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Je monte les marches, me demandant sérieusement où Melly m'emmène. C'est le sixième étage qu'on laisse derrière nous et je n'en peux plus. Je m'arrête en plein milieu des escaliers, m'appuie sur la rambarde et préviens Melly qui continue son chemin :
« Mel, j'abandonne ! »
Elle se fige et revient vers moi à toute vitesse malgré les marches et ses talons d'une hauteur vertigineuse. Elle a son regard sérieux, sa mine inquiète. Je n'aime pas quand elle prend cet air-là avec moi parce qu'il me rappelle que je ne suis pas normal, que je ne suis plus comme elle. Tandis qu'elle pose une main amicale sur mon épaule, je passe une main dans mes cheveux.
« Tu as mal ? »
Non, non ! J'aime juste faire des haltes dans les escaliers ! Je lève les yeux au ciel pour seule réponse alors que la lumière de la cage d'escalier s'éteint. Je soupire. Je ne suis pas encore arrivé à cette foutue fête que j'ai déjà envie de retourner m'allonger sur mon canapé pour regarder une série.
« Il y a encore quatre étages, tu vas pouvoir ? »
Je serre la mâchoire et retiens un sanglot. Sérieusement, c'est pathétique de ne pas pouvoir monter dix étages, surtout quand on sait qu'avant, j'étais sportif. Un coureur pour tout dire. L'endurance et les efforts, ça me connaissait !
« Non... »
« Arrête ça tout de suite. » me sermonne-t-elle. « Tu peux réussir mais pour ça, il faut le vouloir. »
« La volonté ne fait pas tout, Melly. Je souffre. »
Je pose une main sur ma cuisse. On ne peut plus se voir avec cette lumière éteinte et ça me soulage parce qu'ainsi, elle n'aperçoit pas la grimace qui s'est figée sur mon visage.
« Tu vas faire quoi alors ? » me demande-t-elle, sèchement. « Tu vas rester assis ici, dans le noir ? Tu as téléchargé Netflix sur ton portable, j'espère. »
« Ne t'inquiète pas pour mes applis. J'ai tout ce qu'il me faut ! »
« J'en doute pas. C'est de couilles dont tu manques présentement. »
« Vous avez besoin d'aide ? » résonne une voix derrière moi, qui me fait sursauter.
Instinctivement, je me retourne vers la voix grave mais c'est stupide parce que je ne vois rien. Un long silence nous enveloppe, me mettant mal à l'aise. Je ne sais pas si j'ai rêvé cette voix ou si l'homme à qui elle appartient est toujours là ou qu'il est passé à côté de nous sans attendre une réponse... Mais bizarrement, j'ai envie de l'écouter à nouveau.
« Mon ami a un petit souci. » explique vaguement Melly.
Son ton n'est plus du tout froid, il est presque mielleux. Elle va se mettre à le draguer, à flirter pour obtenir quelque chose et c'est ce quelque chose qui me fait peur.
« Un petit souci de quel type ? » demande-t-il, amusé.
Je l'imagine d'ici se faire de fausses idées sur mon souci. Il pense sûrement que j'ai trop bu et que je me suis vomi dessus. Ou alors il repense aux mots de Melly sur la supposée absence de couilles.
« Du type que je suis handicapé ! » j'assène sans réfléchir, avec humeur.
Un joli « oh » fait écho à ma déclaration. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris. D'habitude, c'est la dernière chose dont j'ai envie de parler mais ma conversation avec Melly m'a énervé. Je n'aime pas quand elle insinue que lorsque je ne peux pas faire quelque chose, c'est parce que je ne le veux pas. Parfois, elle oublie réellement que je suis un estropié.
« Pas cool la fête sur un toit sans ascenseur alors ! » se contente-t-il à me dire.
Il ne fait aucune autre remarque et ça m'étonne. Les seules personnes à qui j'ai pu avouer ça, m'ont toujours bombardé de questions. Lui aurait pu me demander quel genre d'handicap j'avais mais même pas, comme si ça n'avait pas d'importance...
« Je vais t'aider à monter. »
Ce n'est pas une proposition mais bien une affirmation qui sort de sa bouche.
« Je ne crois pas... »
Melly me coupe en me donnant un coup dans les côtes qui me fait lâcher un petit cri de douleur. Elle me retire rapidement mon chapeau, fait glisser l'élastique de mon masque derrière ma tête pour que je le mette et remets le chapeau.
« Ok... » je termine par dire.
