56. Excès de confiance


EZRA

Je déboutonnai le haut de ma chemise et dégageai mon cou d'un geste un peu impatient. J'observai la circulation autour de la voiture et lâchai un profond soupir en prenant conscience que j'allais certainement rester bloqué un moment. Foutue heure de pointe ! En même temps à L.A, c'était un ballet constant de voitures, de deux roues, de vélos et de piétons. Ça ne s'arrêtait jamais vraiment et même en faisait montre de prudence, je finissais par me faire avoir.

— Je crois que nous allons en avoir pour un moment, souffla le chauffeur.

Je hochai la tête et passai une main sous ma chemise pour me frotter le pectoral. Je n'avais aucune obligation avec la fin de la journée, mais me retrouver coincé dans les embouteillages ne faisait clairement pas partie d'un programme quelconque.

Je rejetai la tête en arrière et observai le plafond de la voiture d'un regard rêveur. Les derniers jours étaient passés d'une drôle de manière, Soren plus présent que jamais avec nous. Il fallait dire que son emploi du temps se trouvait considérablement allégé depuis quelques semaines ; le creux avant le sprint final.

J'ignorai ce que ça donnerait une fois Soren projeté sur le devant de la scène. Au départ, il n'avait fait que suivre les directives de Benson, mais une fois Brackston entré dans la course, ça avait doucement changé. Un virage à trois cent soixante degrés qui s'était fait en douceur néanmoins.

Soren voulait servir son pays autrement qu'en faisant la guerre et surtout, sans laisser des morceaux de lui éparpillés aux quatre vents. Et bon sang, je pouvais comprendre ça. Je savais pourquoi j'attendais depuis des années et pourquoi j'étais près à le faire encore une autre poignée d'années.

Levi et moi, nous avions signé pour ça sans même nous en rendre compte au début.

L'amour aveuglait et vous mettait de sacrées œillères, vous empêchant de voir. De saisir ce qui se jouait pour de vrai. Et lorsqu'on s'en était aperçu, impossible de faire machine arrière. Impossible d'abandonner Soren sous prétexte qu'il voulait servir sa patrie.

Qui pouvait lui reprocher ça ? Pas moi. Et encore moins Levi. Mais si j'arrivais à vivre avec depuis un moment déjà, ce mode de vie pesait à Levi. Et avec Athena dans la balance... je commençais à avoir peur. À douter un peu, peut-être même.

Après une stabilité acquise difficilement, pouvions-nous intégrer Athena ? Comme ça, ça paraissait si simple. J'éprouvai quelque chose pour elle. De peu commun par rapport à ma situation et à mon homosexualité avérée. Mais nous n'aimions pas juste un genre.

J'aimais la personnalité d'Athena.

J'aimais qui elle était.

Ce qu'elle véhiculait et sa façon d'exister et de poser un certain regard sur le monde qui l'entourait.

Étais-je amoureux ?

Pour moi, ça demandait du temps et une implication particulière. Certains voyaient ça comme simplement s'endormir, mais d'après moi, c'était plus long, sur la durée aussi. Oui je ressentais un truc. Certainement un début de sentiment amoureux, mais c'était avant tout physique. Une alchimie née entre deux corps. Entre deux pensées semblables. Enfin, dans cette équation, nous étions quatre. Je voyais la synergie entre Levi et Athena, tout comme ce qui nous unissait tous les trois. J'avais surtout vu le lien entre Soren et elle et depuis, je n'arrêtais pas d'y repenser. Un disque rayé, repassant la même piste dans une rengaine épuisante, mais divertissante.

Mieux valait ça à l'ennui total et au silence létal.

Je savais ce que je voulais. Depuis toujours. Certes avec quelques petites erreurs de parcours, mais rien de dramatique. J'en étais au stade où je savais qu'Athena avait réussi à se greffer à nous. L'éloigner maintenant ne donnerait rien de bon.

Nous étions dépendants les uns des autres. Jusqu'à quel point au juste ? Tous ces moments passés ensemble au loft, à imaginer quelques petits jeux. Les blagues douteuses entre Soren et Athena. Ce passé commun qui nous excluait automatiquement, Levi et moi. Idem pour Athena en ce qui concernait notre relation avec Soren. Avant la guerre, avant leur rencontre. Mais comme je le lui avais dit, pour moi, rien de tout ça n'était une coïncidence. Liés sans le vouloir, placer sur le chemin des uns et des autres.

J'en voulais plus. Et je ne souffrirai pas d'un échec. Pas à ce stade, pas après tout ça.

Cette ébauche de bonheur. Cette ébauche de plus.

— Je tuerai pour un café, pas vous ? s'exclama le chauffeur.

Ah, l'or noir. J'y étais un peu trop accro depuis ma jeunesse, rendant ma mère plus inquiète qu'elle n'aurait dû. Donner de la caféine à un hyperactif ne semblait jamais une bonne idée.

— Plutôt deux, répondis-je.

Mon téléphone vibra dans ma poche, annonçant un appel de Levi. Je décrochai :

— Je suis coincé dans les embouteillages et rêve d'un café noir bien serré. Tu peux m'aider ?

