle était vite devenue une cible distrayante pour un certain Victor, un persécuteur particulièrement talentueux assisté d'une dizaine de trolls avides de violence morale. Leurs yeux se teintaient d'un plaisir fou à tourmenter les plus jeunes, plus petits, plus gros, plus intelligents qu'eux, qui pénétraient dans l'enceinte du lycée tête baissée.

Voyant qu'ils n'étaient pas décidés à rentrer dans l'établissement, elle sortit de sa cachette ; elle allait finir par être en retard. Elle serra les poings, inspira profondément et passa devant les garçons attroupés. Alors lui parvinrent des vagues de sifflements et moqueries, voire parfois d'injures. Elle les ignora et continua sa route, bouillonnant intérieurement.

Elle passa la porte et se dirigea vers son casier, près duquel l'attendait Romane, sa meilleure, pour ne pas dire sa seule.. amie, si tel était vraiment le cas. La jeune fille, surnommée « madame je sais tout » par la plupart du lycée, était d'un perfectionnisme presque irritant. Pas une mèche ne dépassait de ses cheveux blonds, et le maquillage qui soulignait le vert brillant et profond de ses yeux en amande était comme toujours, parfaitement net. Son allure contrastait étrangement avec l'allure décontractée de Pauline, dont les cheveux bouclés étaient arrangés selon une logique qui semblait dépasser les lois de la physique.

Le temps pour Pauline de prendre ses affaires de cours de la journée, et son amie était en train de débiter tous les potins et rumeurs douteux qu'elle avait pu glaner depuis la veille. Heureusement la cloche sonna rapidement, lui donnant quelques heures de répits avant la prochaine salve ; elle salua Romane qui, heureusement, ne faisait pas partie de sa classe et se dirigea vers sa salle de maths. Elle entra et s'assit à sa place. La première, comme toujours.

Elle considéra l'ensemble de la pièce, qui serait bientôt remplie d'adolescents stressés et légèrement normopathes, à tel point qu'elle se plaisait à les associer à des moutons.

Elle sortait ses affaires de son sac tout en les imaginant bêler, quand de nouveaux ricanements se firent entendre en provenance de la porte. Elle leva la tête et reconnue avec dépit Célia, certainement la plus idiote et narcissique créature qu'elle eût jamais rencontrée. Reine du lycée dans l'état, quiconque lui déplaisait de quelque façon que ce soit s'annonçait des heures difficiles. Par elle-même ou les quelques demeurés qui la suivaient sans relâche, le renégat était traqué et harcelé jusqu'à ce qu'elle déniche une nouvelle cible. Grand bien lui fasse, songeait Pauline, la fin du lycée risquait d'être la plus terrible des épreuves pour elle.

En attendant, elle avait décidé que Pauline n'était pas digne de vivre en paix, et les moqueries qui l'accompagnaient jusque dans ses salles de cours le lui rappelaient sans cesse.

Le professeur, M. Chevalier, un homme dans la quarantaine d'un sérieux imperturbable, entra alors dans la salle et réclama un silence total ; le contrôle allait commencer. Déjà il se pressait dans la distribution des sujets ; sous ses allures froides et indifférentes, il faisait son possible pour laisser à ses élèves un maximum de temps avant la remise des copies, évitant ainsi de les pénaliser sur un simple manque de temps.

A peine jeta-t-elle un regard aux questions qu'elle soupira d'impatience, tant elles étaient simples à ses yeux. Elle finit le contrôle sans trop de peine au bout d'une petite demie heure et se dirigea vers le bureau du professeur pour le lui rendre. Ce dernier l'autorisa à quitter le cours et la félicita d'avance, la gratifiant d'un de ses rares sourires. Il savait que, malgré l'absentéisme et le manque de travail dont la jeune fille faisait preuve, ses capacités suffisaient à lui assurer une réussite scolaire de premier ordre.

Elle rangea ses affaires, enfila son sac sur ses fortes épaules et quitta la salle, se dirigeant vers le CDI. C'était le refuge où personne ne la dérangeait ; le peu d'élèves qui le fréquentaient étaient aimables et agréables -du moins, ils n'embêtaient personne-, et côtoyer les professeurs n'était pas un problème pour elle.

Elle y resta jusqu'à ce que retentisse la sonnerie, annonciatrice du cours de géographie. Cours qui se passa exactement comme à l'accoutumée. Le professeur discutait avec deux élèves à voix basse en plein milieu du cours, qui lui léchaient les bottes de manière si peu discrète que c'en était presque comique. Mais c'était plutôt le dégoût qui primait chez Pauline ; comment pouvait-on ainsi chercher à s'attirer les faveurs d'un prof de manière aussi artificielle et superficielle ? Enfin, à chacun ses tares ; elle ne se pardonnait d'ailleurs pas de juger ainsi les gens. Elle se reconcentra sur une carte à propos de laquelle le professeur faisait des explications détaillées. A la fin du cours, les pages de son cahier étaient restées d'un blanc immaculé. Elle ne prenait jamais de notes et s'en dispensait très bien.

