9. Chassez le naturel... pourquoi faire ?!


ATHENA

— Qu'est-ce qui t'arrive, mein schatz ? s'enquit Ingo en relevant la tête de son ébauche de dessin censé représenter un renard à neuf queues.

À cette heure, le salon de tatouage n'était pas encore ouvert pour les clients, mais Ingo planchait avec ferveur sur l'une de ces prochaines œuvres.

En général venir ici me calmait et me permettait de rager contre la terre entière avant de me jeter de nouveau dans la cohue des abrutis. Et ce Anton en était l'exemple parfait. Je me laissai lourdement tomber dans le fauteuil à côté de son bureau composé de deux trépieds et d'une plaque en verre posée dessus. Tout ici avec un style industriel et les murs en brique ajoutaient un cachet indéniable à l'endroit. Ce petit salon qui ne payait pas de mine de l'extérieur était pourtant l'un des plus réputés de L.A, si tant est qu'on connaisse le lieu et qu'on arrive à s'y faire tatouer. Les clients bataillaient pour un rendez-vous et la liste d'attente était d'une longueur interminable. Ça n'empêchait personne d'attendre parfois plus de neuf mois pour un truc riquiqui sur la fesse droite. Ce qui me faisait bien rire au passage. Une petite pêche sur le popotin, classe, non ? Je ricanai comme une bossue et Ingo haussa un sourcil curieux.

Il avait tout de l'Allemand pur souche, de son faciès caractéristique à son accent dont il n'arriverait jamais à se départir. Ce qui au passage lui donnait un charme fou. Surtout quand il commençait à affubler tout le monde de petit surnom à se pâmer.

Grand gaillard charpenté, Ingo avait des yeux Pers comme vous en voyiez rarement durant une vie entière. Mâchoire volontaire et sourcils charbonneux, il se dégageait de sa personne une impression charnelle très forte, comme si par sa simple présence il pouvait vous faire l'amour. Non, non, je n'abusais pas, j'étais même très sérieuse. Ingo était ce genre d'homme à vous évoquer un étalon, au regard si perçant que vous vous sentiez mis à nue sans préavis. Mais il n'en jouait pas, pas plus qu'il n'en profitait pour coucher à gauche et à droite. Ingo, c'était le physique d'un Dieu Grec et la personnalité de Hagrid, le garde-chasse dans Harry Potter. Pas aussi pataud, mais tellement gentil... Une crème un peu trop bienveillante, mais qui ne se laissait pas avoir par quelques sourires trop mielleux ou démarches équivoques.

— J'ai dû supporter la diarrhée verbale d'un homophobe, râlai-je.

— Et ça ?

Ingo pointa ma joue du doigt, son pincement de lèvres suffisamment clair pour me faire comprendre que je devais arborer la marque de quelques doigts.

— Tu me connais, dis-je avec un haussement d'épaules, mon honnêteté a été mal reçue.

Mon égo ne s'en était pas trouvé atteint ; pour le peu que ça comptait. Mais se manger une baffe à mon âge, c'était quand même un comble !

— Cet homme ne vaut pas grand-chose pour avoir osé frapper une femme. Arschloch.

Je grimaçai et à la façon d'une enfant, balançai mes jambes, les mains sous mes fesses. J'avais un don certain pour tomber sur les idiots de la pire espèce. Même si je ne connaissais pas vraiment Ezra, j'avais détesté la manière dont son oncle le traitait, même alors que j'étais une personne extérieure à leur histoire de famille. Seulement, c'était plus fort que moi. Je montais trop rapidement sur mes grands chevaux et je m'en mordais cruellement les doigts après. Un cercle vicieux.

— Tu devrais faire plus attention, dit Ingo en se frottant la joue, y étalant une marque grisâtre due à la mine de son crayon.

— Je sais bien, soufflai-je, dépitée.

Maintenant, j'avais peur qu'Ezra m'en veuille. On ne savait jamais par avance comment les gens réagissaient. C'était quand même son oncle, donc...

— Ce travail est une véritable catastrophe, avouai-je.

— Tu dramatises, comme toujours.

— Ça c'est toi qui le dis. Moi je ne prends que les faits en compte et crois-moi, ce n'est pas glorieux.

J'espérais juste qu'aucune vidéo n'avait été prise de ce qui s'était passé dans ce restaurant. Brackston n'y aurait pas survécu. Moi non plus du reste.

— La famille est importante, tu sais, dit Ingo, mais ce que toi tu veux aussi. Et le tout ce n'est pas de suivre un chemin tracé par les autres.

— C'est juste pour un moment. Un an, c'est rien.

— Peut-être, mais il peut s'en passer des choses en une année, mein schatz.

Ça, je le savais. Mais hormis le cafouillage du début, le reste irait tout seul. Du moins c'est ce que je voulais. Et puis mine de rien ce boulot n'était pas si déplaisant. Être entouré de telles personnalités avait un côté stimulant. En tout cas c'est ainsi que je le ressentais. On ne me demandait rien de compliqué, mais on ne me laissait pas dans un coin non plus. Et rien que ça, ça comptait pour moi.