Son rire fut une caresse. Une promesse. J'aimais ce son dans la bouche de mon Levi, la façon dont sa cage thoracique vibrait, vivait.

— Malheureusement, non.

— J'aurais dû m'en douter, fis-je mine de bouder. Tu m'appelais pour une raison précise ?

— Notre petite perle en talon. Avec une jupe plissée à se damner.

Je me tortillai sur la banquette, sentant une douleur familière et agréable venir se loger droit entre mes jambes. Je n'étais qu'un homme après tout et le simple fait d'imaginer Athena ainsi me semblait largement suffisant pour entraîner une réaction physique. Même dans son gros pull à moumoute que Levi adorait je n'en menais pas large, alors on pouvait oublier les idées préconçues des hommes bandant devant une femme nue en talons.

Baloo avait raison : il en faut peu pour être heureux.

— Kai donnerait tout pour voir ça, dis-je en riant.

— Il a eu droit à une photo. La pauvre, elle ne sait pas ce qui l'attend maintenant qu'il a vu ça !

Mon petit Levi diabolique... j'adorais !

— Bref, tout ça pour te dire que j'accompagne la belle demoiselle récupérer quelques documents pour sa mère au Del Amo, m'apprit-il.

Le Del Amo Fashion Center était l'un des deux grands malls de la ville, situé à Torrance, au sud de L.A. Connue dans le monde entier par les fans de Tarantino, puisque présent dans le film Jackie Brown. J'aimais ce centre commercial pour tout ce qu'il offrait et pour la diversité représentative de notre ville.

— Tu nous rejoins ? Soren, en mission commando, a dit qu'il viendrait nous attraper.

— Et s'il se fait attraper avant ? soufflai-je, inquiet.

— Tu le connais ; une pirouette et le tour est joué. En plus Benson n'est pas là. Il est parti accompagner Talia je ne sais où encore.

D'où le fait que notre Soren pouvait venir bien plus souvent. Et qu'il faisait le foufou.

— Donc le chat absent, les souris dansent, c'est ça ?

— Plus ou moins, se moqua Levi. On va décoller donc ne te presse pas.

— T'ai-je déjà dit que j'étais coincé dans les em–

— Oui, oui. S'il faut, on t'attendra sur place. Tu m'écris ?

Il raccrocha le premier et je me penchai entre les deux sièges avant.

— Une façon d'arriver au Del Amo sans rester trois heures ici ? interrogeai-je le chauffeur.

Il sourit.

Je retrouvai Levi et Athena dans le centre commercial, en train de siroter tranquillement à une table avec une vue imprenable sur les gens en plein shopping. Ils avaient préféré attendre avant d'effectuer la mission du jour et c'est ensemble qu'on prit un ascenseur muni d'un pass pour nous diriger dans les étages interdits aux badauds. Athena nous expliqua qu'elle avait l'habitude de sillonner ce genre d'endroit pour sa mère, que ce soit pour récupérer des contrats ou autre, un peu à la manière d'un coursier. La famille Claythorne possédait une réputation à l'échelle du pays, faisant de son empire un ponte dans leur domaine. Quand on voyait Athena et sa manière de s'attifer, on pouvait douter d'un quelconque lien de parenté, cela dit.

Nous débarquâmes dans une petite fourmilière où tout semblait bien huilé. On oubliait souvent que des gens travaillaient hors de la vue de tout un chacun pour faire tourner un lieu tel que ce mall immense. Athena salua tout le monde poliment et nous tentâmes de passer inaperçu, mais bon, vu ma dégaine et le franc-parler de Levi, on se confondait difficilement dans la déco plutôt épurée. Un certain Stan nous conduisit dans une grande salle de réunion avec une vue dégagée et pointa à Athena une pile de documents.

— Mon assistant à relu le tout, mais bon, tu connais ta mère mieux que moi, alors...

Athena et lui échangèrent quelques mots et la jeune fille balança ses talons une fois que nous ne fûmes plus que tous les trois.

— Tu fais ça souvent pour la matrone Claythorne ? m'enquis-je, curieux.

Athena haussa les épaules et fit jouer ses doigts de pieds :

— Je commence à comprendre tout ce jargon par cœur.

— Ta mère veut que tu prennes sa suite, c'est ça ?

Cette fois, elle grimaça. Levi s'était installé à côté d'elle, curieux de voir sur quoi portait ce fatras de documents qui, pour ma part, me rebutait.

— C'est l'idée, ouais, souffla-t-elle.

— Ça ne t'emballe pas plus que ça ?

Levi aimait comprendre les gens, saisir ce qui se jouait dans leur tête. Néanmoins, il ne dépassait jamais les limites des personnes en face de lui, mais le hic avec Athena, c'est que nous n'avions aucune idée des desdites limites. Elle se parquait, ne se dévoilant que par à-coups brutaux, nous laissant bien souvent soufflés, sans aucun moyen de riposter.

