57. Mes démons
ATHENA
Il me regardait, attendant une réponse de ma part après son discours. Qui résonnait sourdement en moi, qui grignotais chaque parcelle sensée de mon esprit. Et je sentais aussi les yeux de Levi sur moi, tous les deux espérant que je dise ce qu'ils voulaient entendre.
Un tourbillon de sentiment me cloua sur place quelques secondes, avant que je me fasse la réflexion que je ne pouvais pas rester ici.
La bulle des derniers jours venait d'exploser et le contre coup me semblait terrible.
— Athena !
La porte claqua et mes talons déclenchèrent l'écho d'un orage ; le tonnerre heurtant durement le sol tout en instillant la peur dans son sillage. Je sentis le poids de quelques regards sur moi, courant si vite que tout s'en trouvât flouté, me rappelant une bande passante, incapable d'en saisir les moindres détails.
La porte donnant sur les escaliers de service heurta le mur et je dévalai les marches, sans aucune peur de tomber et de me rompre le cou. Mon cœur battait sourdement, plus fort encore qu'un chœur de tambours. Mon sang gorgeait mes veines en suivant le même tempo. L'hémoglobine laissa place à l'adrénaline et dans ma bouche, le goût de la bile, acide et vorace. J'avais littéralement le cœur dans la gorge et l'impression qu'un rouleau compresseur passait et repassait sur mes intestins, les enroulant, les déroulant, les rendant friables et malléables.
Je ne vacillai pas, trop sûre dans ma fuite, trop peureuse dans le fait de faire face.
La fuite constituait ma meilleure arme. La seule que j'avais face à cette situation, face à cet imbroglio. Me tenir droite devant l'adversité n'était plus une option.
Je fuyais, les épaules droites, la douleur au bord des lèvres, ma souffrance estampillée à même mon âme.
L'écho des voix – de leurs voix à tous les deux laissa place au silence, mais je ne me pris pas à espérer. Je devais sortir de là, coûte que coûte, sans me retourner.
Sans espérer.
Sans regretter.
Courir.
Fuir. Fuir. Fuir.
Ce n'était qu'une question d'étages, d'opportunité. De possibilités. Main sur la poignée, j'inspirai, les poumons en feu, l'âme lourde, avant de pousser la porte pour repasser du côté où l'effervescence semblait perpétuelle et terrifiante. Je frottai mes paumes contre ma jupe plissée et inspirai. Si j'avais eu le temps, j'aurais entamé le souffle du dragon durant une trop courte minute pour m'ancrer de nouveau. Une fillette jeta un coup d'œil dans ma direction, une sucette dans la bouche, des couettes asymétriques. Elle releva la tête vers son père, attentive et finit par disparaître dans ce flux intempestif. Je voulais sortir de là, respirer l'air, voir le ciel. Sortir de ce lieu et mettre le plus de distance entre eux et moi.
Je voulais m'éloigner.
Me terrer comme un animal apeuré.
Ma conscience me hurlait de fuir, mon cœur cherchait à me tempérer. Deux voix intérieures se heurtant avec violence, me forçant à prendre une décision, à savoir ce que je voulais.
Ce que je voulais ? Je le savais ?
Paumes moites, j'avançai droit devant moi, cherchant l'ascenseur le plus proche pour rejoindre le rez-de-chaussée. Comme n'importe qui d'autre, je me fondis sans aucun mal dans la foule, devenant un maillon du quidam. Un de plus. J'évitai chaque contact, que ce soit celui inopportun d'une épaule contre la mienne ou d'une main. Je ne cessai de jeter des coups d'œil derrière moi, trop inquiète. La peur me conditionnait, m'enserrant en ses serres avides et voraces, contrôlant ma respiration et mon rythme cardiaque.
J'avais besoin d'air.
J'avais besoin d'eux.
Mais je luttai contre une fatalité nouvellement acquise.
— Vous allez bien ?
Une vieille dame me fixait, attentive. Nous étions un petit groupe à attendre l'ascenseur, mais personne n'espérait sa venue avec autant de ferveur que moi. J'ouvris la bouche, mais ma gorge se serra, empêchant le moindre son de filtrer.
Les portes coulissèrent.
— Athena !
Mes yeux s'écarquillèrent et la vieille dame agrippa mon bras en une poigne impressionnante pour quelqu'un de son âge et de sa corpulence. Elle me poussa dans la cabine et appuya elle-même sur le bouton du rez-de-chaussée. Les autres personnes semblèrent quelque peu scandalisées, mais bientôt, je ne vis plus que mon reflet renvoyé par les portes chromées de l'ascenseur. Les chiffres défilèrent.
Étage après étage.
Mes yeux étincelaient de larmes à peine contenues.
Je ne voulais pas craquer maintenant.