Je cessai d'embêter Ingo avec mon babillage et le regardai travailler. Son mouvement du poignet témoignait d'un savoir-faire né de l'habitude. Il savait ce qu'il faisait et comment le faire. Il tatouait comme il respirait et n'avait pas froid aux yeux. C'était peut-être ça qui avait poussé cet homme à sauver une jeune fille d'une voiture en flammes avant que cette dernière n'explose. Je lui devais la vie, même si lui ne le voyait pas sous cet angle.

Mes parents lui avaient proposé une généreuse somme, mais il avait refusé, trop fidèle à ses principes pour ça. Tout le monde n'aurait pas eu cette réaction. Son intégrité n'était plus à prouver, pas plus que sa dévotion, née d'une première vie en tant que soldat du feu. D'où cette carrure alléchante.

Mon estomac se rappela à moi à cette minute précise et je grommelai. Avec tout ça je n'avais pas eu le temps de savourer mon repas.

J'embrassai Ingo sur la joue et trop concentré, il ne me vit pas partir, le laissant seul dans son antre. Je remontai la rue et m'arrêtai devant un food-truck aux senteurs exotiques. Je me pourléchai la lèvre, jetant un coup d'œil au tableau présentant une ébauche de carte. Les dessins présents ne faisaient qu'accentuer l'appétit des potentiels clients. Je me faufilai dans la petite file qui s'était formée devant le camion et sursautai comme un beau diable lorsqu'une main s'abattit sur mon épaule. Je fis volte-face et fus surprise de découvrir Ezra, essoufflé, les joues rouges et les cheveux ébouriffés.

— J-j'ai cou-couru pour te...

Il chercha son souffle, le trouva en luttant et se redressa. Il avait les yeux étincelants et un air au saut du lit absolument adorable. Pas courant chez lui qui était quand même un spécialiste du bien-être et de la beauté.

Il appuya ses paumes sur ses cuisses, se courba un instant.

— Je suis désolé, dit-il. Pour mon oncle.

J'en restais coite de surprise. Il s'excusait à sa place ? Aucun sens. Mais Ezra était ce genre de personnes. Celle que beaucoup qualifiait de cette façon : trop bonne, trop conne. Et c'était d'une tristesse !

— Tu n'y es pour rien, finis-je par dire. Nous ne sommes pas responsables de la bêtise de nos proches.

Il pinça ses lèvres en une ligne fine.

— Je sais, mais je tenais quand même à le faire. Et je voulais être sûr que tu... allais bien.

Son ventre se manifesta à ce moment précis, faisant écho au mien. Notre œillade se changea en quelque chose de plus léger, nous acoquinant dans notre envie de manger. Non, à ce stade il s'agissait de dévorer.

— Quelque chose te tente ? lui demandai-je, ayant déjà arrêté mon choix.

— Je n'ai pas l'habitude de goûter à ce genre de nourriture, avoua Ezra sans honte.

— Je vais commander pour toi alors.

Ce que je fis quelques minutes plus tard. Nous nous décalâmes sur la droite le temps d'attendre nos barquettes et avisai sans mal les regards se porter sur Ezra. Il dégageait un magnétisme brut, cette masculinité propre à un homme bien apprêté. Mais au-delà de cette apparence savamment choisie, il y avait le vrai Ezra, celui qui jouait avec une féminité aiguisée. J'étais admirative de sa façon de s'accepter, de s'aimer. Il ne craignait pas d'être qui il était et ça, mine de rien, ce n'était pas donné à tout le monde.

J'allais récupérer notre commande et nous nous installâmes au niveau d'une des nombreuses tables hautes, déposant notre repas dessus. Ezra plongea sa fourchette dans une mixture étrange, mais terriblement goûteuse. Il gémit après la première bouchée et ses pupilles se dilatèrent. J'éclatai de rire devant pareille bouille. Il y avait une certaine candeur chez lui, un enfant encore camouflé derrière cet homme magnifique, un Peter Pan qui avait grandi presque malgré lui.

— C'est Levi qui cuisine pour vous en général ? m'enquis-je, vraiment curieuse.

— Oui. Mais grâce à lui, on se débrouille tous un peu en cuisine. Mais lui, il a un don pour ça.

Ce n'était un secret pour personne. Il faisait partie des grands cuisiniers de la ville, si ce n'est du pays. Un Paul Bocuse à l'américaine en somme.

— Tu devrais le voir à l'œuvre, continua Ezra. Quand il est dans une cuisine, c'est comme s'il se révélait.

Il y avait beaucoup de tendresse dans sa voix. Un amour à peine camouflé et un respect débordant. Aucun de ces cinq hommes ne se cachait derrière une façade. Ils se révélaient tous d'une honnêteté désarmante et parfois un peu intrusive.