— Avant de penser que je pourrais peut-être reprendre le flambeau, j'ai envie de me dire que c'est un choix de ma part et non pas une obligation. Que j'aurais écumé toutes les autres possibilités et que ce que je veux vraiment faire, c'est gérer un empire. Tout ne va pas de soi. Mes parents sont riches, pas moi. Mes parents ont une certaine réputation parce qu'ils ont travaillés dur, pas moi. Je ne veux pas que tout me tombe tout cuit dans la bouche. D'après Brack, ça fait de moi une garce qui s'ignore.

Levi gloussa et attrapa une mèche de cheveux d'Athena entre ses doigts pour jouer avec.

— Ta mère avance ses pions avec minutie, dis-je. D'abord elle t'envoie à droite à gauche gérer quelques formalités pour elle, ensuite elle te fait signer un contrat pour te faire travailler avec nous sur sa nouvelle série. Pas mal, non ?

— Elle sait comment y faire, c'est vrai, approuva Athena. Et le pire dans tout ça, c'est que j'adore ce que je fais !

— Tu as trouvé un début de réponse, donc ? dit Levi.

— On va dire que je me souviens m'être dit qu'une année ne changerait rien à ma vie. Mais regardez-nous.

Elle rougit face à son propos et Levi lui murmura un truc qui la fit retrousser son nez. J'y vis une porte d'entrée.

Un moment à saisir.

Une façon de pousser le battant plus grand pour m'y engouffrer sans hésitation. Je prendrai le retour de bâton ensuite. Tant pis si ça faisait plus mal que prévu. Mais cette part idéaliste de moi ne pouvait entrevoir que ça ne fonctionne pas ; que je me heurte à un mur quand tout paraissait si... bien lancé !

— Laisse Soren entrer dans notre intimité, dis-je.

Levi me fit les gros yeux et Athena ne comprit pas ce qui lui tombait sur le coin de la figure. J'étais censé être la balance entre nous tous, enfin, surtout entre Soren, Levi et moi. L'équation Athena ne m'aidait pas à gérer la situation, d'où le fait que je mette les deux pieds dans le plat ?

— Je ne pense pas que ce soit le moment de–

Levi tenta de me tempérer, de désamorcer le conflit avant même qu'il n'éclate. Ça allait arriver ? Athena me fixait, ne semblait pas vouloir aller sur ce terrain-là. Quand il s'agissait de Soren, elle avait tendance à reculer. Pas juste de quelques pas.

Nous connaissions les grandes lignes.

— On va faire comme si tout était normal alors ? taclai-je Levi.

Il grimaça.

— Personne ne prétend rien du tout, répliqua-t-il. Seulement...

— Seulement on ressent tous quelque chose les uns pour les autres, c'est plus qu'un bon début, lâchai-je. À ce stade, tout ça n'est que formalités. Qu'est-ce qui nous retient d'être ensemble, tous les quatre ?

C'était vrai, quoi ! Nous avions dépassé ce stade à l'instant même où j'avais fait un cunni à Athena pendant que Soren suçait Levi ! Tout ça dans la même pièce. Je ne voulais pas qu'on se foute des œillères sans raison valable. Et ici, je n'en voyais aucune. Ce qui se passait entre nous, c'était bon, c'était fort. C'était vrai.

— C'est toi qui n'aimes pas les étiquettes, attaqua Athena, sans méchanceté, les yeux écarquillés.

— C'était vrai, jusque-là, répondis-je. Je ne prétends pas tout savoir de votre histoire à Soren et toi, ma petite perle. Nous sommes avec lui depuis des années et tu es la première personne qui parvient à se frayer un passage jusqu'à nous. Levi, moi, lui. On ne peut pas être avec toi, couper la poire en deux et être avec lui.

Elle ouvrit la bouche, la referma et je vis les couleurs de son visage s'effacer. Elle se leva et Levi l'observa, sans mot dire. Elle ramassa ses talons et y glissa ses pieds.

— Je sais que ça fait beaucoup, enchainai-je, trop peureux pour me taire. Qu'aimer plus qu'une personne peut faire peur, parce que ce n'est pas dans les normes, mais regarde ces derniers jours et dis-moi que je me trompe ; dis-moi qu'il n'y a rien à espérer et que je suis complètement fou de croire qu'un truc à quatre pourrait fonctionner ! Dis-le-moi, Athena.

Je vis Levi se redresser, attendre sa réponse, imaginer, comme moi, que c'était le bon moment. Athena secoua la tête, enfonçant mon cœur dans ma poitrine, le faisant chuter dans les entrailles de mon ventre.

— Je ne suis pas... je ne suis pas prête pour ça, souffla-t-elle, les yeux écarquillés, terrorisée par ce que je lui demandais.

Par cette révélation qui lui tendait les bras, qui la poussait bien au-delà de sa zone de confort.

— Je... désolée, mais, non. Non.

Sa fuite nous coupa le souffle et Levi bondit sur ses pieds, me fusillant du regard.

— J'te jure, Ez, des fois, tu ferais mieux de te taire !

Et il s'élança.

Avais-je péché par excès de confiance ?

Et merde !  

**

Et vous aviez raison 😎😎😎

Prochain PDV : le prolooooogue 😘😘

Da bisous ❤️

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