Après une courte pause elle se dirigea vers le gymnase avec son sac de sport. Hand au programme, quelle joie ! ironisa-t-elle intérieurement. Après avoir sué corps et âme à cette séance intensive, Pauline se changea et retourna vers le bâtiment principal. Affamée après ces efforts - généreusement ponctués de bouge ton cul, grosse vache, avec ce que tu bouffes tu pourrais courir plus vite que ça ! - elle se dirigea vers le self où elle retrouva Romane et ses commérages.

Elle garnit son plateau (prends pas ça sale truie, tu veux grossir encore plus c'est ça ?) puis rejoignit sa table habituelle à laquelle Romane était déjà installée. A peine avait-elle posé son plateau, elle fut assaillie des bavardages agressifs de sa camarade. Heureusement, après tout ce temps, elle était murée ; elle mangea sans trop entendre, ponctuant à l'occasion ses dires d'un hochement de tête ou d'un grommellement affirmatif.

Un appel au micro la sauva. Il lui était demandé de rejoindre la Direction au plus vite. Elle s'excusa auprès de Romane, et s'orienta vers les bureaux administratifs, se préparant à voir étalés sur la table ses absences et son manque de sérieux ; après toutes ces années où elle était passée au travers des mailles du filet grâce à ses excellents résultats, des comptes finissaient par lui être demandés. Tout en marchant, elle préparait ses arguments : un emploi du temps contraignant, un travail personnel en fait inexistant qu'elle prétextait compenser ses absences ; en vérité, seules sa culture personnelles et ses facilités à l'assimilation permettaient le suivi d'une scolarité sans aucune implication. Elle longea les longs couloirs aux tons pastels défraîchis et couverts de traces en tout genre. La monotonie des lieux l'exécrait, où étaient donc passées les écoles reluisantes et humaines qu'on voyait aux journaux télévisés et dans les films ?

En chemin, elle aperçut Célia et toute sa petite bande de partisans, qui gloussaient ostensiblement dans l'espoir d'attirer l'attention de quelconque garçon, plus proche cérébralement du bovin que de ce que se voulait être l'élève de lycée moyen. Devant tant de simplicité d'esprit et de futiles préoccupations,  Pauline ne put réprimer un rictus sarcastique, qu'elle savait n'être pas passé inaperçu du groupement de guenons. Elle se demanda quand elle devrait payer le prix de cette insolence.

Les représailles ne se firent pas attendre ; à peine les avait-elle dépassées qu'une bombe à eau explosa dans son dos, et le choc la propulsa au sol. Ruisselante, humiliée, elle se releva et gagna les toilettes sous une pluie de rires moqueurs et assassins, serrant les paupières au maximum ; elle cherchait à la fois à ne laisser échapper aucune larme de colère et à s'épargner une vision qui aurait pu lui donner des envies de violences. Elle tâcha de se sécher au maximum et s'aspergea le visage d'eau fraîche. Elle observa son reflet dans le miroir qui surplombait le lavabo auquel elle était accoudée. Ses mèches de cheveux châtains, gouttaient sur ses épaules et dans son dos, trempant son uniforme. Elle se faisait pitié, pourquoi laissait-elle tout passer sans répliquer et en s'empêchant de contrarier sa nature paisible ? Son regard vagabonda sur son corps bouffi, ses cheveux, et finit par se fixer sur ses yeux d'un bleu étincelant, pourtant enflammés de colère et de rage. Elle finit par se ressaisir et sortit des toilettes par l'autre accès pour reprendre le chemin de la Direction.

Enfin, après quelques minutes à déambuler dans l'école, elle se trouva devant la porte du bureau de la Principale, où une petite plaque en métal doré annonçait le nom de son occupante.

Irène Dufour.

Le tracé en bas relief noir était empli de poussières et de saletés diverses. Pauline retint son souffle et frappa trois coups secs sur la porte en contreplaqué ; une voix nasillarde l'invita à entrer. Elle se présenta au seuil de la porte ; lorsqu'elle la reconnut, la directrice prit un air grave de compassion, et d'une certaine pitié qui scintillait dans ses yeux encadrés de ridules.

Mal à l'aise, Pauline n'osa pas bouger. Lorsque Mme Dufour l'invita à s'asseoir en désignant un petit fauteuil inconfortable en face du bureau, elle prit place avec maladresse.

La Principale regarda quelques instants au dessus de la tête de Pauline, comme cherchant du courage sur le mur blanc. En cet instant, ruisselante, les yeux encore baignés de larmes qu'elle tentait de cacher, son élève avait l'air si fragile... Elle se mordit la lèvre inférieure, se maudissant d'avoir à briser encore davantage cette enfant si brillante. Pourtant il fallait y venir.

"Mademoiselle Stavinsky. Je ferai sans préambule, car dans la situation présente, rien ne pourra influencer votre réaction."

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