« Par contre, ta petite copine va devoir nous éclairer avec son portable sinon ça va être casse-gueule. »
« C'est pas ma copine. » je me sens obligé de corriger.
« Mais surtout je ne suis pas sourde. » le reprend-t-elle en enclenchant sa lampe torche sur son iPhone.
Mes paupières papillonnent à plusieurs reprises, le temps de m'habituer à ce brusque éclairage. Et il apparaît devant moi. Le halo de lumière que Melly dirige vers le sol et le masque blanc qu'il porte ne me permettent pas de le voir réellement mais je remarque aussitôt son sourire bienveillant. Et ça me fait un drôle d'effet. J'ai l'impression de retomber des années auparavant, à une époque où je n'étais pas la loque que je suis aujourd'hui. A une époque où j'étais aimé. A une époque où ma seule responsabilité était de courir après le temps.
Mon corps mais surtout mon cœur se réchauffent à cette vue, à ses souvenirs. Comme si je renaissais lentement. Je relève le regard vers ses yeux bleus et je me retiens de me mordre la lèvre. C'est niais et peu original à dire mais n'importe qui pourrait se noyer dans ce regard. Et cette fois, c'est comme si je me prenais une grande claque dans la gueule. Il a les mêmes yeux que lui. Ma respiration se bloque quelques secondes, juste le temps pour mon cerveau de se reprendre.
Il passe une main dans sa barbe fournie, me faisant revenir à la réalité. Malgré le fait qu'il me fixe de son regard azur, son sourire ne l'a toujours pas quitté et je me demande comment il fait ça. Sourire sans raison. Je sens Melly bouger à côté et pourtant, je m'en fiche. Je continue à me repaître de lui puisque je sais que c'est la première et dernière fois que je le vois.
« C'est pas que je m'ennuie mais il y a une fête qui n'attend plus que moi. » intervient Melly en trépignant à deux ou trois marches au-dessus de nous.
Je vois alors l'inconnu tendre son bras droit vers moi. Instinctivement, je fais un pas en arrière ce qui le fait froncer les sourcils. Depuis mon accident, plus personne en dehors des équipes médicales et de Melly ne m'a touché. Alors même si c'est pour seulement passer son bras sous mes aisselles, ça me fait bizarre.
« Désolé... » Je chuchote, mal à l'aise et les joues en feu.
Je souffle à fond et ferme les yeux pour me résonner. Il ne va pas réellement me toucher, il va juste me tenir comme l'a fait les kinés, les infirmières ou les médecins. Ni plus, ni moins. Et pourtant, ça me semble plus intime... Mais je n'ai pas le choix, si je veux faire plaisir à ma meilleure amie et lui prouver que j'ai bien une paire de couilles comme elle dit. Je me rapproche alors de lui. Il passe son bras et je sens immédiatement sa force. Physiquement, cela se voit qu'il est musclé mais c'est tout de même impressionnant de le ressentir. Il pourrait me briser en deux à cet instant, s'il le décidait.
« Prêt ? »
Je hoche la tête de bas en haut, pas du tout prêt et on commence à se hisser. Arrivés au palier suivant, Melly nous apprend que la lumière ne se rallume pas mais je m'en fiche. J'aime bien cette semi-obscurité avec ce bel inconnu. Il fait tout le travail, c'est comme si je volais au-dessus des marches et ça me fait sourire, presque rire.
Les étages se succèdent les uns après les autres tandis que je serre avec force la chemise du beau blond dans ma main au niveau de son épaule. Lorsqu'on arrive à une porte en ferraille, il s'arrête et retire son bras de mon corps. Je me sens soudain vide et me surprends à penser qu'on est allé beaucoup trop vite. Que j'aurais aimé qu'il y ait trois, cinq, dix étages de plus.
« Et voilà, t'es arrivé à bon port ! » me déclare-t-il en repositionnant sa chemise.
« Merci... »
Il me fait un sourire et ouvre la porte devant nous. Une foule de personnes apparaît derrière lui et une musique retentit me tirant une petite grimace. Il se retourne vers moi quand il s'apprête à la passer et me souffle :
« Si tu as besoin pour redescendre, je suis ton homme. »
J'ai la drôle d'idée qu'il me fait un clin d'œil mais son masque argenté le cache tellement bien que j'ai sans doute rêvé. Il part et quand je le perds de vue, Melly me donne un nouveau coup de coude.
« Comment tu lui as tapé dans l'œil ! » s'exclame-t-elle avant de sautiller sur place.
Je ris légèrement mais ne lui réponds rien. C'est impossible. Il n'avait pas de plume...
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