— Tu le verras demain soir, ajouta-t-il. Lors de l'inauguration.

Une maman chat parlant de son petit. L'expression d'Ezra lorsqu'il s'agissait de Levi s'en trouvait changée, transcendée, même. Incroyable à voir.

— Vous êtes tous très fiers les uns des autres.

— Parce que nous sommes une famille, répondit Ezra du tac au tac.

Il avait raison. Une telle dévotion pour les siens n'avait pas de prix, se passait de tous les mots. Moi, tant d'amour, ça me subjuguait.

Nous finîmes notre repas et Ezra me remercia pour cette découverte. Il appela le chauffeur pour lui indiquer où nous nous trouvions et m'annonça que ce soir, nous serions les premiers à gouter en avant-première le menu proposé par Ezra pour l'inauguration. Nous prîmes donc la direction du QG des garçons pour qu'Ezra puisse se changer et travailler un peu. J'en profitai pour lire les différentes idées des garçons pour l'épisode test, demandé par la chaîne.

Il s'agissait de relooker quelqu'un, mais pas seulement. Sans pousser la démarche trop loin, il s'agissait surtout de révéler la beauté de la personne, qu'elle soit bien charpentée, grosse, maigre, homme ou femme, hétéro ou homo. Ou même autre chose encore. Chacun aurait donc un rôle à jouer de par leur spécialité, ce qui paraissait logique quand on y pensait.

À seize heures révolues, je m'installai sur l'immense canapé avec un thé et dus m'assoupir sans même m'en rendre compte.

Quand je me réveillai, Caleb était assis sur la table basse, me fixant de ses pupilles acérées. Je me raidis dans la seconde et son sourire se fit presque diabolique. S'ils étaient tous bien trop démonstratifs pour moi, Caleb restait celui que je craignais le plus. Parce qu'il lui suffisait de passer un peu de temps avec vous pour vous percer à jour et commencer à poser des questions.

Foutu coach de vie !

— Tu parles quand tu dors, dit-il, trop content.

— Ah ?

— N'embête pas ma petite perle, cria Ezra de je ne sais où.

Caleb me fit un clin d'œil et se releva.

— Levi nous attend.

Ezra, Caleb, Kai et Jakob étaient tous à couper le souffle pour cette soirée pourtant sans enjeux. Chez eux, c'était naturel. À côté, je faisais grosse tâche impossible à éviter. Mais personne ne releva et surtout pas Kai. Pour l'instant. Mais à mon avis, ça n'allait pas durer.

Nous montâmes tous dans la même voiture, un bolide qui nous amena droit au nouveau restaurant où Levi nous attendait de pied ferme.

Impossible pour lui de cacher son stress, mais au moins il avait sa famille autour de lui, ce qui eut le don de le détendre. Il nous installa dans la salle où une table avait été dressée rien que pour nous et je me retrouvai entre Ezra et Kai. L'un ne cessait de jouer avec une mèche de mes cheveux et l'autre de se tapoter la joue en m'observant attentivement. Je fixai un point droit devant moi, sans ciller. Si les autres buvaient tous leur verre de vin blanc, j'avais opté pour de l'eau, n'étant pas très à l'aise avec l'alcool.

Sans alcool la fête est plus folle !

Les portes battantes laissèrent passer des serveurs ainsi que Levi, dans sa tenue de chef. Chacun eut droit à son assiette. Ces dernières, colorées, offraient une vision précise du talent de Levi et il ne semblait pas en manquer ! Je me penchai pour renifler toutes ses senteurs, toutes ses saveurs et mes papilles s'en trouvèrent emportées. Loin, très loin.

Levi énonça l'intitulé de l'entrée et se tourna vers Caleb quand ce dernier lui posa une question. Je portai la fourchette à ma bouche et gobai la cuillérée avec appétit au moment où Levi nous prévenait :

— Attention, c'est chau–

Ma langue et mon palais furent les premiers touchés, puisque les premiers concernés.

La brûlure, piquante et insidieuse, me fit gémir de douleur et je recrachai tout dans l'assiette, langue dardant, cherchant déjà à apaiser la brûlure par l'air ambiant. Un silence étrange me fit relever les yeux de mon carnage culinaire.

Levi écarquilla les yeux, trop choqué, figé. Je m'arrêtai dans mon geste, mais le mal était fait. Par Merlin... je ne pouvais pas faire pire, hein ? À trop vouloir rester soi-même, voilà ce que ça donnait : rien de bon ! J'étais une cause perdue, surtout face à ces hommes.

Je venais juste de recracher un travail fait avec amour à la face d'un chef reconnu. Qu'est-ce qui pouvait être pire que ça au juste ?

Mais qu'on me pende ! 

**

Cette Athena.... QU'EST QU'ON L'AIME 🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣

Bon week end à vous et surtout courage si vous devez prendre la route ou le train pour les fêtes. D'ailleurs vous allez les passer où ? ❤️ ❤️

Plein de bisous 💕

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