Chapitre XX
Alexei fixa le calendrier sur le frigo en se mordant la lèvre. La date du neuf mars, soit le samedi qui arrivait, était entourée en rouge. L'anniversaire de Christian. Son cœur se serra de tristesse en repensant au regard blasé que son dominant lui avait lancé quand il lui avait demandé s'il voulait faire la fête pour son anniversaire et le "non" froid qui avait suivi. Il soupira et caressa la marque de corde sur son poignet, trace d'une séance de shibari récente. Il aimerait tellement pouvoir faire quelque chose…
— À quoi tu penses, grand-frère ?
Il se tourna vers Nicolas et lui sourit. Ses relations avec son frère s'étaient grandement améliorées, encore plus depuis qu'il avait enfin pu quitter la maison de son enfance. Il ébouriffa les cheveux blonds du garçon et lui montra le cercle rouge
— C'est bientôt l'anniversaire de Christian. Mais il ne veut pas que je lui fasse une fête.
— Mais… pourquoi ? C'est pas drôle un anniversaire sans fête ! Et il faut aussi des cadeaux !
— Je crois qu'il n'a jamais beaucoup fêté son anniversaire, souffla Alexei tristement, il a l'habitude que ce soit comme ça…
— Moi, j'aimerais pas qu'on me fasse pas une fête. C'est parce qu'il a pas d'amis ?
— Pas beaucoup… Tu as l'air de bien t'entendre avec lui maintenant, se moqua-t-il.
Nicolas rougit légèrement et hocha la tête. Il avait fini par comprendre, à force de l'avoir sous les yeux, que l'amour qui liait son frère et son mari était plus fort que tout. Ses parents ne s'aimaient pas comme ça, il en était certain. Alors il avait décidé de ne plus écouter ce qu'on lui disait sur les couples du même sexe. Parce que Alexei et Christian, ils étaient comme les personnages d'un conte de fées, et les personnages de conte de fées n'étaient pas méchants.
— Il faut qu'on invite ses amis à la maison ! Et qu'on lui fasse un cadeau !
— Nicolas… je ne sais pas si…
— Il faut pas qu'il soit triste le jour de son anniversaire ! Allez ! Dis oui !
Alexei se mordit la lèvre. Son cerveau était déjà en train d'imaginer les pires scénarios si jamais Christian n'appréciait pas la fête. Mais l'enthousiasme de Nicolas lui faisait tellement plaisir… il inspira profondément et tenta de se laisser happer par l'innocence du jeune garçon.
— Il faut que j'en parle avec son cousin, d'accord ?
— Oui !
— Mais, Nicolas, il faut que tu saches que nos amis… ce sont… des gens comme nous. Ils sont en couple avec des hommes.
— Ça ne me dérange plus, promis. Puis, Christian m'a expliqué… papa et maman avaient peur, mais pas moi !
Le blond hocha la tête avec un sourire. Il servit le petit-déjeuner à son frère, l'autorisant à aller le déguster devant les dessins animés exceptionnellement parce que c'était les vacances. En versant son thé dans sa tasse, il sortit son téléphone. Il fixa longuement la moue boudeuse de Christian sur son fond d'écran, se rappelant de la matinée où il l'avait forcé à le laisser le prendre en photo, avant de prendre sa décision. Il sélectionna le numéro de Jean dans ses contacts et posa l'appareil contre son oreille.
— Hey, Alexei ? Que puis-je faire pour toi ?
— Christian est avec toi ?
— Non, il entendit le changement dans le ton de Jean, il y a quelque chose ?
— Ne panique pas comme ça… j'aimerais juste… Tu penses qu'il me détestera si je fais quelque chose pour son anniversaire ?
— Oh ! Tu m'as fait peur ! Honnêtement… je sais pas… Il a jamais vraiment eu de fête d'anniversaire. Enfin, peut-être quand on était vraiment petits ? C'est assez flou. Je sais juste que quand j'ai commencé à habiter chez mon oncle, on ne faisait pas de fête, mais Morgane nous faisait un gâteau discrètement. C'est resté comme ça quand on est parti… Mais tu avais fait quelque chose l'an dernier ?
— Non… tu venais de disparaître. Il fallait gérer Aiden, l'aider dans ses recherches c'était… compliqué. Mais cette année, je voudrais qu'on puisse faire un truc tranquille, tous ensembles. Je veux juste être sûr que ça lui plaise.
— Je ne peux rien te garantir. Mais il n'y a pas de raison que ça ne lui plaise pas ! Il adore quand tout le monde est réuni, même s'il l'avouera jamais !
— Tu veux bien m'aider alors ?
— Évidemment !
Alexei rigola et but une gorgée de thé. Ils discutèrent encore un peu des potentiels cadeaux qu'il pourrait offrir à Christian avant de raccrocher. Le sourire aux lèvres, Alexei rejoignit son petit frère dans le salon. Il fêterait l'anniversaire de son mari, et ce serait une grande réussite, se promit-il avec un sourire.
~~~
Christian écoutait Jean lui expliquer les dernières recettes de cocktails que Florent avait trouvé en garant sa voiture dans l'allée de la maison. Il en descendit tranquillement, hochant la tête quand il demanda s'il trouvait l'idée bonne, et avança vers sa porte, suivi par son cousin. Alors qu'il allait ouvrir cette dernière, il sentit sa main se poser sur son épaule pour le stopper dans son geste.
— Oui, demanda-t-il en se tournant vers son cadet.