Je ne devais pas craquer tout de suite.
La musique d'ambiance couvrait les soubresauts de mon cœur, l'agonie chantant dans mes veines. Je me propulsais en dehors de la cabine, heurtant nombre de personnes et m'excusant du bout des lèvres.
Tu y es presque.
La sortie, là-bas, un peu plus loin. Je dénombrai deux personnes de la sécurité et l'espace d'un instant, j'eus peur qu'ils me retiennent. Mais l'air estival me heurta de plein fouet et un soupir de soulagement se logea dans ma poitrine, attendant d'être pleinement expiré. La route. Des taxis.
J'y étais presque. Encore quelques mètres, encore quelques...
— ATHENA !
Je ne me retournai pas, mais je les savais juste là, derrière moi, pourfendant la foule de leurs regards scrutateurs. Je calmai mon allure et pris la tangente pour me mêler à un groupe d'à peine quatre personnes. Je calquai mes pas sur les leurs.
Un pas. Douze battements de cœur.
Un autre pas. D'autres battements.
Encore un peu. Si peu...
Je m'apprêtai à lever un bras pour héler un chauffeur, mais des doigts s'enroulèrent autour de mon poignet et toute tentative de fuite fut réduite à néant.
J'avais échoué.
Vraiment ?
Je ne fuyais pas vraiment Ezra et Levi, je fuyais juste les réponses que je lisais déjà dans leurs yeux. Ils n'attendaient rien, parce qu'ils savaient.
Je levai les yeux sur Soren, sourcils froncés, se demandant bien ce que je faisais là et pourquoi j'avais cette tête propre à un cœur douloureux, à des sentiments malmenés.
Je n'avais pas menti aux garçons. Je n'étais pas prête. Ou alors je me leurrai ? J'avais peur.
Je dégageai mon bras de la prise de Soren, mais une nouvelle fois, il m'empêcha de héler un taxi.
Fichu lui !
Il releva la tête, sûrement en entendant la voix d'un des deux garçons. Beaucoup de monde, une foule en mouvement, compact, de quoi les retenir, les retardés. Soren attrapa ma main et me tira à sa suite. Je ne luttai pas. Encore moins lorsqu'il me poussa dans une voiture, où son chauffeur semblait l'attendre. Je me plaquai contre la portière lorsqu'il entra à son tour.
— On peut y aller, lâcha sa voix et presque immédiatement, la voiture se mit en branle.
Paumes contre ma jupe, je ne bougeai pas d'un iota. Soren ne posa pas de questions, en fait, il ne parla pas tout court. J'essuyai rageusement mes joues, fâchée de cette situation, fâchée de ma propre réaction. Le pire dans tout ça ? Je n'en voulais même pas à Ezra d'avoir abordé le sujet qui me tiraillait depuis des jours, qui me volait mon sommeil et accaparait mon esprit le reste du temps. Et je n'en voulais pas plus à Soren. Nous étions deux coupables, deux âmes amenées à nous croiser, encore et encore, sans parvenir à vraiment s'éloigner, malgré tout ce qui était arrivé.
— Tu ne vas rien dire ? crachai-je, le fusillant du regard.
J'étais injuste. Son visage n'exprima aucune amorce de conflit, aucune surprise. Il me regarda et je lui retournai son œillade, peu amène. Je voulais crier, hurler, le pousser.
Me fracasser contre lui.
— Quelle est la définition de soutien-gorge ? souffla-t-il.
Je secouai la tête, n'ayant aucune envie de rire. Aucune envie de me prêter à ce petit jeu avec lui.
— Il soutient les faibles, maintient les forts et ramène les égarés.
Ce fut bien plus fort que moi.
Je ris.
Et je pleurai l'instant d'après. Il vint doucement jusqu'à moi et passa son bras autour de mes épaules pour me ramener contre lui.
— C'est normal, dit-il dans un murmure qui m'était uniquement destiné.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles.
— D'Ezra, de Levi. De toi. De moi. Parce que c'est de ça qu'il s'agit, n'est-ce pas ?
Il savait toujours. Il comprenait à chaque fois. Et j'ignorai comment il faisait. Je fourrai mon nez contre le tissu de sa chemise et humai son odeur. Je plongeai dedans, les yeux fermés.
Je ne répondis rien et il n'attendit pas que je le fasse. Ses doigts caressaient mon épaule. Sa bouche effleura mes cheveux.
Je l'aimais encore.
Je l'aimais à en avoir peur.
Parce que j'aimais aussi Levi.
Parce que je commençai à tomber amoureuse d'Ezra. Etje me demandais comment, oui comment est-ce qu'on pouvait aimer autant depersonnes sans avoir l'impression d'abandonner une part de soi à chacuned'entre elles ?
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