— Rien, je voulais juste terminer un message avant de rentrer avec toi, répondit-il en rangeant son portable dans sa poche, on peut y aller.
Christian fronça légèrement les sourcils, curieux de savoir pourquoi Jean s'embarrassait avec une politesse qu'il n'avait pas habituellement. Il se dit que Aiden avait dû lui faire la leçon à ce propos et classa la question en ouvrant la porte.
— Joyeux anniversaire !
Le châtain écarquilla les yeux en voyant la petite assemblée qui s'était formée dans l'entrée de sa maison. Aaron, Hugo, Aiden, Morgane et Nicolas rigolaient d'avoir réussi à le surprendre. Seul Alexei semblait anxieux, il le voyait à la manière dont il enfonçait l'ongle de son pouce dans la paume de sa main, ses grand yeux vairons le scrutant pour tenter de connaître sa réaction. Il masqua sa surprise derrière un sourire qui se voulait convaincant afin de le rassurer.
Son anniversaire. Même s'il lui avait dit qu'il ne voulait pas le fêter, son mari avait préparé une surprise quand même. Depuis combien de temps n'avait-il pas véritablement célébré cette date ? Vingt-trois ans ? Oui, c'était ça. Vingt-trois ans. Il y a vingt-trois ans, il fêtait son dernier jour d'innocence. Le jour de ses dix ans, il avait assisté à l'abandon de son cousin. Paniqué, il jeta un regard vers ce dernier, qui rigolait gaiement avec son fiancé, puis vers Morgane. Elle savait, elle aussi, pourquoi il avait refusé de fêter son anniversaire. Parce que Jean avait oublié ce qui c'était passé il y a vingt-trois ans, et qu'il ne voulait surtout pas que faire une fête ne le lui rappelle.
Il tenta tant bien que mal de se calmer en voyant que tout allait bien, mais l'éclat affolé de ses yeux n'avait pas échappé à Alexei. Ce dernier attendit patiemment qu'il finisse de saluer et de remercier tous leurs invités pour prendre sa main et l'entraîner dans la cuisine, prétextant de vouloir son avis sur les vins qu'il avait sélectionnés pour le repas. Une fois qu'ils furent seuls dans la pièce, il se planta devant lui en se mordant la lèvre et murmura :
— Jean et Nicolas étaient sûrs que ça allait te plaire. Mais ils ont eu tort, hein ?
— C'est… c'est plus compliqué que ça, chuchota-t-il en baissant la tête, je suis très heureux de fêter mon anniversaire mais… j'ai peur.
— Peur de quoi ? On est en sécurité. Il n'y a aucune raison.
Christian détourna le regard. Certes, ils étaient en sécurité. Mais il s'était promis de toujours protéger son cousin, et il ne voulait pas qu'il se souvienne de son abandon. Des cris et des pleurs de sa mère, alors que son père la tirait de force loin de lui. De la poigne de son oncle sur ses bras d'enfants, dont il avait gardé la marque pendant plusieurs semaines. Il ne voulait pas qu'il ait à revivre ça, pas après vingt-trois ans, pas alors qu'il était heureux. Et il avait peur qu'organiser une fête pour son anniversaire ne fasse ressurgir sa mémoire.
— Chéri… parle-moi…
— À mes dix ans, mon oncle a abandonné Jean chez nous. Ça l'a tellement traumatisé qu'il n'en garde aucun souvenir. Et j'ai peur que… qu'en organisant une fête, le jour de mon anniversaire, il ne se souvienne.
— Hé… même s'il s'en souvient, on est là pour lui d'accord ? Vous n'êtes plus seul contre le monde…
— C'est toi qui dit ça ?
Alexei ricana légèrement, admettant qu'il était mal placé pour dire ça alors qu'il s'était laissé envahir par ses souvenirs il y a peu, lui aussi. Il enlaça le torse de son mari et posa sa tête entre ses pectoraux. Une goutte salée roula le long de la joue de Christian et s'écrasa sur ses cheveux.
— Tu ne pourras pas bloquer sa mémoire éternellement. Ça pourrait lui revenir n'importe quand, n'importe comment. L'amnésie traumatique ne se contrôle pas. En revanche, tu peux être présent pour lui, d'accord ?
— Tu… Tu as raison… merci, Kitty.
— Je sais que j'ai raison ! Ah oui ! Les vins ! Il faut que nous soyons crédibles quand même, rigola Alexei en se décollant de lui.
Christian inspira profondément et jugula sa panique. Il attrapa doucement le visage de son mari entre ses mains en le sentant s'éloigner et déposa un tendre baiser sur ses lèvres. Il serra son corps chaud contre lui, caressa doucement ses doux cheveux blonds, respira profondément son odeur, puis le relâcha. Sauf que devant ses yeux emplis d'amour, il ne put se résoudre à le laisser partir maintenant. Il se pencha sur Alexei, embrassa son front et son nez, avant de chuchoter :
— Tu m'aimeras toujours ?
— Bien sûr. Je t'aime, dans la santé comme dans la maladie, jusqu'au jour de ma mort, tu te souviens ?
— Oui, je me souviens. Merci, pour ce soir. Ça me fait très plaisir.
— Et encore ! Tu n'as pas vu tes cadeaux !
Christian rigola légèrement et cette fois, il lâcha vraiment son mari pour le laisser lui montrer les bouteilles de vin. Son sourire ne voulait pas disparaître. Parce que malgré la peur qui grondait en lui, le bonheur faisait beaucoup plus de bruit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top